samedi 23 avril 2022

23 avril 2022 : la guerre 1

 

ces experts télévisuels et radiophoniques, qui profitaient du moment pour orienter le débat du côté de leurs propres peurs et de leurs obsessions […] ces génies du vide de la pensée…

(Abd al Malik, Réconciliation, R. Laffont, 2021)



J’ai toujours été marqué, dès l’enfance, par les guerres. D’abord, celle qui venait de se terminer, et à laquelle mon père avait participé en tant que militaire en 1944-1945, tout comme il participa plus tard à la guerre d’Indochine, puis à celle d’Algérie, si semblable à celle que nous décrit Svetlana Alexiévitch dans Les cercueils de zinc (Bourgois, 1991). La lecture de ce livre remet les pendules à l’heure : non, mesdames et messieurs les journalistes, la guerre n’est pas un spectacle comme on le voit trop actuellement, ce n’est pas un divertissement, c’est du sang, de la mort et des larmes.

Il faudrait faire un rappel sur la première guerre d’Afghanistan, celle menée par l’URSS, de décembre 1979 à février 1989, qui a opposé les moudjahiddin, soutenus par les États-Unis et des pays à majorité musulmane, au régime communiste afghan, soutenu par l'URSS. En effet, les communistes afghans, après avoir réussi à prendre le pouvoir, n’ont jamais réussi à s’imposer, ont dû pratiquer une politique répressive qui a entraîné une guerre civile. Le régime a eu besoin de l’aide de l’URSS pour se maintenir, à cause des révoltes. Les Soviétiques s'y sont enlisés, comme plus tard les Américains aidés des occidentaux dans ce même pays. Ce fut une sale guerre, non déclarée, comme la guerre d’Algérie le fut pour nous. 

 


Les soldats russes, pour la plupart des jeunes, femmes et hommes, tout juste majeurs, à peine sortis de l'adolescence, y sont allés, pensant libérer le peuple afghan de son obscurantisme et lui apporter le progrès, construire des écoles, des routes, planter des arbres, etc. Ils ont découvert l'hostilité des populations civiles contre une armée d'occupation, les mines, les balles des snipers cachés dans les montagnes, le climat éprouvant (tantôt glacé, tantôt brûlant), la faim et la soif, les blessures horribles, les mutilations et la mort. En bref, l’enfer. Et les humiliations et brimades des anciens, l’alcool et la drogue, les trafics, les viols et les vols, les meurtres et les massacres de civils, les représailles collectives et les vengeances individuelles, les agonies, la terreur, l’art de tuer sans état d’âme apparent et même le plaisir de tuer, les mensonges des dirigeants et des médias (tiens tiens !) et, in fine, les cercueils de zinc dans lesquels les "héros" (ou ce qui en reste) sont ramenés au pays, le mépris des "embusqués" et la honte.

Ce livre nous renvoie à l’époque actuelle et à la guerre d’Ukraine où nous retrouvons les mêmes atrocités. "En quoi le totalitarisme est-il dangereux ? Il nous rend tous complices de ses crimes. Les bons comme les méchants, les naïfs et les réalistes... ", nous dit l’auteur. Le livre est composé d’une mosaïque de témoignages de soldats revenus parfois estropiés et mutilés (des hommes-troncs), parfois entiers, et de mères de famille. On lit dans ces récits toutes les souffrances, toute la haine, toute la violence rentrée qui ne demande qu’à ressortir. Nous ne faisons que lire, eux, soldats et mères, ont vécu tout cela. Il leur a fallu beaucoup d'humilité et de courage pour parler, pour continuer à s'accrocher à la vie : ce sont des cris de douleur, des relations de sacrifices ou parfois de crimes, dont on ne sort pas plus indemne que les protagonistes. "Mille fois je me suis posée la question : comment traverser le mal sans ajouter au mal dans le monde, surtout aujourd'hui quand il prend des dimensions cosmiques ?  A chaque nouveau livre je m'interroge. C'est mon fardeau. C'est mon destin », nous dit l’auteur. Qui a dû affronter un procès après publication.

Car elle avait terni le beau visage de la guerre et l’image idéale des héros. La guerre d’Afghanistan était devenue un drame national en URSS (comme le deviendra la guerre d’Ukraine pour la Russie d’aujourd’hui). Pas seulement parce que des soldats meurent, pas seulement parce que c’est tragique politiquement, mais parce que c’est une sale guerre (comme s'il y en avait de propre !). La guerre de référence, en effet, plusieurs fois citée dans le livre, était pour les soviétiques, la guerre de 1941-1945, la Grande Guerre patriotique, où ils ont résisté aux nazis envahisseurs. Découvrir le fait que des soldats Soviétiques étaient capables de piller, tuer, violer, se comporter comme des nazis, c’était la destruction du mythe idéal de l’homme rouge et du soviétisme.

Voici un florilège de ces témoignages, de ces voix qui nous parlent :

* Les armes modernes multiplient les crimes. Avec un couteau, je pourrais tuer un homme, mettons deux… Avec une bombe, c’est par dizaines… Mais je suis un militaire, mon métier, c’est de tuer. (un lieutenant, chef d’équipe)

* Je peux être heureux, libre… Même sans mes yeux… Ça, je l’ai compris… Il y a tellement de voyants qui ne voient rien. Si j’avais gardé mes yeux, je serais plus aveugle que je ne le suis maintenant. (un soldat éclaireur qui a perdu la vue)

* On attendait une caravane depuis deux jours, trois jours. On restait couchés dans le sable chaud. On faisait sous nous. À la fin du troisième jour, on était devenus dingues. Alors, la première rafale, on y a mis toute notre haine… (un tirailleur motorisé)

* Comprenez qu’il est difficile de garder un idéal quand on se bat en pays étranger et sans savoir pourquoi. (un soldat, artilleur)

* Quand on faisait des prisonniers, on s’étonnait de voir ces gens maigres, épuisés, avec de grandes mains de paysans… Des bandits, ça ? C’était le peuple ! Quant à ceux qui nous jugent aujourd’hui, comme quoi nous avons tué… J’ai envie de leur flaquer mon poing dans la gueule ! Ils n’y sont pas allés, eux… Ils ne savent pas ce que c’est… Ils n’ont pas le droit de juger ! (un commandant, propagandiste dans un régiment d’artillerie)

* ici je me pose constamment cette question : pour quoi mon ami est-il mort ? Pour ces spéculateurs repus ? Ici, ça ne va pas du tout. Je me sens étranger... (un soldat, tireur de mortier)

*J’ai vingt-deux ans, j’ai toute me vie devant moi. Je devrais chercher à me marier. J’avais une fiancée. Je lui ai dit que je la détestais afin qu’elle me quitte. Parce qu’elle avait de la pitié pour moi… J’aurais voulu qu’elle m’aime… (un lieutenant, commandant d’une section de tireurs de mortiers)

* Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je déteste toutes les guerres, même les bagarres entre gamins. (une infirmière)

* Je voudrais comprendre : qui répondra de tout ceci ? Pourquoi tout le monde se tait ? Pourquoi ne nomme-t-on pas les responsables ? (une mère)

* Nous sommes probablement déjà morts… Seulement personne ne le sait… Pas même nous… (une mère)


Un livre fort, émouvant, tendre, dur, essentiel, à lire de toute urgence, comme tous les livres de cette immense écrivaine, qui mérite cent fois son prix Nobel !


mercredi 20 avril 2022

20 avril 2022 : profession de foi

 

Dans la pensée antique, on ne s’inflige pas ce pensum formulé par Hannah Arendt : « la dégradation obligatoire d’être de son temps ».

(Sylvain Tesson, Un été avec Homère, Éd. Des Équateurs, 2018)


Il est devenu difficile d’être différent aujourd’hui. Par exemple, si je dis que les médias ont donné et donnent une vision unique du phénomène des gilets jaunes, de la pandémie covidienne, et maintenant de la guerre en Ukraine ou de l’élection présidentielle française, et que cette analyse (?) dominante va finir par me conduire à une "mort sociale" si je n’approuve pas tout ou partie de ce qui y est dit, si je ne suis pas un béni-oui-oui, si je me mets en dehors des postures convenables, confortablement dictées par l’émotion ou la morale courante. Je finirai par être condamné à me taire, à ne plus m’exprimer, à être frappé d’anathème, blâmé, réprouvé, voire excommunié par les tenants de la "Vérité" officielle, continuellement rabâchée par ces mêmes médias.

Car il n’est pas possible de discuter avec ces derniers (les tenants...) qui vous traitent rapidement d’imposteur, de sectaire, de complotiste, quand ce n’est pas d’ignorant, d’arriéré, de faible d’esprit, de simplet et autres noms d’oiseaux ! En fait, il est impossible de dire ce que l’on pense, mais on n’en pense pas moins. Mais ces critiques que l’on garde pour soi finissent par nous rendre exaspéré, chagrin, agressif, hargneux, rageur, remonté. On me dit que je suis vieux ( ah ! "être de son temps", je n'y tiens guère) et que je ferai mieux de me taire, que je commence à radoter et à ratiociner, que le chacun pour soi l’emporte maintenant sur le collectif et que ma vue est mauvaise si j'estime que les experts (pourtant autoproclamés des médias) ne sont que des génies du vide !

Chiche. J’ai compris. Je ne contredirai plus les bouffons de cour, je ne dirai donc plus rien de l’actualité sociale, économique ou politique, je me contenterai désormais de parler des livres qui m’ont plu, des films que j’ai aimés, des chansons qui me touchent, de mes déplacements et petits voyages (car les grands sont maintenant exclus), des rencontres que j’y fais, des petites joies que j’essaie d’apporter aux ami(e)s qui m’aiment encore et que j’aime en retour, d’écrire des poèmes que personne ne lit, de me murer dans le silence aussi souvent que nécessaire. 

                                       
 
Bayard, ma nouvelle monture, a remplacé Rossinante et Pégase

Et d’enfourcher mon vélo et sa lenteur pour dissiper mes inquiétudes en observant choses, paysages et gens. Et savourer le temps long qu’il me procure.

 

mercredi 13 avril 2022

13 avril 2022 : comment peut-on voter Macron ?


Emmanuel Macron et Jean Castex sont dans un avion.

Macron dit : - Si je jette un billet de dix par la fenêtre, je fais une personne heureuse.

Castex dit : - Si je jette un billet de cent par la fenêtre je fais 5 personnes heureuses.

Le commandant de bord dit à son copilote : - Écoute-les ces deux-là, moi si je les jette tous les deux par la fenêtre, je fais 64 millions de personnes heureuses !

(Une blague très actuelle)



J’avais dit que je ne voterai plus après 75 ans et aussi que je n’avais plus envie de voter contre. Pourtant, j’ai voté dimanche dernier pour Mélenchon. C’était un POUR franc et massif pour lui et CONTRE les autres. Maintenant, je suis confronté à un nouveau vote contre. Et le problème, c’est que j’ai envie de dégager Macron.

Je suis très en colère contre lui :

* pour le traitement qu’il a infligé aux gilets jaunes, gazage, grenades, LBD, mais arrachées, yeux crevés, canons à eau (comme si l’eau n’était pas un élément rare comme je m’en suis aperçu à Madagascar), matraquage constant, dénigrement du mouvement dans tous les médias sans chercher à comprendre…

* pour le traitement de la pandémie par son gouvernement, avec ce fameux confinement (je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes vieux amis en EHPAD ou même chez eux, esseulés et désespérés d’être encore plus confinés. Avec des consignes iniques : à moment donné, en EHPAD ils ont eu droit à deux visites seulement par semaine ! Alors qu’ils avaient tant besoin du secours de l’amitié, du partage solidaire, de la joie qui vient de l’extérieur… Ils ou elles en arrivent à me dire que ce n’est pas le covid qui allait les tuer, mais la solitude et l’isolement, cette obligation de servir de cobayes aux expérimentateurs des fameux vaccins (et si peu fiables), l’obligation du pass ensuite qui laissait sur le touche 10 % de la population et en mettait une partie au chômage : « Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ! Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout » .

* pour la manière qu’il a d’envisager la guerre d’Ukraine, en pensant que la paix passera par des livraisons d’armes massives, au risque de nous engager dans une guerre qui se mondialise !

* par la manière dont toua long du quinquennat, il n’a cessé de dénigrer les pauvres : « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s'en sortent pas » (je le verra bien, lui, subsister avec 500 € par mois ! Alors que le « pognon de dingues » est parti essentiellement pour soutenir les grands patrons du Cac40, qui ont fait, avec l’aide de l’État, de nos impôts donc, des bénéfices records alimentant un maximum de fraude fiscale), les chômeurs : « Dans les hôtels, cafés et restaurants, je traverse la rue et je vous en trouve [du travail] », les gens de peu : « Une gare c'est un lieu où l'on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », les gilets jaunes qui, par extraordinaire, passaient à la télé : « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député », alors que les experts (prétendus ou auto-proclamés) passaient leur temps à se moquer d’eux !

* pour la manière aussi dont il se moque de l’aide au développement : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien », des Français, de manière générale : « Ces Gaulois, réfractaires au changement ». Quel changement ? Être transformé en chiffres, en robots, en techno-zombies startupers ?

* pour la façon scandaleuse dont il traite le problème des migrants : démantèlement de leurs campements à Calais et ailleurs, harcèlement policier systématique, absence totale de politique d’accueil. Je suis écœuré. Et je ne suis pas le seul. 

                    Shyamal, Sushitra et Arunita, leur bébé, mes amis bangladais, toujours sans papiers

On a demandé à François Hollande : « Le président des riches, c’est ce qu’on entend beaucoup. C’est ce que vous pensez ? — Non, ce n’est pas vrai. Il est le président des TRÈS riches ». Très juste, ma foi. Et que revive l’impôt sur les grandes fortunes !

Et vous voudriez que je vote pour ce gars ? Le soir du premier tour, un certain nombre de candidats n’ont pas été sans proclamer : « je vous engage à mettre dans l’urne un bulletin Macron » (Pécresse, Hidalgo, Roussel, Jadot… Ils espèrent peut-être un ministère dans le prochain gouvernement ! On est habitué à tous ces retournements de vestes au profit du plus fort !). J’ai bien fait de ne pas voter pour eux au premier tour. Car qui ne veut pas Macron n’a pas le choix. Voter blanc ou nul, ça n’est pas comptabilisé dans le résultat. Ne pas voter, c’est pareil. Reste le vote Le Pen, qui lui, au moins, est compté. Ce n’est pas de gaîté de cœur que certains électeurs de Mélenchon s’y résoudront. Mais laisse-t-on un autre choix à tous ceux, dont je suis, qui ne veulent à aucun prix de Macron ?

* * *

Les gens comme moi sont placés devant un dilemme ! Assez cruel, je dois dire. Mais Macron a tout fait pour privilégier Le Pen comme adversaire du second tour, sachant que les gens de gauche sont bien capables de continuer à voter CONTRE, comme 2002 et 2017. Est-ce que ça marchera encore ?

 

dimanche 10 avril 2022

10 avril 2022 : Kinuyo Tanaka, cinéaste japonaise

 

Le messager : Révérer humblement les mystères des dieux, rien de plus beau. Je pense que telle est la sagesse pour les mortels qui savent être sages.

(Euripide, Les Bacchantes, trad. Yves Florenne, Club français du livre, 1962)


J’ai achevé le cycle de films de la cinéaste japonaise Kinuyo Tanaka (1909-1977), grande actrice japonaise chez Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, Naruse et autres grands cinéastes classiques de l’âge d’or du cinéma japonais, et qui réalisa elle-même six films de 1953 (Lettre d’amour) à 1962 (Mademoiselle Ogin) ; j’ai tout vu et j’ai été séduit, je peux même dire ébloui, par la délicatesse de tous ces portraits de femme, en même temps que par la modernité avec laquelle Tanaka inscrit ces portraits dans un féminisme presque contemporain. Chapeau, et bravo à l’Utopia de Bordeaux d’avoir fait durer le cycle plusieurs semaines, ce qui m’a permis de tout voir ! Un pur bonheur !

Lettre d’amour est un film de l’après-guerre japonais. Reikichi, un marin démobilisé vit dans l’obsession de son amour de jeunesse, une certaine Michiko. Il la retrouve en veuve contrainte de se vendre aux Américains pour survivre. Si Reichiki est à la dérive dans ce Tokyo d’après-guerre, Michiko, plus réaliste, doit se prêter aux compromissions dans ce monde nouveau. Pour un coup d’essai, ce premier film tourné en décors naturels fut un coup de maître.

La lune s’est levée (1955) montre un père (Monsieur Asai) qui vit à Nara et abrite encore ses trois filles : Chizuru est veuve ; Ayako, en âge de se marier, montre peu d’empressement à quitter le foyer ; la benjamine, Setsuko, vingt ans, a une vocation de marieuse. Elle pousse Ayako et même Chizuru à se caser, et en oublie de voir auprès d’elle son jeune ami qui a du sentiment à son égard. Sur un scénario d’Ozu, une délicieuse comédie à la Jane Austen, admirablement bien jouée.

Maternité éternelle (1955) voit l’héroïne Fumiko se consoler d’un mariage malheureux en fréquentant le club de poésie de sa petite ville. Fumiko ne reculera devant rien pour bousculer son destin et poursuivre son rêve de liberté. Étonnant portrait pour l’époque d’une femme libre au destin tragique. J’ai dû essuyer mes yeux à la fin. Sublime !

La princesse errante (1960) se déroule entre 1937 et l’après-guerre. Ryuko, jeune fille de bonne famille est choisie pour épouser le jeune prince de Mandchourie. Elle doit quitter le Japon et s’acclimater à cette nouvelle vie. Film historique et réaliste qui montre la maîtrise de Tanaka pour décrire le destin de la jeune princesse. Un beu portrait de femme, une fois de plus.

La nuit des femmes (1961) nous montre une héroïne placée dans un centre de réhabilitation d’anciennes prostituées. Kuriko doit batailler ferme pour s’en sortir, car le passé et le harcèlement des hommes la rattrapent. Ballottée d’un emploi à l’autre, menacée sans cesse de retomber dans les bas-fonds interlopes, Kuriko vat-telle rebondir ? Encore un film frémissant de justesse et sans concessions.

Mademoiselle Ogin clôture en beauté la carrière de cinéaste de Tanaka avec une superproduction en scope et couleurs qui se déroule au Xvème siècle. L’héroïne, fille d’un maître de thé, tombe amoureuse d’un samouraï chrétien, et à ce titre persécuté, qui la repousse. Malgré des difficultés de tournage, c’est de nouveau un film splendide visuellement et un portrait de femme époustouflant.

Que de beauté dans tous ces films ! Et qu’il est regrettable qu’ils ne soient arrivés en France que soixante ans après. D’un autre côté, j’ai pu voir l’ensemble en trois semaines et apprécier la cinéaste... Sortie prévue en un coffret de dvd pour bientôt chez Carlotta.


samedi 9 avril 2022

9 avril 2022 : ah ! le smartphone 2 !


Ulysse […] n’est guère obsédé par cette ritournelle du XXIème siècle : « Le monde change ! Il faut l’accepter ! » Dans la pensée antique, on ne s’inflige pas ce pensum formulé par Hannah Arendt : « la dégradation obligatoire d’être de son temps ».

(Sylvain Tesson, Un été avec Homère, Éd. Des Équateurs, 2018)


J’avais une dent contre le smartphone, dont j’ai fait état le 31 janvier dernier. Et encore je n’avais pas vu le film Les meilleures, dans lequel la réalisatrice Marion Desseigne-Ravel montre les dégâts considérables que subissent des adolescentes de cités. 

Une cité de banlieue. C’est l’été, mais Nedjma et sa petite sœur Leila passent leurs vacances dans leur quartier, leur mère les élève seule et ne peut leur payer qu’un week-end à la mer. Nedjma et Leila font partie d'une bande de copines qui squatte un banc dans le square en bas de leurs immeubles. Et une nouvelle venue, Zina, veut leur prendre le banc, avec sa propre bande. Nedjma voit ses copines se sentir trahies, quand elles découvrent l'attirance réciproque qu'elle a avec Zina. Ces adolescentes d’origine maghrébine sont pendues à leurs smartphones, par le biais desquels la vie de Nedjma va devenir difficile : des photos de Zina, puis d’elles deux vont circuler et créer une haine et des querelles terribles, d’autant plus que l’homosexualité féminine est honnie. Avec les réseaux sociaux, en quelques clics, on fabrique une mauvaise réputation, on peut détruire une vie.

Nedjma, être sensible sous une apparence rude, fait les frais de cette situation. Heureusement, elle peut se réfugier sur le toit de l’immeuble HLM, et y abriter ses amours clandestines avec Zina. Elle n’accepte plus le déni de ce qu’elle est. Mais elle pense : « je suis amoureuse d’une fille, je ne sais pas quoi faire… »

Les deux jeunes filles qui jouent leurs rôles portent le film à bout de bras. Mais leurs partenaires représentent également très bien cette génération sacrifiée sur l’autel du smartphone tout-puissant et des préjugés qu’ils véhiculent. On voit directement les textos s’afficher sur l’écran. Il s’agit ici d’un récit d'apprentissage d’un nouveau type, où il faut assumer son attirance pour le même sexe, ce qui est très difficile dans cette communauté, les effets des réseaux sociaux sont dévastateurs. Le langage est rude, c’est celui de la jeunesse des banlieues et l’on y voit les filles aussi brutales que peuvent l’être des garçons. Le film est un coup de poing dans le pavé des bons sentiments, mais on en plaint la jeunesse actuelle.

Et bien sûr, de mon point de vue, ça m’encourage à pourfendre l’utilisation de cet instrument diabolique et à m’en passer. Et je suis d’autant plus désolé que je vois qu’il est mis entre les mains de préadolescents et même d’enfants bien plus jeunes. Bonjour les dégâts ! Malheureusement, en dépit de ses qualités, Les meilleures, film qui pourrait jouer un rôle de révélateur et de mise en garde, n'a aucun succès et a peu de chance de passer à la télévision à une heure de grande écoute...


jeudi 7 avril 2022

7 avril 2022 : le poème du mois, une fable


Ce n'est pas de partisans que la poésie a besoin, mais d'amants. Elle se couvre de ronces épineuses et d'éclats de verre, afin que celui qui étend sur elle sa main, s'ensanglante

(Federico Garcia Lorca)


Eh bien, cette fois, je présenterai un poème en prose, une fable du poète hongrois György Somlyó, traduite en français par Guillevic, autre poète, parue en 1974.



                        Fable de la fleur


Je fais les cent pas dans la pièce, je m’agenouille sur la chaise devant la table, je feuillette un livre, je bois une gorgée, je cherche mes mots.

La grande pivoine rose est immobile dans le vase.

Je prends mon manteau, je m’en vais, je cours à mes affaires, à ce que je crois être mes affaires, je reviens.

La pivoine est à la même place, tournée vers moi, elle me regarde de toute sa grosse tête de pétales.

Elle me regarde tout le temps. Elle ne se lasse pas de moi. Épanouie, elle est comme un œil grand ouvert, comme un haut-parleur, comme la grande rose de Notre-Dame.

Comment dire ?

La pivoine ne veut pas dire. Elle est identique à elle-même, sans plus. C’est pour cela qu’elle est si belle.

Cependant, comme est sensible ! Je passe près d’elle, et c’est assez de mes pieds sur le plancher pour qu’elle frissonne de tous ses pétales.

Ai-je envie de la vie des plantes, de me consoler de l’humain par l’inconscience des végétaux ?

Non. Je veux être moi-même, pas autre chose, être moi-même aussi uniment qu’elle est ce qu’elle est.

Ce n’est pas fleur que je veux être, comme elle est. Je veux seulement être homme comme la fleur est fleur.

La grande pivoine rose…

 


mardi 5 avril 2022

5 avril 2022 : Amazon, le requin aux dents longues


Amazon : ordres transmis dans l’oreillette, toute la journée, toute la journée, sans jamais une minute d’arrêt – d’ailleurs il n’a pas le temps d’aller aux toilettes et se déplace avec une bouteille qui ne lui sert pas pour boire.

(Ludivine Bantigny, L’ensauvagement du capital, Seuil 2022)

 

 


Amazon ! Il m’est arrivé, autrefois d’y faire quelques achats, mais j’ai vite compris que cette entreprise était un requin vorace qui allait faire des dégâts considérables. Heureusement Les Amis de la terre viennent de publier un article intitulé Le e-commerce, meilleur ennemi de l’emploi en France qui remet les pendules à l’heure, et montre que le monstre Amazon a été un assisté (comme tous les richards, milliardaires et multinationales, et dire qu’il ose appeler "assistés" ceux qui touchent le RSA) sous le quinquennat Macron, encore une raison pour laquelle je souhaite qu’il soit éjecté, à lire intégralement ici :

https://www.amisdelaterre.org/e-commerce-impact-emploi-france/

Je n’en donne que quelques extraits :


" Et aujourd’hui en France, des collectifs s’organisent contre des projets d’implantation d’Amazon. En 2017, seules trois régions françaises avaient des entrepôts, aujourd’hui, aucune n’est épargnée. Mais où est le problème, si la multinationale créé des emplois ? Tel est souvent le discours tenu par les élus favorables aux géants du e-commerce. Or, les Amis de la Terre France viennent de produire un rapport déconstruisant cet argumentaire. En réalité, la vente en ligne casse et précarise le marché de l’emploi.

" Malgré les conséquences environnementales et sociales des implantations Amazon, bien connues, celles-ci se sont multipliées depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. En cinq ans, la multinationale est passée de 4 entrepôts logistiques en France à… 44. […] Rien que sur la région Île-de-France, Amazon a grandi de 0 à 13 entrepôts sous le quinquennat. « Amazon, c’est le leader en France du e-commerce, celui qui a le plus de parts de marchés », rappelle Étienne Coubard, chargée de mobilisation chez Les Amis de la Terre France.

" L’histoire d’Amazon sous Macron ne se résume pas à un déploiement inéluctable. Le gouvernement l’a bel et bien encouragé. En janvier 2021, par exemple, le projet de loi finances divise par deux les impôts locaux payés pour les entrepôts de vente en ligne. En outre, les parlementaires de La République en Marche ont mis en échec des amendements à la loi Climat, issus de divers groupes politiques, proposant de mieux encadrer la construction de ces entrepôts. « Les cadeaux fiscaux, soutiens administratifs et politiques ont permis cette implantation massive et rapide », exposent les Amis de la Terre dans un rapport, « Emploi et e-commerce », paru le 24 mars. « Pourtant, les chiffres sont là. Ils sont accablants et connus des pouvoirs publics : le e-commerce détruit les emplois et les commerces à grande vitesse ». […]

" La création de postes est pourtant l’argument principal des géants du e-commerce […] souvent repris par les élus locaux. […] Le problème, c’est que les enseignes du e-commerce occupent le même marché que celles de la vente physique, qui tentent de se digitaliser. […] Selon le rapport des Amis de la Terre France, le développement de la vente en ligne aurait ainsi détruit 3 800 emplois dans le commerce en 2019. « Plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée » En première ligne de cette perte d’emplois : les petites entreprises. […] Le schéma est celui d’une « mort lente » selon Étienne Coubard. À savoir : on abaisse d’abord les salaires pour résister à la concurrence des géants du e-commerce, comme Amazon. Puis, on supprime des emplois. Et l’on finit, parfois, par mettre la clé sous la porte. La branche la plus touchée par ces destructions d’emplois ? L’habillement, « avec plus de 4 800 emplois détruits » en 2019. […]

" Dans les entrepôts de logistique, c’est le règne des intérimaires et des contrats courts. Quelques CDI sont à la clé, mais peu de gens s’y maintiennent. Reste le volet livraison. […Les livreurs] sont auto-entrepreneurs. « Pour chaque agence de livraison Amazon, c’est à peu près 200-250 livreurs ubérisés. Ils vivent en deça-du niveau de pauvreté, et touchent à peine plus que le RSA », pointe Étienne Coubard. […]

" Un « nouveau fait inquiétant » est avancé par la dernière étude des Amis de la Terre. Les grandes enseignes, plus seulement les PME, commencent à être touchées par la baisse de l’emploi. Et ce, après avoir pris virage de la digitalisation. […] En résumé : une grande entreprise recrute pour assurer son virage digital ainsi que la mise en place de son service de livraison. Pour faire face à la rude concurrence des géants du e-commerce comme Amazon, des logiques de rentabilité s’imposent très vite. On dégraisse alors la masse salariale… En 2019, « le solde d’emplois créés pour les grandes entreprises a été divisé par 9 par rapport aux années précédentes et se rapproche d’un bilan négatif », écrivent ainsi Les Amis de la Terre. [… De plus,] « Le covid a été une opportunité pour les grandes entreprises d’appliquer des plans sociaux, qui étaient pensés dès 2019. C’est le cas de Conforama, Camaïeu, Comptoir des Cotonniers… » liste Étienne Coubard. […]

" Les collectifs et ONG espèrent que le prochain quinquennat ouvrira la voie à une meilleure régulation. Aujourd’hui, « le e-commerce est considéré comme de la logisitique, pas comme du commerce. C’est pour cela qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles. On souhaite mettre fin à cette inégalité de traitement, qui a autant d’impact sur l’emploi et l’environnement » défend Étienne Coubard. « Cela permettrait de réduire l’hémorragie, et de donner un peu d’air aux petites et moyennes entreprises ».