Tu
veux que je te dise ce que c’est que le paradis ? c’est le
souvenir, ma fille, rien de plus, le souvenir, beau ou laid, que nous
gardons [des morts].
(Abilio
Estévez, Le navigateur endormi,
trad. Alice Seelow, Grasset, 2010)
Vu du Fort Morro de Santiago, un cargo arrivait, bravant l'embargo américain !
Il
est temps de conclure sur Cuba, même si, à l’occasion, j’y
reviendrai. À peine étais-je revenu qu’en plus de France-Amérique
latine 33 (leur voyage va se faire en août), une autre association
bordelaise (celle avec qui je suis allé au Festival de cinéma de
Marrakech) me proposait un voyage à Cuba en janvier prochain. Bien
sûr, la saison est moins chaude et peut-être plus propice.
vue de l'intérieur d'un des taxis collectifs de Santiago
(2 à l'avant à côté du chauffeur, 4 sur chaque banquette arrière)
Mais
pour clôturer mes impressions cubaines, le déplacement en avion est
ce que j’ai trouvé de plus pénible pendant ces vingt-cinq jours,
surtout le voyage retour, de nuit, entassé comme des sardines dans
ce Boeing. Combien j’ai regretté mes cargos ! Les autres
déplacements, sur place, ont été bons, en dépit de l’état des
routes incertain de Cuba : que de trous et comme les chauffeurs
de taxi ont dû faire des prouesses pour les éviter ! Mais j’ai
apprécié aussi les vélos-taxis, pris deux fois seulement, les bus
Roturo (coopérative) et municipaux, mon
grand regret est de ne pas être monté dans une voiture tirée par
un cheval...
fresque murale sous un magnifique acacia tropical (Santiago)
J’ai
envoyé 83 cartes postales (record battu) : à ma connaissance, aucune encore
n’est arrivée ; pratiquement,
95 % de mon carnet d’adresses y est passé. À tous, je disais
mon enchantement, mon avis sur ce que je voyais et sur la nourriture
(que j’ai jugée bonne – j’ai toujours fini mes assiettes, ce
qui confirme que je ne suis pas difficile, plusieurs membres du
groupe ont été plus sévères, l’estimant manquant de variété,
d’épices et de saveurs, ce qui est probablement vrai aussi). À aucun moment je ne me suis ennuyé. Je
me levais souvent de bon matin pour profiter de la fraîcheur (à
partir de 10/11 h, il faisait chaud) et pour me balader un peu seul.
sur l'île Largo Granma près de Santiago
Car
je suis peu habitué aux voyages de groupe, sauf ceux effectués avec
un objectif précis (festival de cinéma, par exemple, auquel cas
chacun fait ce qu’il veut de sa journée, et on se retrouve
éventuellement le soir pour le dîner ou une sortie). Ici,
le programme était ficelé, et la latitude individuelle était
mince, hors du petit matin justement. Mais en même temps, ça m’a
fait découvrir des personnes que je ne connaissais pas, dont une
Belge de mon âge assez étonnante. Donc, j’ai suivi le groupe dans
ses pérégrinations, me suis inscrit aux mêmes excursions, j’ai
toujours mangé avec tout le monde, et je ne me retrouvais seul que
dans le silence (relatif, car parfois la musique extérieure ou le
ronron des climatisations voisines se faisait entendre) de ma
chambre.
la succulente (à mes yeux) nourriture de Cuba
Je
tenais mon carnet de bord, lisais un peu (j’ai lu sur ma liseuse un volume
du cycle de Chéri Bibi
de Gaston Leroux, une évocation d’un siècle de persécutions des
huguenots, 1685-1789, par le pouvoir royal, et je n’ai pas pu
m’empêcher de penser à la persécution des migrants et des
zadistes en France aujourd’hui – au fond, d'un siècle à l'autre le pouvoir ne change
pas de méthodes ! – et un formidable portrait de la
conjugalité par Balzac : Petites misères de la vie
conjugale, où la férocité et
la noirceur de l’observation
balzacienne atteint des sommets, femmes et hommes étant mis
dans le même sac : "Un
mari doit toujours savoir ce qu’a sa femme, car elle sait toujours
ce qu’elle n’a pas") et j’ai
plutôt assez bien dormi, compte tenu du fait que je ne sais plus ce
que c’est que bien dormir
depuis longtemps.
costumes carnavalesques dans une rue de Santiago
Je
me disais : « quand même, comment se fait-il que nous,
Français, nous plaignions tout le temps, alors que les Cubains ont
tellement plus de sujets de plaintes (confort nettement
moindre que chez nous,
pauvreté plus générale, absence d’accès à internet, faibles salaires et
retraites et pouvoir d’achat restreint), et se montrent pourtant
dans l’ensemble souvent enjoués (je pense en particulier aux
enfants et adolescents), chantent et dansent facilement, et donnent
l’impression de savoir vivre dans des conditions qui parfois, nous
paraitraient difficiles ». La
rue est toujours animée, on vit d’ailleurs beaucoup dehors jusqu’à
des heures tardives.
une cloche du Musée des bandits deTrinidad
Le
régime a dû s’adapter à la suite de l’effondrement de l’URSS
et de ses satellites, qui le fournissaient notamment en produits
alimentaires divers et variés. L’agriculture a été en partie
dé-collectivisée, des rizières ont été implantées, l’élevage
bovin s’est développé, tout en restant extensif. On est cependant
frappé par l’abondance des friches. On est loin de l’exploitation
intensive des terres, telles que connue chez nous, où il s’agit de
faire rendre gorge à la planète, à grands coups de produits
chimiques mortifères. Ici, peu d’engrais artificiels, la
nourriture est donc assez saine.
les inévitables grands hommes (souvent héros de la Guerre de libération au XIXème siècle)
ici, sur une place de La Havane
Mais
les fameux principes ont été écornés : le slogan Jamais
nous ne renoncerons à nos principes,
qui fut la réponse de Castro à Bush senior, quand ce dernier a
proposé de desserrer l’étau du blocus et l’embargo, à
la condition que Cuba renonce à ses principes (et les USA continuent
maintenant de se comporter en maîtres du monde, ils nous dictent leur
loi sur ce qu’il convient de faire face à l’Iran, entravant
notre liberté d’entreprendre et de commercer, alors imaginons ce
que ça donne avec Cuba !), ce slogan rageur est tout de même mis à
mal. On sent que les jeunes sont attirés par le mode de vie des USA,
les fast-foods commencent à fleurir, le smartphone est ici aussi une
addiction maladive, on s’habille de plus en plus comme chez nous... Seule la
religion santeria, afro-cubaine, fleurit encore, faisant de
nouveaux adeptes, tout vêtus de blanc, et nous donne une idée d’un
certain Cuba sans doute plus authentique... et moins rationnel !
l'apéro, heureusement pas mortel (le rhum titre à peine 14°)
Je
crois que j’y retournerai au moins une fois, que
je continuerai à voir des films cubains, à lire de la littérature
cubaine, à écouter de la musique cubaine. Et j’espère qu’ils
résisteront encore à l’ogre américain !
une curieuse sculpture (naturelle ?) près du bord de l'eau à Santiago
Qui aurait cru que
la Scala de Milano
se trouvait
à Santiago de Cuba ?