le
juge nous a demandé si l’un d’entre nous souhaitait vivre avec
papa ou maman et on a répondu d’une même voix : « On
s’en fout, nous, ce qu’on veut, c’est rester tous les deux ! »
(Fanny
Chartres, Solaire,
L’école des loisirs, 2019)
Quand
même la pluie, ça masque la lumière. On a bien vu ça avant-hier
et hier à Bordeaux (manif des retraités sous la pluie, mais valait
mieux ça que les canons à eau de nos chers Macron et Castaner).
Certes, on avait perdu l’habitude de la grisaille, mais je comprends pourquoi je
n’ai jamais voulu aller en Irlande, pourtant paraît-il si belle.
Je me contente de lire la littérature (y compris poésie et théâtre)
irlandaise, car sont si grands les pouvoirs de l’imaginaire et des
voix intérieures que j’ai largement l’impression d’y avoir mis
les pieds. En tout cas, on a grande envie de soleil. Eh bien, un peu de lecture va nous y aider.
Ernest,
le jeune héros de Solaire,
roman pour la jeunesse de Fanny Chartres (premier que je lis d’elle,
et je sens que ce ne sera pas le dernier), se
retrouve coincé dans une vie chaotique, du fait qu’après le
divorce des parents, ils passent la semaine chez la mère, anéantie par
le divorce, devenue incapable de travailler, et sous hautes doses de
médicaments, qui la rendent semblable à une loque, tout juste
capable de se vautrer sur le canapé pour regarder la télé ou
devant l’ordinateur pour jouer à des jeux vidéo (Tétrys, Sims).
Certes
notre Ernest, en CM1 et sa sœur Sara (en seconde au lycée), qu’il appelle
"Ossette", se rendent bien compte que leur
famille n'est pas comme
"toutes les autres",
mais
ils
se
gardent bien de le faire savoir à l’entourage, copains d’école,
personnel enseignant, de peur qu’on les sépare en les plaçant dans
des familles d’accueil. Tous deux sont "comme
les
deux doigts de la main", inséparables malgré leur différence
d’âge.
Les
déficiences de leur mère les obligent à faire
les courses, le ménage, à
préparer
les
repas (le
menu est hebdomadaire et peu varié),
et à
aller à la pharmacie prendre
les médicaments prescrits
par le "Grand
Médecin"
(probablement un psychiatre) ou
le "Petit
Docteur"
pour
le quotidien dépressif de la mère.
Ce
qui va déclencher le côté solaire d’Ernest, l’obliger à se
surpasser, à se comporter presque en adulte, c’est quand
l’infirmière scolaire du lycée, Jeanne (il la trouve très belle)
le fait appeler (l’école est voisine du collège et du lycée)
parce que Ossette a
fait un malaise :
"J’ai
l’impression que Sara ne se nourrit pas assez",
lui
explique Jeanne.
Ernest se
sent assez
fort pour tenter
de redonner
l’appétit
de vivre à
sa sœur.
En
même temps il est un bon lecteur, et s’aide, pour ce faire, de
personnages issus de ses lectures : certains sont maléfiques,
comme le loup de l’album de Mario Ramos, C’est
moi le plus fort ;
d’autres bénéfiques comme le BGG (Le
Bon Gros Géant de
Roald Dahl). Ce qui donne au récit, raconté par Ernest lui-même une
tonalité presque
magique. Cependant le
réel n’est pas escamoté.
Mais la force
de l’imagination
du petit garçon,
l’amour qu’il porte à Ossette,
et aussi l’aide qu’il
rencontre auprès de Francine, une fille de sa classe, dont le frère
Gaspard est dans la même classe que sa sœur, de Lucien, le
sympathique chauffeur du bus scolaire, et de Jeanne, l’infirmière, vont
contribuer à les faire grandir tous, à faire assaut de générosité.
Au loin, le père, qui aime beaucoup les enfants, qu’il a de temps
en temps en week-end (mais au retour, ils retrouvent la mère plus
déprimée que jamais, se sentant "abandonnée") apporte
une présence rare, mais attentive.
Ce
beau roman aborde un
thème pas si fréquent : la solidarité
frère-sœur
et le situe dans un
cadre un peu particulier : le divorce, qui a aggravé
les tendances
dépressives de la
mère, avec
la grave répercussion de l’anorexie de
la fille aînée. Ça,
c’est le canevas réaliste. Mais les voies de l’imaginaire
littéraire (outre Ramos et Dahl, l’auteur convoque Sendak et le
poète Éluard) et celles de la chanson (Dalida,
Aznavour et d’autres) jouent un grand rôle pour
ensoleiller les
cœurs, avec aussi
l’aide d’un voyage au bord de la mer, à Saint-Malo. Pas de
sensiblerie, pas
d’édulcoration, le
lecteur sait qu’on n’est pas dans une
famille parfaite. Mais
beaucoup de poésie
(Ernest qui a repéré que sa sœur aime la poésie, lui concocte un
livret de recettes poétiques pour les repas de chaque jour),
d’émotion, de
justesse et de
sensibilité. Il en
fallait pour que l’histoire soit crédible et laisse in fine un
brin d'espoir
dans ce qui pouvait passer pour un peu misérabiliste.
Un
roman pour les jeunes que bien des adultes devraient lire ! Car il démontre la puissance de la littérature et des pouvoirs de l'imaginaire qu'elle déploie pour mieux vivre, et même, peut-être, changer la vie...