quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre, vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile [….] Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. […] demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, ,je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment.
(Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883)
Je suis surpris par le silence assourdissant de tous ceux qui ont été choqués, comme moi, des provocations réitérées de Charlie hebdo. J’ai immédiatement dit à ma sœur : « Tu vas voir que ça va causer du désordre, et peut-être même des attentats ». Était-il nécessaire de republier ces caricatures ? Et d’en rajouter, avec la caricature ignoble d’Erdogan mercredi dernier ? Désolé, je ne suis pas Charlie, dans les deux sens du mot "suis" : je suis (verbe être) moi, et Charlie est Charlie, et je ne le suis (verbe suivre) pas non plus quand je juge que le magazine se fourvoie dans les provocations inutiles, au moment où l’on a le plus besoin d’union. Trop peu de personnes s’indignent et ne soulignent pas qu’en s’engageant dans une voie sans issue (dont les conséquences, hélas très prévisibles, mettent notre pays sur la voie d'un impossible dialogue), Charlie met de l’huile sur un feu qui n’est que trop prompt à prendre et contribue à allumer un brasier qu’on aura bien du mal à éteindre.
Certains voudraient, de toute évidence, asséner sans précaution des valeurs qui ne sont pas communes à tous, et pour qui il faudrait faire preuve de pédagogie. "Aujourd’hui encore, ce n’est pas en froissant ou en niant unilatéralement la validité de leurs croyances que l’on arrivera à persuader les élèves de la valeur première donnée à la liberté, y compris d’expression, dans une République laïque", lis-je dans un bel article de Réforme, paru cette semaine, qui se conclut par : "éduquer les futurs citoyens à la liberté, dans les limites strictes de celle des autres, et au respect de toutes les croyances et opinions que la République française proclame pourtant explicitement dans l’article premier de sa Constitution".
Cette liberté d’expression qui, fourvoyée et devenue irresponsable et sans respect des autres, devient le lit du terrorisme. Ne faisons d’ailleurs pas de la liberté le nec plus ultra de la République. Quid de l’égalité (qui aurait dû en être un pilier) et de la fraternité, si souvent malmenée, et en particulier par Charlie. Je sais que je vais faire hurler dans certaines chaumières, mais pour moi, la laïcité, c’est d’abord le respect de tous, et l’école était-elle le lieu privilégié où montrer à des ados (on est très fragile à cet âge-là) les fameuses caricatures de Mahomet. Sont-ce des chefs d’œuvre artistiques ? Certainement pas.
Au secours, Jules Ferry ! l’école elle-même est devenue folle !
Texte intégral de La Lettre aux instituteurs :
https://fr.wikisource.org/wiki/Jules_Ferry_-_Lettre_aux_instituteurs,_1883