mercredi 31 mars 2021

31 mars 2021 : Journée de la Terre

 

On s’habitue à tout. Moins on réfléchit à son oppression, plus on l’accepte. Au bout d’un moment, on arrive même à penser que l’oppression est dans l’ordre normal des choses.

(Assata Shakur, Assata, une autobiographie, Éd. PMN, 2017)


Hier 30 mars, c’était la Journée de la Terre, initiée par les Palestiniens. Elle est valable pour tous les pays où des peuples sont opprimés, déplacés, emprisonnés ou assassinés, contraints à l’exil, où leurs terres, leur eau, leurs ressources naturelles, sont volées, pillées ou colonisées par d’autres peuples sans scrupules, voleurs, dominateurs, pilleurs, tueurs. À bas le colonialisme sous toutes ses formes ! Voici l’appel de Palestine 33 et d’autres groupes dont BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), un appel à méditer et à agir.




30 mars, Journée de la Terre en Palestine


La réponse à la politique coloniale et d’apartheid d’Israël :

le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions

 

En 1976, le 30 mars, la police israélienne tire sur des Palestiniens qui manifestent pacifiquement contre la confiscation de leur terre par l’administration israélienne. Six d’entre eux sont tués et des dizaines d’autres blessés. Cette date est pour les Palestiniens, où qu’ils se trouvent dans le monde, la Journée de la Terre. Elle est le symbole de leur attachement à leur terre natale et de leur volonté de voir reconnus les droits qu’ils ont sur celle-ci (à commencer par le droit au retour affirmé par la résolution 194 de l’ONU), la fin de l’occupation et de la colonisation, mais aussi l’égalité des droits.

En 2021, l’État d’Israël poursuit, de fait, l’annexion de la Cisjordanie : extension des colonies, des routes de contournement qui permettent aux colons israéliens de circuler librement, accaparement des terres et de l’eau, destruction de maisons palestiniennes et de villages bédouins.

C’est une politique coloniale et d’apartheid qui est menée dans la région ; 2.6 millions de Palestiniens sont privés des droits les plus fondamentaux, dans des dizaines d’enclaves séparées, sous régime militaire répressif.

Les habitants de Gaza (Palestine) subissent un blocus économique inhumain, ainsi que les attaques répétées de l’armée israélienne depuis 2007.

Plus de 6000 prisonniers politiques, dont plus de 300 enfants, subissent l’isolement cellulaire, les interrogatoires et la violence.

Pourtant la Palestine appartient depuis 2011 à l’ensemble des Nations Unies (ONU).

 

En l’absence de pressions et de sanctions qui obligeraient l’État d’Israël à se conformer au droit international, en cessant l’occupation de la Palestine, et à l’image de la vaste campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre l’Afrique du Sud dans les années 1980, qui avait mis un terme à la politique d’apartheid : nous appelons les citoyens à participer activement à la campagne BDS, afin de mettre un terme à la politique discriminatoire d’Israël envers la population palestinienne et d’instaurer une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens.

 

Boycott des marques : Sodastream, Carmel et Jaffa (fruits et légumes), Hollyland ( miel, herbes), Green Valley (vin), Jordan Valley (dattes), Epilady, Ahava (cosmétiques de la Mer Morte), Teva (médicaments génériques).

 

En ce qui concerne les produits agricoles, dattes…qui peuvent provenir des colonies et notamment de la vallée du Jourdain que l’État d’Israël menace d’annexer : envoyez un signal (photo, lieu, date du repérage) au service de répression des fraudes, DGCRF (site internet : https//signal.conso.gouv.fr)   

 

« Notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens », Nelson Mandela


Palestine33 : contact@palestine33.org 



vendredi 19 mars 2021

19 mars 2021 : sur la fin de vie

Le peu de jours qui lui restait à vivre devait servir à l’essentiel.

(Andreï Makine, L’ami arménien, Grasset, 2021)





L’essentiel, on en parle souvent en ce moment. Et bien souvent à tort ! Car enfin, mettre la culture (et notamment tous les spectacles et leurs métiers) dans l’inessentiel, c’est faire preuve d’un bel aveuglement. C’est faire le lit de toute la technologie moderne, qui nous rend esclaves de machines, nous décérèbre, nous consumérise, et en fin de compte nous fait perdre de vue la solidarité, la fraternité, nous fragilise, alors que plus que jamais, nous avons besoin de toutes nos forces pour lutter contre toutes les inégalités, toutes les injustices, toutes les oppressions, tous les diktats de la finance, ce Veau d’or qui mène le monde.

Comme Nathalie Baye, Line Renaud et bien d’autres, je fais partie de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) : nous y avions adhéré, Claire et moi, dès 2002 je pense. Au moment où enfin va s’ouvrir à l’Assemblée Nationale un débat sur une proposition de loi sur la fin de vie, j’envoie à ma députée une lettre (ma deuxième en fait) pour lui demander d’être présente, et si possible, de voter pour le droit au suicide assisté. Je ne l’impose à personne, mais j’aimerais y avoir droit. De la même manière que les femmes devaient aller à l’étranger pour avorter sans danger avant la loi Weil, en l’absence de ce droit en France, je serais contraint d’aller en Suisse quand j’estimerais le moment venu.

Voici ma lettre :

 

Bordeaux, le 19 mars 2021

Madame Dominique David

Députée de Bordeaux

Madame la Députée,

Je souhaite vous faire part de mon expérience, pas si ancienne, concernant la fin de vie d’une personne qui me fut très chère. Ma femme, Claire, est morte le 24 juin 2009, après cinq années de douleur dues à une tumeur au cerveau. Je précise que la tumeur n’était pas cancéreuse, mais très mal placée. Elle a subi divers traitements : opération de trépanation (inutile), rayons (dégâts supplémentaires), etc., qui n’ont fait qu’aggraver son état. Pourtant, elle avait demandé : pas d’acharnement thérapeutique 

Quand elle devint grabataire, elle a demandé à ne pas mourir à l’hôpital, et le service concerné a organisé, pour ses trois derniers mois, l’hospitalisation à domicile. Au moins, les infirmières et infirmiers qui venaient matin et soir nous tenaient au courant de sa situation et nous ont expliqué ce qui allait arriver : perte de la déglutition, de la parole, etc. Tout en nous recommandant de continuer à lui parler, à la toucher, même quand elle serait dans le coma.

Bien sûr, elle aurait voulu mettre fin à sa vie, et m’a demandé de l’aider à en finir, à peu près un an avant sa mort. C’était son choix, dès le départ. Ça n’a pas été possible, car c’était hors-la-loi. Il aurait fallu partir en Suisse. Elle a eu quand même une mort sereine, entourée de nos enfants et de moi-même. Nous lui avons parlé jusqu’au bout. Mais son décès aurait été plus beau si elle avait pu garder sa dignité en choisissant le moment de sa mort, en pleine conscience, comme elle le désirait. Elle m’a cependant appris à ne pas avoir peur de la mort et j’aimerais, quant à moi, pouvoir envisager ma fin de vie dignement, quitte à aller en Suisse. Mais je préférerais, bien sûr, que la loi française me permette de faire mon choix de fin de vie ici.

Et je vous prie donc de bien vouloir voter la proposition de loi de votre collègue, Olivier Falorni, député de Charente-Maritime, donnant le droit à une fin de vie libre et choisie.

Je vous prie d’agréer, madame la Députée, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Jean-Pierre Brèthes



 

samedi 13 mars 2021

13 mars 2021 : confinement 4, un roman québécois

 

La majorité de nos contemporains sont devenus analphabètes en matière de religion.

(Jean-Paul Willaime, Réforme, n° 2887, 25 février 2021)


Ce qui est vrai de la religion va devenir encore plus vrai pour ce qui est dé la culture. Avec la fermeture de tous les établissements culturels (cinémas, théâtres, opéras, cirques, salles de spectacles de toutes sortes – cafés-théâtres, musique, humour, danse – et même salles de culture physique), on voit bien le drame pour toutes les générations d’être privés de la culture vivante, et contraints de se reporter sur l’usage quasi exclusif des écrans personnels (smartphones, tablettes, ordinateurs et autres téléviseurs) devenus addictifs et qui font des analphabètes de la culture. En particulier pour les jeunes : si les bibliothèques sont ouvertes, on n’y voit guère cette catégorie de la population.

En revanche, les commerces et les marchands se frottent les mains, le consumérisme bat son plein, les plates-formes de vente en ligne achèvent d’abattre ce qui reste encore de culture.


   ciné 32 (Auch)

Je n’ai toujours pas de smartphone, et plus j’en vois les usagers (je pense qu’ils dorment avec, tant ils ont l’air de ne pas pouvoir s’en passer), moins j’ai envie de devenir comme eux, indiscrets et incivils (ils l’ont sur la table quand ils mangent, ils mettent le haut-parleur pour que nul n’ignore la qualité et l’intérêt exceptionnels de leur conversation et de leur langage), dérangés à tout moment par leurs nombreux amis sur face de bouc et autres réseaux sociaux… J’ai de plus en plus horreur de cet engin !

Heureusement, il nous reste les livres, personnels ou empruntés et, en ce qui me concerne, la pratique du vélo. En ces temps de confinement, de couvre-feu (que ne vont-ils pas inventer encore pour nous empêcher de sortir, de nous réunir, de nous rencontrer, d’apprendre ensemble à douter, à chercher et à s’instruire, à manifester aussi), d’enfermement, le vélo, comme la lecture, nous réapprennent à sortir de chez soi et à sortir de soi, pour mieux être.

Ainsi, dans son roman Encabanée, la Québecoise Gabrielle Filteau-Chiba relate du 2 au 10 janvier, quelques jours d'un hiver froid de la vie en solo de la narratrice, Anouk, qui a quitté Montréal pour s'installer en pleine forêt dans la région de Kamouraska, dans une tentative de fuir une vie devenue superficielle et consumériste : "toutes ces choses qui font le mirage d’une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu’il donne le vertige". 

Mais comment survivre dans un froid intense, comment se prouver à soi-même que la solitude et la précarité peuvent lui sauver la vie ? Elle médite, elle écrit, elle lit, elle va chercher du bois pour chauffer la cabane et faire fondre les chaudières (seaux) de neige pour avoir de l’eau chaude : qu’est-ce "qui t'a poussée à t'encabaner loin de tout", note-t-elle dans les listes qu’elle dresse pour reprendre prise avec elle-même. Son "rêve de toujours: vivre de ma plume au fond des bois". L'arrivée d’un gros chat, puis de Rio, un métis fuyant la police et cherchant refuge (je vous laisse découvrir la cause qu’il défend), va lui permettre de trouver une chaleur sociale bienvenue… Malgré leur séparation définitive, "Ma vie reprend du sens dans ma forêt", écrit Anouk dans son journal.

Voilà donc un roman, écrit dans une langue québécoise savoureuse, qui nous éclaire encore sur le confinement, même s’il s’agit d’un confinement volontaire, mais quelque peu subi aussi. À la fin, la narratrice trouve du sens à sa vie : " Enfin, j’avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale : me dévouer à la protection de la nature, corps et âme".

 

jeudi 11 mars 2021

11 mars 2021 : aux portes du Goulag

                            Il semblerait que l’homme naisse esclave, et que la servitude soit sa condition propre.

(Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Payot, 2020)



Je n’avais à ce jour rien lu de Makine, un des nombreux écrivains étrangers (russe cette fois) qui ont choisi le français comme langue littéraire. Ce choix s’avère judicieux à la lecture de son dernier roman, L’ami arménien, chaudement recommandé par un bibliothécaire de Bordeaux-Lac. En plus, ça traite de l’amitié, un thème qui m’est très cher.


Ça se passe dans les années 60, au temps du soviétisme déjà déclinant. Le narrateur est un orphelin de treize ans qui survit dans une sorte de collège pour orphelins situé en Sibérie où il faut se battre pour exister. Il voit débarquer un jour Vardan, un garçon arménien, d'un an son aîné, malingre, au visage féminin, et que les caïds du collège tentent d’écraser. Vardan est malade d’une maladie singulière, alors inguérissable. Le narrateur prend sa défense, le raccompagne chez lui, dans un quartier lépreux situé près de la prison, et c’est le début d’une amitié un peu inattendue. Le narrateur fait connaissance de la petite communauté arménienne qui vit là, dans l’attente du procès de plusieurs parents détenus, accusés de séparatisme, et en attente du Goulag. Il apprend l’ampleur du massacre des Arméniens par les Ottomans à partir de 1913, toujours présent dans la mémoire arménienne.

Il découvre des personnages attachants, Chamiram, la mère de Vardan, sa sœur aînée Gulizar dont il tombe secrètement amoureux et dont le mari est détenu, Sarven, un horloger, sorte de colosse qui a construit un cadran solaire, tous nostalgiques du « royaume d’Arménie », et qui survivent en vendant leurs biens précieux, une cafetière ciselée, des boucles d’oreille, dont ils gardent précieusement le souvenir au grand étonnement du narrateur : "L’idée qu’un objet disparu survivait, tout en ayant été perdu, me semblait à la fois très juste et difficile à accepter – l’instinct de possession se mêlait dans ma tête au sens même de la vie, à mon jeune désir de toucher, de sentir et de garder la totalité de ce qui m’était précieux"...

Leur professeur de mathématiques, Ronine, un manchot mutilé de guerre, en ramenant Vardan malade,  fait aussi connaissance de cette communauté. L’orphelin assoiffé de tendresse trouve chez ces Arméniens une sorte de solidarité et d’entraide. Le lien entre les deux garçons devient très fort, l’un est comme le double de l’autre, jusqu’à la catastrophe finale, qui advient le jour du jugement. À ce titre, c’est un roman initiatique : grâce à Vardan, le narrateur comprend "que nos vies glissaient tout le temps au bord de l’abîme et que, d’un simple geste, nous pouvions aider l’autre, le retenir d’une chute, le sauver".

Très bien écrit, ce livre montre bien l’utilisation de la langue française que fait l’auteur, à l’instar d’écrivains étrangers d’Afrique, d’Amérique latine et même d’Asie, tandis que tant d’auteurs français semblent prendre plaisir à la massacrer.


 

lundi 8 mars 2021

8 mars 2021 : le poème du mois : Philippe Forcioli

 

Les voyages sont ceux faits sur la mer avec des bateaux, pas avec les trains. L’horizon doit être vide et doit détacher le ciel et l’eau. Il ne doit y avoir rien tout autour et l’immensité doit peser au-dessus, alors c’est le voyage.

(Erri De Luca, Le jour avant le bonheur, trad. Danièle Valin, Gallimard, 2010)


 


Je ne sais pas si j’ai déjà posté ce poème que je retrouve dans mes archives de poèmes aimés. Mais comme je suis en pleine nostalgie (notamment de mes voyages en cargo, cf la citation d’Erri De luca), je le poste (à nouveau peut-être) :


Comme elles me sont amies les étoiles

ô qu’il m’est compagnon le soleil

et le mer et le vent

et les voix et les voiles

et l’amour et le chant et les moissons pareilles

sur ma lèvre une goutte de lumière cligne

c’est le feu si petit de l’amitié qui chante


ton absence en moi a ouvert une déchirure

mais cette plaie vive se transforme en sillon

une fois passée l’avenue des chagrins

qu’y planterai-je

un arbre

ou des fleurs inutiles cueillies sur les chemins ?


une simple chanson s’est posée sur mes lèvres

et tout me persuade qu’il faut rendre

qu’il faut se rendre

rien ne nous appartient


(Philippe Forcioli, Routes de feuilles, G. Berenèze, 2008)