C'est
en s'approchant des autres qu'on acquiert les rituels d'interaction
nous permettant de coexister, c'est en apprenant à se servir des
mots que l'on découvre l'outil de l'expression de soi autorisant la
maîtrise de nos émotions et la visite du monde mental des autres.
(Boris
Cyrulnik, Préface de Marcher
pour s'en sortir)
Depuis
le lundi 22 octobre, l'excellente émission de France culture Les
pieds sur terre, propose à 13 h 30 un reportage intitulé « Ma
longue marche » qui va se développer tous les lundis et mardis
à cette heure jusqu'en janvier. Il s'agit d'une des marches initiées
par l'Association Seuil, fondée par Bernard Ollivier, ancien
journaliste et aussi marcheur (voir ses livres Longue marche,
où il raconte en trois volumes son périple d'Istanbul jusqu'en
Chine, où il explore la "faim,
dans cette troisième vie [la retraite], de lenteurs et de silence",
et développe l'idée que "la
marche est porteuse de rêve" et
Aventures en Loire
où il suit à pied et en canoë tout le cours du fleuve).
L'idée
de Bernard Ollivier, convaincu comme nous devrions tous l'être de
l'échec des politiques répressives (malheureusement réclamées par
l'opinion publique, ah ! cette dictature de la majorité) et surtout
de la prison pour les mineurs (répétons-le, la prison est
criminogène), est de proposer l'alternative d'une marche
individuelle de près de 2000 km en pays étranger, longue de cent
jours avec un accompagnateur adulte (et qui entre parenthèses coûte
moins cher que cent jours de prison !). "Le
projet Seuil recouvre pour le jeune plusieurs dimensions : […]
s'éloigner,
se mettre à distance de son milieu familial, social pendant les 3
mois de la marche. Se responsabiliser [gérer le budget alloué,
participer aux tâches quotidiennes, cuisine, vaisselle, montage de
la tente, lessive]. Acquérir et développer une autonomie. Poser
quotidiennement des actes de re-mobilisation : activités concrètes,
valorisantes, responsabilités dans la vie collective, avec
transparence totale de ses actes. Le jeune remet ses repères
habituels en question et commence à se restructurer. Réaliser un
exploit sportif de haut niveau qui nécessite un mental exceptionnel,
une volonté, une énergie jusque-là insoupçonnés. La marche va le
révéler à lui-même, à sa famille, à ses proches, à ses
éducateurs. En se déroulant dans un autre pays, la marche introduit
de l'inter-culturalité, permet de découvrir une autre société, de
rencontrer des marcheurs, des randonneurs venant d'horizons les plus
divers, des valeurs nouvelles bousculant ses représentations. Ce
projet ne peut fonctionner qu'en étroite coopération avec les
éducateurs et les travailleurs sociaux et repose sur une adhésion
de l'adolescent et non sur la contrainte. Le projet Seuil peut
s'apparenter à un placement de type CER (Centre Educatif Renforcé)
: c'est une prise en charge éducative renforcée qui est développée
d'une manière itinérante, déambulatoire"
( cf le site web : http://www.assoseuil.org/).
Le
reportage « Ma longue marche » va donc suivre le jeune
Idane pendant sa pérégrination. C'est passionnant. Parce qu'on se
rend compte en écoutant l'émission, comme à la lecture du livre
Marcher
pour s'en sortir
(Éd.
Érès), à quel point la réussite d'un tel projet repose sur le
constat de l'accompagnement individualisé, ce que ces jeunes n'ont
jamais eu, même à domicile. "L'adulte
qui accompagne le jeune sur le chemin est à la fois un soutien, un
guide, un objet sécurisant externe sur lequel s'appuyer, permettant
ainsi au jeune d'expérimenter le monde réel et d'entrer dans
l'espace social en toute sécurité",
écrit la psychologue Mathilde Poline dans ce livre collectif. Elle
rend compte du fait que le mode de fonctionnement actuel de notre
société, engluée dans la vitesse (il n'y a qu'à regarder la
télévision, les plans sont brefs, ultra-rapides, et ne permettent
en aucun cas de réfléchir à ce que l'on voit ni même d'en prendre
connaissance, chaque mini-information étant chassée par la
précédente) et la compétition (gagner de l'argent le plus vite
possible), peut être néfaste pour ceux qui sont fragiles et mal
outillés pour y résister. "En
prenant le temps d'avancer à vitesse humaine, le jeune oublie la
performance, le culte du « mieux que », pour se diriger
vers le mieux-être, voire le bien-être, et la connaissance de soi
ainsi que des autres",
ajoute-t-elle.
Le
principe est en effet le suivant : "Pendant
trois mois, ils effectuent autour de 25 km par jour, à pied, sac au
dos, sans portable, sans console de jeu, sans musique [sans MP3].
Difficile austérité, mais plus exaltante sans doute que celle de la
prison. Prix à payer pour un retour au lien social",
note dans ce même ouvrage David Le Breton, anthropologue et
sociologue. Car il s'agit bien avant tout de "rétablir
le lien social [ce qui] exige de restaurer l'échange, c'est-à-dire
de prendre le jeune dans son égale dignité et sa différence, non
pour approuver cette dernière, mais pour la comprendre et
éventuellement lui permettre une prise de distance avec ses routines
de comportement, par exemple son agressivité, sa propension à voler
ou à recourir à des drogues".
Voilà, tout est dit là : ce livre excellent, mais dont je
doute qu'il aura beaucoup de succès, hélas, démontre clairement
que "la
punition, sous la forme notamment de l'incarcération, n'a aucune
valeur éducative, elle traduit un réflexe de défense d'une
collectivité, mais elle ne lui apprend rien [au jeune délinquant],
sinon à être plus rusé la prochaine fois pour ne pas se faire
prendre",
comme le souligne David Le Breton.
L'ouvrage
nous propose aussi les témoignages d'accompagnateurs et de jeunes
marcheurs, devenus des "héros,
acteurs de leur propre réinsertion"
et capables "d'élaborer
des conduites constructives pour l'avenir".
Marcher
pour s'en sortir
est un livre fondamental, une vraie « Bible », que toute
personne s'occupant de la jeunesse, tout éducateur devraient
posséder. Ils y trouveraient matière à réfléchir sur la façon
d'aborder les jeunes en général, et les jeunes en difficulté en
particulier. Bien des parents pourraient s'en inspirer aussi, ce qui
leur éviterait bien des dérives et des déboires. Mais il est
tellement plus facile de laisser les enfants s'abrutir devant la
télévision et les jeux vidéo !
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