mardi 24 mai 2011

24 mai 2011 : page blanche


parmi tout ce qu'il fallait sauver, reproduire
il y avait l'utopie.
(Kiki Dimoula, Je te salue Jamais)

Ma petite page poétique du mois, comme j'avais promis le mois dernier. Pour ceux qui ont feuilleté ou lu mon recueil "Un rêve d'infini", paru en octobre dernier, vous pourrez constater en lisant Page blanche que j'ai fait quelques progrès, j'espère !
J'ai découvert récemment, grâce à France culture, la poétesse grecque Kiki Dimoula. Demain soir, je vais assister à une rencontre avec des poètes argentins. Enfin je vais avoir quelques poèmes publiés le mois prochain dans la revue Friches, bien connue des amateurs de poésie. Georges Bonnet, 92 ans le 6 juin, m'a fait lire son dernier manuscrit, superbe autopsie de la maladie d'Alzheimer vue par l'accompagnant : sa femme est décédée en avril dernier après dix années de cette maladie. Et mercredi 1er juin, j'accompagne Odile Caradec à Paris, où nous verrons la pièce de théâtre écrite et jouée par sa fille Mireille le soir même, et où je participerai à des lectures en plein air dans les jardins publics de la commune des Lilas, aux portes de Paris, pour la journée des jardins le samedi 4 juin.

Page blanche

Nous allons
d'abord
marcher là où sont les étoiles
chercher des mots inconnus dans
des dictionnaires qui n'existent pas
marcher au milieu du langage
faire attention à ne pas écraser les mots au passage
ni leur faire de l'ombre
mais
au contraire
les éclairer
devenir pour eux l'espérance d'être un jour
proférés par le poète
et avec lui
de s'endormir au creux des nuits
d'embrasser l'aube
de s'essorer aux rayons du soleil
de vivre enfin au grand jour
sur une
page blanche

lundi 23 mai 2011

23 mai 2011 : Des vers et des hommes


Si tous les livres lus sont autant d'échappées belles sur les routes du monde, écrire, c'est s'inventer des chemins vierges.

(Jean-Pierre Otte, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes)



Et il faut s'en inventer des chemins vierges dans la vie... Ainsi, chaque fois que je quitte un être cher, un(e) ami(e), ou qu'il (elle) me quitte, je me remémore sans fin le vers célèbre dans L'isolement de Lamartine : "Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé". Ah ! On peut bien se moquer des alexandrins, n'empêche que ce sont ces vers-là qui vous restent et qui vous aident à défricher les nouveaux chemins. Combien de vers contemporains nous parviennent en mémoire ? Si je ne notais pas sur mes carnets tel ou tel vers d'aujourd'hui qui me parle, je l'oublierai totalement. Les vers classiques, une fois entrés dans la mémoire – et c'est pourquoi ça me paraît si important de permettre aux enfants de continuer à apprendre par cœur des poésies – c'est pour toute la vie !

Citons ceux qui sont mes favoris.

Quand je suis tristounet, j'entonne le célèbre "Je suis le suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé" de Nerval (El Desdichado). Instantanément, je me sens mieux, je sors des ténèbres, du veuvage, j'entre en consolation.

Quand je suis en état d'apesanteur (si si, ça m'arrive), je me remémore Racine et chuchote : "Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur" (dans Phèdre) ! Si vous saviez comme on se sent léger, alors !

Quand, dans mes nuits insomniaques, je me lève et regarde par la fenêtre, que j'observe le ciel étoilé, comment ne pas me demander comme Ruth dans Booz endormi de Victor Hugo : "Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été, / Avait, en s'en allant, négligemment jeté / Cette faucille d'or dans le champ des étoiles" ?

Quand je suis sur mon vélo, que j'ai l'esprit plein de poèmes, je deviens Rimbaud : "J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal" (Ma Bohême). Et je suis de nouveau un bohémien, un nomade, ce qu'on n'aurait jamais dû cesser d'être.

Quand je me sens tout fringant – eh oui, ça m'arrive encore –, je suis le Cid de Corneille prêt à se battre contre le Comte : "À quatre pas d'ici je te le fais savoir", et, quand je le suis moins – ça m'arrive aussi !, je m'écrie comme Don Diègue : "Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !"

Quand je regarde les hommes politiques à la télé (la sinistre affaire DSK étant le pompon), me voici plus misanthrope encore que l'Alceste de Molière, dont les mots "et je hais tous les hommes / Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants, / Les autres, pour être aux méchants complaisants" deviennent mon bréviaire. C'est aussi pourquoi je regarde si peu la télé !

Quand je repense à notre séjour de 1981-1984 en Guadeloupe ou à mon voyage de l'an dernier, c'est Baudelaire (Parfum exotique) qui me hante et me fait revoir "Une île paresseuse où la nature donne / Des arbres singuliers et des fruits savoureux", ces fruits qui m'ont tellement plu.

Et comment ne pas retrouver Claire quand je plonge dans Verlaine (Mon rêve familier) : "Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime / Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même /Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend".

Voilà, il y a comme ça des centaines de vers que j'ai retenus de mes années d'école, de mes années lycée, de mes années d'adulte, car je n'ai jamais cessé de lire les poètes, des vers qui, pour chaque instant de ma vie, m'apportent de la joie, du réconfort, et le désir d'écrire aussi. N'abandonnons pas nos auteurs anciens aux seuls spécialistes de la littérature, ce sont des nourrisseurs, avec qui on grandit, on devient plus beau, plus serein. Affichez des poèmes sur vos murs !

lundi 9 mai 2011

9 mai 2011 : Un livre de vie

Puisque plus personne ne vous contemple, plus personne ne vous considère comme une étoile au ciel, vous n'êtes plus qu'un boulet qui traîne la patte, […] une traînée sans traîne, une mariée noire, une ombre.
(Gilles Sebhan, Domodossola : le suicide de Jean Genet)

Mai 1944 : Robert Antelme, résistant, est arrêté par les Allemands. Mai 1945 : il rentre des camps de concentration. Il pèse à peine plus de 30 kg. Longtemps après, Marguerite Duras, qui était son épouse, racontera ce retour dans La douleur, un de ses plus beaux livres, et on a publié aussi ses Cahiers de la guerre, dans lesquels elle notait les détails atroces de ce retour à la vie. 

 
Mais Robert Antelme a besoin de témoigner, et vite. Il publie en 1947 L'espèce humaine. Il note d'entrée dans un avant-propos : "durant les premiers jours de notre retour, […] nous voulions parler, être entendus enfin. […] À peine commencions-nous à raconter que nous suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable."
Robert Antelme était dans un camp de concentration, Buchenwald, puis fut transféré à Gandersheim, qui était la base d'un camp de travail. L'objectif des nazis était ici d'exterminer lentement par le travail (trop dur souvent pour des détenus de plus en plus diminués), la faim (des rations toujours très insuffisantes), le froid (les interminables comptages de l'appel des détenus dans la neige, la pluie, le vent, les baraques mal ou non chauffées, les vêtements et chaussures – devenus rapidement des guenilles – trop légers), la saleté (impossible de se laver, les vêtements restaient les mêmes, les poux grouillaient) et aussi les coups et les brimades, et en fin de compte les SS tentaient de contester aux détenus le droit d'appartenir à l'espèce humaine, souhaitaient mettre en question leur qualité d'homme. L'objectif des détenus fut de tenir le coup, de survivre, de ne pas s'abandonner à la dérive vers la mort. "Je rapporte ici ce que j'ai vécu. L'horreur n'y est pas gigantesque. Il n'y avait à Gandersheim ni chambre à gaz ni crématoire. […] Le ressort de notre lutte n'aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu'au bout, des hommes."
"Et si nous pensons alors cette chose qui, d'ici, est certainement la chose la plus considérable que l'on puisse penser : Les SS ne sont que des hommes comme nous ; si entre les SS et nous […] nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu'il n'y a qu'une espèce humaine. Que tout ce qui masque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d'exploités, d'asservis, et impliquerait par là-même, l'existence de variétés d'espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être qu'une de celles de l'homme : la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose." Voilà une des conclusions auxquelles aboutit l'auteur, qui en profite au passage pour dénoncer "la division en races ou en classes [qui,] étant le canon de l'espèce, [entretient] l'axiome toujours prêt, la ligne ultime de défense : Ce ne sont pas des gens comme nous." Axiome qui, hélas, a toujours cours aujourd'hui et, en ce sens, on peut dire que Hitler a gagné sa guerre !
Cependant, Robert Antelme n'omet pas de signaler que les camps ne sont que le grossissement extrême du monde en général : "la variété des rapports entre les hommes, leur couleur, leurs coutumes, leur formation en classes masquent une vérité qui apparaît ici éclatante, au bord de la nature, aux approches de nos limites : il n'y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C'est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous. C'est parce qu'ils auront tenté de mettre en cause l'unité de cette espèce qu'ils seront finalement écrasés. Mais leur comportement et notre situation ne sont que le grossissement, la caricature extrême – où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître – de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même cet ancien « monde véritable» auquel nous rêvons."
De nombreux passages de ce livre, qui est à la fois un témoignage et une œuvre littéraire d'une remarquable puissance, m'ont marqué. D'abord parce qu'effectivement, pour reprendre le terme de Robert Antelme, c'est inimaginable ("Ils ont voulu faire de nous des bêtes en nous faisant vivre dans des conditions que personne, je dis bien personne, ne pourra jamais imaginer. Mais ils ne réussiront pas. Parce que nous savons d'où nous venons, nous savons pourquoi nous sommes ici. […] Ils ont pu nous déposséder de tout, mais pas de ce que nous sommes") : d'une certaine façon, on ne peut pas y croire et, de la part d'un romancier, ça paraîtrait forcé ou en partie inventé. Mais les détails concrets sont là, qu'il s'agisse des repas (et de la lutte pour racler la gamelle sans rien y laisser), des moments de solidarité (la fête de Noël, par exemple, avec la diction de poèmes et de chansons : "Il mettait toute son application à bien détacher les mots et à garder le même rythme dans sa diction. Jusqu'au bout il se tint raide, angoissé comme s'il avait eu à dire l'une des choses les plus rares, les plus secrètes qu'il lui fût jamais arrivé d'exprimer ; comme s'il avait eu peur que, brutalement, le poème ne se brise dans sa bouche"), du travail forcé ("Pourtant, la bête de somme qu'ils en avaient faite, ils n'avaient pas pu l'empêcher de penser en piochant dans la colline"), et pourtant absurde (aucune carlingue fabriquée par les détenus ne s'est avérée utilisable pour la machine de guerre allemande), de la marche jusqu'à Dachau pour fuir devant les Américains, ou de la description rigoureuse de la manière dont le camp était administré, avec les petits chefs désignés par les Allemands et qui devenaient rapidement une sorte d'aristocratie (mangeant mieux, mieux habillée, dormant dans des locaux chauffés, ne travaillant pas, mais se contentant de surveiller et de brimer) : "Le toubib espagnol est devenu rapidement un type assez parfait de l'aristocratie du kommando. Le critère de cette aristocratie – comme de toute d'ailleurs –, c'est le mépris. Et nous l'avons vu sous nos yeux se constituer, avec la chaleur, le confort, la nourriture. Mépriser – puis haïr quand ils revendiquent – ceux qui sont maigres et traînent un corps au sang pourri, ceux que l'on a contraints à offrir de l'homme une image telle qu'elle soit une source inépuisable de dégoût et de haine."
En fin de compte, Robert Antelme voit dans son expérience un concentré de l'oppression et de l'exploitation de l'homme par l'homme : "Mais l'expérience de celui mange les épluchures est une des situations ultimes de résistance. Elle n'est autre aussi que l'extrême expérience de la situation de prolétaire. Tout y est : d'abord le mépris de la part de celui qui le contraint à cet état et fait tout pour l'entretenir, en sorte que cet état rende compte apparemment de toute la personne de l'opprimé et du même coup le justifie, lui." Mais, en dépit de tout ce "mépris – la plaie du monde –, tel qu'il règne encore partout plus ou moins camouflé dans les rapports humains. Tel qu'il règne encore dans le monde dont on nous a retirés. Mais ici c'était plus net. Nous donnions à l'humanité méprisante le moyen de se dévoiler complètement", il constate que "leur injure ne peut pas nous atteindre, pas plus qu'ils ne peuvent saisir le cauchemar que nous sommes dans leur tête : sans cesse nié, on est encore là." Eh oui, ils sont encore là, et ils sont restés des hommes, malgré tout, sachant que "l'on ne pouvait puiser de vraie force hors de la fraternité avec les autres d'ici."
J'ai été saisi aussi, sans en être surpris, par le pouvoir de la poésie, qui permet également de résister et de survivre : "Francis aussi devait y participer. Il devait dire des poésies. Il était assis sur la paillasse qui se trouvait très près du tréteau et, la tête dans les mains, il se récitait la poésie qu'il allait dire. Quelque temps auparavant, Gaston avait demandé à des copains d'essayer de se souvenir des poésies qu'ils connaissaient et d'essayer de les transcrire. Chacun d'eux, le soir, allongé sur sa paillasse, essayait de se souvenir, et quand il n'y parvenait pas, allait consulter un copain. Ainsi des poèmes entiers avaient pu être reconstitués par l'addition des souvenirs qui était aussi une addition de forces." Oui, la poésie devient un luxe qui permet à la fois de se saouler de beauté et pour un temps d'oublier la faim, le froid, les poux, la haine omniprésente, l'indifférence des villageois allemands libres, que les détenus aperçoivent quand ils partent pour l'usine ou qui passent parfois près du camp : "Sur la route qui longe le camp, des hommes passent, coiffés de passe-montagnes. Parfois, ils tournent la tête, ils voient derrière les barbelés, sur la neige, par petits essaims, ces formes qui se traînent. Eux marchent vite sur la route, ils ont la jambe nerveuse, l'œil vif. Ici, derrière le barbelé, chaque pas compte. Sortir la main de sa poche est une dépense."
Robert Antelme rend compte d'un réel à la fois existant et tellement monstrueux qu'il paraît peu plausible, mais il l'a vécu, et il a besoin de le communiquer, et rapidement, avant d'avoir oublié. Il use d'un style extrêmement simple, dépouillé, accessible à tous. Sa mémoire lui sert à montrer comment l'homme, réduit au dénuement extrême par la faim, le froid, les poux, le travail forcé, la maladie, entretient un rapport exigeant avec la vie, qui n'est ici qu'une survie, car "il ne faut pas mourir, c’est ici l’objectif véritable de la bataille. Parce que chaque mort est une victoire du SS."
L'espèce humaine est un livre exceptionnel, un de ces livres qui vous marquent pour la vie, et qui rendent bien dérisoires beaucoup des autres livres : c'est un livre de vie.

jeudi 5 mai 2011

5 mai 2011 : oui, si on s'aimait un peu, pour voir...



Baptiste : « Ah, si tous les gens qui vivent ensemble s'aimaient, la terre brillerait comme le soleil. »

(Jacques Prévert, Les enfants du paradis)





Le temps file, je suis tellement occupé que j'ai quelque peu négligé ce journal. Quelques nouvelles en vrac, classées par rubriques.

Du côté des voyages :
ça y est, j'ai envoyé mon passeport et tout ce qui s'ensuit pour tenter d'obtenir le visa russe, faute de quoi je rentrerai directement à Paris de Varsovie ! J'ai confirmé mon inscription pour la Mostra de Venise, où je devrais revoir Stefano, l'artiste italien entraperçu dans l'auberge marocaine. Et j'ai envoyé les arrhes pour le Tour du monde en cargo, départ prévu le 4 janvier de Tanger, ce qui veut dire qu'il faudra que je parte deux jours avant, pour découvrir la ville de Paul Bowles. Irai-je en avion ou en train + ferry, telle est la question ?

Du côté du cinéma : 
je viens de voir un film solaire, le deuxième en quinze jours (le premier était Tomboy, remarquable étude de l'ambivalence chez une petite fille qui se voudrait garçon). Il s'agit de Voir la mer, de Patrice Leconte. J'avoue ne pas être trop fanatique de ce cinéaste (j'ai toujours trouvé Les bronzés ou Le Père Noël est une ordure sinistres, ça fait rire, mais dès qu'on réfléchit, y a pas vraiment de quoi rire). Là, c'est un film joyeux, c'est-à-dire un film qui ne fait pas rire, quoique, mais un film qui vous met en joie, pour nous dire, comme Garance dans Les enfants du paradis : "C'est tellement simple, l'amour !" Je suis un cinéphile des années 60, où le trio amoureux avait des allures tragiques (Jules et Jim, deux hommes et une femme, de Truffaut, ou Le bonheur, un homme et deux femmes, d'Agnès Varda, se terminaient mal). Ici, on pourrait écrire, en additionnant les prénoms des personnages du film : Clément + Nicolas = Prudence. En gros, une fille, surgie de nulle part, s'incruste dans la vie de deux frères, elle refuse de choisir entre les deux, les aime également, et comme ils sont tous deux amoureux d'elle, tout se passe dans la joyeuseté, sans la moindre jalousie. Prudence, l'héroïne, a retenu la leçon que nous livre Susan Sontag dans journal, Renaître, à la date du 25/2/1958 : "ne pas abandonner son cœur là où il n'est pas désiré." Là, comme il est désiré des deux côtés, et que les deux frères s'aiment, le trio nous donne une leçon de vie. Utopie ? Peut-être... Mais le monde n'a-t-il pas besoin d'utopie ? De savoir qu'un individu lambda n'appartient pas à un autre individu, mais peut se livrer dans le don le plus absolu. Le tout dans un périple où l'on traverse la France de Montbard à Saint-Jean de Luz, sous un soleil éclatant. Les scènes d'amour, tellement casse-gueule au cinéma, sont ici bellement pudiques, et solaires également. Vraiment, un enchantement. Maintenant, si vous allez voir ce film sur la foi du titre, sachez que vous ne verrez pas beaucoup la mer.

Du côté de la littérature :
c'est fou, les beaux livres que j'ai lus ces temps-ci.
Rêve d'automne, pièce de théâtre de Jon Fosse ("les noms jolis sont toujours tristes", a dit une petite fille à l'héroïne), que j'ai ensuite vue dans la foulée, mise en scène par Patrice Chéreau, avec Valeria Bruni-Tedeschi, Marie Bunel, Pascal Greggory, Bernard Verley et Bulle Ogier. Jamais vu de si près (j'étais au deuxième rang) une telle brochette d'acteurs très connus : très sombre, comme tout le théâtre norvégien, mais superbe.
David Copperfield, de Charles Dickens, enfin lu dans son intégralité (1100 pages), après la version très abrégée de mon enfance (et je l'ai prêté à Odile Caradec, qui l'a lu aussi) : des personnages inoubliables, on ne s'ennuie pas une seconde !
L'espèce humaine, de Robert Antelme, prêté par Odile, justement, et que je vais présenter à notre prochain club de lecture, ce qui nous changera des romans anodins (compte rendu détaillé prochainement) : "Ils ont voulu faire de nous des bêtes en nous faisant vivre dans des conditions que personne, je dis bien personne, ne pourra jamais imaginer. Mais ils ne réussiront pas. Parce que nous savons d'où nous venons, nous savons pourquoi nous sommes ici. […] Ils ont pu nous déposséder de tout, mais pas de ce que nous sommes."
Renaître, le journal de Susan Sontag : "je ne veux pas tomber amoureuse de gens qui me limitent..." Excellente philosophie, que pratiquent trop peu de gens !

Speed, recueil de nouvelles de Klaus Mann (le fils de Thomas et le neveu de Heinrich, belle famille d'écrivains), où l'on trouve de belles notations : "Parfois, elle s'arrêtait, levait la tête, levait les mains, s'étirait de contentement parce qu'elle l'aimait. Elle pensait son nom avec une telle ferveur qu'il remplissait physiquement l'espace et le coloriait."
La traversée de l'été, le premier roman, publié seulement après sa mort, de Truman Capote (prêté par l'ami Fred) : "Il y a une sorte de magie à observer l'être aimé sans qu'il en ait conscience, comme si sans le toucher on lui prenait la main et que l'on lise dans son cœur."
Le joli et émouvant Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Mary Ann Shaffer & Annie Barrows (prêté par l'ami Igor) : "les gens qui me présentaient leurs condoléances ajoutaient souvent : « la vie continue », pour me réconforter. Quelle bêtise, me disais-je. Bien sûr que non, elle ne continue pas. C'est la mort qui continue. Ian est mort et il sera encore mort demain, l'année prochaine, à jamais. La mort est sans fin."
Amour de Hanne Ørstavik, roman norvégien, très sombre donc, mais rempli de belles formules : " Sinon, j'aime beaucoup lire, c'est ma façon de voyager, dit Vibeke."

Et puis, nous avons fait venir à la prison Henri Loevenbruck, écrivain et musicien français, dont j'avais apprécié les polars Le Testament des siècles et Le syndrome Copernic. Belle rencontre avec les détenus. Dans ce dernier roman, j'ai relevé : "Au contraire, la disparition des autres me rappelle la fatalité de ce qui m'attend, sans me permettre de penser – et encore moins d'accepter – ma propre mort. Comment se préparer à ce qu'on ne peut pas vivre ?"

Du côté des gros cons :
une amie lesbienne vient de me raconter quelle s'est fait agresser avec quatre de ses amies par quatre individus à la sortie d'une boîte gaie. Là, on n'est pas dans l'utopie, mais dans le réalisme des gros cons : quand on ne casse pas du pédé, on casse des lesbiennes, ces femmes qui osent ne pas se mettre à leur merci. Ils les ont tabassées, à défaut de les violer. Quel courage !