jeudi 24 décembre 2015

24 décembre 2015 : Déçu, je suis déçu... (rions un peu !)


Du fond de son sac à malices,
Mars va sans doute à l'occasion
En sortir une, un vrai délice !
Qui me fera grosse impression
(Georges Brassens, La guerre de 14-18)


L'actualité est un peu faible, ces temps-ci. Déçu, je suis déçu...
Y a tout de même des motifs de satisfaction. À défaut d'inverser la courbe du chômage, Hollande a superbement et magnifiquement (comme dit Trissotin dans Les femmes savantes) inversé la courbe du taux de rémunération du livret A. 0,25 %, qui dit mieux ? Mais y a peut-être un effort à faire encore. Ce taux reste positif ; ça me déçoit. Je l'aurais bien vu en négatif, c'est si rare : - 0,25 %, là, ça aurait eu de la gueule. Ou même un – 2 %, allez, ne mégotons pas, j'irais bien jusqu'à – 10 %, faut bien renflouer les caisses de l'état, tout de même avec toutes nos guerres et nos COP 21 ! 
Déçu, je suis déçu...
Il paraît que nous sommes en guerre. Mais là encore, je suis déçu. Le petit garçon du train hier matin en gare de Libourne a eu beau crier : « Papy, regarde, une mitraillette, là ! », ça ne m'a pas donné de sensation de guerre. Y avait bien un militaire, certes. Manquait, tout de même, qu'elle crache le feu, sa mitraillette ! C'est vrai, quoi, si c'est uniquement pour faire parade, c'est zéro. Ça me déçoit. Et les fabricants de munitions, est-ce qu'on y a pensé ? On est en train d'inverser leur courbe de production, là. Et donc, de favoriser la future mise en chômage de leurs employés : à quoi pense-t-on, en haut lieu ? 
Déçu, je suis déçu...
Il est vrai que, par ailleurs, la fouille des sacs est en train de devenir une industrie innovante et galopante. C'est peut-être ça, la guerre en question : vérifier si chacun ne transporte pas des tonnes de grenades et d'explosifs. Mais là aussi, ça me déçoit. Avant-hier, à la Médiathèque de Poitiers, on me demande d'ouvrir mon sac à dos. Je suis en droit de me plaindre ; voilà un employé recruté pour faire un travail : vérifier le contenu des sacs, et il ne le fait pas. C'est moi qui ai dû ouvrir la fermeture-éclair ; ç'aurait dû être lui, non ? Et pire, il a à peine jeté un coup d’œil, il n'a rien vérifié du tout. Encore un payé à ne rien faire ! (c'est peut-être un bénévole ?) Alors que j'aurais très bien pu dissimuler tout au fond, sous ma trousse de toilette, mon pyjama, mon sac à viande, mes chaussettes, mon slip, mes livres et journaux et tout mon barda, qui sait, une mini-bombe atomique ? C'est pas sérieux, tout ça. 
Déçu, je suis déçu...
C'est comme les résultats des dernières élections. Français, encore un effort. Le « premier » parti de France n'emporte pas une seule région. Ça me déçoit. Ces mathématiques-là ne ressemblent à rien. Ils sont le premier ou ils le sont pas ? Il est vrai que leur programme est un peu faible. Ils veulent transformer la France en camp retranché. Et pourtant je n'ai vu nulle part qu'ils proposaient – pour inverser la courbe du chômage mieux que ne le fait Hollande – de construire de hauts murs de séparation d'avec l'Espagne (les Pyrénées sont si basses qu'on passe au travers), l'Italie (et les Alpes, alors ?), la Suisse (pour empêcher qu'on aille y planquer nos comptes bancaires secrets), l'Allemagne (un mur au milieu du Rhin, voilà qui aurait de la gueule, tiens ! la Merkel en serait baba), le Luxembourg (faut toujours se méfier des petits pays) ou la Belgique (ce repaire de terroristes et de blagues). Pire encore, je n'ai pas vu qu'ils proposaient de remplir les trains de migrants à destination du tunnel sous la Manche, alors que le gouvernement actuel les empêche aujourd'hui de partir. Leurs ancêtres pétainistes avaient pourtant bien rempli des trains à destination des camps nazis. Ça me déçoit. Je comprends mieux pourquoi ils ont gagné aucune région. 
Déçu, je suis déçu...
Tiens, à propos de terroristes, on n'en entend déjà presque plus parler. Ils est vrai qu'ils nous déçoivent, eux aussi. Ils inversent leur courbe de réussite qui, déjà, n'était pas si brillante. Des gagne-petits. Truman avait fait beaucoup mieux avec la bombe atomique (70 000 morts d'un coup) et, si on remonte dans le temps, Napoléon avait frappé infiniment plus fort avec la retraite de Russie : réussir à décimer toute une grande armée, fallait le faire, quand même ! Feraient mieux de se reconvertir dans l'humanitaire. Paraît qu'on y manque de bras. Ou dans la construction de murs de séparation entre riches et pauvres, paraît que c'est nécessaire, depuis que ces salauds de pauvres envahissent nos rues. 
Déçu, je suis déçu...
Et le climat. Ah ! Parlons-en, de celui-là. Comment, on n'arrête pas de parler de croissance, qu'elle est trop basse, et patati et patata, et on veut empêcher la température de grimper !!! attendez, on n'est pas dans le le livret A, là ! Mais c'est terrible, ça, Monsieur. Se limiter à 2°, alors qu'on pourrait si aisément, presque sans efforts, je ne sais pas, moi, monter à 4 voire même à 8°. Quasiment plus besoin de chauffage. Il est vrai que les Esquimaux vont se noyer. Les ours polaires aussi. Mais puisqu'on est trop nombreux sur cette terre ! Faudrait savoir ce qu'on veut, quand même. Faut bien faire quelque chose. Ça me déçoit. Terriblement. Moi qui espérais aller faire mon prochain voyage en cargo par l'océan arctique et me balader sur le pont en débardeur au pôle Nord... Je vais me cailler ou être obligé d'aller de nouveau sous les Tropiques. Mais à quoi pensent-ils, tous ces chefs d'état ? 
Déçu, je suis déçu...
Attention, là, je suis à 69 seulement
Et j'ai atteint 70 ans ! Moi qui comptais bien, avec l'aide de Macron et de Valls, inverser la courbe de mon âge (je pensais que c'était plus facile que d'inverser la courbe du chômage ou de diminuer la hausse des températures), c'est râpé ! Parce que, y a pas de doute, avec "ma rate Qui s'dilate, mon foie Qu'est pas droit, mes g'noux Qui sont mous, mon fémur Qu'est trop dur, mes cuisses Qui s'raidissent, mes guiboles Qui flageolent, mes ch'villes Qui s'tortillent, mes rotules Qui ondulent, mes tibias Raplapla, mes mollets Trop épais, mes orteils Pas pareils, et mon cœur En largeur, mes poumons Tout en long, mon occiput Qui chahute, et mes coudes Qui s'dessoudent, mes seins Sous l'bassin Et l'bassin Qu'est pas sain", sans oublier ma prostate qui siffle trois fois plus que jamais, je suis mal barré ! Comme je vous dis. 
 Déçu, je suis déçu...

dimanche 20 décembre 2015

20 décembre 2015 : festival de Marrakech 2015


La civilisation planétaire, celle de la mondialisation du marché, n’est pas un pur fantasme. Mais si nous y incluons quelque dimension culturelle, suivant le modèle indéniable de l’Occident, avec son paradigme politico-démocratique, et son paradigme éthico-social des droits de l’homme, c’est une illusion.
(Edouardo Lourenço, La splendeur du chaos, trad. Annie de Faria, L’Escampette, 2002)



Retour de Marrakech un peu rude. Sans doute, j'ai retrouvé avec grand plaisir à Toulouse mes enfants et ma famille, mais les signes avant-coureurs que j'ai ressentis à la fin de mon séjour à Marrakech (la fumée de tabac me causait une grosse gêne et, au Maroc, on fume toujours au restaurant, la lumière m'aveuglait) se sont développés en un gros rhume qui s'est installé à Toulouse et a éclaté violemment à Bordeaux. La journée de jeudi a été la plus pénible avec l’œil qui coule, le nez bouché et de grosses difficultés avec la luminosité. Mes bonnes vieilles sinusites d'antan, après une pause entre 2000 et 2010, ont repris. Ça me dure quelques jours, à chaque fois, je me dis que c'est la fin finale, et puis ça repart ! Bon, donc quelques jours à me remettre... Avec ce temps inusité de décembre, 20° l'après-midi, tout ça ne m'étonne pas...

cascades d'Ouzoud : une merveille
Le Festival international de cinéma de Marrakech, où j'étais un peu esseulé – la majorité des participants du groupe de Bordeaux ayant déclaré forfait – s'est révélé excellent, comme pour leur faire regretter de n'être pas venus. Placé sous haute protection policière et militaire, davantage encore que l'an passé, il proposait une cinquantaine de films (environ 90 annoncés dans le catalogue, mais certains n'étaient indiqués nulle part dans les programmes de projection). J'ai pu en voir dix-sept, tous bons, parfois excellents, provenant de quatorze pays différents : Belgique, Canada (3), Côte d'ivoire, Danemark, GB, Inde, Italie, Japon, Kosovo, Liban, Maroc (2), Mexique, République Tchèque, USA. Le cinéma canadien était à l'honneur, d'où le nombre plus important des films visionnés provenant de ce pays, en prévision d'ailleurs de mon prochain voyage là-bas l'été prochain.
Babai (Kosovo) raconte l'odyssée d'un père et de son fils migrant vers l'Allemagne : poignant, j'espère qu'il sortira en France. Leur errance dans les rues allemandes avec une bicyclette m'a évoqué Le voleur de bicyclette de De Sica.
Closet monster (Canada anglais) : un jeune homme, perturbé par l'horrible scène d'un passage à tabac d'un homosexuel, dont il a été témoin enfant, doit affronter les traumatismes psychiques nés de cet événement.
Cop car (thriller américain) : un shérif se fait voler sa voiture par deux préadolescents en fugue. Il les pourchasse à son tour, surtout qu'il est loin d'avoir la conscience tranquille. Terrifiant portrait de la province américaine et d'enfants en désarroi.
Desierto (Mexique) : Gael Garcia Bernal émigre avec un groupe vers les USA. Ils sont pris à partie par un tireur fou qui se croit à la chasse aux lapins. Encore plus terrifiant.
Family film (République tchèque) : un couple pragois très aisé part pour des recherches scientifiques sur les océans lointains et laisse à domicile leur fille aînée, étudiante et leur fils lycéen. La liberté profite mal à ce dernier. Et les secrets de famille ressurgissent.
La Isla (Maroc) : le seul film qui nous a déridés un peu et qui m'a beaucoup fait rire. Un soldat marocain est expédié sur un îlot inhabité très proche de la côte marocaine, où on le charge de surveiller le trafic de drogue et les immigrants clandestins. Tel Robinson, il découvre son Vendredi, un Sénégalais échoué sur la plage. Les deux solitaires se lient de fraternité. C'est sans compter sans l'Espagne qui revendique aussi cet îlot et envoie une armada et une opération hélico-portée hilarante pour s'en emparer. Tiré d'une histoire vraie, le film est en même temps d'une grande humanité. J'espère aussi qu'il sortira en France ! Acteurs excellents...

Mon film préféré
Keeper (Belgique) : un des films les plus poignants. Maxime et Mélanie s'aiment ; mais ils n'ont que quinze ans. Mélanie tombe enceinte et décide de garder le bébé malgré l'opposition de sa mère. Je n'en dis pas plus, car il sortira en France. C'est un très bon film sur un thème délicat.
Key house mirror (Danemark) : un couple âgé est en foyer-logement. Lui, victime d'un AVC sévère, est devenu un légume dont elle s'occupe avec amour. Elle, qui débute un Alzheimer (les trois mots du titre font partie d'un test sur cette maladie), aimerait vivre encore et tombe amoureuse d'un autre résident, ancien pilote de ligne. Très beau film sur les espoirs et le naufrage de la vieillesse.
Lingering memories (Japon) : une jeune fille, serveuse dans un bar de la grande ville, pète un câble devant un client éméché qui la bouscule, elle est virée. Elle en profite pour revenir dans le village de son enfance et faire un retour sur le passé. Très émouvant, tendre, pudique et très beau.
Love projet (Canada) : ce film de Carole Laure se passe dans les milieux artistiques. Un groupe projette un spectacle de danse et chant. Un film musical donc sur des musiques de Lewis Furey.

Mr Holmes (Grande-Bretagne) : en 1947, Sherlock Holmes achève sa vie dans une retraite en bord de mer. Le vieil homme a une gouvernante, veuve d'un pilote tué à la guerre de 39-45. il se lie d'amitié avec son fils d'une dizaine d'années. Il cherche à résoudre une affaire que Watson a caricaturé, selon lui, et le jeune garçon l'aide. Un film admirable sur le vieillissement et sur le mythe créé par Conan Doyle.

On ne peut pas se sauver tout seul (Italie) : le naufrage d'un couple dans l'Italie contemporaine. Un film fait d'allers-retours entre le passé et le présent, dans la lignée d'Antonioni, mais en moins austère.
Sans regret (Côte d'Ivoire) : Le héros est docker au port d'Abidjan et mène une vie difficile. Pour aider les études de ses enfants, il décide de se lier à la pègre locale en participant à des coups. Un film sur la corruption et le doute. Serait très bon, si les acteurs parlaient une autre langue que le français : comme dans beaucoup de films francophones d'Afrique noire, ça paraît ici très artificiel ; je suis sûr que le français est la langue de l'école, pas la langue naturellement parlée à la maison dans une famille de dockers ivoiriens !
Secrets d'oreiller (Maroc) : une maison close à Tanger. De superbes portraits de femmes. Un film anti-macho ! Très émouvant.
Sleeping giant (Canada) : un adolescent, plutôt timide et réservé, est en vacances avec ses parents au bord d'un lac. Il se lie avec deux ados bien plus délurés que lui, qui lui font découvrir un secret concernant son père. Les difficultés de la pré-adolescence. Un film douloureux.
Thithi (Inde) : le centenaire du village meurt. Tout un rituel se met en place, qui se clôture par le thithi, grand banquet en l'honneur du défunt, où l'un de ses petit-fils se ruine en invitant le village entier ainsi que les villages voisins. Le conflit des générations à l'indienne...
Very big shot (Liban) : le héros sort de prison où il a purgé une peine à la place de son frère aîné, le vrai meurtrier. Ce dernier est lié au trafic de drogue avec la Syrie. Un thriller haletant qui a emporté l'étoile d'or.

ma chambre d'hôtel, luxueuse
Bilan largement positif, où j'ai oublié les soucis franco-français. Par rapport à l'an passé, j'ai changé d'hôtel, et j'ai coupé la semaine cinéma par une escapade aux cascades d'Ouzoud, à trois heures de route de Marrakech, avec un minibus très cosmopolite.


Pendant le séjour, j'ai lu sur ma liseuse deux très bons romans francophones des auteurs belge (Georges Eekhoud, La Nouvelle Carthage, description naturaliste des développements de la ville d'Anvers à la fin du XIXe siècle) et suisse (Édouard Rod, Là-haut, superbe évocation de la montagne et de la délicatesse de l'amour), ainsi qu'un roman historique que j'ai acheté à Marrakech : Les petits-enfants de Zaynab, de Zakya Daoud, où j'ai révisé avec joie mon histoire médiévale du Maroc, de l'Andalousie et de toute l'Afrique du nord, du temps des Almoravides et des Almohades (12e-13e siècles).

  un des chats (plutôt faméliques) de Marrakech

samedi 19 décembre 2015

19 décembre 2015 : derrière le voile


«  Vous avez l'air intelligente, pourquoi vous vous voilez  ?  »
(Faïza Zerouala, Des voix derrière le voile, Premier parallèle, 2015)


Je me souviens très bien de la fameuse affaire du voile à Creil en octobre 1989. Je venais de quitter Amiens et de m'installer à Poitiers avec les enfants. Mais Claire allait encore passer trois jours par semaine à Amiens où elle travaillait encore à mi-temps à la Bibliothèque départementale jusqu'à la fin décembre. L'affaire y fit grand bruit, car Creil n'était pas éloigné, et probablement quelques collégiennes ou lycéennes voulurent y suivre l'exemple des jeunes filles de Creil. Or Claire avait milité au sein d'une association affiliée à ATD-Quart monde et participé à des activités "culturelles" et d'alphabétisation dans les quartiers proches de chez nous. Elle avait donc vu de près nombre de femmes voilées. Parallèlement, nous avions vu les fenêtres des appartements de ces mêmes quartiers se hérisser de paraboles pendant les années qui précédaient. 
Autant je me suis accommodé des voiles qui ne m'ont jamais choqué, des mamans venaient chercher leurs enfants à l'école avec un foulard sur la tête, et les tenues punk ou gothiques, les pantalons troués et les tenues négligées me heurtaient davantage, autant je disais que les paraboles allaient communautariser les populations qui regarderaient la télé en provenance de leur pays d'origine, au lieu de leur permettre de se familiariser avec la langue française par le biais de la télévision. Ce qui n'a effectivement pas manqué, et qui a accentué également le port du foulard et du voile chez ces populations déshéritées. Et personnellement, j'ai toujours été opposé à la loi de 2004 qui, sous prétexte de laïcité (celle-ci a bon dos), a stigmatisé l'islam : "Cette loi a créé plus de dommages qu'autre chose et a donné naissance à une génération de femmes déscolarisées", dit une des participantes à ce livre très intéressant : Des voix derrière le voile, et qui vient de paraître aux éditions Premier parallèle.
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Faïza Zerouala, journaliste spécialisée dans les questions de société, y donne la parole à des femmes (elles ont de 18 à 58 ans) qui ont choisi de porter le voile : c'est la première fois qu'on les entend, ou du moins que moi je les entends. En effet, dès qu'il est question de ce sujet, on entend pérorer à longueur d'émission de radio et de télévision des hommes et des femmes qui, en spécialistes patentés, parlent à leur place : qu'il s'agisse d'hommes politiques cherchant à ratisser large sur les terres du Front national, ou de femmes persuadées que le féminisme de type occidental est une norme universelle, tous et toutes s'accordent à penser qu'une femme qui se couvre est forcément une femme soumise ou forcée, alors même qu'on voit dans le livre que souvent elles commencent à se voiler ados "sans l'approbation de leurs parents", voire par opposition à eux.
Chaque chapitre comprend une introduction où l'auteur du livre explique comment elle a choisi et interviewé la personne qui, ensuite, raconte son histoire à la première personne. Toutes ces dix femmes interviewées y témoignent de la difficulté de porter le voile, aussi bien sur le plan personnel, comme signe d'engagement religieux, qu'à l’égard des autres, famille d'abord (qui a intériorisé « Il ne faut pas faire de vagues, ça va être vécu comme une provocation, on n'est pas chez nous ici », mais justement si, elles rétorquent « C'est parce qu'on est chez nous qu'on doit montrer ce que l'on est »), et surtout professeurs, employeurs, passagers de transports en commun, commerçants, fonctionnaires de l'administration, où elles doivent essuyer des actes et des propos relevant de l’islamophobie ordinaire (et de sa bêtise), celle du quotidien, celle qui fait mal et pourrit leur vie de femmes musulmanes en France. Avec son cortège de peur, de haine, de crainte d'agressions réelles et rarement médiatisées.
Le témoignage de Naïma est saisissant : elle a porté le voile quand elle fut lycéenne puis l’a ensuite retiré. Bonne élève, particulièrement en histoire (ce qui m'a évidemment interpellé, comme on dit aujourd'hui), elle fut souvent exclue des cours. Son professeur d'histoire avait refusé de la présenter à un concours de dissertations sur la déportation et la Résistance. Elle se débrouilla toute seule pour s'y inscrire et gagna le prix. Écoutons-la : "Je me suis débrouillée sans cours, avec Internet et une biographie de De Gaulle. Et je suis arrivée première. Ni mon prof, ni le proviseur ne m’ont félicitée. Alors que je ramenais une coupe au lycée, et que je lui offrais une pub gratuite car la presse locale en avait parlé ! […] j’ai décidé d’aller à la cérémonie en tailleur, et voilée. C’était une revanche. J’ai serré la main du président du conseil général, qui n’était pas très content qu’une lycéenne voilée gagne. Les anciens résistants qui étaient là m’ont, eux, félicitée : - C’est bien que des personnes de votre origine se souviennent de cette histoire" (faut croire qu'ils sont moins cons que la moyenne). Elle ajoute, elle qui a compris que pour s'intégrer, il fallait être bonne en classe (et le voile n'empêche en rien d'étudier) : "C'est paternaliste et sexiste de renvoyer la femme à son environnement social ou familial". J'ajouterai que c'est colonialiste, et que tant d'années après, on a gardé nos vieux réflexes manichéens datant de l'ère de l'esclavagisme et du colonialisme.
Enfin, on apprend dans ce livre que les motivations sont nombreuses et souvent fort différentes entres ces femmes qui ressentent le besoin de se couvrir, et qu'on ne peut parler de voile en général, "tant ce bout de tissu qui suscite tant de commentaires et de réprobation recouvre des réalités différentes". Le foulard, le hijab, le jilbeb, le sitar, le niqab (seule une des dix interviewées va jusque-là), ne sont pas la même chose, même si tous peuvent revêtir une signification religieuse. Ce qui pose problème, c'est le jugement que notre société pose dessus, alors qu'elles-mêmes ne font pas de prosélytisme, mais ne peuvent pas s'en passer. Elles veulent simplement être une femme musulmane, et regrettent le discours extrêmement normatif qui règne en France : en les repoussant de l'espace public, veut-on les enfermer chez elles ?
"C’est simple, les femmes voilées n’ont pas accès aux médias. Ce sont des hommes ou des femmes non voilées qui parlent d’elles. Or certaines choses, quand tu ne les vis pas dans ta chair, sont difficiles à exprimer", dit l'une d'elles. Est-ce qu'on ne peut pas les écouter un instant ? Arrêter de les victimiser (j'entends bien que l'auteur n'a interrogé que des femmes qui le portent volontairement) en les amalgamant comme opprimées par les hommes et/ou la religion, et surtout de les réduire à leur voile. Je dois être naïf, mais j'aimerais que les anti-voile lisent ce livre et acceptent un instant d'oublier leurs préjugés et d'écouter les "silencieuses". Laissons-les exercer leur choix et évitons de les juger sommairement, acceptons de les croire quand elles disent le faire de leur propre initiative. On peut être contre le voile (après tout, c'est une position, c'est un droit), mais ce livre nous rappelle que notre prétendu "universalisme" ne s'applique pas partout, et que la conscience doit rester libre.

vendredi 4 décembre 2015

4 décembre 2015 : Molière, MOLIÈRE !


Qui douterait des bienfaits d'un changement périodique d'air et de lieu non seulement pour la santé, mais aussi pour la créativité, ce mouvement continuel de l'âme (motus animi continuus), laquelle, du moins en ce qui me concerne, exulte dès que je franchis les frontières de ce pays ?
(Imre Kertész, Procès-verbal, in Le drapeau anglais, Actes sud, 2005)


Avant de partir pour Marrakech, où je compte bien exulter en arrivant, je voudrais revenir sur ma portion de phrase d'hier : notre langue – qui est notre vraie patrie. 
Oui, bien que moi-même il m'arrive parfois de dire avec plaisir que je suis landais, je pense que ma vraie patrie, c'est la langue, cette langue que je ne parle sans doute qu'imparfaitement, mais dont je m'efforce d'améliorer la qualité par la lecture de romans, de théâtre, de poésie, d'essais divers, de livres étrangers en traduction aussi. Il m'arrive parfois de croire que je n'ai pas appris à lire : je sais que ma mère s'est aperçue un beau jour que je savais lire, alors que j'étais encore à l'école maternelle à Bordeaux. J'allais avoir cinq ans et j'avais compris le système de décodage. Depuis, j'ai lu tout ce qui me tombait sous la main : au début, c'était surtout le canard local, Sud-ouest, dont je dévorais - entre autres - les pages consacrées au Tour de France fin juin début juillet. C'était une époque de grande pauvreté, il y avait peu de livres. Nous eûmes pourtant quelques livres adaptés à notre âge, en particulier une assez belle édition des Contes de Perrault, que nous connûmes rapidement sur le bout des doigts, une adaptation du David Copperfield de Dickens également, un Tintin, Les cigares du pharaon... peu de livres donc. Mais aussi les magazines féminins de ma mère et de ma grand-mère ou de ma tante chez qui j'allais en vacances.


  illustration de Gustave Doré pour Le petit Poucet
(ça ne nous faisait pas peur)
J'ai découvert les plaisirs de la littérature au lycée, à partir de la classe de 5ème, quand je me liai d'amitié avec Alain P. Âgé d'un an de plus que moi, il était très grand lecteur, ayant eu une enfance solitaire et il m'initia au roman. À vrai dire, j'appréciais depuis l'école primaire la poésie et les fameuses récitations. Je découvris avec ravissement au lycée le théâtre classique – et sans doute très anormal parmi mes condisciples – je ne me contentais pas de lire les seules scènes à étudier, mais les pièces entières de notre trio vedette, Corneille, Molière et Racine, qui devaient, surtout le troisième, en barber plus d'un parmi les élèves, mais qui me fascinaient. Et si je lis toujours les trois, j'ai gardé un faible pour Molière qui a élevé la langue française à un très haut niveau : quand j'ai commencé à gagner ma vie, je n'ai eu de cesse d'aller voir leurs pièces au théâtre. De Racine, j'ai vu sur scène Andromaque, Bérénice, Britannicus, de Corneille (qu'on joue très peu) Le Cid et de Molière, L'avare, Tartuffe, Le misanthrope, Dom Juan, L'école des femmes, Le malade imaginaire, et Les femmes savantes. J'ai relu ces pièces chaque fois avant d'aller les voir. Je les ai vues aussi à la télévision ou en dvd (je me suis offert le coffret Molière de la Comédie française l'an passé). Je baigne dans cette langue classique et dans ces alexandrins comme un poisson dans l'eau : c'est dire si je suis anormal !
Quand j'ai connu Claire – et ce fut exactement pour moi comme pour Marc Bernard : "J'ignorais bien entendu que ce fût elle, mais quelque chose en moi le savait ; c'est pourquoi je l'observais avec tant d'intérêt, de curiosité, comme si je pressentais qu'elle recelait ce qu'aucune femme ne m'avait encore donné" (La mort de la bien aimée, Gallimard, 1972) – nous n'eûmes de cesse d'aller au théâtre très souvent dans les divers lieux où nous avons vécu : Auch, Basse-Terre, Amiens, Poitiers, ou lors de nos déplacements (Paris, Toulouse, en particulier). Et cette commune passion, en particulier pour Molière, au génie si français, constituait notre « patrie ». Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi la majorité de nos concitoyens ne relisent plus ces grands auteurs quand ils quittent le milieu scolaire. Je ne les ai pour ma part jamais quittés, et ils me l'ont bien rendu : ils ne m'ont pas quitté ! 

C'est chez eux et dans leur langue, chez Racine, le plus poète des trois ("le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur"), comme chez Corneille, le plus épique ("J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur") et chez Molière, le plus varié ("Et dans l’objet aimé, tout leur devient aimable") que je retrouve ce qui, maintenant que je suis vieux, me rattache encore à la vie : "la beauté que les ans ne peuvent moissonner" (très beau vers des Femmes savantes), l'éternelle beauté de la langue, que je découvre aussi bien sûr dans les textes poétiques et, de façon plus secrète, dans les grands textes sacrés.
En essayant de faire mienne cette langue, je pense à tous ceux qui n'ont pas eu cette possibilité, qui n'ont pas fait ces découvertes, et qui ne trouvent d'autres voie que la violence pour se tenir debout dans le monde et pour rassasier leur "faim et soif de justice" (Matthieu, 5,6). Car, sans langue véritable, ils sont forcément sans patrie !

jeudi 3 décembre 2015

3 décembre 2015 : les « charognards »


Symboliquement, en matière d’information, nous vivons sous un régime d’absolu bombardement informatif, dans une espèce de veille continue, sans que nous ayons, pour ainsi dire, la possibilité de fermer les yeux. Ainsi, ce qui semble urgent, c’est d’échapper à ce flux, de trouver un refuge, en somme de défendre « le droit à ne pas être informé ».
(Eduardo Lourenço, La splendeur du chaos, trad. Annie de Faria, L'Escampette, 2002)



Je pars samedi. Comme il me tarde d'être à Marrakech : je me passerai d'internet, de télé et de radio, de journaux, et me déconnecterai pendant une semaine de la vie en France, dominée par ceux que j'appelle les « charognards », les journalistes qui se vautrent dans la fange. Dans le Télérama de cette semaine, je vois que je ne suis pas le seul à être écœuré ; Bartabas, interviewé, dit : "je suis choqué par l'exploitation commerciale qui en est faite par certains médias, les chaînes d'info en continu ou ces journaux qui publient des numéros spéciaux, avec les photos des victimes. Qu'on fasse de l'argent avec ça me scandalise. Par ailleurs, ajouter du drame au drame, c'est faire le jeu des terroristes, dont le but premier est de nous faire flipper"
J'avoue être vraiment ravi de n'avoir pas assisté en janvier dernier, après le premier attentat (je venais de monter sur le cargo), à cet étalage, cette débauche de soi-disant information qui flatte les émotions légitimes, les sentiments d'horreur tout aussi légitimes, sans le moindre recul, comme si on était devant un film d'action et non pas une tragédie.
 
"Cette fin de siècle, d’une violence sans pareille, a la télévision qu’elle mérite, et mérite la télévision qu’elle a", ajoute Eduardo Lourenço dans le bel essai cité en exergue. Il écrivait pourtant tout ça il y a une vingtaine d'années, et ça s'est aggravé depuis. Oui, nous avons la télévision que nous méritons, puisque nous avons l'imbécillité de la regarder. Nous avons la politique belliqueuse que nous méritons, puisque nous ne protestons jamais contre notre production d'armement, et qu'au contraire, nous applaudissons les « charognards », quand ils se gargarisent de nos fabuleuses ventes de Rafale. Nous vivons sous la tyrannie d'un mode de vie que nous choisissons de moins en moins, puisqu'il nous est imposé de l'extérieur par le libéralisme triomphant : course à la consommation et au crédit, pollution à outrance, gaspillage de l'eau et des ressources naturelles, abandon des vieillards, absence de réelle éducation des enfants qu'on abandonne aux machines et à la technologie (comme si la tendresse et les sentiments n'étaient pas plus importants que des jeux vidéo débilitants), insuffisante connaissance de notre langue – qui est notre vraie patrie (d'où la violence des exclus, qui la maîtrisent mal), pauvreté spirituelle généralisée que ne peut combler la société marchande...
Résultat : l'intolérance reprend du poil de la bête. Ça m'avait déjà frappé lors de mon retour du cargo en avril, en entendant les conversations au bar du TGV. On était à trois mois des attentats de Charlie pourtant. Je pensais que c'était plus ou moins tassé. Mais le racisme avait lâché la bonde et sa bêtise rance puait à plein nez. Mêmes impressions dans l'ascenseur de ma tour, où j'ai entendu des mots nauséabonds ; là encore, je découvrais avec angoisse les constatations d'Eduardo Lourenço : "Au cœur d’une culture comme la nôtre, qui vit la tolérance comme une donnée, avec une bonne conscience totale - l’intolérant, c’est l’autre, celui qui n’a pas encore accédé au modèle démocratique occidental tel que des siècles de lutte pour la tolérance l’ont inventé - sommes-nous en situation de percevoir encore les vrais contours de l’intolérable ?"
Et, bien sûr, le « F Haine » surfe sur la vague avec le plus grand bonheur : plus ses mots sont grossiers, perversement ambigus, plus ça marche. D'ailleurs, on n'entend qu'eux à longueur de radio, alors que je n'y ai encore jamais entendu les gens de « Nouvelle donne », par exemple. Or, nous sommes en période électorale, et chacun des groupes présentant des candidats devrait avoir le même temps de parole. Que fait le CSA ?
Pendant une semaine, je serai sourd, fort heureusement, et me passerai bien de lire ou d'écouter les « charognards »
 

vendredi 27 novembre 2015

27 novembre 2015 : retour de "l'État français" ?


L'idée de progrès a perdu tout son charme parce qu'aucun autre progrès ne se propose sinon celui de l'horreur.
(Sergio Ghirardi, Nous n'avons pas peur des ruines : les situationnistes et notre temps, L'insomniaque, 2004)


On voit déjà les résultats du fameux « état d'urgence » que je dénonçais dans un récent blog : il s'agit de museler toute contestation, et cela avec les vertus que l'on connaît à la police, celle de chez nous ne valant pas mieux que celle d'ailleurs : "Il faut que ce que l'on appelle la police soit une chose bien terrible disait plaisamment Madame de ... puisque les Anglais aiment mieux les voleurs et que les Turcs aiment mieux la peste", écrivait Chamfort au XVIIIe siècle.
 
Le Huffington post nous présente ce jour une carte de France des « plaintes et controverses » liées à cet état d'urgence : perquisitions musclées et dérisoires, liées souvent à des dénonciations. Voilà, on revient à Vichy et à la délation comme mode de vie. Bravo, la gauche (soi-disant, mais il y a belle lurette qu'elle n'a plus rien de gauche) au pouvoir. Encore un petit effort, Hollande, pour égaler et dépasser Sarkozy...
Florilège tiré du Huffington Post :
Vaucluse, on s'en prend même aux aveugles : "Perquisitionné, gardé à vue pendant deux jours et désormais assigné à résidence, Daoud, un jeune de 21 ans converti à l'Islam est contraint de pointer trois fois par jour au commissariat d'Avignon (Vaucluse). Problème: il est aveugle. Daoud aurait été dénoncé pour avoir rasé sa barbe peu avant les attentats du 13 novembre." Voilà, mieux vaut ne pas se convertir, ni se raser.
Dordogne : "Un couple de maraîchers bio installé en Dordogne a été perquisitionné au petit matin. L'ordre de perquisition vise "des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste". Seul motif "tangible" invoqué parles policiers : leur participation il y a trois ans à une manifestation contre Notre-Dame-des-Landes." Voilà à quoi ça mène de manifester !
Loiret : "Perquisitionné en pleine nuit, un couple, dont le mari est né en Syrie dans un camp de réfugiés, a dû batailler pour pouvoir déposer plainte pour "dégradation de biens". Parce qu'en plus on dégrade en perquisitionnant !!!
Eure-et-Loir : "La préfecture d’Eure-et-Loir a interdit à des militants de "Cap sur la Cop" de traverser le département. Ce convoi rassemblait 200 opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes qui se rendent en vélos et tracteurs à Paris. L’arrêté préfectoral qualifie ces militants de "groupes et groupuscules appartenant à la mouvance contestataire radicale et violente". Qu'est-ce que je disais ?
Région parisienne : "Dans le cadre de l'état d'urgence et pendant toute la durée de la COP21, un arrêté préfectoral institue une "zone de protection ou de sécurité" sur le plateau de Saclay. Objectif: interdire les rassemblements de zadistes venus notamment de Notre-Dame-des-Landes." Et allez donc ! interdisons, tout en autorisant le FN à pérorer sans cesse à la radio et à la télévision.

Et ce ne sont que quelques exemples.
Michel Rocard disait naguère qu'on ne pouvait pas soulager « toute la misère du monde ». François Hollande, lui, nous impose la guerre en Syrie, pour éradiquer un dictateur. OK, pourquoi pas, bien qu'on ait vu auparavant les désastres liés à l'intervention en Irak ! Mais veut-on éradiquer tous les dictateurs de la planète ? Il y aura fort à faire. Vu que près des 2/3 des pays sont dirigés ainsi, que les droits de l'homme sont bafoués partout. Je me demande pourquoi on ne s'attaque pas au roi d'Arabie, par exemple (LOL, comme disent les jeunes).
Ce n'est pas en bafouant nos libertés qu'on gagnera quoi que ce soit. On déroule plutôt un tapis rouge au FN, ravi, pour les prochaines élections. Continuons, et l'État français (1940-1944) nous paraîtra bientôt comme une aimable plaisanterie, que l'on va réclamer avec insistance.