vendredi 30 octobre 2020

30 octobre 2020 : l'huile sur le feu



quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre, vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile [….] Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. […] demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, ,je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment.

(Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883)





Je suis surpris par le silence assourdissant de tous ceux qui ont été choqués, comme moi, des provocations réitérées de Charlie hebdo. J’ai immédiatement dit à ma sœur : « Tu vas voir que ça va causer du désordre, et peut-être même des attentats ». Était-il nécessaire de republier ces caricatures ? Et d’en rajouter, avec la caricature ignoble d’Erdogan mercredi dernier ? Désolé, je ne suis pas Charlie, dans les deux sens du mot "suis" : je suis (verbe être) moi, et Charlie est Charlie, et je ne le suis (verbe suivre) pas non plus quand je juge que le magazine se fourvoie dans les provocations inutiles, au moment où l’on a le plus besoin d’union. Trop peu de personnes s’indignent et ne soulignent pas qu’en s’engageant dans une voie sans issue (dont les conséquences, hélas très prévisibles, mettent notre pays sur la voie d'un impossible dialogue), Charlie met de l’huile sur un feu qui n’est que trop prompt à prendre et contribue à allumer un brasier qu’on aura bien du mal à éteindre.

Certains voudraient, de toute évidence, asséner sans précaution des valeurs qui ne sont pas communes à tous, et pour qui il faudrait faire preuve de pédagogie. "Aujourd’hui encore, ce n’est pas en froissant ou en niant unilatéralement la validité de leurs croyances que l’on arrivera à persuader les élèves de la valeur première donnée à la liberté, y compris d’expression, dans une République laïque", lis-je dans un bel article de Réforme, paru cette semaine, qui se conclut par : "éduquer les futurs citoyens à la liberté, dans les limites strictes de celle des autres, et au respect de toutes les croyances et opinions que la République française proclame pourtant explicitement dans l’article premier de sa Constitution".

Cette liberté d’expression qui, fourvoyée et devenue irresponsable et sans respect des autres, devient le lit du terrorisme. Ne faisons d’ailleurs pas de la liberté le nec plus ultra de la République. Quid de l’égalité (qui aurait dû en être un pilier) et de la fraternité, si souvent malmenée, et en particulier par Charlie. Je sais que je vais faire hurler dans certaines chaumières, mais pour moi, la laïcité, c’est d’abord le respect de tous, et l’école était-elle le lieu privilégié où montrer à des ados (on est très fragile à cet âge-là) les fameuses caricatures de Mahomet. Sont-ce des chefs d’œuvre artistiques ? Certainement pas.

Au secours, Jules Ferry ! l’école elle-même est devenue folle !

Texte intégral de La Lettre aux instituteurs :

https://fr.wikisource.org/wiki/Jules_Ferry_-_Lettre_aux_instituteurs,_1883

 

dimanche 4 octobre 2020

4 octobre 2020 : le roman des gilets jaunes

 

Au sol, un bras n’avait plus de main. L’image était effroyable par ce qu’elle montrait et comment elle le montrait de façon clinique, du sang, et des tendons ; de la chair qui pend, et une vie qu’on prend.

(David Dufresne, Dernière sommation, Grasset, 2019)


Tout le monde se souvient de la révolte des gilets jaunes ("Qui étaient ces gueux, et ces factieux, ces dangereux et ces séditieux ?" se demandent les grands de ce monde, qui n’ont rien vu venir, pris dans leur rêve jupitérien de croissance et de puissance infinies) et des violences policières qui ont eu lieu à ces occasions. Et quelles violences ! Il y eut des mains arrachées, des personnes éborgnées, sans compter de nombreux blessés, hommes et femmes, de décembre 2018 à juin 2019, et même au-delà. David Dufresne, journaliste indépendant (qui a collaboré à Médiapart), a signalé de nombreux cas de brutalités policières sur son compte Twitter Allô, @place_beauvau. Il en a fait l’objet d’un travail de vérification très documenté, car il ne pensait pas que ces "dérives" ou "bavures" policières perdureraient. Mais ça a l’air d’être devenu une règle dans le "maintien" de l’ordre. Comment expliquer que la proportionnalité de la riposte ait dépassé les limites ordinaires ? Avec les nasses, les gaz lacrymogènes, les flashballs, des décès par asphyxie et les matraquages d’une violence inouïe, notamment contre des femmes au sol, occasionnant des blessures très graves.

Le journaliste en a fait un premier roman : Dernière sommation. Probablement écrit dans l'urgence, et très réussi comme une "traversée du réel" qui nous fait grand besoin aujourd'hui. Au moment où les médias mainstream ont tout fait pour écarter la vérité sur ces violences (pas un mot sur les chaînes d’info en continu : "Une galerie des horreurs s’installait sous ses yeux fatigués. Dardel y croisait des blessés, des légers, des graves, des indéterminés, une poignée de mutilés. Une jambe brisée, deux yeux crevés, et rien sur LCI"), au point qu’un président de parti politique peut dire que « les violences policières en France, ça n’existe pas » ou qu’un ministre haut placé ajoute : « Ne parlez pas de répression et de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit » (ce qui est vrai, mais ça me rappelle ces Turcs rencontrés lors de la manif du 1er mai 2019 qui me disaient : « on se croirait en Turquie », ce qui en disait long sur notre prétendu état de droit), on était en droit de voir un littérateur (comme Hugo et Zola avant lui) s’emparer du sujet.

Le roman tente de comprendre le pourquoi de la brutalité des forces de l'ordre entre les mains desquelles ont été mises de nouvelles armes de guerre ("Les mutilés ? Les risques du métier… Vous comprenez, pour un de touché, mille manifestants qui désertent.", résume un haut gradé de police dans le roman). David Dufresne invente un alter ego, Étienne Dardel qui nous dit : "Je ne suis pas contre la police. Je me bats contre l’État policier". Il nous livre ici le roman des gueux d'aujourd'hui, des laissés pour compte, de ceux qui n'ont et ne sont rien, des éternels humiliés et offensés, heureux de se regrouper autour des ronds-points, un roman de l'urgence, une enquête à la Zola. Au moment ou nombre de romanciers français ne regardent que leur nombril (très bourgeois), David Dufresne décrit les mouvements de foule, l’usage des armes de guerre, les violences d’État, présente des mutilés, comme la jeune Vicky (à la police des polices, car elle a porté plainte, elle dit : "Voilà en quoi consiste votre travail : il consiste à ce que des banlieues restent des banlieues, des lieux bannis, des paysages mornes où l’idée même de fronde joyeuse est réprimée dans le sang, bavure après bavure, contrôle après contrôle. Je le sais, j’y vis"), leur colère, leur incompréhension, la sidération qui les saisit… On entend enfin les sans-voix, leur inventivité dans les slogans, la servilité des éditorialistes (et des prétendus "experts" télévisuels, plus soucieux de leurs carrières que de la vérité

 


Un roman poignant, qui se lit à toue allure et qui décrit très bien les barricades (ah ! le saccage des Champs Élysées !) et qui permet de "bien comprendre l’incompréhensible, ces armes de guerre envoyées sur des civils, en plein Paris". Conclusion : "Le pays était devenu violent jusqu’à ne voir qu’une catégorie de violences, celle qui le mettait en cause".

N’est-ce pas Dom Helder Camara, l’archevêque des bidonvilles du Brésil qui nous disait dans un texte qui est plus que jamais d’actualité (et que l’auteur cite dans le livre) : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue ».


 

vendredi 2 octobre 2020

2 octobre 2020 : la chanson du mois, Gainsbourg

 

Elle ne pleurait pas sur elle-même, mais sur le trop d’émotions qu’elle vivait malgré elle.

(Daniel de Roulet, Dix petites anarchistes, Buchet-Chastel, 2018)



Octobre est là, avec ses frimas, ses feuilles mortes, on ressort les pulls, les pantalons longs et chauds, les parapluies, et l’envie de retser chez soi et d’écouter des chansons. Enfin, je sors encore pas mal, surtout qu’on me dit qu’une heure d’exercice par jour est indispensable pour se maintenir en bonne santé. Et que j’ai la chance de pouvoir encore faire du vélo (403 km en septembre, peux faire mieux, mais c’est déjà plus qu’en juillet : 64 et août : 118) et marcher, et mixer avec les activités culturelles (cinéma, 3 ou 4 films par semaine, lecture : plusieurs livres par semaine, théâtre, même si c’est désagréable avec un masque, et chanson, j’écoute Barbara, Françoise Hardy, Anne Vanderlove, Ferrat, Brel, Moustaki, Gainsbourg, en plein dans les années 60 grâce à internet qui a tout de même du bon),

Alors, voici la chanson de Prévert, chanson du mois dont j’ai écouté plusieurs versions, mais la meilleure interprétation reste celle de Gainsbourg pour mon goût.


 

La voici : https://www.youtube.com/watch?v=SSnvVGSaRlo


"Oh je voudrais tant que tu te souviennes"

Cette chanson était la tienne

C'était ta préférée je crois

Qu'elle est de Prévert et Kosma


Et chaque fois "Les feuilles mortes"
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir

Avec d'autres bien sûr je m'abandonne
Mais leur chanson est monotone
Et peu à peu je m'indiffère
A cela il n'est rien à faire

Car chaque fois "Les feuilles mortes"
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir

Peut-on jamais savoir par où commence
Et quand finit l'indifférence
Passe l'automne vienne l'hiver

Et que la chanson de Prévert


Cette chanson "Les feuilles mortes"
S'efface de mon souvenir
Et ce jour là mes amours mortes
En auront fini de mourir

Et ce jour là mes amours mortes
En auront fini de mourir