Il
faut que l’accueil soit inconditionnel, non pour satisfaire une
quelconque radicalité morale ou philosophique, mais comme mouvement
d’ouverture et d’effacement de soi face à la venue de
l’étranger, qui ne soumet pas celle-ci à la condition d’une
demande et de l’examen préalable de sa légitimité.
(Yves
Cusset, Réflexion
sur l’accueil et le droit d’asile,
F. Bourin, 2016)
Enfin
un livre qui nous dit autre chose que la malheureuse
phrase de Michel Rocard en
1990 : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du
monde ». Phrase que personnellement je n’ai jamais pu
accepter, surtout venant d’un responsable politique se disant de
gauche
et de formation protestante,
qui ajoutait aussitôt après, aggravant son cas : « Il
faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières
66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux
frontières ! À quoi s’ajoutent une dizaine de milliers
d’expulsions du territoire national. Et je m’attends à ce que
pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts.»
J’ai compris à ce moment-là qu’on ne pourrait jamais faire
confiance à nos dirigeants, quand ils parlent comme le FN !
Thomas Paine, un héros, qui considéra, à juste titre, Bonaparte comme un charlatan !
Heureusement,
il y a des gens qui pensent la fraternité, l’accueil, le droit
d’asile (de ce point de vue, on a reculé depuis le Moyen âge, et
depuis notre grande Révolution, où un Thomas Paine pouvait être
déclaré
citoyen
français, et être élu
à la Convention en 1792). Imagine-t-on cela aujourd’hui ?
Donner la citoyenneté à un étranger et l’élire à une assemblée
nationale ? Eh bien oui, tout cela reste possible, nous dit Yves
Cusset dans son livre magnifique Réflexion
sur l’accueil et le droit d’asile qui,
j’espère (mais j’en doute, car
les lecteurs sont, hélas, plus attirés par les Musso et autres
Lévy, et les bibliothécaires modernes vont plus au devant des
désirs du public que des propositions à lui faire :
bienheureuse bibliothèque de quartier où j’ai trouvé ce
livre !),
se trouve dans toutes les bibliothèques publiques et universitaires
C’est
un
livre épatant, comme
disait Jean Dutourd (un réac notoire pourtant, mais l’adjectif
convient tellement bien au livre fini)
qui
essaie de définir ce que pourrait être la fraternité, au-delà de
nos peurs, certes
légitimes.
C’est
en tout cas un livre
démocratique (à
mettre juste à côté du beau livre de Jean-Luc Mélenchon De
la vertu) :
oui, la démocratie, ce
n’est seulement élire tous les cinq ans un pantin à l’Élysée et d'autres au Palais-Bourbon,
mais c’est d’abord comprendre quels sont les liens qui nous
unissent et de se battre contre
les liens qui nous séparent. C’est
quand même bien pour ça qu’on a voté contre Le Pen, bordel !
Ici, Yves Cusset nous propose des mots pour comprendre le monde, qui
sont les migrants, et comment on
peut et surtout on
doit les aider, et
comment le politique devrait
s’y mettre aussi, sans laisser tout le soin aux bénévoles ! Qui en plus, sont poursuivis pour délit de solidarité !!! Alors qu'ils ne font que leur devoir d'êtres humains.
D’abord,
rappelle Yves Cusset, la première chose, fondement de l’inclusion
(j’aime ce mot, alors qu’intégration, qu’Yves Cusset critique
fortement, a une connotation négative) dans notre société, c’est
la capacité à parler, et donc à apprendre notre langue pour pouvoir se comprendre. Pourquoi
les migrants de Calais veulent aller en Angleterre ? Parce
qu’ils parlent ou baragouinent l’anglais, et pas le français !
Le fondement à l’inclusion
dans notre
communauté de citoyens, c’est
le partage de la langue.
Je suis frappé dans
mon quartier de voir que des migrants, présents ici depuis trente ou
quarante ans, ne parlent toujours pas français, surtout les femmes !
Si donc l’on veut
s’unir, et
ça me semble indispensable, l’accueil passe par la langue, tout
autant que par le logement et le travail.
« Ils vont
prendre nos emplois ! », antienne bien connue des
militants du F Haine. C’est vrai, ma femme de ménage est d’origine
tunisienne, celle de mes cousins de Paris portugaise, etc. Ce n’est
pas de notre faute si les Français rechignent à ces emplois
clairement sous-payés.
Quelques
extraits de ce livre, vrai fondement de la fraternité :
"Quand
on sait simplement que là où il y a le plus de mixité sociale, de
diversité culturelle et surtout de possibilités d’échange et de
décloisonnement des appartenances (et pas simplement moins de
chômage, comme voudraient le laisser penser certains politologues),
il y a aussi le moins de votes pour l’extrême droite, on voit déjà
dans quel sens peut se dessiner l’horizon d’une société
inclusive".
"L’intégration
exige qu’on quitte une certaine place, l’inclusion, elle, fait de
la place. Inclure est le geste de sollicitude par lequel on crée
pour celui qui
arrive
la place qui lui manque. Geste qui n’est pas séparable du
mouvement originaire d’accueil par lequel on refuse de considérer
l’étranger comme un intrus ou un envahisseur".
"Car
la civilité, en supposant qu’on puisse se rapporter à l’autre
sans le réduire à son identité, implique aussi de penser l’espace
de la vie commune comme un espace inclusif.
Une politique de l’accueil se situe sous le régime de l’inclusion,
au lieu d’imposer la norme de l’intégration".
"Un
monde où l’on est poli avec certains pour être d’autant plus
insultant, grossier ou violent avec d’autres est bien entendu un
monde où la politesse n’est plus qu’un mot vide et où la
civilisation régresse : là où la police n’est polie qu’avec
les puissants, les puissants qu’avec leurs pairs, les adultes
qu’avec les adultes, les citoyens qu’avec leurs compatriotes"...
"La
crise des migrants est l’illustration flagrante de cet échec de
l’Europe à instituer de nouvelles formes, démocratiques,
post-nationales et post-étatiques, de vie commune".
[L’Europe]
"aurait
pu être le lieu d’un désapprentissage de la nation, comme du lien
de la citoyenneté avec la naissance ou la filiation, un laboratoire
d’expérimentation du droit d’asile, plus encore du droit de
l’autre homme, capable de faire du réfugié une norme inédite du
citoyen, en accordant la citoyenneté à tous ceux qui sont privés
du sol d’une nation, et pour le seul motif de cette privation
même".
"Car
tous les exils ne se valent pas : ceux qui veulent trouver
quelque part où aller ne sont pas ceux qui veulent pouvoir aller
n’importe où".
"La
fraternité n’est pas de l’ordre de la compassion, mais elle
procède plutôt du choc (appelons-le indignation, si l’on veut)
qu’il y a à voir le droit dont on jouit refusé à l’autre".
[C’est
l’argument que je proposais aux opposants au mariage pour tous]
"accueillir,
c’est dispenser l’appartenance, c’est d’emblée permettre à
quelqu’un de prendre pleinement part à la communauté, c’est
rendre commun, là où l’admission maintient de l’intérieur une
frontière entre autochtones et résidents étrangers".
"il
faudra qu’on puisse aussi penser des droits qui ne sont pas clos
sur eux-mêmes, des droits qu’on ne saurait posséder comme
titulaires de plein droit, que l’humanité de l’autre homme
puisse primer sur mon droit subjectif et se dissocier de l’égoïsme
juridique qui fonde le libéralisme. Droits, non pas de l’individu,
ou même de l’homme, mais droits de l’autre".
"Les
autres hommes ont un visage, mais autrui est visage, et la relation à
autrui s’ouvre en faisant accueil au visage".
"Aujourd’hui
la question de l’effectivité des droits de l’homme n’est plus
séparable d’une lutte politique pour le droit de cité de tous
ceux que l’émigration, l’exil, l’apatridie, peuvent priver
soudainement de la jouissance de tout droit, ou tout le moins de
droits égaux à ceux dont jouissent ceux qui ont le privilège
d’être déjà là".
Je
vous le dis, un livre formidable !