mercredi 31 août 2022

31 août 2022 : la mort fait partie de la vie

 

Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort.

(Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, trad. André Bourguignon, Payot, 1989)


Il y a treize ans et trois mois, Claire est morte à la maison, entourée des siens, comme on dit. Comme autrefois. Bernard Werber nous dit : "avant, quand un grand-père mourait, ses petits-enfants voyaient le long dépérissement du vieillard. De nos jours, le grand-père part pour l’hôpital, et puis on ne le voit plus jusqu’au jour où le téléphone sonne pour signaler que « c’est fini »" (Le livre du voyage, Albin Michel, 2003). Le voyage en question, c’est la voyage de la vie qui, effectivement se termine par la mort : mot tabou aujourd’hui, qu’on ne prononce qu’avec des pincettes. Un gros mot. Comme de dire : « Je suis vieux », on voudrait nous l’interdire, on serait tous jeunes ! Eh bien non, moi, j’ai envie d’en parler, encore et encore. 

Parce qu’on en a peur ! La belle affaire. Il faut n’avoir pas vécu pour avoir peur : ainsi, le capitaine au long cours Godde dans le dernier tome de la trilogie du Sel de la mer d’Édouard Peisson, échoué seul sur l’épave du navire qu’il commandait, lui qui a tant vécu des aventures de mer, se dit : "Lui, Godde, avoir peur ! Parce que sa vie était menacée, parce qu’il était seul à bord de l’épave ! Mais, jamais en trente ans de mer, d’Atlantique du Nord, il n’avait eu peur. Il avait éprouvé toutes sortes de sentiments redoutables : crainte, anxiété, angoisse, désespoir, horreur" (Dieu te juge !, Le livre de poche, 1960), mais pas la peur.

Et moi, j’aurais peur, moi qui ne suis pas dans un navire en train de sombrer ! Je viens de passer une coloscopie : on nous fait signer un papier signalant qu’on risque de ne pas se réveiller de l’anesthésie générale. La belle affaire là aussi, mourir dans son sommeil, fût-il artificiel, tout le monde à peu près pense que c’est la plus belle mort. Va-t-on cesser de se coucher et de s’endormir tous les soirs pour autant, parce qu'on peut ne ne pas se réveiller ? C’est bien la preuve qu’on n’a pas si peur de la mort qu’on le prétend !

J’ai commencé à lire Les Thibault, la magnifique saga (comme on dit aujourd’hui), je dirai plutôt "suite de romans", de Roger Martin du Gard (prix Nobel 1937). Je n’avais jamais lu cette freque magistrale jusque-là. J’ai lu les six premiers volumes, il m’en reste deux. Les volumes centraux, La Sorellina et La mort du père, évoquent justement la maladie, puis la mort du père, Oscar Thibault, après des souffrances terribles. Son fils Antoine, médecin, décide, au terme d’un combat intérieur, d’abréger la vie de son père. C’est à la fois terrible et sublime. 

Je rappelle ici que Claire aurait souhaité que je lui abrège sa vie, en lui donnant en une seule fois les doses de morphine d’une semaine que nous avions. Je ne l’ai pas fait, je n’étais pas médecin et ne m’en sentais pas le droit. Elle aurait aimé aussi aller en Suisse, où la mort assistée était permise. Ça n’a pas pu se faire, et finalement, elle est morte parmi nous, et nous avons pu assister à son long "dépérissement", Mathieu, puis Lucile aussi dans les derniers moments. Le regrettons-nous ? Je ne le crois pas, je dirai même, au moins en ce qui me concerne, que j’ai apprivoisé la mort, le vieillissement et la maladie.

Hier matin, je me suis réveillé de l’anesthésie, et je suis vivant : la meilleure façon d’affronter la mort, c’est de rester vivant. Ce qui veut dire ne pas avoir peur, ni de la solitude, ni de la rencontre des autres, ni des étrangers, des migrants, des gens "prétendument" pas comme les autres, des voyages, des guerres, ni de la nuit, ni du chaud, ni du froid... Car on ne vit pas dans la peur ! Comme écrivait Gilbert Cesbron, "il suffit d’aimer". Baudelaire disait : "Tout est là : c'est l'unique question", et ne soyons pas, comme il écrivait aussi, "les esclaves martyrisés du temps" ! Enivrons-nous de vie et rendons agréable celle des autres, c'est le seul moyen de bien finir et de conjurer la mort, pour un temps !


mardi 30 août 2022

30 août 2022 : le silence

 

Je me suis senti soulagé de t’avoir appelée, et plus soulagé encore que tu n’aies pas décroché. Le téléphone est ce que nous avons trouvé de mieux pour ne pas nous parler.

(Éric Fottorino, Dix-sept ans, Gallimard, 2018)


Je suis allé à la messe dimanche dernier à l’église de la Trinité, à 300 mètres de chez moi, première fois que j'y allais, sur la suggestion d'Huguette, man amie en EHPAD. Je dois constater une fois de plus que nous avons perdu l’essence de la spiritualité, c’est-à-dire le silence. J’en tiens pour coupables tous ces appareils électriques ou technologiques (radio, télévision, téléphone et surtout smartphone), qui sont allumés en permanence, comme s’ils nous étaient essentiels. Résultat, même avant la messe, au lieu de se recueillir pour partir à la rencontre de Dieu – si tant est que ce soit un objectif à atteindre dans ce type de cérémonie – dans les dix minutes qui précèdent, ça papotait dans tous les coins, et quand ça ne papotait pas, c’est qu’on avait les yeux rivés sur son smartphone (des ados par exemple, mais pas qu'eux). Nous étions quelques-uns seulement à être en silence. Qu’après, pendant le culte qui suit, on chante des cantiques, des psaumes, des litanies, je comprends : on est venu pour ça, pour célébrer Dieu. Qu’à la sortie de l’église, on se parle entre habitués, on accueille les nouveaux venus (personne n'est venu me parler !), je conçois aussi. Mais avant ? On doit se concentrer, on peut se saluer discrètement, mais on entre dans le sacré.

C’est la même chose pour les sportifs : avant une course, une épreuve, on doit se concentrer. Même chose quand on va au cinéma, au théâtre, à l’opéra, à un concert : je m’assois à ma place, je ferme les yeux pour que mon esprit soit prêt à accueillir le don que me font les artistes (metteurs en scène, acteurs, chanteurs, artistes en tous genres). Idem, peut-on imaginer de lire dans le brouhaha ?

On dirait que la majorité de nos contemporains ont peur du silence. Cette vertu si précieuse : elle n’empêche pas qu’à d’autres moments, on ait envie de chanter, de danser, de s’amuser, voire de faire du bruit. Mais sans silence, pas d’écoute, pas d'approche de l'art, de la littérature, de la spiritualité. C’est peut-être pour ça que dans le monde actuel, on ne sait plus débattre, car pour débattre, il faut écouter l’autre, les autres. On ne sait plus s’aimer non plus, car pour s’aimer, il faut savoir se taire, il faut des moments de calme, de mystère, il faut du secret et du sacré.

Puisque ma grande passion, avec la littérature, c’est le cinéma, j’ai besoin de me mettre dans la même situation pour me lancer dans un film que pour un livre. Pour ce dernier, je le prends en main, je le hume (je me souviens que mon frère Bernard, ado, en faisait autant), je regarde la typographie, le nom de l’auteur, le titre, éventuellement la table des matières ou les illustrations, je m’isole, car c’est impossible de lire dans le bruit. Au cinéma, j’entre furtivement pour ne pas déranger les autres, je m’assois, je respire un grand coup, je ferme les yeux et j’attends que ça commence : "le film commence enfin. J’adore quand les lumières s’éteignent, quand l’écran s’allume. Pour moi, cela a toujours quelque chose de magique. J’ai toujours la chair de poule avant que le générique ne démarre", nous dit le héros du roman de. Rémi Giordano, Les premiers plans (T. Magnier, 2021). Oui, c’est magique, mais on sait qu’il y a une part de sacré dans la magie. Le poète Henri Droguet, lui, dit : "j’ignore / où je vais mais cela / au moins je le sais / et c’est la seule chose / au vrai que je sache encore" dans ses Palimpsestes et rigodons (Potentille, 2016).

C’est pareil avec les promenades à pied ou à vélo en solo : le silence permet l’écoute de la nature (vent, oiseaux, insectes, bruissement du feuillage…), d'entendre sa propre respiration, d’observer le ciel, les rochers, les arbres, les buissons, les fleurs, les rivières, de humer les senteurs diverses, de sentir la texture du sol (l’idéal serait de marcher pieds nus), de faire corps avec le monde alentour, à la découverte de son moi grâce à "ce silence en moi, ce silence enfin qui me délivre de tout" (Albert Camus, Journaux de voyage, Gallimard, 1978).

Admettons qu’on fasse du jogging en ville avec les écouteurs de son smartphone aux oreilles, à cause de l’excès de bruit citadin... Mais sur la plage ? En forêt ? En montagne ? Le long d’un canal ? Sur des sentiers ? Est-ce la peur du vide ou du silence assimilé à du vide ? Est-ce la peur de se retrouver face à soi-même ? Ont-ils lu Pascal (Pensées): "Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie" ou Baudelaire (Le gouffre) : "Le silence, l'espace affreux et captivant...? J’en doute fort.

Non, la société moderne est une société du divertissement, et le silence est son ennemi ! Je vois même des écrivains qui publient dans leurs livres (après la page de titre ou à la fin) la liste des disques qu’ils ont écoutés pendant leur écriture. Que n’ont-ils lu Jean-Christophe de Romain Rolland : "Tout ce qui vibre, et s’agite, et palpite, les jours d’été ensoleillés, les nuits où le vent siffle, la lumière qui coule, le scintillement des astres, les orages, les chants d’oiseaux, les bourdonnements d’insectes, les frémissements des arbres, les voix aimées ou détestées, les bruits familiers du foyer, de la porte qui grince, du sang qui gonfle les artères dans le silence de la nuit, – tout ce qui est, est musique : il ne s’agit que de l’entendre".


 

lundi 29 août 2022

29 août 2022 : de la mer (mère) et des hommes

 

La condition humaine entière se résume ainsi : ça pourrait être pire.

(Amélie Nothomb, Soif, Albin Michel, 2019


Quelques lectures.

J’avais depuis longtemps dans ma bibliothèque Un homme sur dix doit mourir, du Norvégien Per Hansson (éd. L’élan, 1991) qui nous livre ici un roman d'une densité exceptionnelle sur les hommes de la mer, tels que ceux que j’ai pu rencontrer dans mes différents voyages en cargo. Tiré de longues conversations avec des marins ayant échappé aux attaques de sous-marins allemands destinées à empêcher l'approvisionnement de la Grande-Bretagne en armes et produits de première nécessité arrivant des USA, c'est un roman-reportage, un peu à la manière de Steinbeck.

1940 : le cargo norvégien Anna fait partie des convois de bateaux faisant la route entre New York et Liverpool pour ravitailler l’Angleterre en armes de guerre, en carburants et en produits alimentaires. Tout le monde à bord de l’Anna (le Commandant, la Chauffeur, le Bosco, le Second, le Premier lieutenant, le Charpentier, le Chef, le Graisseur, le Matelot, le Gamin et les autres, dont on ne saura jamais le nom, seulement la fonction) est conscient du danger, d'autant plus que "Anna" contient des armes et des produits hautement explosifs. 36 bateaux partent de New York, avec un escorteur et des navires les escortant pour prévenir les possibles attaques de sous-marins, 16 arriveront seulement à Liverpool. On va suivre ces marins pendant la traversée de l’Atlantique, l’escale à Liverpool, le retour à New York, puis l’escale à New York.

La route est longue, l'angoisse est là, Anna va-t-il atteindre Liverpool ? C'est un récit collectif sur une communauté réduite d'hommes qui se connaissent tous et savent qu'ils participent à l'effort de guerre contre les nazis. C'est aussi fort que Les hommes de l'émeraude du suédois Josef Kjellgren. Un de ces romans qui vous marquent profondément, un vibrant hommage à ceux dont on parle peu ou pas du tout ("les médailles ne sont pas toujours épinglées sur les poitrines des plus méritants"), un roman de guerre pas comme les autres. Il y a de l'émotion, de la solidarité, de la dureté, de la tendresse aussi entre ces hommes de marine marchande qui préfèrent bien sûr la paix, mais qui se trouvent contraints de vivre les affres de la guerre, les attaques sournoises des sous-marins allemands et la peur, auxquels s'ajoutent les tempêtes, les nuits noires, l'éloignement de la vie familiale pour certains. Et quand ils touchent terre, ils s'enivrent pour tenter d'oublier… Un livre magistral que je possédais depuis trente ans, je ne sais pas pourquoi j’ai tant tardé à le lire, j’aurais beaucoup appris sur la marine marchande et les hommes d’équipage avant mes voyages.

Le livre de poèmes d’Estelle Fenzy, Eldorado Lampedusa (Pourquoi viens-tu si tard, 2021), paru en édition trilingue français/arabe (traduit dans cette langue par mon amie de Poitiers Rabiha Alnashi) /italien, fait mieux comprendre par la poésie le drame des migrants : "Nous / qui ne sommes / rien / pour le pays quitté / rien / pour le pays / rêvé". À nous de s’employer à faire qu’ils deviennent quelqu’un ! Et toujours la mer tragique...

Quant au récit d’Éric Fottorino, Dix-sept ans (Gallimard, 2018), il poursuit la quête des origines de l’auteur. Après son père adoptif, reconnaissant le bâtard en épousant la mère (L’homme qui m’aimait tout bas, comme fit autrefois mon oncle Maurice, ce qui me fit apprécier davantage apprécier ce père), puis le père biologique qu’il retrouva tardivement (Questions à mon père), il s’attaque ici à sa mère. Lina a dix-sept ans quand elle accouche à Nice d’Éric. Sa propre mère l’y a emmenée là pour qu’on ne voit pas la honte d’une naissance hors mariage. Et, au bout de trois jours, le bébé est mis en nourrice et la mère séparée de son fils. Elle devra se battre pour le récupérer. Alors qu’il va atteindre 58 ans, le narrateur part à Nice sur les traces de cette naissance incongrue et finit par y amener sa mère. C’est émouvant, très beau, une véritable histoire d’amour filial et d’amour tout court, un hymne à la mère. Magnifique.

 

vendredi 26 août 2022

26 août 2022 : Groixtitude

 

La majorité des besoins, visiblement irréductibles, d’un être humain – faim, soif, amitié, désir – ont été réinventés sous des formes mercantiles…

(Matias Faldbakken, Le serveur, trad. Marie-Pierre Fiquet, Fayard,2020)



Me voici donc revenu de Groix, heureux comme un pinson d’avoir retrouvé ma solitude, même si je suis resté très sociable pendant mon bref séjour. J’y suis allé pour le Festival International du Film Insulaire de Groix (FIFIG). Comme je ne suis resté que trois jours (je suis arrivé le jeudi soir et reparti le lundi matin) je n’ai vu que deux films par jour et le reste du temps, j’ai emprunté le sentier côtier pour faire des boucles pas très longues, faire des rencontres ou assister aux animations accessoires, chansons (il y a eu les Polyphonies corses, merveilleux !), danse et humour. 

                                                                    groupe de musiciens

                                                                le crieur annonce les messages des festivaliers  

Mon film préféré (qui a eu d’ailleurs "l’Île d’or" décernée par le jury) fut un documentaire sans concession sur la Papouasie-Nouvelle Guinée, victime du néo-colonialisme et où les autochtones subissent le vol, la spoliation de leurs terres par les multinationales avides des ressources naturelles (pratique habituelle de la colonisation, cf l’occupation des terres palestiniennes par les Israéliens aujourd’hui), sans compter le viol de la culture locale transformée en folklore à touristes. Avec l’appui, bien entendu de politiciens locaux vendus et cupides, sous couvert de modernité. Un documentaire magistral réalisé par une cinéaste française !

En ce qui concerne promenades et rencontres, j’ai pu constater constater que la randonnée pédestre me devient de plus en plus difficile dès que ça grimpe ; je pense que je ne pourrai plus guère aller en montagne pour des randonnées pédestres ou cyclistes ! Mais le fait d’être seul m’a ouvert à la rencontre de quelques figures intéressantes, notamment R, (que j’ai cru d’abord être un artiste marginal par son accoutrement étonnant), un couvreur de Lorient d’environ 50 ans. Il m’a fait goûter aux fleurs sauvages. Et je n’en suis pas mort ! 

                                                                    le vélo de R.

Venu avec son vélo bricolé et allongé, son matériel de camping, il s’est retrouvé mêlé à des sdf du cru ou visitant l’île. Ils ont réussi à squatter un bâtiment vide mais spacieux, sans doute une ancienne colonie de vacances désaffectée, c’est pas moi qui les en blâmerai ! Y en a marre de tous ces locaux vides alors qu’il y a tant de mal logés ou de pas logés du tout. 

Je me souviendrai longtemps de son vélo invraisemblable, de son surprenant chapeau décoré, et du fanion de pirate qu’il arbore fièrement. Un type selon mon goût, original, pas dans les normes sociales et avec un cœur d’or. 

                                                    R. en train de papoter

Un homme véritable, quoi, et non pas un techno-zombie interchangeable comme on en voit tant, même dans les festivals. Ainsi, lors du spectacle de polyphonies corses, une forte proportion de gens avaient les yeux et les mains rivés sur leurs smartphones ! Un profond sentiment de gratitude pour R. et quelques autres m’a saisi. 

                                                            cyclistes

C’est aussi pour cela que j’aime tant voyager seul : c’est le seul moyen de rencontrer des individus de ce genre, outre le fait que seul, on part aussi à la découverte de soi-même ! Il y avait plein de cyclistes à Groix, dont beaucoup de vieux et de jeunes couples ou de pères seuls avec enfants. J’ai aussi beaucoup discuté avec eux et compris qu’il ne faut pas que j’abandonne le vélo. 

Par contre, ce séjour à Groix m’a confirmé dans le refus du smartphone : comment peut-on encore avoir une vie intérieure quand on est obnubilé sans cesse par cet objet qui est là en permanence (avec ses accessoires comme les écouteurs sur les oreilles) à nous détourner des autres, et en fin de compte à ne pas vivre ; le numérique, ce n’est pas vivre. Je veux être connecté au monde et aux gens, pas à des machines !

       les chemins bordés de ronciers à mûres (moins nombreuses qu'en 2019)

                                       

mercredi 17 août 2022

17 août 2022 : l'air frais des matins

 

Tout le plaisir des jours est en leurs matinées ;

La nuit est déjà proche à qui passe midi.

(François de Malherbe, Stances?)



Alors que je m’apprête à partir pour l'île de Groix, voici que la canicule s’éloigne et qu’il se met à pleuvoir (très légèrement, pour l’instant, à Bordeaux), et que je vois qu’il faudra que je me couvre : on n’annonce pas plus de 19° pendant les quelques jours que je vais y passer.

Pas de quoi m’alarmer toutefois ! Je prends le temps comme il vient. J’avoue pourtant préférer le chaud, fut-il caniculaire, au froid ou à la pluie. Quand les journées sont chaudes, on peut toujours se lever tôt matin, en profitant des restes de fraîcheur nocturne. C’est ce que je faisais en Guadeloupe, où je sortais guilleret du lit à 6 h du matin, au lever du jour ; ce que j’ai fait aussi dans mes voyages tropicaux de ces dernières années : en Guadeloupe où je suis retourné en 2010, 2017 et 2020, en Côte d’ivoire (2016), à Cuba (2018) et Madagascar (2018). Sans parler de mes voyages en cargo (2010, 2013, 2015, 2019-2020), où, dès que j’atteignais les Tropiques, je tombais littéralement du lit, pour admirer à jeun toutes les nuances de la mer.

C’est encore ce que j’ai fait pendant les jours récents de canicule : levé tôt, je profitais de la période entre 7 h30 et 10 h pour aller faire une boucle à bicyclette, en respirant l’air encore relativement frais de la nuit. C’était un régal de bonheur, et je comprends mal les gens qui traînent au lit jusqu’à 9 h ou plus et qui se plaignent, ensuite, de la chaleur. Que n’ont-ils écouté Malherbe dans ses Stances : "Tout le plaisir des jours est en leurs matinées" ? Et ça ne m’empêchait pas de ressortir l’après-midi, car rester enfermé avec les volets fermés toute la journée, très peu pour moi ! Je me remémore mes trois semaines à la Désirade, où j’arpentais tous les jours, en partant le matin, la côte rocheuse et les falaises, croisant quelques autochtones, et ici où là des iguanes et autres agoutis, sans parler des oiseaux marins : un séjour absolument déconnecté pour ma part de tout cet encombrement technologique qui nous coupe des autres (réseaux sociaux si mal nommés) et favorise le narcissisme (ah, ces selfies, comme si chacun était le nombril du monde). Non, la nature à humer, les arbres à embrasser, les chemins écartés, le ciel, la mer...

Ici, évidemment, ce n’est pas la même chose. Mais en ville, ou en proche banlieue, on peut trouver des rues et des routes tranquilles, des pistes cyclables ou des chemins de traverse, pour profiter des matins calmes. Et des parcs pour se reposer un instant, avant l’invasion des "zombies technophiles", et prendre son carnet ou un petit livre qu’on a apportés dans sa besace, y noter des choses vues ou une phrase, un vers qui nous ont plu !

Tiens, à propos de livres, je lis un roman d’Amélie Nothomb, Soif (Albin Michel, 2019), où l’auteur donne la parole à Jésus, le jour de son procès et de sa condamnation, la nuit en prison qui a suivi, le chemin de croix et l’agonie de la crucifixion. Chemin faisant, il se remémore quelques moments-clés de sa vie. Ce n’est pas le grand roman que j’attendais (je préfère La dernière tentation de Nikos Kazantzakis), mais seulement un bon roman, ce qui n'est déjà pas mal. L’auteur fait dire à Jésus quelques aphorismes qui m’ont intéressé : "La condition humaine entière se résume ainsi : ça pourrait être pire" (à méditer quand on est confronté à de gros problèmes), "Comment sait-on qu’on a la foi ? C’est comme l’amour, on le sait" et celui-ci qui nous ramène à l’objet de cette page : "Il m’est déjà arrivé de pleurer de plaisir en respirant l’air du matin". Encore un qui devait se lever tôt !