jeudi 30 mars 2023

30 mars : violences policières


Quant à ceux qui estiment que leur métier consiste à s’acharner sur le plus faible et à pisser sur la loi, je ne me battrais jamais assez pour dénoncer leur comportement et leurs prétendues bavures.

(Guy Gilbert, Des jeunes y entrent, des fauves en sortent, Stock, 1982)

 

On ne me racontera pas des histoires sur les prétendues (selon les ministres) violences policières ; bien sûr qu’elles existent. À Sainte-Soline, les forces de l’ordre avaient préparé le champ de bataille et s’en sont livré à cœur joie, s’en prenant à l’ensemble des manifestants, et pas seulement à ceux qui voulaient "casser du flic". Je ne nie pas que ces derniers existaient. Mais comme toujours, ils sont rarement arrêtés, et ce sont les pacifistes qui trinquent : ils prennent les gaz lacrymos, les canons à eau (l’eau n’est-elle pas quelque chose de précieux pour éviter de la gaspiller bêtement ?), les grenades d’encerclement (parfois en pleine gueule) et les coups de matraque souvent quand ils sont déjà à terre. Et en plus, on empêche les secours d’intervenir à temps quand il y a des blessés graves : sans doute, les ambulances sont pleines de mortiers, de coups de poing américains et risquent de se mettre du côté des "terroristes".

En présence des forces de l’ordre, on en arrive à se sentir coupable, contrit par avance et craintif : est-ce normal ? Je vous livre le témoignage des parents de Serge, le jeune homme entre la vie et la mort, et de plus discrédité et vilipendé par les autorités. C’est vrai : que diable allait-il faire dans cette galère ? N’est-ce pas plus sage de rester chez soi, confortablement assis devant sa télé, en se faisant le béni-oui-oui devant toutes les saloperies des puissants ? Je vous le laisse lire et en tirer vous-même vos conclusions.



COMMUNIQUÉ des parents de SERGE

Notre fils Serge est actuellement hospitalisé avec un "pronostic vital engagé", suite à la blessure occasionnée par une grenade GM2L, lors de la manifestation du 25 mars 2023 organisée à Sainte-Soline (79) contre les projets de bassines irrigantes.

Nous avons porté plainte pour tentative de meurtre, entrave volontaire à l’arrivée des secours ; et pour violation du secret professionnel dans le cadre d’une enquête de police, et détournement d’informations contenues dans un fichier de leur finalité.

Suite aux différents articles parus dans la presse, dont beaucoup sont inexacts ou mensongers, nous tenons à faire savoir que :

- Oui, Serge est fiché "S" - comme des milliers de militants dans la France d’aujourd’hui.

- Oui, Serge a eu des problèmes judiciaires - comme la plupart des gens qui se battent contre l’ordre établi.

- Oui, Serge a participé à de nombreux rassemblements anticapitalistes - comme des millions de jeunes dans le monde qui pensent qu’une bonne révolution ne serait pas de trop, et comme les millions de travailleurs en lutte actuellement contre la réforme des retraites en France.

Nous considérons qu’il ne s’agit là nullement d’actes délictueux qui saliraient notre fils, mais que ces actes sont au contraire tout à son honneur.

Les parents de Serge 

Le Mercredi 29 mars 2023

 


 



 

mercredi 29 mars 2023

29 mars 2023 : "Le bleu du caftan", film marocain

Je pense à l’égalité, à la fraternité, à tous ces trucs qu’on apprend à l’école et qui n’existent pas.

(Delphine de Vigan, Les gratitudes, J.C. Lattès, 2019)



Je continue, bien sûr, d’aller au cinéma. Le dernier film que j’ai vu est marocain, ce qui est assez rare en France. Mais depuis mes participations au Festival de Marrakech, j’apprécie ce cinéma qui, mine de rien, pointe du doigt la dignité et l’humanité du peuple, malgré les difficultés.

Le bleu du caftan, de Maryam Touzani, ne déroge pas à la règle. Les héros sont un couple qui tient une boutique qui vend des caftans, vêtements très brodés, longs, à manches longues, sans col ni capuche, porté exclusivement par les femmes au Maroc, souvent pour des fêtes. Halim a hérité de son père la boutique et sans doute le savoir-faire du maalem (maître-artisan) brodeur. Mais la concurrence est vive avec les caftans industriels, brodés à la machine. Halim a besoin d’un apprenti qu’il forme à ce travail traditionnel : il a du mal à en trouver. Il vient de prendre Youssef, un jeune homme timide et qui a l’air de vouloir apprendre.

Halim lui-même est un homme taiseux, discret : comme il dit à Youssef, « ma mère est morte en me mettant au monde, mon père me méprisait, Mina m’a sauvé ! » Mina est sa femme (jouée par Lubna Azabal, déjà vue dans Viva laldjérie en 2012 à Tanger, La marche, Sofia, Prendre le large), qui tient le magasin et s’occupe des ventes pour une clientèle difficile. C’est que Halim est un artisan, il travaille du matin au soir et recherche la perfection : il met donc du temps ! Le couple vit tranquillement. Mais on sent que quelque chose ne va pas, Mina est malade et peu à peu ne peut plus travailler. Halim redouble d’attentions pour s’occuper d’elle et ferme la boutique qu’il finit par confier à Youssef, pour qui il a un tendre sentiment. Sans doute voit-il en lui le jeune homme qu’il était.

Mina s’inquiète de l’avenir : « Je n’ai jamais connu d’homme plus pur que toi ! Ni plus noble ! » Et quand elle approche de la fin, elle lui confie : « N’aie pas peur d’aimer », en laissant entendre qu’elle a bien senti ou deviné l’attirance de son mari pour Youssef. C’est un film d’une grande pudeur, d’une grande subtilité, qui traite avec finesse des zones d’ombre des sentiments. Halim avoue à Youssef que c’est elle qui l’a demandé en mariage. On la voit au cours du film prendre l’initiative d’un rapport intime. Et on voit aussi Halim aller de temps en temps au hammam pour satisfaire ses autres penchants pulsionnels. La dernière scène est bouleversante, je n’en dirai pas davantage. Ce film lent, tout en délicatesse, montre l’amour profond qui unit deux êtres très différents. Je l’ai trouvé bouleversant.

 

dimanche 26 mars 2023

26 mars 2023 : l'humilité, Jésus montre l'exemple

 

On ne douta point parce que la chose était partout répétée et qu’à l’endroit du public répéter c’est prouver.

(Anatole France, L’Île des Pingouins, Théolib, 2014)



Comme presque chaque semaine, à défaut de me déplacer pour aller au Temple, je me contente d’écouter sur internet "le Pasteur du dimanche" sur le site : http://www.pasteurdudimanche.fr. C’est bref, c’est souvent percutant, ça fait réfléchir et ça fait du bien !

Ce 26 mars, il dit le texte suivant, en se basant sur le texte de l’évangile de Jean, chapitre 13, versets de 1 à 15 :

https://www.prionseneglise.fr/textes-du-jour/evangile/2019-04-18.



Pasteur du dimanche (26 mars 2023)



« Nous arrivons au temps de Pâques. Dans l’évangile de Jean, il y a un épisode marquant de le vie de Jésus, c’est le moment où il va laver les pieds de ses disciples. Le maître au service de ses disciples ! Voilà l’exemple que donne Jésus. Il est question de la forme la plus noble de l’humilité ! L’humilité… comment dire… C’est le mot que je retiendrai pour la crise que nous traversons. Où est l’humilité ? Nos politiques, notre gouvernement, notre président, devraient relire ce passage de l’évangile de Jean.

Premièrement, tous devraient se rappeler que la fonction politique est une fonction de service. Service de ceux qui les ont élus, pas au service de leur intérêt ou de leur image, pas au service d’une économie ou d’une idéologie, mais au service du peuple. Mais pour être au service des autres, surtout quand on est leur « chef », il faut de l’humilité, beaucoup d’humilité ! Le geste de Jésus est vraiment surprenant, il va s’agenouiller devant ses disciples pour leur laver les pieds !

Alors c’est l’incompréhension des disciples, comment leur maître peut-il leur laver les pieds ? C’est aux esclaves de faire cela à l’époque de Jésus. C’est là un geste d’humilité. Dans le dictionnaire, la définition de l’humilité c’est : « Sentiment, état d’esprit de quelqu’un qui a conscience de ses insuffisances, de ses faiblesses ». Ce n’est pas ce que j’ai entendu dans la la bouche de notre président ces derniers jours !

Mais toute l’histoire de Pâques, du personnage de Jésus et de ce geste de lavement des pieds devrait nous rappeler ceci. L’humilité c’est avant tout un geste d’amour, l’amour qui nivelle les différences, les hiérarchies. Qui abolit tous les pouvoirs et qui nous permet le respect des uns et des autres. C’est un geste qui relève, qui re-suscite la vie.

Oui, choisis la vie. »


 

jeudi 23 mars 2023

23 mars 2023 : comment j'ai baptisé ma nouvelle bicyclette !

 

Vous êtes laids ? Soit, mes frères. Enveloppez-vous de sublime, c’est le manteau de la laideur.

(Frédéric Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Geneviève Bianquis, Flammarion, 2020)



J’ai commencé Ainsi parlait Zarathoustra que je lis à petites doses, j’en ai bien pour deux mois encore. C’est ainsi qu’on doit savourer les grands livres. J’avais tenté de le lire quand j’étais ado, vers 16/17 ans, et ça fait partie des rares livres que j’ai abandonnés en cours de lecture, car il ne convenait ni à mon tempérament, ni à ma culture d’alors. Je ne le recommande d’ailleurs pas aux ados d’aujourd’hui, toujours prêts à dégainer leur smartphone. Ce qui m’a valu une jolie conversation téléphonique lors d’une balade à vélo récente. Et grâce au smartphone, j’ai réussi à baptiser ma nouvelle bicyclette !

                                                        les vélos protestent aussi ! 

J’étais parti pour une balade à vélo. Quand je suis à vélo, j’oublie souvent d’apporter mon téléphone, et si je le prends, je m’empresse de le mettre en mode avion, car quand il sonne, ça me fait sursauter. Mais ce jour-là, je l’avais pris, machinalement, et oublié le mode avion.

Le téléphone sonne. C’est le portable… Je suis arrivé contre le parking du stade, je peux donc m'écarter, m'arrêter et ne gêner personne. Je ne connais pas le numéro affiché mais je décide de voir qui c'est ; ça me fera une pause le temps de la communication.

Voix d'homme : « Allo, Ketty ? »

Tiens, je croyais m'appeler Jipé. Serait-ce un de mes multiples hétéronymes ? J’émets une sorte de grognement qui peut passer pour féminin.

La voix : « C’est moi. Ton bichon ! Tu me reconnais ? Pourquoi t’es partie comme ça ? »

Nouveau grognement de ma part. J'ai envie de voir où le mec veut en venir.

« T’es fâchée, ma douce ? »

Ma douce, maintenant ! Comme je ne dis mot, il se lance dans ce que je prévois être un long discours.

« Écoute, faut pas m’en vouloir. Je t’aime, tu sais… »

Il s'arrête, le temps que Ketty – ou moi – assimile cet aveu.

« Bon, d’accord, j’ai fait une connerie… Mais sans penser à mal. C’est pas ce que tu crois. Y a que toi que j’aime… L’autre ne compte pas ! Ketty, tu m’écoutes ? »

Je me sens obligé de grogner de nouveau.

« Ben toi alors, on peut dire que t’es drôlement rancunière. Parce que tu nous as vus à la terrasse d’un café et que je lui tenais la main… Qu’est-ce que t’as cru ? Ouais, si j’étais un menteur, je pourrais te raconter des bobards, te dire que c'était ma cousine qui avait besoin d'être consolée, ou que je lisais les lignes de la main pour voir si elle allait gagner à l'euromillion … Non, en fait, je veux pas te mentir, et en plus, t’y croirais pas, t’es fine, t'es maline, toi. C’est vrai qu’elle me déplaisait pas, mais c’était uniquement pour tenter ma chance, voir si je séduisais encore un peu. Je ne savais plus, depuis qu'on se connaît, si j étais encore capable de plaire et de séduire. Tu m'entends, Ketty ? »

(long silence, je respire bruyamment, comme si je refoulais mes larmes).

« Tu vas pas te mettre à chialer, tout de même ! Après tout ce qu'on a vécu ensemble ! Puisque je te dis que tout ça n’a pas d’importance, c’est du pipeau, il ne s’est rien passé, je ne recommencerai plus. Y a que toi qui comptes, tu le sais bien. »

Je grogne.

« Réponds-moi, ma biche. Merde, dis-moi un mot, dis que tu m’en veux pas ! On dirait que tu le prends mal ! Tu vois, moi, si je t’avais surpris dans la même situation, je sais pas ce que j’aurais fait, mais… Je me serais dit, voilà, elle teste son coefficient de séduction… Voilà. Ouais, c’est ça que je me serais dit. Et jamais j’aurais imaginé qu’y aurait quelque chose entre vous deux. Voyons, je te connais, j’ai confiance en toi ! »

J’ai un chat dans la gorge, je tousse.

« Ah non, c'est tout ce que tu trouves à dire, toi ? En fait, ça me prouve que toi, t’as pas confiance en moi… »

Il commence à me pomper l'air. Marre de l'écouter. Je raccroche.

C'est ce jour-là que j'ai décidé d'appeler ma bicyclette Ketty. Je sais que, elle, je la tromperai jamais. J'irai jamais caresser la selle d'une autre bicyclette. Car ma Ketty, pour se venger, pourrait bien faire exprès de déraper et pourrait bien me précipiter dans un fossé plein d'eau croupie !

                                                            Dessin de Karak
 

samedi 18 mars 2023

18 mars 2023 : sommes-nous toujours des Pingouins ?

 

Quant au gouvernement, il montrait cette faiblesse, cette indécision, cette mollesse, cette incurie ordinaire à tous les gouvernements, et dont aucun n’est jamais sorti que pour se jeter dans l’arbitraire et la violence.

(Anatole France, L’Île des Pingouins, Théolib, 2014)



Je me demandais d’où venait l’expression très usitée dans l’internat de me jeunesse : "c’est un drôle de pingouin, celui-là", pour désigner ceux qui faisaient trop de bêtises. Eh bien, je pense que ça vient du fameux roman d’Anatole France, que j’avais failli lire quand j’étais lycéen, car on le trouvait dans la bibliothèque de l’internat. Je crois que j’ai bien fait de passer à côté, car je me serais sans doute bien ennuyé, par manque de références et de culture. Mais maintenant que j’ai lu son magnifique roman en quatre épisodes L’histoire contemporaine, où il narre les aventures d’un petit-bourgeois au temps de l’affaire Dreyfus, et profitant d’une réédition récente, je me suis plongé dans ce bain littéraire du début du XXème siècle.

Et pourtant, L’Île des Pingouins d’Anatole France, publié pour la première fois en octobre 1908, curieux mélange de satire et de roman historique, a de quoi plaire et intéresser. Récit incroyable, L’Île des Pingouins nous donne l’occasion de revisiter l’histoire et utilise la parodie pour ce faire. Car derrière les Pingouins, il y a les Français et leur histoire représentée de façon originale (mais qui peut parfois lasser un lecteur moderne). Ce conte philosophique, satirique, cette sotie au style voltairien, parfois pamphlétaire, est un régal de lecture aujourd’hui encore

Dans L’Île des Pingouins, tout ce qui est raconté, toutes les péripéties, depuis l’origine légendaire de la conversion des Pingouins par Saint-Maël, jusqu’à l’époque contemporaine avec son scandale qui évoque l’affaire Dreyfus, nous ramènent constamment, en filigrane, à l’histoire de France. Mais sous forme grotesque, avec cependant une critique constante des puissants en général, et du pouvoir excessif du clergé en particulier. Une critique aussi du roman national tel que l’historiographie républicaine et les manuels scolaires de la IIIème République le mettaient en place. L’Île des pingouins, comme un livre d’histoire, se divise en chapitres chronologiques : "Les origines", "Les temps anciens", "Le Moyen-Âge et la Renaissance", "Les temps modernes", divisé en quatre chapitres, "Les temps futurs". La périodisation s’achemine jusqu’au temps présent, et même anticipe sur l’avenir.

L’auteur montre comment la religion sous-tend le pouvoir politique pour opprimer et maintenir leur emprise économique et morale. Et la fin montre la Pingouinie en train de devenir une fourmilière inhumaine où les individualités ne peuvent plus rien. C’est d’un pessimisme assez noir qui contraste avec l’optimisme de Zola peu de temps auparavant dans ses inachevés Quatre Évangiles.

mardi 14 mars 2023

14 mars 2023 : in memoriam, Philippe Bouquet, traducteur

 

Son visage s’est creusé, sa peau n’a plus la même couleur, son corps s’est amoindri, son équilibre semble plus précaire. Je ne dois rien laisser voir de la douleur que cette image suscite…

(Delphine de Vigan, Les gratitudes, J.C. Lattès, 2019)



Je connaissais Philippe Bouquet depuis les années 80, de par mes lectures de littérature suédoise (j’en ai été particulièrement friand à partir des années 80), dont il fut un traducteur prolifique. Mais je ne l’ai connu en chair et en os qu’après la publication de mon livre D’un auteur l’autre. Il avait dû repérer sur internet qu’un des chapitres de mon livre était consacré à Joseph Kjellgren, dont trois titres avaient été traduits par ses soins. Il a dû se procurer mon adresse mail par mon éditeur, L’Harmattan, et en 2011, je trouvais dans ma boîte aux lettres électronique, un courrier de sa part.

Il me communiquait à la fois sa satisfaction qu’on écrive quelques pages sur cet écrivain, et sa stupéfaction. Les hommes de l’Émeraude était paru en 1980, c’était une de ses premières traductions, et me disait-il, « ce fut un four ! Il s’en vendit à peine 200 exemplaires. » Résultat, il dut attendre 1991 pour faire paraître le second volume, La chaîne d’or, toujours chez le même éditeur, Plein chant. Il me disait encore, « je ne m’attendais pas, vingt et trente ans après, à ce qu’on s’intéresse encore à cet auteur et à ses livres ».

Ce fut le début d’une longue amitié, d’abord épistolaire. Puis, vers 2012, il m’a invité et j’ai pu le voir au Mans, où il coulait une retraite studieuse de professeur d’université et continuait de traduire (il a plus de 150 traductions de poésie, d’essais et surtout de romans à son palmarès). D’ailleurs, une dizaine de ses traductions sont toujours inédites. Je l’ai revu à Paris, à l’Institut suédois de Paris, où il présentait une conférence-lecture sur Eyvind Johnson, un écrivain prolétarien suédois qui eut le prix Nobel en 1974. On s’est revu deux ou trois au Mans où à 80 ans, il m’annonça qu’il se mettait en retraite de la traduction. Puis il déménagea avec son épouse en 2020 à Montpellier, où je suis allé le voir deux fois par an.

La dernière fois, ce fut en octobre dernier, où, très affaibli par un infarctus sévère, il balbutiait des paroles peu compréhensibles, lui qui maniait si bien la langue française, aussi bien que l’anglais qu’il a enseigné à l’Université de Caen, ou que le suédois. Je me suis efforcé de ne pas montrer ma surprise ni mon effroi, et de ne pas laisser paraître la peine et l’affliction qu’il me causait. Mais je l’ai quitté bouleversé.

Outre ses nombreuses traductions d’écrivains prolétariens (sur qui il avait fait sa thèse, publiée en trois volumes chez Plein chant) ; il a aussi introduit en France les polars suédois, avec le duo Sjöwall-Wahlöö (publié chez 10/18), il introduisit la Sage des  émigrants de Moberg et il fut un des premiers à faire connaître Henning Mankell. Mais son auteur fétiche était le sombre et tourmenté Stig Dagerman, et il aimait aussi beaucoup Björn Larsson, l’écrivain maritime qui fut son ami.

Merci à toi, Philippe pour les nombreux plaisirs de lecture que tu nous as procurés. Je ne t’oublierai pas, tu auras été, dans le monde de la culture, un de mes amis préférés, avec quelques écrivains ou poètes, libraires et bibliothécaires, musiciens, hommes de cinéma et acteurs. Et une source de joie et d’amitié. Comment vivrions-nous sans ce genre d’amitié d’une sensibilité ardente qui enflamme nos vies ?