cette
indifférence aux souffrances qu'on cause et qui, quelques autres
noms qu'on lui donne, est la forme terrible et permanente de la
cruauté.
(Marcel
Proust, Du côté de chez Swann)
Nous
vivons tous plus ou moins dans l'illusion, dans des mirages. Mais
certains plus que d'autres. Ainsi, ces Africains qui continuent à
voir dans l'Europe un Eldorado et qui n'hésitent à monter dans des
embarcations de fortune et à payer le prix fort (celui de leur vie,
bien souvent) pour essayer de rejoindre nos côtes et le « Paradis »
occidental.
C'est
ce que raconte La
pirogue,
le formidable film du Sénégalais Moussa Touré qui vient de sortir.
Nous n'étions que quelques spectateurs et c'est vraiment dommage.
Car comme on dit, il vaut le détour, même coincé entre le nouvel
Astérix
et la comédie américaine Ted
dont on peut se dispenser. Une trentaine de passagers embarquent donc
dans une pirogue pour tenter de rejoindre les îles Canaries, point
de départ espéré vers l'Europe mythique, l'Espagne d'abord, pour
quelques-uns qui ont déjà un frère ou un cousin qui y travaillent
dans les champs, mais aussi la France, pour ceux qui sont musiciens
par exemple, et même la Chine : eh oui, elle fait rêver en
Afrique ! On est donc ballotté par la mer, les vagues, et même
une tempête terrible (scène magnifique, j'en avais le souffle
coupé) qui remplit d'eau la pirogue. Dans ce huis-clos cohabitent
des Peuls, des Guinéens et des Dakarois, dont beaucoup ne
connaissent pas la mer et sont morts de trouille. Les scénaristes
ont fort heureusement oublié de nous livrer une thèse avec des
personnages trop typés dans les clichés. Et le réalisateur a
magnifiquement rendu l'unité
de lieu, d'action et de temps, comme dans toute tragédie qui se
respecte. Le moteur finit par lâcher en pleine mer, et la pirogue ne
fait plus que dériver. Seule une poignée de survivants sera
recueillie par la Croix-Rouge des Canaries pour être d'ailleurs
renvoyée par avion au Sénégal. Eh oui, pour tous ces gens qui
rêvaient d'un monde meilleur, et ignoraient les souffrances du
voyage et surtout de l'arrivée, qui n'avaient que l'espoir d'une vie
meilleure, la fin ne justifiait pas les moyens. Le film est
captivant, le suspense indéniable, et le réalisme parfait. La
pirogue, le bateau, est d'une beauté extraordinaire. Et pour une
fois, le film n'est pas tombé dans le travers de trop de films
africains qui font parler les acteurs en français, rendant ainsi
l'intrigue artificielle. Ici, on parle plusieurs langues, selon son
origine et son parcours scolaire. À
noter, en début de film, avant l'embarquement, une très belle
séquence de lutte sénégalaise.
* * * *
Nouvelles
du front des nouvelles technologies (suite, et c'est pas près de
finir)
Téléphone
portable (lu
dans la presse, mais pas dans Le
Figaro
ni dans Les
Échos,
car ces deux quotidiens, qui prônent l'économie la plus libérale
possible, n'ont rien contre ce qui se passe en Chine, voire peut-être
aimeraient bien que nos petits « pigeons » de patrons
puissent faire de même en France ; non mais, c'est à ce prix
qu'on va réindustrialiser la France, Monsieur le Ministre du
Redressement industriel, prenez-en de la graine !) :
« L'Iphone
5 d'Apple, nouveau jouet des bobof, est assemblé en Chine dans la
province du Shanxi, au sein d'une usine digne du pire XIXe siècle :
fenêtres et dortoirs grillagés (l'ouvrier dort sur place :
gain de temps), surveillance maximale, absence totale d'hygiène et
salaire de misère. Un quotidien fait de coups, de brimades diverses,
de suicides. Grâce à cette main-d’œuvre, Apple sait pouvoir
produire les 57 millions d'Iphones attendus, tel le Saint-high-Graal,
par cette tripotée de trépanés technovores, surgâtés et
débiloïdes qu'on nomme l'Occident. »
Je
ne dirais pas mieux ! Et j'aime bien les « bobof »,
terme que je ne connaissais pas encore ! Et surtout les savoir
« trépanés » ! Il est vrai que je m'en doutais un
peu...
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