mercredi 25 septembre 2019

25 septembre 2019 : puissance de la littérature


le juge nous a demandé si l’un d’entre nous souhaitait vivre avec papa ou maman et on a répondu d’une même voix : « On s’en fout, nous, ce qu’on veut, c’est rester tous les deux ! »
(Fanny Chartres, Solaire, L’école des loisirs, 2019)


Quand même la pluie, ça masque la lumière. On a bien vu ça avant-hier et hier à Bordeaux (manif des retraités sous la pluie, mais valait mieux ça que les canons à eau de nos chers Macron et Castaner). Certes, on avait perdu l’habitude de la grisaille, mais je comprends pourquoi je n’ai jamais voulu aller en Irlande, pourtant paraît-il si belle. Je me contente de lire la littérature (y compris poésie et théâtre) irlandaise, car sont si grands les pouvoirs de l’imaginaire et des voix intérieures que j’ai largement l’impression d’y avoir mis les pieds. En tout cas, on a grande envie de soleil. Eh bien, un peu de lecture va nous y aider.



Ernest, le jeune héros de Solaire, roman pour la jeunesse de Fanny Chartres (premier que je lis d’elle, et je sens que ce ne sera pas le dernier), se retrouve coincé dans une vie chaotique, du fait qu’après le divorce des parents, ils passent la semaine chez la mère, anéantie par le divorce, devenue incapable de travailler, et sous hautes doses de médicaments, qui la rendent semblable à une loque, tout juste capable de se vautrer sur le canapé pour regarder la télé ou devant l’ordinateur pour jouer à des jeux vidéo (Tétrys, Sims). Certes notre Ernest, en CM1 et sa sœur Sara (en seconde au lycée), qu’il appelle "Ossette", se rendent bien compte que leur famille n'est pas comme "toutes les autres", mais ils se gardent bien de le faire savoir à l’entourage, copains d’école, personnel enseignant, de peur qu’on les sépare en les plaçant dans des familles d’accueil. Tous deux sont "comme les deux doigts de la main", inséparables malgré leur différence d’âge.
Les déficiences de leur mère les obligent à faire les courses, le ménage, à préparer les repas (le menu est hebdomadaire et peu varié), et à aller à la pharmacie prendre les médicaments prescrits par le "Grand Médecin" (probablement un psychiatre) ou le "Petit Docteur" pour le quotidien dépressif de la mère. Ce qui va déclencher le côté solaire d’Ernest, l’obliger à se surpasser, à se comporter presque en adulte, c’est quand l’infirmière scolaire du lycée, Jeanne (il la trouve très belle) le fait appeler (l’école est voisine du collège et du lycée) parce que Ossette a fait un malaise : "J’ai l’impression que Sara ne se nourrit pas assez", lui explique Jeanne. Ernest se sent assez fort pour tenter de redonner l’appétit de vivre à sa sœur.

 
En même temps il est un bon lecteur, et s’aide, pour ce faire, de personnages issus de ses lectures : certains sont maléfiques, comme le loup de l’album de Mario Ramos, C’est moi le plus fort ; d’autres bénéfiques comme le BGG (Le Bon Gros Géant de Roald Dahl). Ce qui donne au récit, raconté par Ernest lui-même une tonalité presque magique. Cependant le réel n’est pas escamoté. Mais la force de l’imagination du petit garçon, l’amour qu’il porte à Ossette, et aussi l’aide qu’il rencontre auprès de Francine, une fille de sa classe, dont le frère Gaspard est dans la même classe que sa sœur, de Lucien, le sympathique chauffeur du bus scolaire, et de Jeanne, l’infirmière, vont contribuer à les faire grandir tous, à faire assaut de générosité. Au loin, le père, qui aime beaucoup les enfants, qu’il a de temps en temps en week-end (mais au retour, ils retrouvent la mère plus déprimée que jamais, se sentant "abandonnée") apporte une présence rare, mais attentive.

 
Ce beau roman aborde un thème pas si fréquent : la solidarité frère-sœur et le situe dans un cadre un peu particulier : le divorce, qui a aggravé les tendances dépressives de la mère, avec la grave répercussion de l’anorexie de la fille aînée. Ça, c’est le canevas réaliste. Mais les voies de l’imaginaire littéraire (outre Ramos et Dahl, l’auteur convoque Sendak et le poète Éluard) et celles de la chanson (Dalida, Aznavour et d’autres) jouent un grand rôle pour ensoleiller les cœurs, avec aussi l’aide d’un voyage au bord de la mer, à Saint-Malo. Pas de sensiblerie, pas d’édulcoration, le lecteur sait qu’on n’est pas dans une famille parfaite. Mais beaucoup de poésie (Ernest qui a repéré que sa sœur aime la poésie, lui concocte un livret de recettes poétiques pour les repas de chaque jour), d’émotion, de justesse et de sensibilité. Il en fallait pour que l’histoire soit crédible et laisse in fine un brin d'espoir dans ce qui pouvait passer pour un peu misérabiliste. Un roman pour les jeunes que bien des adultes devraient lire ! Car il démontre la puissance de la littérature et des pouvoirs de l'imaginaire qu'elle déploie pour mieux vivre, et même, peut-être, changer la vie...


lundi 23 septembre 2019

23 septembre 2019 : le poème du mois


on ne peut écrire qu’en faisant inconsciemment le pari qu’écrire retardera et même repoussera indéfiniment la mort...
(Yvon Rivard, Le dernier chalet, Leméac, 2018)



Je vous propose ce texte, que j’ai connu pour la première fois en 1964, chanté par Jacques Douai :



L'amour sans amour,
Comme un gant retourné,
Comme un animal mort,
Comme une fleur brisée.

L'amour sans amour,
À quoi bon, pourquoi pas ?
On en vient, on y va,
On en meurt chaque fois.

L'amour sans amour,
Que tes chambres sont noires
Dans tes pâles miroirs
Et tristes histoires.

L'amour sans amour,
Quelle peine est la tienne ?
Quelle rose éclatée
Saigne à ton côté ?

L'amour sans amour,
Quelle coupe bois-tu
En marchant dans les rues
Comme un soleil perdu ?

L'amour sans amour,
C'est un feu qu'on renverse
Sur un tapis de Perse
Et du vin répandu.

Pierre Seghers

Et voici le chant de Jacques Douai :
https://www.youtube.com/watch?v=oqK14oBaAh4

samedi 21 septembre 2019

21 septembre 2019 : polar, cinéma et théâtre


Le bonheur qui arrive : c’est le vent salé qui te frappe au visage, un frémissement qui te parcourt la peau et qui te donne envie d’embrasser tout le monde.
(Eduardo Galeano, La chanson que nous chantons, trad. Régine Mellac et Annie Morvan, Albin Michel, 1977)


Pour parler comme les pédants, Luc Chomarat (invité du Festival Polar en cabanes, et présent à ma bibliothèque de quartier ce samedi 21 septembre) réalise dans Le dernier thriller norvégien une mise en abyme (et aussi un pastiche) du polar nordique. Il nous présente un éditeur parisien, Delafeuille, envoyé par son patron à Copenhague pour négocier les droits de traduction du nouveau roman, et best-seller en puissance, d’un auteur incontournable. Sauf que deux autres maisons d’édition sont prêtes à décrocher le jackpot et ont envoyé aussi leurs émissaires. Les trois Parisiens se retrouvent dans le même hôtel. Or, un tueur en série, surnommé l’Esquimau, sévit en ce moment même dans la capitale danoise. Et voilà que Delafeuille, à qui on vient d’apporter le livre à traduire, commence à le lire, et s’aperçoit que dans Le Dernier Thriller norvégien, titre du roman qu’il est en train de lire, L’Esquimau est désigné comme un tueur en série, que lui-même, Delafeuille, est un des protagonistes de ce même roman, et que Sherlock Holmes, le héros de Conan Doyle, est sur les lieux pour enquêter. La réalité se brouille avec la fiction. Je n’en dirai pas plus, sinon que le résultat reste un polar réussi, à la fois pastiche et hommage au genre. On est parfois saisi de vertige, on se demande si l’auteur va retomber sur ses pieds. On rigole pas mal aussi, pour peu qu’on soit familier et du polar nordique et de Sherlock Holmes. Car l’auteur ne manque pas d’humour, et il en faut pour dénouer l’intrigue un tant soit peu macabre. S’y ajoute une saine critique du milieu éditorial, prêt à s’étriper pour n’importe quelle nullité, pourvu qu’elle se pare des plumes d’auteur de polar "scandinave" et présumée futur best-seller international. Ce qui montre bien que le chiffre de vente semble le seul critère des actionnaires de certaines maisons d’édition ; une des éditrices dit à Delafeuille : "Je ne peux pas prendre le risque d’avoir l’air cultivée. Cela signifierait que je consacre une partie non-négligeable de mon temps à des choses dont la rentabilité peut être sujette à caution. Je vois. Vous le savez comme moi, Delafeuille, notre milieu est dur, cruel. Il l’est d’autant plus qu’un lecteur, aujourd’hui, est devenu très difficile à attraper. C’est une espèce en voie de disparition." Le troisième candidat aux droits de traduction avoue ingénument qu’il ne lira même pas le livre, qu’il n’en lit plus, que ce sont des "produits" à vendre, point-barre. Cette satire du milieu éditorial fait froid dans le dos.













 
Luc Chomarat, présent en chair et en os, nous a parlé de ses livres, et en particulier aussi de son « roman » Les dix meilleurs films de tous les temps (trouvé en vente sur place, et que je me suis empressé d’acheter). On y voit le narrateur tenter vainement de dresser cette fameuse liste. Il s’embourbe d’abord dans une rapide évocation du Japonais Yasujirō Ozu, dont chacun des films pourrait figurer dans la liste, puis de son compatriote Naruse, avant de sauter sur des auteurs de second rang qui paraissent aussi incongrus dans une telle liste que l’Italien Mario Bava (il possédait un livre sur ce cinéaste dans sa bibliothèque personnelle, mais n’avait jamais rien vu de lui), ce qui le mène au maître de l’horreur sanguinolente transalpine Dario Argento et à Lucio Fulci, autre épigone du genre. Et de s’embarquer sur le western (et là, John Ford tient la corde, car il peut soutenir la comparaison avec Ozu, selon le narrateur), avant de terminer sur le Russe Tarkovski, devant les films de qui il a souvent envie de s’enfuir avant la fin.


Beaucoup d’humour là encore dans cette description de la cinéphile obsessionnelle, que le narrateur égratigne pourtant à l’occasion. Il met sa compagne à contribution pour qu'elle lui suggère quelque titre (ainsi Shaolin soccer, qui lui rappelle son goût pour les films "de baston") ou pour voir ensemble les Tarkovski, ce dont elle se serait peut-être passée. Et ça se termine ainsi : "Il tombe vraiment des cordes. Où vais-je bien pouvoir me réfugier ? Je vais me faire un ciné." Réflexion typique du cinéphile, à laquelle je souscris…


Et ce soir au théâtre La Lucarne de Saint-Michel, je viens de voir Solitarité, une pièce (publiée chez Actes sud) de la dramaturge roumaine Gianina Cărbunariu, une sorte de théâtre d’intervention, pour dénoncer la classe moyenne roumaineose de façon implacable : rejet des roms, absence de solidarité, individualisme généralisé et corruption. Cinq tableaux composent la pièce. Dans le dernier tableau, le maire de la ville, soucieux d’ordre, de sûreté publique et de salubrité, décide d’ériger une ligne de démarcation – en fait, un mur – entre le quartier rom et le quartier bourgeois. La scène est féroce, sous couvert de démocratie, le maire associe un rom enrichi au projet, ce dernier, entrepreneur comptant bien avoir le chantier en main ! Dans un autre tableau, une famille se réunit pour rassembler la somme nécessaire à l'opération d'un enfant. Mais ceux qui pourraient ne donnent rien, et c’est finalement une vente aux enchères du mobilier de la famille des parents qui permet à ces derniers de trouver un arrangement. Le premier tableau montre le cercueil d’une grande actrice, "Eugenia Ionescu", clin d’œil à Eugène Ionesco. L’actrice avait acheté une concession perpétuelle dans le quartier du cimetière national consacré aux personnes VIP, mais son fils veut vendre cette concession pour s’offrir une place de parking ! Le titre de la pièce, Solitarité, est une contraction de "solidarité" et "solitude". Car que reste-t-il quand la société va mal ? La haine des autres ethnies, le repli sur soi, un retour exacerbé à la religion, un nationalisme étroit. Un théâtre politique qui nous renvoie notre image dans un miroir : le discours du maire ressemblait à un discours de nos gouvernants.. Finalement, la Roumanie n’est pas si exotique !


jeudi 19 septembre 2019

19 septembre 2019 : encore un cycliste "étranger" chez moi !


un lecteur, aujourd’hui, est devenu très difficile à attraper. C’est une espèce en voie de disparition.
(Luc Chomarat, Le dernier thriller norvégien, La manufacture de livres, 2019)


José Manuel, habitant Malaga, après une carrière de trente ans comme administrateur de biens (à raison de 12 h par jour, m’a-t-il dit), charge à laquelle il avait succédé à son père, y a fait succéder son fils, et depuis occupe sa retraite (qu’il a pu prendre jeune, à moins de 60 ans) à faire du théâtre amateur (ses deux derniers spectacles, Le dîner de cons de Francis Weber et Mort accidentelle d’un amarchiste, de Dario Fo !), à apprendre le français en participant à un club de lecture en français et en lisant deux livres français par mois (ce mois-ci, il a Le Grand Meaulnes, et La peste au programme, rassure-toi, Luc, le lecteur n'est pas encore une espèce disparue, même si José m'a avoué n'avoir lu que de la littérature professionnelle pendant ses trente ans de carrière, en fait il a redécouvert le plaisir littéraire), à pratiquer l’échange de maisons et l’amitié, et s’est mis à l’usage de la bicyclette. Il fait donc des randonnées à bicyclette, en Espagne mais aussi en Écosse, en Allemagne, en Italie ou en France, seul ou parfois en compagnie de sa femme ou d'amis. 

José défait ses affaires : depuis mon vol de vélo en 2017, 
je fait monter dans mon salon les vélos des "warmshowers"
 
Et voici que c’est un nouvel invité du site "Warmshowers" qui débarque chez moi. Car José a choisi Bordeaux comme point de départ d’une rando à vélo jusqu’à Compostelle, soit 1000 km environ. Il est chez moi hier après-midi et n’a pas été déçu de son bref séjour. Il a pu communiquer en français (un peu laborieux et fautif, mais plutôt moins que mon anglais), nous a apporté un saucisson de Malaga et un fromage de brebis espagnol. Ma sœur Maryse avait préparé du riz et une ratatouille, j’ai fait un plat de salade (tomates, betteraves, avocat) et cuire le poisson (des filets de vives achetés au marché), et fignolé une salade de fruits (pêche, orange, banane, raisin, poire), que j’ai aromatisée au Cognac. Car Maryse était sortie pour récupérer à la clinique son amie S., qui devait dormir chez moi, après avoir subi une anesthésie générale : heureusement que j’ai trois lits et un canapé. De plus, ma nièce Pauline était aussi du dîner, après quoi elle est rentrée chez elle. Elle a débuté lundi dernier son stage-formation de dix-huit mois d’assistante dentaire dans une clinique de chirurgie dentaire bordelaise.

prêt à gagner la chambre

Inutile de dire que la conversation a été variée : entre le compte rendu des péripéties médicales de S., l’évocation par Pauline de ses débuts dans un nouveau milieu professionnel, et les racontars fort intéressants de José Manuel, je n’ai pas pu en placer une, et pourtant Dieu sait si je suis bavard… Mais j’ai apprécié de rester silencieux. Fort de sa situation en profession libérale (il y gagnait très bien sa vie), José Manuel s’est constituée une retraite privée par capitalisation et a pu partir à 53 ans. Il ne touchera sa retraite publique (par cotisation) qu’à 67 ans et y aura droit, car il faut trente années de travail et il les a : pour lui ce sera un petit rajout. Il vit très sobrement. Il nous apprend que son fils (30 ans) a revendu le bureau d’administration des biens, pour vivre autrement, voyager seul : il ne se voyait pas faire ce travail toute sa vie ! Mais le père et la mère n’ont pas protesté : les jeunes doivent vivre comme ils le souhaitent. Leur fille (32 ans), après une carrière dans la publicité, en a eu marre aussi et s’est reconvertie dans le tatouage à Berlin…

lors de mon dernier voyage à Paris, dans une galerie
un vélo devant des peintures faisait partie de l'exposition

Et ce matin, je l’ai accompagné à vélo à huit heures du matin, pour admirer le lever du soleil sur la Garonne et ses effets sur la Place de la Bourse, découvrir les principaux sites du centre ville, puis je suis resté avec lui sur un bout de chemin pour le mettre sur la piste cyclable qui rejoint, via Lacanau la fameuse Vélodyssée sur laquelle étaient partis mes deux cyclistes londoniens, Ananda et Rudy, le 9 juillet dernier, pour remonter jusqu’en Angleterre. José Manuel, lui, ira bien sûr vers le sud. Quelles magnifiques rencontres procure l’inscription sur le site "warmshowers" ! Je pense que je l’utilserai pas mal pour des contacts humains lors d’une prochaine randonnée, si je suis encore capable d’en faire. Car, pour l’instant, j’ai surtout été hôte, et une seule fois invité (à Genève en 2017). C’est un des bienfaits d’internet...

mardi 17 septembre 2019

17 septembre 2019 : la chanson du mois : Désolé Mémé


« Je fais aller tant que je m’en sens capable. Je ne veux pas me boucler dans une vieillesse, sous prétexte de prévoir. »
(Jean Meckert, Comme un écho errant, Joseph K., 2012)


Sur l’île de Groix, le FIFIG était animé par des comédiens, clowns, jongleyrs, crieurs, musiciens et chanteurs. Un joyeux quatuor nous a chanté cette chanson qui m’a beaucoup intéressé, car elle stigmatise le traitement indigne que l’on fait à nos anciens, une fois installés en maisons de retraite ou EHPAD, et à qui on rend des visites rares.
Ils nous ont chanté Désolé Mémé, chanson que je n’avais jamais entendue. Cette chanson inaugurera une nouvelle rubrique : la chanson du mois.



solé Mémé

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de ton dieu, quelque part qui t'attend, pourquoi tu flippes autant
J'dis pas que c'est pas marrant de te voir à 20 ans, vous êtes jeunes, vous faites vieux, à cause du noir et blanc.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de la guerre, des tickets de rationnement ou des bombardements.
J'dis pas que c'est pas marrant de parler de Mitterand ou de Michel Drucker, il est tellement charmant.

Désolé mémé, mais là je vais pas rester longtemps, tu me connais je suis comme ça je passe en coup de vent.

Excuse-moi mémé mais là je dois rentrer maintenant.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de grand-père, de son tempèrament et de son enterrement.
J'dis pas que c'est pas marrant de parler du cancer, de plaindre les mourrants, de compter les survivants.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de Poulidor, des frères Jacques, d'Yves Montand ou de Marcel Cerdan.
J'dis pas que c'est pas marrant de parler de la mort, de penser aux absents, se souvenir d'antan.

Désolé mémé, mais là je vais pas rester longtemps, tu me connais je suis comme ça je passe en coup de vent.

Excuse-moi mémé mais là je dois rentrer maintenant.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de l'arthrose et même si tout fout l'camp, pas de fauteuil roulant.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler du beau temps pour parler de quelque chose quand c'était mieux avant.

J'dis pas que c'est pas marrant de parler de faits divers, des enlèvements d'enfants, de plaindre les parents.
J'dis pas que c'est pas marrant de devenir incontinent comme la reine d'angleterre ou comme au vatican.

Désolé mémé, mais là je vais pas rester longtemps, tu me connais je suis comme ça je passe en coup de vent.

Excuse-moi mémé mais là je dois rentrer maintenant.

J'dis pas que c'est pas marrant de chanter cette chanson, c'est pas toi qui est dedans, quelques idées seulement.
J'dis pas que c'est pas marrant de jouer au petit con qui se moque, évidemment, tu sais m'aimer tellement.

J'dis pas que c'est pas marrant de manquer de courage, de pas te voir plus souvent, tu sais m'aimer tellement.
J'dis pas que c'est pas marrant si j'arrive à ton âge, pouvoir en faire autant, tu sais m'aimer tellement.

À écouter sur youtube chantée par Les wriggles :

dimanche 15 septembre 2019

15 septembre 2019 : Venise 2019.5 : une sorte de bonheur


si on vous écoutait, il n’y aurait bientôt plus un seul lecteur au monde. Que des décérbrés pianotant sur leur smartphone, indifférents aux beautés du monde qui nous entoure.
(Luc Chomarat, Le dernier thriller norvégien, La manufacture de livres, 2019)


en allant à l'apéritif dînatoire, je suis passé devant cette curieuse enseigne
le hamburger deviendrait-il gastronomie, ici ?

S’il y a un lieu habité où la beauté nous encercle de toute part, c’est bien Venise, et quel dommage de s’y promener sans en voir grand-chose, sans se perdre dans les ruelles peu fréquentées, sans entrer dans les églises où souffle l’esprit et où tant de peintures magnifiques nous attendent, en se contentant des rues commerciales et des deux ou trois incontournables, les ponts de l’Accademia et du Rialto et la place Saint-Marc avec la Basilique, le Campanile et le Palais des Doges. Et, en se levant tôt, on peut voir les beautés de la ville et de ses quartiers dans toute leur fraîcheur, avant l’invasion de la foule… On découvre des boutiques insolites, comme une librairie par exemple, où j’ai pu acheter une édition d’une sélection de Fables de La Fontaine traduites en italien.

on ne se lasse guère d'admirer canaux et bâtisses




Vu du vaporetto
le Palais des doges
et le Campanile



  
Et, en soirée, on peut assister à des concerts, des représentation théâtrales ou d’opéra, ou se contenter de promenades nocturnes, d’apéritif dînatoire en groupe, de repas en solo ou de lecture au lit, car s’il ne doit rester qu’un "seul lecteur au monde", je serai celui-là. D’ailleurs, la lecture repose du cinéma, des déambulations, du bruit aussi, même si Venise est moins bruyante que Bordeaux. La chambre de la Domus Ciliota devient une thébaïde où se ressourcer, redevenir soi-même, et n’être plus le festivalier, ni le voyageur, ni le piéton de Venise. Arrêt sur image en quelque sorte.

 La Domus Ciliota, dans une sorte d'impasse





soprano et baryton saluent après leur duetto

Ceci étant, j’ai consacré une soirée à un concert de chant lyrique, avec des airs d’opéras de Mozart, Rossini, Verdi et Puccini, en fait des airs assez connus d’opéras aussi célèbres que Les Noces de Figaro et Don Giovanni (Mozart), Le Barbier de Séville (Rossini), La Traviata et Rigoletto (Verdi) ou La Bohème et Tosca (Puccini) en solo ou en duo. Les chanteurs et cantatrices, tout comme l’orchestre de chambre qui les accompagnait, étaient habillés en costumes du XVIIIème siècle. Spectacle pour touristes, bien sûr. Mais ça m’a délassé, et c’est toujours étrange d’écouter un air sorti de son contexte, comme évadé de l’opéra. 

statue de Goldoni, le "Molière" italien (et d'ailleurs vénitien)
 
Un autre soir, je suis retourné au Teatro Goldoni voir cette fois une pièce inconnue, une adaptation de Goldoni bien sûr, L’enfant d’Arlequin perdu et retrouvé. En voici l’argument : Pantalone, astrologue, jouit indûment de la fortune de sa fille adoptive Rosaura, qu’il entend marier à son fils légitime Filene, pour conserver pour lui l’héritage de Rosaura. Sauf que cette dernière est tombée amoureuse : Florindo l’a épousée en secret, et ils ont même eu discrètement un bébé, une petite fille. Non de loin de là, Camila, la femme d’Arlequin, a accouché aussi au même moment d’une petite fille. À moment donné, pour ne pas que Pantalone découvre toute l’histoire, les deux enfants sont échangés. Arlequin consulte Pantalone au sujet de sa fille dont il ne reconnaît pas l’odeur, l’astrologue en fait l'horoscope et lui affirme qu’elle n’est pas de lui (ce qui est exact, puisque c’est l’enfant de Florindo et Rosaura) ; Arlequin croit que sa femme a été la maîtresse de Florindo et il faudra toute l’intelligence de Marionette, la servante de Pantalone, pour débrouiller tout l’imbroglio. C’est de la Commedia dell’arte dans toute sa splendeur : quiproquos en tous genres, cascades et jeux de scène, probables improvisations sur le canevas de base ; le tout joué de façon endiablée dans ce petit théâtre. J’en suis sorti tellement guilleret, d’autant que la compagnie nous offrait un verre de mousseux italien à la sortie, que j’ai failli me tromper de direction en sortant ! Une soirée jubilatoire, en italien (ou vénitien), surtitré en français et anglais, mais je me suis rapidement contenté de regarder et d’écouter, une fois les dix première minutes passées pour savoir qui était qui.

la troupe de comédiens devant le théâtre, et sans masques

Avec le groupe, nous avons passé deux soirées ensemble : le premier soir (jeudi), comme traditionnellement, un dîner au restaurant San Trovaso. Paul, relevant pourtant d’une opération du genou, s’est occupé de l’organisation et remplacé Michèle (malade) qui, depuis huit ans que j’y vais, dirigeait les opérations : délivrance des accréditations seulement cette année car chacun a choisi d'éventuelles excursions et de visites, Paul marchant difficilement ; saluons-le pour sa prestation. Très bon repas, comme à chaque fois. Le lundi suivant, apéritif dînatoire avec ceux qui le souhaitaient : autour d’un plateau de charcuteries italiennes et d’un plateau de fromages locaux, chacun a fait part de ses impressions. En dehors de ces rencontres de table, chacun était libre de ses mouvements. On se croisait au petit déjeuner, de temps en temps à la Mostra, ou lors d’une traversée en vaporetto. 

devant l'Arsenal, le bateau d'immigrés africains dans lequel un grand nombre se sont noyés
 
Je n’ai visité qu’une seule église cette année, celle de Santo Stefano, dont le clocher (campanile) m’a semblé pencher de plus en plus (à moins que j’oublie d’une année sur l’autre l’angle). Une peinture du Tintoret y était annoncée, mais je ne l’ai pas trouvée, elle était peut-être en restauration. Bref, au total, j’ai vraiment eu l’impression d’être ailleurs, pendant dix jours, immergé dans un autre monde, un peu comme lors de mes voyages en cargo. Une sorte de bonheur léger, aérien, impalpable, égoïste peut-être...








 et quoi de mieux que des bancs
pour délasser ses jambes (près des Giardini)


non loin de là, un goéland peu sauvage s'est posé sur une table du café en plein air