lundi 18 mars 2024

18 mars 2024 : Défendons les Palestiniens !

 

L’extermination des indigènes, c’est presque en tous lieux la première page de l’occupation des colonies. L’exploitation rapace du sol par les occupants, par les compagnies, par les gouverneurs, est en général la seconde page.

(Augustin Cochin, L’abolition de l’esclavage, Lecoffre : Guillaumin, 1861)



Voilà : Israël parachève ce qu’il mène depuis 1948 (76 ans d’occupation et de colonisation), en choisissant d’affamer, d’assassiner et d’exterminer toute une population (à Gaza) et de détruire des habitations palestiniennes, voler des terres, expulser, arrêter, tuer, humilier (dans les territoires occupés) ceux et celles qui résistent un tant soit peu au rouleau compresseur des colons et de l’armée. Et on voudrait qu’il n’y ait pas de résistants (il faut rappeler que dans la France occupée de 1940-1944 il n’y avait que les pétainistes, les collabos et les nazis pour qualifier les résistants de « terroristes ») à une oppression d’une brutalité inouïe qui dure depuis si longtemps !

Il est vrai que nous sommes vaccinés, nous, occidentaux, après avoir colonisé l’Amérique et exterminé presque tous les indigènes du nord au sud, colonisé l’Afrique et réduit une bonne partie de sa population en esclavage, colonisé l’Asie et l’Océanie en y imposant la déculturation des peuples originaux… Et nous sommes forcément mal placés pour critiquer un état qui ne fait que nous imiter avec, en plus, les moyens ultramodernes de faire la guerre. Une guerre que nous approuvons avec les ventes d’armes.

Ah, nous sommes bien prompts à sanctionner la Russie, l’Iran, Cuba, le Venezuela, mais sanctionner Israël, ce serait trop demander à nos gouvernants. Il est vrai que son armée est "la plus morale du monde", qui ne tue qu’à bon escient (!) ; il est vrai que c’est, disent-ils, la seule démocratie (de notre point de vue) du Moyen-Orient. Nos mêmes gouvernants s’accommodent pourtant assez bien des dictatures, pourvu qu’elles regorgent d’or noir et de métaux rares, et qu’on puisse y faire du "business".

Mais, dès qu’on critique l’état d’Israël, on est rapidement taxé d’antisémitisme, pour peu qu’on soit anticolonialiste, ce que je suis devenu depuis le début des années 60. Pourquoi changerai-je d’avis maintenant ? Je crois que la colonisation israélienne est pire que le fut la nôtre en Afrique : il s’agit de peupler le territoire en chassant, humiliant, malmenant, opprimant et aujourd’hui exterminant les populations originelles, comme si celles-ci n’avaient aucun droit d’exister sur place.

J’avoue que j’ai toujours admiré de Gaulle qui, lors d’une conférence de presse en 1967, avait dit : « les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : “l’an prochain à Jérusalem“ », ce qui lui valut d’être taxé de “relents d’antisémitisme“, par le directeur du Monde à l’époque : Hubert Beuve-Méry. C’était pourtant prémonitoire.

 

En attendant, chaque fois que je peux, je vais aux manifs de soutien aux Palestiniens. Ça ne sert pas à grand-chose, nous sommes très minoritaires (bien que de plus en plus nombreux), mais j’ai toujours été du côté des opprimés, puisque je l’étais de naissance en tant que fils de prolo, si j’ose dire, ce que me confirme le livre de Didier Éribon que je suis en train de lire : Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple (Flammarion, 2023). Il montre bien que, même si on est transfuge de classe, ce que je suis devenu comme lui, comme Édouard Louis, comme Annie Ernaux, on n’échappe jamais totalement à notre enfance et notre jeunesse, à la réalité des structures familiales de notre classe d’origine, à la gestion de l’habitat qu’on a connue enfant (locataire plus que propriétaire dans les milieux populaires), à tout ce qui définit notre passé et notre présent.

Et je défendrai toujours les opprimés.

 

jeudi 14 mars 2024

14 mars 2024 : le poète du mois, Jean-Claude Pirotte

 


La lecture est une aide considérable à laquelle trop de personnes n’ont pas recours. Elles se coupent ainsi d’une réalité mentale souvent beaucoup plus importante que ce que l’on nomme « la réalité ».

(Jocelyne François, Car vous ne savez ni le jour, ni l’heure, Journal 2008-2018, Les Moments littéraires, 2022)



Je me suis remis à lire des poètes et à écrire des poèmes : c’est le "Printemps des poètes" ; en ce moment, et avec mon ami Thierry, on a proposé des lectures de poèmes au Centre social du quartier, à deux pas de chez moi et à la Maison protestante de retraite (en fait, un Ehpad, très proche aussi). On a commencé mardi dernier par une lecture pour adultes au Centre social, avant de continuer pour les enfants mercredi prochain, et achever par les personnes âgées le vendredi 22 mars.

Notre succès a été faible (en nombre, l’information a été insuffisante) pour les adultes, mais les rares personnes présentes ont apprécié, et ça a donné lieu à des échanges intéressants. Par contre, pour les enfants, nous aurons un public "captif", ceux qui viennent le mercredi après-midi au Centre social. Là, je crains davantage le trop grand nombre et le chahut potentiel. J’étais hier au vernissage de l’exposition des dessins d’enfants du Centre, suivi d’un petit spectacle de leurs danses, et je dois dire que c’était assez bruyant. Comme la poésie fait un peu peur, on prévoit aussi de lire ou dire des contes.

À la Maison de retraite, on m’a demandé en outre si j’étais partant pour devenir un lecteur particulier pour une vieille dame de 103 ans, aveugle, qui ne peut plus lire, mais souhaite qu’on lui lise des romans qu’elle a lus dans sa jeunesse. Il faut d’abord que je la rencontre, que je vois les titres qu’elle voudrait que je lui lise, et au cas où je ne les aurais jamais lus, que j’en prenne connaissance d’abord. Un nouveau défi pour moi, et un lien à créer avec cette dame.

Parmi les livres de poésie que j’ai récemment lus, il y a celui de Jean-Claude Pirotte que j’ai redécouvert récemment dans mes livres de poètes (comme ceux en prose, ils sont nombreux à ne pas avoir été lus, pourvu que je tienne le coup pour les écluser tous !). Pourtant, j’aime beaucoup celui qui fut un grand ami de Claude Andrzejewski, un de mes jeunes amis, qui lui a consacré un superbe livre : Un ami trop trop grand (cf mon blog du 20 décembre 2022). Je vous propose deux courts poèmes pour vous donner une idée de ce grand poète (et prosateur) belge extraits du recueil Revermont, édité au Temps qu’il fait, l’excellent éditeur de Cognac.


réussirai-je un jour à faire

un hors-d’œuvre de mes dix doigts

j’entends d’ici gronder ma mère

tu ne fais pas ce que tu dois


que ce soit dehors ou dedans

c’est le chef-d’œuvre qu’elle attend

ou peut-être rien c’est plus sage

de me cacher sur son passage


ainsi l’autruche que je suis

ne voit pas ce regard féroce

qui même la nuit me poursuit

et me décharne et me désosse


                    * * *


je ne connais ni les oiseaux

ni les fleurs ni les arbres

je me connais encore moins

je me cherche dans les décombres


et je me perds dans les chemins

où je ne croise que des ombres

je ne suis qu’un drôle d’oiseau

c’était l’opinion de ma mère


qui connaissait tous les oiseaux

toutes les fleurs et tous les arbres

et qui prédisait les désastres

elle me conduisait au zoo


afin de me montrer les cages

où vivent les enfants sages


            Jean-Claude Pirotte

(Revermont, Le Temps qu’il fait, 2008)

lundi 11 mars 2024

11 mars 2024 : la grande bouffe

 

Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

(Molière, L’Avare)



Une nouvelle fois, je suis confronté à mon problème avec la nourriture. Un grand repas de famille se profile pour Pâques. On m’y propose le restaurant. Quand j’ai appris le coût par personne, 50 € le repas seul sans les boissons, le café, j’ai décliné. Je préférais envoyer la somme à Madagascar, ce que j’ai fait dans la foulée. Car mon voyage de 2018 là-bas m’a remis les pendules à l’heure. De nombreux Malgaches m’ont dit qu’ils ne savaient pas le matin ce qu’ils allaient manger dans la journée. 

Quand je vois l’argent qu’on dépense pour se restaurer (mariages, baptêmes, anniversaires, enterrements de vie de garçon ou de fille, fiestas diverses...) et que, parallèlement, je vois le nombre de SDF et de mendiants augmenter, et qu’on me propose d’aller manger au resto pour 50 € ou plus, je n’ai qu’une envie en tête : m’inscrire dans un endroit où je pourrai jeûner. Retraite dans un monastère, stage "jeûne" proposé par une association (si, si, ça existe, comme les semaines de stage contre toute addiction, drogues diverses, smartphone, alcool, tabac, etc) si possible en montagne et à l’écart de notre société d’hyper-consommation.

J’ai plus faim de nourriture spirituelle (lecture au sens très large, poésie, romans, contes et nouvelles, théâtre, grands textes du patrimoine universel, essais divers et variés ; arts, musique, mystique, etc) et éventuellement la partager avec d’autres. Je passe plus de temps à lire qu’à manger. J’ai faim aussi d’exercice physique, de voyages, de rencontres, d’amitié, de lien social avec les autres générations, des enfants aux vieillards. J’ai faim de connaître des gens comme les handicapés de tous genres, plus que les normatifs et que tous ceux qui veulent nous faire entrer dans des moules. J’ai faim de vivre, enfin !

Et passer sa vie à manger, avec tous les excès que ça suppose, tant en aliments solides (aller dans les cinémas commerciaux me tue quand je vois tout ce que beaucoup ingurgitent) que liquides (abus d’alcool, sans doute, mais abus aussi de boissons sucrées), ne me semble pas un idéal de vie si réjouissant que ça. Les anciens le savaient bien, qui prévoyaient des jours de jeûne, des jours "maigres", des jours sans… Mais aujourd’hui, ces jours sont devenus l’exclusivité des pays pauvres ou, chez nous, des sdf, des migrants, de tous ceux qui crèvent de faim (et parfois de soif), tandis que l’autre moitié du monde se gave et croule, ensevelie sous des montagnes de boustifaille.

Où est l’égalité là-dedans ? Là encore l’inégalité frappe. Bien sûr que les pauvres voudraient participer à nos agapes, à nos chers gueuletons, à nos gigantesques ripailles, à notre dispendieuse bonne chère. Mais il n’y a pas de partage ; peu de portes s’ouvrent devant un misérable comme celle de Mgr Myriel, l’évêque de Digne, au début des Misérables, le formidable bouquin de Victor Hugo, qui donne le couvert et l’hébergement à Jean Valjean qui sort du bagne, lui devant qui toutes les portes se sont fermées. J’entends encore le rire tonitruant de Flaubert devant cette scène qu’il jugeait hautement invraisemblable. Eh bien, riez tant que vous voulez, et "Bon appétit, Messieurs", comme dit Hernani, autre héros hugolien.

Car l’appétit excessif de bouffe se conjugue aussi en ambition effrénée, en gloutonnerie boulimique de pouvoir (ainsi dans les bombardements incessants de Gaza) et de concupiscence comme on peut le voir chez bien des hommes politiques ou de cinéma. Pouah, restons-en là ! Et sachons être dans le sobriété, dans la retenue, dans l’abstinence et, en fin de compte, dans la sagesse… Mais peut-être que les êtres humains en sont dépourvus ! Et pourtant, c'est cette sagesse, cette modération qui, liées au partage et à l'entraide, donne de la joie...