C'est
l'histoire de trois hommes qui se retrouvent en cellule. Le premier
dit : "J'en ai pris pour vingt ans pour avoir raconté une
blague." Le deuxième dit : "J'en ai pris pour quinze
ans pour avoir ri". Le troisième dit : "J'en ai
pris pour dix ans, et je n'ai rien fait". "Menteur", lui
disent les deux autres, "rien, c'est cinq ans".
(Kossi
Efoui, L'ombre des choses à
venir,
Éd. du Seuil, 2011)
J'ai
l'impression que notre monde devient de plus en plus inhumain :
course à la consommation excessive (et corollaire, des tas de gens
n'ont rien, dorment dehors), course à l'enrichissement (mais on ne peut s'enrichir
que sur le dos de ceux qui s'appauvrissent), course aux technologies
nouvelles (et corollaire, manque de relations humaines ordinaires,
car à quoi bon passer des heures devant ses écrans, smartphone,
ordinateur, si on n'est plus capable de communiquer en chair et en os), course
aux armements (un certain Adolf Hitler en a développé le funeste
exemple, et tout le monde s'est engouffré derrière, faut croire que
ça rapporte plus que de soigner, nourrir et éduquer les
populations), etc... Faut-il croire, avec Paul
Verhoeven (interview dans Télérama,
n° 3448, février 2016) que "L'espèce
humaine est accro à la noirceur" et que "Les journaux sont remplis de
mauvaises nouvelles, car ce sont les seules qui font vendre" ?
Pour
ma part, je préfère la légèreté, la fantaisie et le sentiment, bref, ce qui fonde l'humanité, la vraie.
Tout ce que j'ai trouvé dans le film La
vache,
de Mohamed Hamidi, vu hier soir en avant-première. Un paysan
algérien, Fatah (joué par le fabuleux Fatsa Bouyahmed, prix d'interprétation mérité pour ce rôle au Festival de L'Alpe d'Huez)), après
plusieurs réponses négatives les années précédentes, est enfin
accepté pour présenter sa vache, Jacqueline, au salon international
de l'agriculture de Paris, qui lui envoie une invitation et un visa pour la France,
mais il doit lui-même se payer le voyage. Malgré l'opinion parfois
négative des villageois (il donne l'impression de s'occuper
davantage de Jacqueline que de sa femme et de ses deux filles), tout
le village se cotise pour lui permettre de partir. Lui qui n'est
jamais sorti de son village, quitte donc sa femme et ses filles.
Il arrive à Marseille (scène très drôle à la douane), et de là, Fatah tente de gagner Paris à
pied, avec sa vache. Un road movie donc, qui offre l'occasion de
rencontres truculentes (comme une fête où on le fait chanter... et
boire), dramatiques (il se trouve pris dans une manifestation d'agriculteurs où la police
le prend pour un des meneurs et casseurs, et il passe la nuit au
poste) et aussi amicales (une fermière, prénommée aussi
Jacqueline, qui lui donne l'hospitalité, un aristocrate désargenté
(Lambert Wilson) à qui il regonfle le moral, et même son beau-frère Hassan
(Jamel Debbouze), exilé en France et au départ mécontent de sa
venue, car il a caché à sa famille qu'il a épousé une Française, mais qui devient son plus fervent supporter)... Interviewé
par la télévision, il acquiert la célébrité sur les réseaux sociaux
et on attend avec impatience son arrivée au salon.
Très
belle histoire où l'on passe du rire aux larmes, le choc des
cultures est une belle occasion pour le réalisateur de montrer la
profonde humanité qu'il y a chez les uns et les autres, tant sur la
route en France qu'au bled où on suit les péripéties du voyage de Fatah et de Jacqueline avec passion, jusque dans l'école primaire, où ça donne lieu à des cours de géographie. Voilà, La
vache
est un film émouvant parce qu'il nous parle de l'Homme : c'en est presque
troublant, tant on avait perdu de vue, dans les blockbusters et les
comédies habituelles, la joie, la simplicité et la richesse intérieure qui
existe chez l'être humain. On n'oubliera pas de sitôt Fatah, sa bonhommie souriante, sa
manière hasardeuse de parler français et de détourner nos
proverbes : "Qui
veut voyager loin, il change de voiture"
ou "Rien
ne sert de courir, faut partir en avance", ni sa vache Jacqueline, aux si beaux yeux. Le deuxième film de Mohamed Hamidi (après
l'excellent Né
quelque part,
cf mon blog du 26 juin 2013) est tout aussi tonique, optimiste et
indispensable dans l'atmosphère délétère qui règne chez nous en
ce moment !
Bravo, on en sort heureux. J'espère que le public sera
au rendez-vous, ou c'est à désespérer de l'humanité. Le film m'a
rappelé La
vache et le prisonnier
avec Fernandel et Marguerite, aussi bien que le beau récit autobiographique
d'Hadrien Rabouin, Le
journal d'Hadrien et Caroline (Ed.
du Rocher, 2009), où un jeune paysan raconte ses pérégrinations
avec sa vache le long des routes de France. La même humanité
irrigue ces trois œuvres.
C'est
cette même humanité que j'ai retrouvée cette année dans d'autres
films (La
terre et l'ombre,
film colombien, Les
délices de Tokyo,
japonais, Au-delà
des montagnes,
chinois, A
second chance,
danois) ou dans mes lectures récentes : le formidable Assise : une rencontre inattendue
du Franco-Chinois Francois Cheng, le mystérieux L'ombre
des choses à venir
du Togolais Kossi Efoui, l'émouvant Une
vie entière de
l'Autrichien Robert Seethaler : "Il
ne s'était jamais trouvé dans l'embarras de croire en Dieu, et la
mort ne lui faisait pas peur",
le magnifique La
vie comme une image
de la Canadienne Jocelyne Saucier :
"Si
j'aime tant à me promener dans mon enfance, c'est que j'y ai laissé
des rêves merveilleux",
ou de nouveaux racontars du Danois Jørn
Riel : "Ayant
passé une longue période sans faire usage de sa langue, voilà
qu'il était maintenant saisi de l'envie de transformer ses pensées
en sons" (Le
canon de Lasselille et autres racontars,
Gaïa, 2001).
Bref,
la vie reste belle, en dépit de la méchanceté humaine et des va-t-en guerre de tous bords !