Eh
bien ! on sera seul. Et vous pouvez le faire sonner et résonner,
ce petit mot. Écoutez
sa cruelle musique. Seul. Seul. Seul. Seul. Tout seul. Ça
ne sonne pas faux. Ça
sonne dur. Ça
sonne plein. Seul : on ne pense pas pour toi, tu penses pour
toi ; aucun secours à attendre ; tu as opté pour le moins
commode. La pensée n'est pas un fauteuil. Tu marcheras seul dans ta
force. Dans ta faiblesse aussi. Tu t'assiéras seul sur les tas de
cailloux. Tu panseras seul les plaies de tes pieds – tu PENSERAS
seul les plaies de ta vie. SEUL.
(Georges
Hyvernaud, Feuilles
volantes)
Décidément,
nous naviguons en pleine barbarie, en ce moment ! Les
assassinats l'autre jour, les terroristes ce week-end, sans parler de
la barbarie des états (manifestations réprimées avec sauvagerie,
camps de roms vidés sans ménagement, sans-papiers mis en rétention,
policiers véreux, fermetures boursières d'usines, n'insistons pas davantage), ne laissent pas de m'inquiéter (j'aime bien cette tournure de la langue classique)...
Je
viens en effet de voir un film,
Después de Lucía,
(traduit par Après
Lucia).
Cette fois, il s'agit tout simplement des brimades, viols et humiliations
infligées à une jeune fille par ses camarades lycéens, à l'insu
du corps enseignant, aussi bien que de son père. Lucía,
la mère d'Alejandra,
vient de mourir dans un accident d'automobile. Le père, Roberto,
désarçonné, décide de quitter leur petite ville provinciale pour
Mexico, où il trouve vite du travail. Là, la jeune fille est placée
dans un lycée fréquenté par les classes aisées. Elle ne tarde pas
à être invitée à un week-end dans la villa luxueuse de l'un des
lycéens, en l'absence des parents, bien entendu. L'alcool et la
drogue circulent, et Alejandra est quasiment violée (en fait, elle
est d'une passivité inquiétante depuis la mort de sa mère) par le
plus coté des garçons du lycée qui filme la scène avec son
téléphone portable sophistiqué. Et dès le lendemain, la scène
circule sur tous les portables du lycée (paraît que ça s'appelle
du sexting en anglais et sexto en français, mot-valise composé de
sexe et de texting ou texto) et même sur internet ! Elle est
dès ce moment considérée comme une pute par les garçons machistes
qui cherchent à tout prix à la coincer, mais aussi par les filles,
jalouses de sa beauté et de son intelligence, qui lui coupent les
cheveux. Elle vit dès lors un véritable martyre, dont le point
culminant sera le voyage scolaire à Vera Cruz. Je n'en dis pas plus.
L'affreuse
solitude du père et de la fille, empêtrés dans le deuil, qui s'aiment beaucoup, mais ne se
parlent guère (elle ne lui dit rien de ses souffrances),
l'incroyable manque de présence des enseignants et du personnel
éducatif (il s'en passe des choses dans ce lycée pourtant, et ça
fait froid dans le dos), la veulerie, le cynisme et la barbarie
foncière de ces jeunes richissimes obsédés par le sexe, la drogue,
l'alcool et les réseaux sociaux, tout cela entraîne la tragédie.
Alejandra, murée dans la solitude, le mutisme et dans la soumission
parce qu'elle ne veut pas inquiéter son père, est une proie rêvée
pour tous ces petits cons, garçons et filles privilégiés, qui
rappellent les deux monstres glacés du film terrifiant de Haneke,
Funny
games :
des nazis en puissance. Je pensais que l'un d'entre eux, surnommé le
Gros, dont tout le monde se moque, comprendrait l'horreur subie
par Alejandra : que nenni, il n'est pas le dernier à profiter
de la situation. C'est un film parfaitement maîtrisé, superbement
interprété par Tessa Ia (on a remarqué que, les cheveux coupés,
et vu son calvaire, elle rappelle la Jeanne
d'Arc
de Dreyer), que tous les enseignants et personnels d'accompagnement
en lycée et collège devraient voir. Presque un film d'utilité
publique !
Par
ailleurs, le film démontre une fois de plus la nocivité des
appareils de téléphonie portables, sans doute utiles comme outils
de communication (mais ont-ils leur place au lycée ?), mais hyper
dangereux quand ils sont détournés pour des usages sadiques par des
tortionnaires, comme il doit, hélas, s'en cacher pas mal au milieu
de gens qu'on croit normaux. "Je
regarde autour de moi et je vois surtout le goût de la compétition,
du pouvoir et de l'avoir. Le goût de l'esclavage. Le sadisme et le
masochisme. Le terrorisme et la trouille. L'arrivisme et le
conservatisme mesquin. En somme, bien peu de véritable
désintéressement et d'authentique générosité",
disait déjà Georges
Picard, dans Tout
m'énerve.
Est-ce que notre société avec son libéralisme effréné, ses
exemples déplorables venant de très haut, sa télé-réalité
voyeuriste et imbécile, sa technologie de pointe dont seuls les
aspects les plus futiles et les plus dégradants sont immédiatement
assimilés par de jeunes écervelés, ne développe pas ce genre de
comportements ? Ça
fait un peu peur, je l'avoue !
Alexandre
Jollien, dans La
construction de soi,
nous rappelle que "dès
l'aurore, Marc-Aurèle gardait à l'esprit, pour rester en paix,
qu'il pouvait croiser à tout moment un indiscret, un ingrat, un
fourbe, un violent, un égoïste !"
L'empereur philosophe n'avait pas tout à fait tort !
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