jeudi 29 avril 2021

29 avril 2021 : Migrants 10, la surenchère macroniste

 

le droit était le droit de beaucoup à se faire écraser sous la semelle de quelques-uns.

(Eduardo Galeano, La chanson que nous chantons, trad. Régine Mellac et Annie Morvan, Albin Michel, 1977)


Notre cher Président a fait encore des siennes. Faisant fi de la parole donnée, il a choisi de livrer à l’Italie des membres de l’extrême-gauche italienne qui avaient trouvé asile en France et qui bénéficiaient de la doctrine Mitterand. La Ligue des droits de l’homme ne s’y trompe pas qui nous dit : "À l’inverse de ce que la présidence de la République soutient, la décision de François Mitterrand, exprimée lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) en 1985, de ne pas extrader les réfugiés italiens en France n’excluait aucun de ceux-ci. Il est regrettable qu’en violation de toute éthique le président de la République ait décidé de revenir sur les engagements de la République". Mais notre cher Président (je ne sais pas pourquoi je mets ici une majuscule qu’il ne mérite pas) ne pouvait faire moins bien que son homologue brésilien qui avait déjà livré Cesare Battisti à l’Italie en 2019, où il a dû se livrer à une auto-humiliation d'aveux extorqués comme aux plus beaux temps de l'Inquisition ou du stalinisme, dans ce qui ressemble beaucoup plus à une vengeance qu'à de la justice.

L’Europe a joué un rôle néfaste dans tout ceci, ce qui ne nous étonne pas et finira par rendre anti-européens les soutiens inconditionnels qu’elle avait à gauche jusqu’à présent. La droitisation de la politique est en cours, n’en doutons pas, et Marine Le Pen n’a qu’à ramasser les voix qui manqueront à Macron… Même Sarkozy n'avait pas osé.

Profitons-en pour écouter une chanson de Dominique Grange, la compagne de Jacques Tardi, le dessinateur de BD bien connu, intitulée Droit d’asile :

https://www.youtube.com/watch?v=ASHVsHd4nIk

 


 

Ils sont venus de Florence
De Rome ou bien de Milan
Dans notre beau pays de France
Après les années de plomb
Ils portaient des noms d'ailleurs
Paolo*, Roberta, Oreste
Impénitents voyageurs
Enrico ou Cesare

Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Je voudrais accoster
Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
J'ai déjà jeté l'ancre
Je n' veux plus bourlinguer

Sans boulot, sans domicile
Sans repère et sans copain
Les débuts furent difficiles
Dans les années quatre-vingt
Mais un jour le Président
Leur offrit sa protection
Et pendant plus de vingt ans
Rien n'altéra cette illusion

Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Je voudrais accoster
Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Y a quelqu'un qui m'attend
Là-bas sur la jetée

Peu à peu ils ont forgé
Avec des femmes, avec des hommes
Des amours, des amitiés
Dont ils ne furent pas économes
Et les petits qu'ils ont faits
Ne peuvent s'endormir le soir
Sans recevoir leurs baisers
Ils ont bien trop peur dans le noir

Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Je voudrais accoster
Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Si je reprends la mer
J'irai droit aux galères

Un beau jour le Président
S'en est allé sans crier gare
Et bientôt son remplaçant
A trahi ses engagements
Paolo persécuté
Par l'Europe judiciaire
Fut conduit à la frontière
Puis dans un cachot fut jeté

Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Je voudrais accoster
Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
L'exil interminable
M'empêche de rêver

Marina ou Cesare
Nos camarades venus d'ailleurs
Les Italiens réfugiés
Vivent à nouveau dans la peur
Car vingt-cinq années plus tard
Il revient le cauchemar
Avec l'État qui crie "Vengeance !"
Et veut briser leur existence

Donne, donne-moi
(Donne)
Donne-moi le droit d'asile
(Donne l'asile)
Je voudrais accoster
(Donne le droit d'asile)
(Je veux rester ici)
Donne, donne-moi
Donne-moi le droit d'asile
Je veux rester ici
Où mon enfant grandit

Donne-moi, donne-moi
(Le droit d'asile)
Donne-moi droit d'asile
Je voudrais accoster
(Donne-nous l'asile)
Donne, donne-moi
(Je veux rester ici)
Donne-moi le droit d'asile
Je veux rester ici
Où mon enfant grandit
Si ! 

 * Paolo Persichetti, déjà livré par le France en 2002, voir son livre fort édifiant Exil et châtiment : coulisses d'une extradition (Textuel, 2005).


 

lundi 26 avril 2021

26 avril 2021: Migrants 9, les bienveillants anonymes

 

Mais alors que bien des pays pauvres recueillent tant bien que mal des migrations massives, les États-nations d’Europe préfèrent dire à la vie qu’elle ne saurait passer.

(Patrick Chamoiseau, Frères migrants, Seuil, 2017)


Décidément notre cher Président a durci les consignes et les préfets sont en roue libre pour délivrer des OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) assorties d’IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français), remplir les CRA (Centre de Rétention Administrative) et expulser à tout va, aux frais du contribuable. Comme souvent des pétitions circulent comme celle qui concernait Abakar : plus de 24000 signatures, dont la mienne.

Le président cajole ainsi les électeurs du RN (ex-FN), mais au contraire, il dégoûte les bienveillants qui ne voteront plus pour lui. Si encore ça concernait des terroristes, des criminels, des délinquants, des gens dangereux, mais il s’agit de jeunes qui ont acquis une qualification et qui seraient très utiles pour occuper des emplois dont les Français ne veulent plus.


Le Comité de soutien pour Abakar publie le texte suivant :


"Abakar, Guinéen orphelin de père a dû fuir la Guinée à 11 ans avec sa mère. Il a ensuite trouvé refuge à 14 ans en France et a été mis sous protection sur décision du procureur de la république de Montbéliard, de l'ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Puis fera des études de cuisinier et titulaire d'un CAP de Cuisinier, il commence un CAP de vente. Mais suite à sa demande de carte de séjour une fois majeur, le préfet du Doubs lui répond par une ordonnance d’OQTF.

"Après un mois de rétention administrative à Metz au CRA, Abakar est expulsé le jour de ses 20 ans le 1er Avril dernier du CRA. Il arrive dans la nuit à Conakry sans papier, sans effets personnels, sans argent, sans abonnement téléphonique, et surtout sans famille ou autres contacts… Un petit couple de Conakry a répondu spontanément à notre appel à la solidarité. Abakar sera logé et pourra reprendre un semblant de vie normal…

"À présent, son passeport biométrique (CEDEAO) en poche, Abakar est en mesure de pouvoir se déplacer sur le territoire de la CEDEAO (Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest). Les jeunes Guinéens qui l’ont accueilli et le soutiennent à Conakry, en contact régulier avec le Comité de Soutien, pensent qu'il sera plus en sécurité au Sénégal.

"Évoluer vers Dakar deviendra donc vite une évidence pour nous et surtout pour Abakar, pour plus de sécurité et un éventuel emploi dans l’attente de la levée de l’IRTF de 2 ans. Son accueil dès cette semaine à Dakar est possible et envisagé.

"Ce départ est en préparation, grâce au concours de la vice-présidente d'une association humanitaire Franco-Sénégalaise de Bretagne Tche Kanam et aussi une Conseillère Départementale et la présidente de l’Association Humanitaire Franco-Sénégalaise de Franche-Comté LAUNATHO. Ces associations officient en Afrique occidentale dans des dispensaires de lépreux, construction d'écoles, autres actions (acheminement matériel optique, etc…).

"TCHE KANAM a donc répondu aujourd'hui et s'organise pour accueillir Abakar. À sa descente de l’avion vendredi 16h30 un membre d'un groupe de percussion de Casamance l'accueillera et TCHE KANAM prendra le relais. Cette chaîne de solidarité quasi spontanée de belles personnes va permettre les premiers pas d’Abakar à Dakar, à l’image de ce qu’ont permis ces inconnus de Conakry qui sont devenus des guides, des camarades.

"Les membres du Comité d’Abakar tiennent à remercier les camarades de la Cgt Energies Lorraine qui se sont précipités au CRA de Metz dès notre appel pour permettre à Abakar de vivre dignement en rétention. Les volontaires de l'ASSFAM (Association Service Social Familial Migrants) au centre de rétention ont été une aide essentiel dans le maintien du moral d'Abakar par le lien qu'ils ont pu assurer avec le comité de soutien, nous les en remercions. Une attention particulière à ces jeunes Guinéens engagés qui ont répondu à notre appel à la solidarité émis depuis Audincourt, à l'association franco-sénégalaise bretonne TCHE KANAM, au groupe de percussionnistes de Casamance. Les mêmes remerciements sont adressés à notre élue du Département et la présidente de Launatho et un médecin de Dakar qui sera lui aussi relais si besoin. L’anonymat de ces acteurs apparaît essentiel par respect de la confidentialité et recherche d’efficacité dans leurs actions, et ce tant que la situation d’Abakar n’est pas complétement solutionnée, son retour en France en toute régularité. A la mairie d’Audincourt pour son baptême républicain, et à la presse qui a couvert les initiatives et assurée une veille aussi bienveillante que discrète.

"Loin de vouloir être exhaustif, une attention aussi au Sénateur qui a rendu visite à Abakar au CRA de Metz et à cet autre Sénateur qui a demandé un examen de la situation d’Abakar au Préfet du Doubs. Une mention toute particulière également à tous les soutiens discrets mais présents qui témoignent leurs encouragements et leurs soutiens financiers.

"Pour ce qui concerne la suite des décisions de justice : si le TA et la cour d'Appel Administrative ont considéré fondée la détention d'Abakar pouvant aller jusqu'à l'expulsion, faisant fi des éléments et arguments produits par le Cabinet de Maître CISSE qui assurait la défense d'Abakar, dont l'article 3115-2 et 3 du CESEDA. Ces décisions ont été confirmées par le Juge des libertés. Abakar est traduit ensuite devant le tribunal correctionnel pour refus de test PCR. Toujours assisté du Cabinet de Maître CISSE, le tribunal correctionnel a jugé légitime le refus de test PCR, en respect des arrêts de la cour d'appel de Colmar et de Metz. La demande d'asile à l'OFPRA a échoué pour des motifs surprenants, à savoir l'expression timorée d'Abakar… Les papiers de Guinée sont réputés systématiquement faux par les autorités françaises, même certifiés par l'Ambassade de Guinée en France…

"Abakar n'est pas un délinquant… Le prochain obstacle : la levée de l'IRTF. Simultanément à la recherche sur Dakar à titre de mesure d'attente, le Comité de Soutien a demandé une entrevue au directeur de Cabinet du Préfet Monsieur SETBON afin d'examiner la nécessité de lever l'IRTF de deux ans, contenue systématiquement dans toute OQTF. Les textes (en droit public) prévoient cette possibilité. Le préfet a ce pouvoir. À défaut nous serons obligés de passer à nouveau par le TA du Doubs. Une consultation avec un avocat en droit public est prévue prochainement.

"Dernière étape essentielle : Une carte de séjour/Un emploi pour Abakar. Le Comité Abakar se doit de permettre une intégration réussie, dans 2 ans dans le pire des cas, au mieux dès la levée de l’IRTF. L’étape à franchir comporte un col, l’obtention d’une carte de séjour salarié conditionnée à la demande d’un employeur sérieux et crédible face à la DRIEETS (direction régionale de l’emploi et des solidarités). Abakar que nous avons chaque jour au téléphone ne cesse de vous remercier de votre soutien…


Et moi, je dis bravo à tous ces bienveillants anonymes !


 

dimanche 18 avril 2021

18 avril 2021 : Migrants 8, toujours les migrants

 


L’accueil est un réflexe, un immédiat, comme une compétence de la société humaine qui surgit sous l’impact de l’inconnu, de l’imprévisible, uns distorsion soudaine qui renverse l’esprit, dépasse la peur, et mobilise des sources et des ressources bienveillantes.

(Patrick Chamoiseau, Frères migrants, Seuil, 2017)


Voilà ce qui attend toute une partie de cette population migrante qui a atteint notre sol, des jeunes arrivés à 13, 14 ou 15 ans, qui ont bravé des conditions de voyage inhumaines (lire Boza !), qui ont été pris en charge par des bienveillants, des êtres humains courageux, des êtres décidés à prendre sur leur confort pour se mettre en danger, lancer une ou des pétitions, se battre contre l’administration hostile, glaciale et retranchée derrière ses lois et décrets – fussent-ils féroces, impitoyables, cruels, insensibles et sans cœur. Des jeunes qui se sont parfaitement intégrés dans un parcours scolaire, de formation professionnelle, de vie tout court : dès qu’ils ont dix-huit ans, ils ou elles reçoivent sans ménagement l’OQTF, l’avis de déportation qu’Ulrich Cabrel dénonce fort justement dans son livre.

Le collectif pour Madama s’insurge depuis plusieurs mois conte la décision administrative. Madama a obtenu le soutien des habitants, des associations, de ses condisciples et employeurs ? Rien n’y a fait. Le couperet est tombé. Résultat, plutôt que d’attendre que la police vienne le chercher, Madama a préféré fuir, disparaître, se mettre hors-la-loi, devenir un SDF sans papiers, lui qui espérait devenir Français, comme c’était possible sous la Révolution française et sous la Commune de Paris. Honneur à ce fugitif ! Continuons à nous battre pour le sauver de la misère qui l’attend, et prions pour qu’il reçoive un accueil chaleureux là où il se trouve.

Mais ne nous faisons pas d’illusions ; il faudra se battre contre la pieuvre administrative et sa main de fer. La France qui maintient en prison indûment le révolutionnaire libanais Georges Ibrahim Abdallah depuis trente-sept ans, alors qu’il est libérable depuis plus de vingt ans, bafouant elle-même sa propre justice, nous fait honte aujourd’hui.


 

Voici le dernier texte du Collectif pour Madama :


LE TRIBUNAL A TRANCHÉ

EXPULSION ET INTERDICTION DE RETOUR !

Le Juge du Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand a rendu sa décision :  sans surprise, nous avons appris qu'il a rejeté la requête de Madama et donné raison au Préfet de Haute-Loire, Monsieur Étienne, qui a maintenant le feu vert pour arrêter, emprisonner, et expulser Madama à tout moment. 

Mais MADAMA A DISPARU !  Ses affaires sont encore là, à la maison,  -- ses vêtements, son cartable, son cahier d'écriture, son bleu de travail…  Mais lui est introuvable.  Nous ne savons pas où il est, nous ne savons pas si nous le reverrons un jour…

Douleur et amertume.

A l’heure où tout s’effondre et où nous, ses parents de cœur, sommes déjà la cible de représailles de la part des autorités…

Quel gâchis !  Alors qu’il avait tout, ici, pour mener une vie normale :  un contrat d’apprentissage, des patrons bienveillants au grand cœur, une scolarisation adaptée, des professeurs dévoués et compétents, l’amour du métier, une famille d’accueil…

C’EST AINSI QUE L’ÉTAT FABRIQUE DES CLANDESTINS.  

En toute légalité.

Est-ce qu’il n’y aurait pas dans ce pays des lois à changer ?  Et vite ?

 

À suivre...

 

 

 

 


samedi 17 avril 2021

17 avril 2021 : Migrants 7, Boza ! ou la lutte contre l'adversité

 

Sans travail, sans études et sans ressources, il a vu sa demande de séjour rejetée et a reçu une « OQTF » – sigle hideux qu’utilisent les Français pour désigner un avis de déportation.

(Ulrich Cabrel et Étienne Cabrel, Boza !, P. Rey, 2020)



Petit Wat vit dans un bidonville insalubre de la banlieue de Douala, dans la misère, la saleté, sous alimenté, manquant de soins médicaux. Il a la chance d'aller au collège, mais préfère la compagnie de ses copains avec qui il se livre à de petits trafics. Son père ne trouve plus de travail et sombre dans l'alcoolisme. Sa mère se débat pour joindre les deux bouts. L'avenir étant complètement bouché (un travail rare pour continuer à vivre dans la misère ou la délinquance qui rapporte un peu plus), il rêve comme les autres d'une vie à l'européenne et décide de partir, de faire le boza : parvenir en Europe, la terre promise. Le choix est vite fait entre la misère évidente et une hypothétique réussite au delà de la Méditerranée. Le voyage aventureux, particulièrement périlleux, va durer des plusieurs mois. Sa grande sœur lui a donné ses économies pour payer le premier passeur jusqu'au Nigéria. Après, il devra se débrouiller, sans argent et sans papiers

 


Petit Wat nous raconte les moments difficiles dans les ghettos, lieux où les migrants sont regroupés dans chaque pays (Niger, Algérie, Maroc), où règne la loi du plus fort et des clans, mais aussi une certaine solidarité. Il se fait au fil des mois des amis éphémères ou plus durables parmi les gamins de son âge (15 ans). Ils luttent ensemble pour essayer de s'en sortir, contre la faim, la soif, la fatigue, la saleté, la corruption, et la violence des hommes, en particulier lors du piège marocain. On comprend en lisant ce récit palpitant le trajet souvent mortel de milliers de migrants : c'est à la fois terrible et émouvant. Petit Wat réussit son odyssée, malgré les risques, découragements, violences, mensonges, fausses espérances mais avec courage, ténacité et culot mêlé d'inconscience. Il nous raconte tout ça avec truculence, naïveté, parfois humour et dérisions, et toujours dans une langue sans tabou. Il finit par franchir le dernier mur entre le Maroc et la zone espagnole de Melilla où il peut enfin crier : Boza !

Inspiré du périple de 9000 kilomètres (une carte déroule l'itinéraire) effectué par Ulrich, qui a dicté son récit à Étienne (son hébergeur français), le roman est dur, toutes les violences (la traversée du Sahara et les squelettes au sol des morts de soif) ne sont pas édulcorées, mais de belles rencontres se font (par exemple Moutoumi, sorte de Gavroche camerounais), écrit à la première personne, avec parfois un tutoiement qui interpelle le lecteur. Arrivé en Europe, rien n'est gagné pour le jeune migrant; le parcours est semé d'embûches, mais les associations et les hébergeurs bénévoles se démènent, souvent contre l'administration : "Moi je ne comprends pas : il y a des gens qui ne font aucun effort et à qui la France dit « oui » parce qu’ils présentent les papiers qu’il faut. Et d’autres qui se battent comme des fous pour se conformer au moule français et qu’on envoie promener". Les pays d'Europe ne sortent pas toujours grandis de l'aventure. Il y a parfois pour le lecteur l'envie de se mettre en colère.

Un livre extraordinaire : les migrants ne meurent pas seulement dans la Méditerranée... 


mardi 13 avril 2021

13 avril 2021 : les fleurs nous font devenir plus humains

 

« Le plus dur en réalité, ce n’est pas d’être heureux sans l’autre, continua-t-il, c’est de changer, de ne plus être ce qu’on était avec l’autre. »

(Muriel Barbery, Une rose seule, Actes sud, 2020)




Rose, botaniste, célibataire un peu triste, est partie au Japon à la demande du notaire d'un père japonais qu'elle n'a jamais connu. Élevée par sa mère suicidaire et sa tendre grand-mère maternelle, Rose approche de la quarantaine : elle est mélancolique et solitaire, sa mère et sa grand-mère sont mortes. Elle arrive à Kyoto, qu'elle visite sous la houlette de l'assistant et exécuteur testamentaire de son père, Paul, un Belge de son âge, veuf et nanti d'une fillette de dix ans. Les déambulations dans la ville se font selon un ordre et un itinéraire choisi par Haru, son défunt père. Elle est peu à peu séduite par la culture japonaise, la flore, la cuisine, la religiosité, l'importance du végétal et du minéral. Un lent cheminement va amener Rose à découvrir ce père disparu, à se découvrir elle-même et à trouver pour la première fois l'amour.

Chacun des douze chapitres est précédé d'un court conte ou parabole qui relate des légendes anciennes sur la pensée, la sagesse, l'histoire et la poésie du Japon et de la Chine. Une phrase de ce récit est donnée pour titre au chapitre qui suit comme un écho. Cette construction originale du roman crée une atmosphère qui nous imprègne de la découverte de la japonité. Le texte est finement ciselé, amenant peu à peu la métamorphose de l'héroïne qui va passer du deuil ("De quoi le deuil est-il le plus difficile ? De ce qu’on a perdu ou de ce qu’on n’a jamais eu ?") à la paix, comprenant que "si on n’est pas prêt à souffrir, on n’est pas prêt à vivre", entraînant dans son sillage l'assistant de son père.

On notera le rôle important des fleurs omniprésentes dans cette métamorphose. Et c'est un vieux potier, ivrogne qui donnera à Rose une clé pour se comprendre et saisir l'univers qui l'entoure en lui citant un vers de Rainer Maria Rilke : "Une rose seule, c’est toutes les roses". Et c'est tout l'art des jardins japonais qui sollicite ses sens et la sort de son égoïsme (elle se fait traiter d'emmerdeuse professionnelle par Pau). Le lecteur s'attache à Rose, pourtant souvent agressive et exaspérante. L'immersion dans une culture étrangère et totalement différente est bien retracée, avec ses ombres et ses lumières, et c'est c’est cette culture qui amène Rose à trouver enfin du sens à sa vie.

Un très beau roman qui donne envie d'aller au Japon et singulièrement à Kyoto !

 

lundi 12 avril 2021

12 avril 2021 : Migrants 6, le calvaire des mineurs isolés

 

À Dieu ne plaise que je ne vienne faire ici le procès de mon temps, accuser mon siècle de cruauté !

(Jules Vallès, Les Réfractaires, Plein chant, 1996)



Vais-je accuser notre siècle de cruauté ? Je ne sais pas, mais tout de même, quand je vois comment ça se passe avec les migrants, je me pose la question. Et la question est valable pour la France, aussi bien que pour nos voisins immédiats et notre pauvre (si on peut dire) Europe, ainsi que pour les USA, et quasiment tous les pays du monde. C’est-à-dire que les pays riches ont acquis la liberté de voyager (même si elle est remise en cause par la pandémie) mais que cette dernière est déniée aux migrants ; pire encore, quand ils cherchent à s’intégrer, on les refoule impitoyablement ! Comme le prouvent nombre de pétitions circulant sur les réseaux...




Je vous propose donc un texte signé par plusieurs organismes et qui m’a été communiqué par la PSM (Plateforme de Soutien aux Migrants) et publié sur le site du GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigré.e.s) :


Protéger, soigner, accompagner ? Non, ficher, stigmatiser, sanctionner, renvoyer


Ce 10 mars, était présenté à la Commission des lois un rapport d’information parlementaire sur les « problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés ».

Rappelons pourtant, que la grande majorité des mineur⋅es et jeunes majeur⋅es isolé⋅es étrangers dont il est question ne posent aucun problème de sécurité, bien au contraire comme le constatent et en témoignent toutes et tous les professionnels et adultes qui les côtoient au quotidien, des mouvements tels les « patrons solidaires » allant jusqu’à être créés pour les jeunes apprentis.

Visant exclusivement la situation des mineurs non accompagnés en conflit avec la loi, qui ne représentent qu’une infime partie des mineur⋅es et jeunes majeur⋅es isolé⋅es et étrangers, et entretenant au passage la confusion entre ceux en conflit avec la loi et ceux victimes de traite, le rapport parlementaire présente 18 recommandations particulièrement inquiétantes en ce qu’elles sont de nature à stigmatiser encore plus ces mineur.e.s, parfois très jeunes, toujours très fragiles, polytraumatisé⋅es par leurs parcours de vie.

Ce rapport oublie, dans sa problématique générale, ce qui est le plus important : ces jeunes sont en danger et ont d’abord besoin de protection. De manière encore plus inquiétante, il entend institutionnaliser un traitement différencié les concernant, fondé davantage sur leur extranéité que leur minorité.

À l’âge où la plupart de leurs pairs vont au collège, eux n’ont connu que rejets, abandons, agressions répétées, violence, et sont souvent les victimes de réseaux de traite.

Vivant pour la plupart dans des conditions d’une extrême précarité, souvent à la rue, sans accompagnement éducatif, sous dépendance médicamenteuse des adultes qui les exploitent, elles et ils ont perdu l’estime d’eux-mêmes, et leurs passages à l’acte s’inscrivent dans un mécanisme de survie, souvent pour des délits de subsistance.

Est-ce cela la vie d’un enfant ?

Il ne sert à rien de préconiser, à peu de frais, leur fichage obligatoire via le fichier AEM (Appui à l’Évaluation de la Minorité) si décrié, la consultation obligatoire de fichiers tels VISABIO (Visa biométrique) dont l’inefficacité a été démontrée, l’accroissement des sanctions, des jugements plus rapides et discriminatoires, le retour dans le pays d’origine et toujours plus de coercition.

Ceci n’aura que pour conséquence de stigmatiser ces jeunes, les rapprocher toujours plus de situations de danger, les éloigner encore plus de leur situation de mineur et des dispositifs qui n’auront plus de « protection » que le nom.

Et si le rapport parlementaire préconise une prise en charge systématique en assistance éducative ainsi que quelques mesures d’accompagnement social, rien n’est dit du budget affecté à celles-ci, des moyens dédiés aux départements, qui risquent, sous des effets d’annonce, de se réduire à peau de chagrin…

Et rien ne changera.

Plus encore, ce rapport réalise la prouesse de suggérer qu’inverser la présomption de minorité, imposer à un ou une mineur⋅e de présenter des documents d’identité pour être protégé⋅e, serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant !

Où est l’intérêt supérieur de l’enfant, « considération primordiale », rappelée par la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire ?

Ces jeunes doivent être protégés, accompagnés, bénéficier d’une prise en charge éducative effective qui fait actuellement cruellement défaut, de façon pluridisciplinaire (en matière civile tant par les départements que par la Protection Judiciaire de la Jeunesse qui connaît leurs problématiques particulières), basée sur la confiance en l’adulte, qu’elles et ils doivent réapprendre, ayant souvent été trompés dans leurs vies par ceux qui les ont entourés auparavant.

Ce n’est que par les mesures de protection que ces jeunes pourront se réinsérer, ce qui est de leur intérêt et de celui la société.

Alors que le débat médiatique glisse, sans surprise, vers la question plus large de l’évaluation de minorité des mineur⋅es isolé⋅es, qui n’était pas l’objet de ce rapport, nos organisations et associations demandent que soit mise en place, sans stigmatisation, sans discrimination, sans fichage, une vraie politique éducative faite d’accompagnement, de protection, d’éducation, de soins et d’insertion pour ces jeunes, qui sont avant tout des enfants en souffrance !

Le 17 mars 2021

Organisations signataires :

  • AADJAM

  • ADDE

  • La CGT

  • La Cimade

  • Fédération Sud Collectivités territoriales

  • Fédération Sud Santé

  • FSU

  • Gisti

  • InfoMIE

  • Ligue des droits de l’Homme

  • Ordre des avocats du barreau de Paris

  • Secours Catholique-Caritas France

  • SNEPAP-FSU

  • SNPES PJJ/FSU

  • SNUASFP-FSU

  • SNUTER-FSU

  • Solidaires

  • Solidaires Justice

  • Soutien à 59 Saint Just

  • Syndicat des avocats de France

  • Syndicat de la magistrature

     

    Et lire Jules Vallès aux éditions Plein chant (1996) :