samedi 29 août 2020

29 août 2020 : Migrants 2, des migrants, encore !

 


La misère a toujours le même visage et laisse les mêmes marques. Le temps, les lieux changent, la misère, non.

(Alberto Cavanna, L’homme qui ne comptait pas les jours, trad. Marie-Françoise Balzan, La Fosse aux ours, 2013)




Un vieil homme découvre devant la porte de son atelier un jeune homme miséreux, visiblement étranger, qui dort. Nous sommes en Italie sur la côte ligure. Le vieil homme, Cristoforo, a perdu sa femme et son fils. Il descend d’une vieille lignée de pêcheurs. Mais la guerre, en 1944, a détruit sa barque de pêche, et il a été contraint de travailler en usine. Maintenant, seul et à la retraite, il utilise l’atelier pour se construire une nouvelle barque : il a commencé il y a cinq ans. Il relève le jeune homme, lui donne à manger, et l’installe dans l’atelier et le fait dormir sur un lit de camp. Je ne vous dévoile pas la suite de l’intrigue, simplement que le vieil homme et Mohamed, le jeune homme, vont lentement s’apprivoiser. Le jeune, migrant évadé d’un centre de regroupement, est lui aussi issu d’une longue lignée de pêcheurs tunisiens. Il va aider le vieux à finir la construction du bateau, et ensemble, ils retrouveront la dignité.

 

L’auteur est charpentier de marine et parsème son récit de nombreux termes techniques. C’est très beau. J’ai pensé à Hemingway (Le vieil homme et la mer, pour le personnage du vieux), à Steinbeck (Des souris et des hommes, pour la naissance de l'amitié, lent apprivoisement entre deux êtres si différents). J’ai surtout pensé à notre triste humanité qui laisse si peu de place à ce genre de rencontres, en multipliant les centres de rétention et les expulsions, les dénonciations par les "honnêtes gens" de ceux qui secourent les sans-papiers.

*

Et je reviens encore sur les migrants, ceux qui ont réussi à pénétrer sur le sol français, et qui sont détenus dans les tristement fameux « centres de rétention », la honte de la République, il est vrai qu’elle n’en est pas à son coup d’essai : les républicains espagnols de 1939 se souviennent des camps qui les ont accueillis !

Au moment où le gouvernement se saisit du prétexte de la pandémie pour nous empêcher d’exercer notre droit de manifester, je propose de réfléchir à ce que nous dit SôS Soutien ô Sans-papiers, un comité de soutien aux sans-papiers, sur leur situation actuelle en centres de rétention et qui appelle à manifester devant tous les centres de rétention le samedi 5 septembre à partir de 14 h.

En effet, "dans plusieurs camps de rétention […] des retenus sont en grève de la faim ! la machine à expulser avec interdictions de retour sur le territoire bat son plein ! Peu importe à ce gouvernement que des retenus mettent leur vie en danger. […] Peu importe la confirmation des cas de COVID-19 dans plusieurs centres. Peu importe l’absence de propreté, d’hygiène et la promiscuité. […] La politique du chiffre et la chasse à l’étranger est assortie d’une obligation à quitter le territoire et, de plus en plus souvent, d’une IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) signée par le préfet. […] Bannissements de plus en plus fréquents pour un simple défaut de titre de séjour… avec inscription au système d’information Schengen (SIS), interdiction de visa et d’entrée dans tout l’espace Schengen [Ah ! c’est beau l’Europe! Et on s'étonne que je ne l’aime pas !]. […] Certains sont pères d’enfants français. Ils sont tout de même expulsés, sans possibilité de retour, en violation des articles de loi du code d’entrée et du séjours des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Plus grave : des exilé-es sont expulsé-es vers leur pays où ils risquent la torture et la mort, en violation de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. […] Le CESEDA dont vous êtes le garant, Monsieur le garde des Sceaux, est régulièrement bafoué. Des jugements sont rendus par visioconférence, sans interprète, sans avocat, même commis d’office. Les juges du tribunal administratif confirment systématiquement les décisions d’expulsion, jugements types non argumentés. Et ces jugements sont rendus au nom du peuple français !"

*

Allons-nous laisser des êtres humains être brimés (ici encore, le mot est faible) par des lois iniques et une justice aux ordres, attendrons-nous passivement que la France les laisse mourir de la grève contre la faim, suivant les traces de la détestable Thatcher (dans une soi-disant démocratie) en Angleterre naguère, et du tout aussi horrible Erdogan (lui, laissant clairement voir sa dictature) dans la Turquie aujourd’hui ?

J’avoue que je ne pensais pas voir ça de mon vivant ; et ce n’est pas parce que j’approche de mes 3/4 de siècle que je vais cesser de m’indigner.

 

jeudi 27 août 2020

27 août 2020 : la paille ou la poutre

 

à grands cris, on avait réclamé plus de sécurité dans les moyens de transport. D’une façon générale, on manifestait la plus grande indignation dès que la sécurité paraissait menacée ; c’était lamentable, et cette faiblesse humanitaire s’accordait très gentiment avec la sauvagerie bestiale et l’infamie du champ de bataille économique que constituait l’État bourgeois.

(Thomas Mann, La montagne magique, trad. Maurice Betz, Club international du livre, s. d.)

Je vous propose ce tract distribué (assez confidentiellement) pendant la période de contamination et qui me semble assez percutant dans notre époque de méfiance et de dénonciation.



Tract : Appel aux citoyens pour éviter la contamination



Si tu vois un vendeur ambulant dans la rue, n’appelle pas le 17 pour le signaler. Va lui acheter quelque chose.

Si tu remarques qu’il n’utilise pas de masque, ne l’engueule pas, essaye de lui en procurer un. Ne fais pas ton flic.

Si tu entends que ton voisin présente des symptômes, ne regarde pas par la fenêtre pour contrôler s’il sort faire ses courses. Demande-lui s’il a besoin de quelque chose. Ne fais pas ton flic.

Si tu vois des personnes marcher dans ton quartier, essaye de ne pas soupçonner le pire, n’appelle pas le 17. Peut-être qu’ils devaient aller au boulot. Beaucoup n’ont pas le privilège de se renfermer chez eux avec un frigo plein. Ne fais pas ton flic.

Si tu dois sortir faire tes courses, ne jette pas des regards haineux aux gens qui t’entourent par peur d’infection. Dis bonjour. Fais la conversation. Les autres ne sont pas ton ennemi. Ne fais pas ton flic.

Si tu rencontres quelqu’un qui vit dans la rue, ne change pas de trottoir par peur. Si tu peux, offre-lui de la nourriture, un masque, de l’eau. Ne fais pas ton flic.

ÉVITONS LA DIFFUSION DU KEUF-VIRUS !! C’est un virus qui ne nous lâchera plus.



J’y ajouterai le verset suivant au sujet du masque :



Si tu rencontres quelqu’un qui ne porte pas de masque dans des zones à masque obligatoire, ne lui reproche rien, laisse-le tranquille. Ou, si tu y tiens, offre-lui en un. Ne fais pas ton flic.



Je ne suis pas surpris par les agressions de non-masqués contre des gens qui portent le masque et qui leur en font la remarque. Je sais que cette obligation peut rendre hargneux. Personnellement, même si je le porte là où c’est obligatoire et pas ailleurs (je boycotte les villes ou c’es partout obligatoire), j’estime que ce n’est pas à moi de faire la police des mœurs dans le train, le bus, les cafés, les boutiques, ou ailleurs : il y a des gens payés pour ça. Et je n’ai pas envie d’être agressé ; j’ai assez payé pour ça...


 

 




 

lundi 17 août 2020

17 août 2020 : le poème du mois, Marina Tsvétaïeva

 

Les hommes, n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser (166).

(Pascal, Pensées, La Pochothèque, 2004)



Et voici le poème du mois, de l’immense poétesse russe Marina Tsvétaïeva, traduit par Bernard Kreise :


LE NAVIGATEUR


Berce-moi, nacelle des étoiles !

Ma tête est lasse des vagues !


Depuis trop longtemps j’essaye d’accoster -

ma tête est lasse des sentiments :


des hymnes, des lauriers, des héros, des hydres -

ma tête est lasse des jeux !


Mettez-moi entre les herbes et les branches d’aiguilles,

ma tête est lasse des guerres…

12 juin 1923

(Après la Russie, Rivages poche, 2005)

 

 

dimanche 9 août 2020

9 août 2020 : dimanches et contes

 

Un dimanche, au zoo, beaucoup de visiteurs ont défilé devant la cage aux singes. En fin d’après-midi, la guenon dit à son petit : « Tu peux regarder encore un petit moment les gens faire des grimaces et après, vite, au dodo. »

(Mira Popović, Un gris presque noir, in D’une terrasse à l’autre, trad. Gojko Lukić, V. Hamy, 2012)



Je ne comprends pas ceux qui ne se lèvent pas tôt, surtout en ces périodes de forte chaleur, où l’on est si bien à la fraîche, entre 6 et 9 h du matin. Et le dimanche, c’est encore mieux, parce qu’il n’y a presque personne et qu’on peut faire du vélo en toute liberté. Je viens ainsi ce matin de faire une heure de vélo, je n’ai croisé que quelques cyclistes, quelques promeneurs de chiens, et quelques coureurs à pied. Peu de voitures (mais j’étais sur des pistes cyclables, vers Bordeaux-Lac), donc du silence, un peu d’air encore frais de la nuit et un certain bonheur d’être…

 

 

Ce même jour, j’apprends, avec beaucoup de retard, le décès de Michel Valière (en février 2019), qui travaillait comme ethnologue régional à la Direction régionale des affaires culturelles à Poitiers quand moi-même j’étais conseiller pour le livre et la lecture. C’était un grand monsieur, très érudit, et assez modeste pour me permettre de temps en temps de discuter avec lui, bien que je fusse infiniment moins savant. Il me prêta et me fit lire Les creux-de-maisons (1929), un des meilleurs romans d’Ernest Pérochon, que je découvris avec délectation et fis lire à Claire.

 

 

J’ai toujours aimé les contes et les conteurs. Nous participions, en Poitou, Claire et moi, aux festivals de conteurs qui avaient lieu l’été, souvent sous forme de randonnées nocturnes. J’ai dévoré ses Contes réunis dans Le Poitou mystérieux. Certes, j’ai toujours aimé les Contes populaires des différentes régions de France, ceux de Gascogne, du Périgord, du Rouergue, des Landes, du Languedoc, d’Auvergne, et sans doute d’autres régions aussi. Mais lire ceux collectés par M. Valière, que je connaissais, me les rendait plus familiers.

 

 

 

samedi 8 août 2020

8 août 2020 : Migrants 1, la tragédie des migrants

 

SUZANNE : «  Quant à la politique ?

BÉGÉARSS : Ah ! c’est l’art de créer des faits ; de dominer, en se jouant, les événements et les hommes ; l’intérêt est son but ; l’intrigue son moyen ; toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l’Etna, elle brûle et gronde longtemps avant d’éclater au dehors. ; mais alors rien ne lui résiste ; elle exige de hauts talents ; le scrupule seul peut lui nuire… »

(Beaumarchais, La mère coupable, GF Flammarion, 1965)



Paru dans Le Journal hors les jungles n° 43, 7 août 2020

http://www.psmigrants.org/site/la-psm-en-actions/le-journal-des-jungles/

 

À l'attention de Monsieur Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur

À Paris, le 21 juillet 2020

Objet : Situation des personnes exilées présentes sur le littoral franco-britannique

                                                                                                                    

Monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons cette lettre ouverte suite à votre passage le 12 juillet à Calais. Dans cette ville et dans le Calaisis, les conditions de survie des personnes exilées sur le littoral franco-britannique sont intolérables.

Comme tous vos prédécesseurs, il vous fallait donc venir à Calais dès votre nomination. Comme tous vos prédécesseurs, vous êtes venus avec caméras et micros. Comme tous vos prédécesseurs, vous n’aurez vu que ce que l’on a bien voulu vous montrer ou que ce que vous aurez voulu voir.

Vous avec rencontré une partie seulement des acteurs calaisiens : les forces de l’ordre, la Préfecture et les services de l’État, la municipalité, les associations qui gèrent des dispositifs mis en place par l’État, les autorités britanniques qui opèrent sur le territoire français. Vous avez fait le choix de ne pas rencontrer les personnes exilées qui survivent dans des conditions innommables ni les associations calaisiennes qui les accompagnent depuis de nombreuses années. Vous n’avez pas cherché à comprendre avec elles les raisons de leur présence sur ce bout de terre.

Quarante-huit heures avant votre venue, les lieux de vie principaux de ces personnes ont été détruits et les personnes envoyées, quelle que soit leur volonté, loin de Calais. C’est donc plus de 800 personnes qui ont vu leurs maigres abris détruits. 519 qui ont été forcées d’entrer dans des bus. Des hommes, des femmes, des enfants, toutes et tous mélangés, sans aucune évaluation de leur situation et de leur vulnérabilité.

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Le Conseil d’État avait prescrit « aux autorités administratives, à raison d’une carence qui expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, d’installer des dispositifs adaptés permettant de rendre disponibles, à titre provisoire, tant que des migrants séjournent à Calais […], des points d’eau et des latrines ainsi que des douches ». Le Président de la République, M. Emmanuel Macron, avait indiqué lors de sa venue à Calais, en janvier 2018, que l’État prendrait en charge les distributions alimentaires.

Alors pourquoi ces deux dispositifs, bien insuffisants mais indispensables, ont-ils été supprimés alors qu’il s’agit pour l’État de se mettre en conformité avec le droit international en protégeant le droit de vivre dans la dignité et la sécurité de toutes les personnes exilées, quel que soit leur statut au regard de la loi ?

Monsieur le Ministre, vous l’avez dit devant la représentation nationale le 16 juillet dernier, cette situation dure depuis longtemps.

Effectivement, depuis trente ans, des personnes sont bloquées à la frontière franco-britannique ; et depuis trente ans, les pouvoirs publics tentent de rendre invisibles ces personnes au mépris de leurs droits, en les maltraitant, en les chassant du moindre campement constitué, en détruisant leurs affaires, en dispersant ou en les privant de leurs maigres ressources ou documents d’identité, en les empêchant d’accéder à leurs besoins essentiels.

En mettant sciemment leur intégrité physique en danger… Pourtant, elles sont toujours là, dans des conditions toujours plus abjectes, mais toujours là.

Cette situation n’a que trop duré, dites-vous ? Nous sommes bien d’accord. Mais ce n’est pas en poursuivant cette politique du déni que vous y mettrez un terme.

La question de la présence des exilés sur le littoral franco-britannique est complexe. L’expérience de ces trente dernières années montre que la réponse brutale des évacuations policières quotidiennes n’apporte aucune solution digne, aucun règlement, strictement rien, sinon des souffrances supplémentaires.

Il est nécessaire de changer aujourd’hui de paradigme, Monsieur le Ministre ! Un autre chemin doit être pris : celui du respect des droits, celui de l’écoute et du dialogue avec les personnes concernées, celui du respect de la dignité de chaque personne, celui de la concertation avec tous les acteurs concernés pour tenter de trouver des solutions qui soient respectueuses de chaque personne, tout en prenant en compte les contraintes des uns et des autres. Nous sommes prêts avec bien d’autres à y contribuer, Monsieur le Ministre.

Pour cela, à vous, et au gouvernement auquel vous appartenez, d’accepter d’ouvrir une autre voie que celle de la répétition permanente des mêmes réponses brutales, déshumanisantes et parfaitement inutiles car sans aucune issue. Il y a urgence.

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération distinguée,

Francis Perrin, Vice-Président Amnesty International France / Dr Philippe de Botton, Président Médecins du Monde / Dr Mego Terzian, Président Médecins Sans Frontières / France Henri Masson, Président La Cimade / Véronique Fayet, Présidente Secours Catholique – Caritas France

*Amnesty International France, La Cimade, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières, Secours Catholique

 

 

Lire aussi le Rapport de diagnostic Eau, Hygiène et Assainissement publié par Solidarités internationales, une des associations que je soutiens. S'il n'y avait pas les associations, la situation serait encore plus dramatique !

http://www.psmigrants.org/site/wp-content/uploads/2020/08/20200701-SI_Diagnostic-EHA_Grande-Synthe.pdf

 

Et ce sont les mêmes ministres qui n’entendent pas, ne voient pas, nient les violences policières !


vendredi 7 août 2020

7 août 2020 : la PEUR a été bien orchestrée

 

Autrefois, les vieux étaient mal traités par la société. Aujourd’hui, ils sont mal traités par la société et par leurs proches.

(Henning Mankell, Le dynamiteur, trad. Rémi Cassaigne, Seuil, 2010)

 

 

Après plusieurs semaines de kiné, je me sens mieux. Je galope à nouveau comme un lapin, j’ai repris le vélo et commence à mieux m’en sortir, quoique peinant dès que ça grimpe un peu. Enfin, je suis presque revenu à la normale. Aussi ai-je fait tailler ma florissante barbe par un barbier : j'ai repris figure humaine ! Je m’indigne à nouveau férocement, en particulier contre le port du masque obligatoire. J’ai acheté le pamphlet du professeur Perronne, Y a-t-il une erreur qu’ILS n’ont pas commise ? (qui contient des vérités, notamment sur le lobbying des labos pharmaceutiques) afin d’avoir un autre point de vue sur la « crise » du covid 19. Cette dénonciation qui a pour sous-titre Covid 19 : l’union sacrée de l’incompétence et de l’arrogance, mérite au moins une lecture attentive, même si j’aurais préféré qu’il ne soit pas écrit à chaud.

Mais il y a urgence. Dans certains EHPAD, sous le fallacieux prétexte de protéger les « prisonniers », ces derniers, souvent très âgés, sont de nouveau confinés ! Bonjour la convivialité, s’ils ne peuvent plus descendre à la salle à manger, recevoir des visites (si importantes pour leur bonne santé), etc. J’ai moi-même reçu ma fille pendant 23 jours à Bordeaux et n’ai même pas pu la serrer dans mes bras, ni l’embrasser… Où va-t-on ?

Heureusement, les cinémas ont repris (mais les entrées sont faibles ; hier une adhérente des Amis de l’Utopia m’a dit qu’elle y revenait pour la première fois, alors qu’il est ouvert depuis quatre semaines), les restaurants aussi. Les bibliothèques sont ouvertes également, mais à horaires et services réduits : on ne peut plus y lire les journaux et magazines, alors que ça drainait un public qui ne venait que pour ça. On peut emprunter des livres, mais au retour, ils sont mis en quarantaine (14 jours au début, 3 seulement maintenant). Jamais vu ça de ma vie de bibliothécaire ! Certes, j’ai déjà eu des usagers (à la bibliothèque municipale d’Angers entre 1970 et1973) qui me posaient la question : « Est-ce que vous désinfectez les livres ? » Je leur répondais que non, que je n’avais jamais vu quelqu’un attraper la rougeole et autres maladies par contact avec un livre, avec mes dix ans d’expérience comme lecteur : j’ai fréquenté les bibliothèques à partir de 1959 et ne suis jamais tombé malade. Qu’ils ne sont pas obligés d’emprunter des livres, qu’ils peuvent aussi en acheter, et que j’espérais que, quand ils prêtent un livre à un(e) ami(e), ils ne le mettent pas à la désinfection après.

Mais déjà, on voyait les prémices de la peur : « Mon Dieu, si un pauvre avait eu le livre en mains ! » C’est bien connu, les pauvres sont sales, sans hygiène, ont toutes les maladies imaginables, etc. Eh bien, mon expérience est que ce sont plutôt les classes populaires qui ont le plus grand respect du livre, précisément parce qu’ils n’en ont pas ou guère chez eux, et qu’ils prennent grand soin des livres empruntés, qu’ils suggéraient même de les rembourser quand ils nous en rapportaient un avec des pages décollées !

On voit bien aujourd’hui les conséquences de cette campagne de peur : tout le monde est devenu méfiant, la confiance ne règne plus...

 

 

mercredi 5 août 2020

5 août 2020 : trois adolescents, trois films


Beauté douce amère

Beauté éphémère des hommes

Que le temps donne et reprend

Et voleur, le temps s’envole

(Sénèque, Phèdre, trad. Florence Dupont, Actes sud, 2012)



En ce moment, Sylvain Tesson nous tresse "Un été avec Rimbaud" à la radio. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser en voyant ces trois films où des figures d’adolescent irradient. Des films solaires, des films d’été, des tragédies aussi, à l’instar du destin du poète, resté pour moi le poète incandescent de mes seize ans.



Seize ans, c’est peut-être l’âge d’Alex. Les vacances commencent. c’est l’été 85. Il ne sait pas trop ce qu’il va faire : continuer ses études comme le lui suggère son prof de lettres (Melvil Poupaud, méconnaissable), qui lui trouve un petit talent littéraire, ou entrer dans la vie active comme le souhaiterait son docker de père. Sa mère le laisse libre. Ce jour-là, son copain Chris indisponible lui prête son petit voilier. Alex, perdu dans sa musique, se laisse surprendre par l’orage. Peu familier du bateau, il chavire et se retrouve accroché au navire, au bord de la noyade, quand un autre voilier s’approche, dirigé par David, dix-huit ans, qui récupère le naufragé, l’emmène chez sa mère (il est orphelin depuis peu et a repris le travail de son père dans une boutique pour pêcheurs et marins) ; elle le prend en charge, le déshabille, le met dans un bain chaud et lui donne des vêtements usagés de David. David, plus déluré qu’Alex et très libre, trouve le garçon à son goût et le subjugue. le jeune homme tombe amoureux de David qui lui en impose, mais pour qui il n’est guère qu’une expérience de plus. Mais Alex dont c’est la première aventure amoureuse, se révèle possessif et jaloux, croyant au grand amour. Je n’en dis pas plus. Ce n’est pas le meilleur film d’Ozon, mais une belle et tragique histoire sur la force et les difficultés d’un premier amour. Les deux jeunes acteurs sont formidables.



Tout aussi solaire, film de plage également, Madre suit les traces d’Isabel qui a perdu son fils, disparu sur une plage de vacances où il s’était perdu, dix ans auparavant. Elle ne s’en remet pas. Elle a quitté l'Espagne pour s’installer sur la côte landaise là où les traces du gamin se sont perdues, et travaille dans un bistrot près de la plage. Elle pourrait refaire sa vie, est prête à être heureuse de nouveau, et à revenir vers son pays d’origine, l’Espagne. Son amoureux Joseba connaît ses blessures. Mais elle croise Jean, un adolescent de quinze-seize ans, mal dans sa peau et dans sa famille ; le gamin est fasciné par cette femme, avec qui il a plaisir à parler, à rester juste là, à côté l’un de l’autre, à la contempler. Il a l’âge qu’aurait son fils. Elle en est troublée. Et c’est le début de ce qu’on pourrait appeler une histoire d’amour, extrêmement pure à laquelle la société va s’opposer. Les parents de Jean d’abord, qui ne comprennent pas que leur petit Jean a grandi, mais l’amoureux d’Isabel aussi. Film sublime et délicat.



Mozambique 1917. Zacarias, 17 ans, fuyant des parents qui ne le comprennent pas, s'est engagé dans le corps expéditionnaire chargé de défendre la colonie portugaise du Mozambique contre les attaques de l'Afrique orientale allemande ; à peine arrivé, le paludisme le cloue et sa compagnie le laisse dans un hôpital de campagne. Mais il guérit et décide, seul (accompagné de deux "nègres"), de rejoindre son unité partie guerroyer vers le lac Nyassa. Commence alors une odyssée proche du parcours abyssin de Rimbaud. Perdu dans un milieu hostile, luttant contre le froid, la faim, la fièvre, la solitude, Zacarias n'est pourtant pas dans une aventure coloniale exotique. Le sujet du film, c'est le passage à l'âge d'homme, qui va se faire dans des circonstances difficiles. Au début, il est sensible à la propagande guerrière et raciste (envers les Africains) ou xénophobe (envers les Allemands). Mais petit à petit, son regard change, en particulier quand il devra partager la vie d’un village autochtone, peuplé uniquement de femmes et d'enfants avec qui il doit oublier ses préjugés racistes. Sa conscience s'ouvre sur le monde et quand il arrivera au lac, avec un déserteur allemand dont il est devenu l'ami, il comprendra l'iniquité de la guerre. Un très beau film.

Trois destins d'adolescents, au seuil de l'arrivée dans l'âge adulte, confrontés à l'impitoyable dureté de l'amour et de la vie.


samedi 1 août 2020

1er août 2020 : Gisèle Halimi ou la fin du siècle


L’autre l’exclut de la « reconnaissance » réservée aux êtres de même souche, lui signifie sa différence et son extranéité, parce l’autre croit à ce qu’il voit, non aux papiers qui postulent entre lui et cet arrivant un rapport égalitaire et identitaire qui ne relève que de la loi, et non pas de la réalité visible, irréductible.

(Roland Suvélor, Préface à Joby Fanon, Frantz Fanon : de la Martinique à l’Algérie et à l’Afrique, L’Harmattan, 2004)



Giséle Halimi nous a quittés. Elle s’était battue pour de nombreuses causes : la presse, les médias ont surtout signalé son appui à la cause des femmes, notamment pour le droit à l’avortement, la légalisation de l’IVG, la criminalisation du viol ; certes, les femmes lui doivent beaucoup. On a trop oublié aujourd’hui la haine qu’elle déclencha dans les milieux traditionalistes et chez les machos. Mais, pour moi, ce fut presque comme une illumination, cette rencontre intellectuelle. Elle répondait à mes questionnements sur bien des points.



Sur celui de la place des femmes, bien sûr, mais aussi sur l’anticolonialisme. Ayant pris très tôt conscience du racisme et de l’antisémitisme (doublement : son père était berbère, sa mère juive), elle prit fait et cause pour la cause algérienne et défendit la militante algérienne Djamila Boupacha, arrêtée, torturée et violée, condamnée à mort et qui ne dut la vie sauve qu’aux accords d’Évian en 1962. Son procès donna lieu d’ailleurs à faire connaître les excès le l’armée française en Algérie. Encore une occasion d’attirer la haine dans les mêmes milieux. Elle a participé avec Sartre au fameux Tribunal Russell sur le Vietnam.



Elle s’est aussi engagée avec force pour les droits du peuple palestinien, ce que les médias ne signalent pas. Alors que c’est ce qui saute à mes yeux. Comme elle, j’étais à fond pour l’indépendance algérienne, dès l'âge de treize ans. J’ai manifesté maintes fois contre la guerre du Vietnam quand j’étais étudiant et, de longue date, je me suis mis aux côtés des Palestiniens, injustement dépossédés de leurs terres. Mais évidemment Gisèle Halimi, de par son statut d’avocate, avait plus de pouvoir que moi ; elle a pu défendre Marwan Barghouthi, grand dirigeant palestinien arrêté en 2001, jugé en 2004 par un tribunal de l’occupation israélienne et toujours emprisonné aujourd’hui, comme tant de ses compatriotes. "Elle a également été membre du comité de parrainage du tribunal Russell pour la Palestine en 2009. Ce tribunal d’opinion s’est notamment prononcé sur le crime d’apartheid et sur le sociocide commis par l’État d’Israël contre le peuple palestinien, avant de tenir une session spéciale en septembre 2014 au lendemain de l’offensive israélienne contre la population palestinienne de Gaza, au cours de laquelle il a conclu que cette opération était constitutive d’incitation au génocide et de crimes contre l’humanité" (France-Palestine-Solidarité). Rien que ça ! Et c'est sans doute pourquoi on n’en parle pas.



Lors de l’offensive contre Gaza, interrogée par L’humanité, elle déclara : « Un peuple aux mains nues – le peuple palestinien – est en train de se faire massacrer. Une armée le tient en otage. Pourquoi ? Quelle cause défend ce peuple et que lui oppose-t-on ? J’affirme que cette cause est juste et sera reconnue comme telle dans l’histoire. Aujourd’hui règne un silence complice, en France, pays des droits de l’homme et dans tout un Occident américanisé. Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas me résigner. [...] Le monde n’a-t-il pas espéré que la Shoah marquerait la fin définitive de la barbarie ? »

Gisèle Halimi fut également en 1998 cofondatrice d’Attac qu’elle a soutenu dans ses luttes pour l’émancipation des peuples qui, pour elle, nécessitait aussi de s'attaquer à la mondialisation capitaliste. Là encore, elle fut activiste. Cette grande dame nous a laissé plusieurs livres militants, parmi lesquels : Djamila Boupacha (cosigné par Simone de Beauvoir), 1962 ; La cause des femmes, 1973 ; Le procès de Burgos, 1971 ; Ne vous résignez jamais, 2009 et des livres d'entretiens ou de souvenirs que l'on trouvera dans toutes les bonnes bibliothèques, quand elles seront de nouveau pleinement ouvertes. Elles sont en train de perdre des clients et le coronavirus a bon dos ! Son fils, Serge, directeur du Monde diplomatique, suit ses traces. La disparition de Gisèle Halimi résonne en mon cœur comme le glas du XXème siècle. Et le nouveau siècle qui s'annonce ne sent pas bon ! Nous avons besoin de femmes (et d'hommes) comme elle, d'intellectuels engagés (deux gros mots aujourd'hui) et non pas d'histrions qui paradent dans les médias pour ne rien dire.