La vengeance est une donnée primitive, abjecte, et de surcroît dangereuse, c’est ce que déjà les Grecs nous ont appris il y a longtemps.
(Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin : penser les tueries du 13 novembre, Fayard, 2018)
Promis, quand les Israéliens cesseront de détruire Gaza, d'affamer Gaza, de bombarder des habitations, des écoles, des hôpitaux, etc., quand nos grandes puissances occidentales, si vertueuses dès qu'il s'agit de condamner les pays qui leur déplaisent, de programmer des blocus (Cuba, Vénézuela, Iran, etc.), des sanctions contre de nombreux pays, et empêchent toute tentative de paix parce qu'elles sont les premières à alimenter la guerre, inféodées qu'elles sont aux tout-puissants marchands d'armes, je cesserai de parler de Gaza.
En attendant, chaque jour qui passe voit la bande de Gaza livrée à d'incessants bombardements, le reste de la Palestine occupée (Cisjordanie, Jérusalem est) opprimé comme jamais : arrachage d'oliviers, maisons détruites, habitants livrés à la sauvagerie débridée de colons qui pillent, cassent, violentent, blessent, brûlent, assassinent, sous l’œil de l'armée israélienne toute-puissante (la "plus morale du monde", proclament nos mierdas occidentaux), qui fait d'innombrables prisonniers parmi les Palestiniens, car toute résistance est réprimée avec la plus grande violence et la plus grande impunité.
Et je ne peux pas me taire. Tant pis si je passe pour un radoteur. J'ai attendu en vain des sanctions de l'ONU et des instances internationales. Et, comme ma sœur Anne, je ne vois rien venir. Je rougis d'être un Homme. Et quand je vois si peu de gens manifester contre ce génocide, il me prend l'envie de hurler ! Voici un texte de Reporterre que j'ai apprécié :
Beyrouth (Liban), correspondance REPORTERRE
SITUATION DE L’AGRICULTURE A GAZA
Terres détruites, départs forcés... L’offensive israélienne a mis à mal l’agriculture à Gaza. Malgré les bombes, certains agriculteurs sont restés, et s’entêtent pour sauver leurs champs.
Entre les gravats et les débris, des plantes poussent encore. Aubergines, tomates, poivrons et concombres s’entêtent à vivre au milieu des explosions d’obus, de phosphore blanc et de drones. C’est un petit miracle qui se déroule à Gaza : des agriculteurs tiennent bon face à l’offensive israélienne, qui a tué plus de 40 000 Gazaouis et contraint 2 millions de civils à l’exode.
Samir Khoder Ibrahim Mansi, lui, est toujours là. Malgré les bombardements et une guerre génocidaire qui ravage le territoire, le jeune agriculteur s’occupe toujours de ses 8 000 m2 de terres, dont 6 000 à Deir el-Balah, au centre de la bande de Gaza.
Transmis à Reporterre par notes vocales sur WhatsApp par une militante écologiste gazaouie, son témoignage n’était pas facile à recueillir, faute de connexion stable et d’électricité. « Aucune zone n’est épargnée. Mais Dieu merci, pour nous, c’est mieux que pour d’autres ; ils n’ont détruit que de petites choses et n’ont touché qu’une partie des serres, explique-t-il. Cent de mes oliviers ont été bombardés. Cela pourrait être pire. »
« Il ne reste rien »
D’après des chiffres récents de l’Organisation des Nations unies (ONU), Israël aurait anéanti 57 % des terres agricoles de la bande de Gaza et rasé plus de 40 % des serres à coup de bombes ou de pelleteuses. La destruction est bien plus importante dans le nord de la bande et pour la ville de Gaza, où presque 90 % des serres ont disparu. 537 granges, 484 élevages de volailles et 397 élevages de moutons ont été détruits, réduisant presqu’à néant l’infrastructure agroalimentaire gazaouie.« Tout ce que nous produisions a disparu »
Des milliers d’agriculteurs ont ainsi perdu leurs terres et leurs fermes, disparues sous les bombes. C’est le cas de Ghifra Ahmad Abdelkhesi, 55 ans, mère de famille et agricultrice. « Depuis trente-cinq ans, l’agriculture était toute ma vie. On travaillait sur nos terres avec mon mari et nos enfants. Tout ce que nous produisions a disparu, tout a été détruit… Notre maison, nos cultures, la ferme de nos animaux, tout », témoigne-t-elle via WhatsApp.
Elle énumère avec fierté les fruits et légumes qui sortaient de ses champs : okras (en forme pyramidale), pastèques jaunes et rouges, tomates, maïs, poivrons, navets, aubergines, mloukhiya (corète potagère) en été ; orge, blé, pois chiches, épinards en hiver. « Il ne reste rien. Nous sommes déplacés à l’hôpital al-Aqsa, à Deir el-Balah, et les animaux que nous avions réussi à sauver sont morts de faim. On a cueilli des mauvaises herbes pour les nourrir, mais cela n’était pas assez. Nous mourons nous-mêmes de faim », se désole-t-elle.
Génocide par la famine
L’effondrement de l’agriculture à Gaza a une autre conséquence : la famine. En juin, 95 % des Gazaouis, soit 2,15 millions de personnes, souffraient d’insécurité alimentaire élevée. Des dizaines d’enfants sont déjà morts d’épuisement et de faim ; 50 000 en sont menacés. « Nous pensons que ces chiffres sont grandement sous-estimés, puisque le système alimentaire s’est effondré et que 75 % du secteur agricole est détruit », dit Lisa Shahin, responsable de la recherche et de la mobilisation du Groupe arabe pour la protection de la nature (APN), une organisation environnementale palestino-jordanienne de la société civile.
Et d’ajouter : « Avant la guerre, Israël utilisait déjà la faim comme arme contre les Gazaouis afin de les maintenir à un niveau d’épuisement constant, de les subjuguer et de les contrôler. » Avant le 7 octobre, 65 % des Gazaouis souffraient d’insécurité alimentaire, et les agriculteurs étaient limités par le blocus israélien imposé depuis 2007. « Aujourd’hui, on assiste à l’extension logique de cette tactique : le génocide par la famine, la punition collective ».
Israël bloque totalement l’importation de matériel agricole. Les agriculteurs doivent se contenter de ce qui a survécu aux bombardements, et à des prix exorbitants. « Nous avions l’habitude d’obtenir 1 000 plants de poivrons avec 100 shekels [24 euros] ; pour nous, c’était déjà cher. Aujourd’hui, cela coûte 500 shekels [121 euros] », explique Samir Khoder Ibrahim Mansi. Ces prix réduisent la viabilité économique de leur métier. « Une récolte coûte très cher, maintenant. S’il fallait dépenser 1 000 dollars avant la guerre, c’est maintenant 4 000 ou 6 000 dollars. »
Dans ce contexte délétère, certaines associations locales tentent d’aider les agriculteurs. L’APN, basé à Amman mais avec des équipes à Gaza, a ainsi lancé la campagne Revive Gaza’s Farmland (« Faire revivre les terres agricoles de Gaza »). « Nous sommes encore en contact avec 500 agriculteurs, et avons réussi à soutenir 162 d’entre eux. Nous leur fournissons des semences, surtout des légumes pour nourrir rapidement le maximum de personnes : concombres, tomates, aubergines, courgettes, poivrons… », explique Lisa Shahin.
L’APN aurait ainsi replanté 500 000 pousses de légumes, 900 kg de graines de mloukhiya, 115 000 graines d’aubergines et de piments, sur un total de 40 hectares sur toute la bande de Gaza, en plus d’un projet de réhabilitation de la pépinière de la ville de Gaza.
L’APN a replanté des pousses de légumes et a fourni des graines aux agriculteurs. © APN
« Mes champs ont été détruits, des puits jusqu’aux cultures. L’APN m’a remis sur pied en m’aidant à replanter des aubergines de zéro, témoigne anonymement un agriculteur de l’est de la bande de Gaza, par peur de représailles israéliennes. Je dois nourrir vingt-deux personnes de ma famille. Je traite mes plantes comme des enfants, j’en prends soin, mais nous sommes entourés de débris et de fragments de missiles. On a besoin d’aide. »
Pour Lisa Shahin, cette aide d’appoint n’est qu’une première étape pour éviter le pire. « Une fois la guerre terminée, nous lancerons deux autres étapes de la campagne : nous aiderons des pêcheurs avec des filets et la réparation de leurs bateaux, nous restaurerons des puits, et planterons des arbres fruitiers pour compenser les 55 000 arbres déracinés par l’occupation dans la ville de Gaza. Puis, nous réhabiliterons les élevages et distribuerons des ruches, comme nous le faisions avanla guerre », dit-elle.
L’identité agricole de Gaza
En pleine guerre, le travail des associations reste difficile. « J’ai été contraint de fuir deux fois, et nous avons dû déplacer nos bureaux à cause des bombardements », témoigne Mahmoud Alsaqqa, manager de programmes chez Oxfam à Gaza. Les nouveaux bureaux de l’association, déplacés à Deir el-Balah et Rafah, servent aussi de refuge. « Avant la guerre, je travaillais sur un programme pour mettre en valeur la chaîne de production des agriculteurs, améliorer leurs qualité et production, ainsi que leur accès aux marchés externes… Maintenant, on lutte pour leur survie », dit-il au téléphone.
Oxfam distribue ainsi des bons de consommation et de l’argent liquide aux agriculteurs, qu’ils peuvent dépenser en engrais, en graines ou pour se nourrir. « La condition pour qu’ils puissent faire revivre leurs cultures, c’est déjà qu’ils ne meurent pas de faim. Ça leur redonne confiance, envie de se battre », explique-t-il.
Et d’ajouter : « La quasi-entièreté des zones agricoles du nord de Gaza sont détruites. Les champs de Beit Lahya, mondialement connus pour leur production de fraises, ont disparu. C’est une attaque contre notre identité palestinienne, de paysans fellahin, contre notre culture de l’olivier. » Selon lui, « sur les 200 000 agriculteurs qu’il y avait à Gaza, de nombreux sont morts, blessés ou déplacés » et « moins de 10 % d’entre eux arrivent encore à exercer ».
Pourtant, malgré l’ampleur de la destruction, il ne manque pas d’optimisme : « Les Palestiniens sont résilients, on va tenir bon. Ce qu’il nous faut, c’est un cessez-le-feu et la levée du blocus. » Et que les Gazaouis retrouvent leur autosuffisance en légumes. « Je crois fermement qu’on y arrivera de nouveau. Continuer l’agriculture, aujourd’hui, c’est un acte de subsistance, mais aussi de résistance. »