Ce n’est pas l’arrivée qui m’intéresse dans un chemin. Mais c’est le fait de marcher, d’être en mouvement. Stagner me fait peur !
(Esteban Moreno Corral, Les hommes oignons, Éd. de la Trémie, 2022)
Voilà, je suis revenu, moi qui suis devenu vagabond et heureux de l’être, ma foi ! Car, comme dit l’auteur de ce bel et étrange roman, Stagner me fait peur ! Et comme je m’aperçois que ça fait plaisir à celles et ceux que je visite, que ce plaisir est réciproque, je n’ai aucune raison de cesser "d’être en mouvement" : ça arrivera bien assez tôt quand je serai invalide ! D’autant plus qu’à chaque fois, je me dis que c’est peut-être la dernière fois qu’on se rencontre : entre le covid, le risque d’accident, mes ennuis de santé (AIT en 2019, AVC en 2020), le fait aussi que je suis nettement plus près de la fin de ma vie que du début m’encourage à persévérer et à me promener le long des chemins.
Cette fois-ci, j’ai fait la boucle Bordeaux-Lyon-Montpellier-Bordeaux entièrement en autocar longue distance (Flixbus) : moins cher, plus direct (de Bordeaux à Lyon en particulier), plus riche en rencontres que le train. Témoin cette vieille dame qui fut ma voisine dans le bus de Lyon à Montpellier, et qui m’a raconté sa vie, un vrai roman tragique dans l’enfance et la jeunesse, mais qui lui a forgé un moral d’acier. En effet, elle est née de père inconnu, a été placée, puis sa mère s’est mariée et a repris l’enfant : elle la battait, son beau-père l’a violée à partir de treize ans et battait aussi sa mère. Elle a eu le courage de le dénoncer quand elle en a eu seize, et de témoigner au procès, témoignage qui valut au beau-père une condamnation à dix ans de travaux forcés. Après la condamnation, sa mère l’a chassée. Elle s’est débrouillée par la suite, s’est mariée, et a eu trois enfants : elle voulait savoir comment étaient des enfants qu’on aime ! Elle a quatre-vingt-deux ans maintenant, des petits-enfants, sa fille cadette est morte accidentellement à vingt-neuf ans. Mais elle a réussi à surmonter ce deuil. Une "âme forte", comme dirait Giono, et une belle rencontre.
Jean, sur le bateau presque vide
À Lyon, j‘ai donc revu Jean, mon compagnon du cargo de 2013, qui m’a chaleureusement accueilli et hébergé, et Fortune, la "vieille dame de Tanger", connue en 2012 sur le ferry qui traversait le détroit de Gibraltar. À bientôt 90 ans, elle ne sort plus guère de chez elle, marche à tout petit pas, mais m’avait préparé un tajine d’agneau délicieux. Jean (72 ans), de son côté, en gourmet et fin cuisinier qu'il est, m’a concocté des plats aux petits oignons, m’a emmené faire une croisière fluviale sur la Saône et fait visiter le vieux Lyon… On se reverra.
Dans le vieux Lyon, un "pub" anglais, avec en décoration une des fameuses cabines téléphonique rouges
À Montpellier, où j’ai vu ma sœur Monique, mon beau-frère, ma nièce et son compagnon, je suis allé aussi au Festival Cinémed. J’y ai retrouvé des compagnes et compagnons de la Mostra de Venise de ces dix dernières années : Christine, Henri, Pauls, etc. Je parlerai du Festival un autre jour. Parallèlement, j’ai rendu visite à mon ami traducteur du suédois, Philippe B. (84 ans) très affaibli par son AVC (féroce) de 2021 et qui se remet difficilement.
Automne allemand, un des livres traduits par Philippe : je l'ai lu en septembre
Et j’ai profité de mon passage dans l’Hérault pour voir un autre ami, Jean-Yves G., connu depuis 1977, qui habite à Bédarieux, où l’on peut se rendre depuis Montpellier grâce à un réseau de bus départementaux des plus efficaces et aux pris imbattables : 10€ la carte de dix voyages, soit 2€ l’aller-retour(60 km de distance). Je l’ai trouvé amaigri, il a un cancer, refuse toute chimio et tous rayons, mais il tient debout. Nous avons mangé dans une boutique-restaurant bio, c’était succulent…
Et, en dehors du Festival, je suis allé voir deux films d’animation magnifiques : Le petit Nicolas, d’après l’œuvre de Sempé et Goscinny, et Le pharaon, le sauvage et la princesse, de Michel Ocelot, mise en images de trois contes merveilleux, dont les deux derniers sont absolument sublimement mis en valeur. L’animation nous réconcilierait-elle avec l’humanisme ?