Il n’était pas heureux, je crois. Mais qui l’est ? Ceux qui disent cela ne nous préviennent-ils pas de la possibilité d’un suicide ? […] Je tends à penser comme Elsa Triolet qu’il n’y a pas de suicide, qu’il n’y a que des meurtres.
Jean Casset, I was here, la dernière nuit de Pascal Taïs, E. Jamet, 2022)
Les gilets jaunes, les opposants à la bétonisation, aux projets dingues d’autoroutes, de bassines, les ados et jeunes adultes des cités, les migrants le savent : les violences policières existent, et il ne fait pas bon de tomber dans les mains de policiers violents et racistes. Jean Casset s’inspire ici d’une histoire vraie (cf le livre de Maurice Rajsfus, L’affaire Pascal Thaïs, L’esprit frappeur, 2007) arrivée à Arcachon en 1993.
Le 7 avril 1993, à 7 h 30 du matin, le corps ensanglanté et sans vie de Pascal Taïs, 32 ans, est découvert mort dans sa cellule de dégrisement du commissariat de police d’Arcachon. Il a des côtes fracturées et la rate éclatée, et de nombreuses contusions sur tout le corps. Jean Casset imagine les pensées de celui qui va mourir, de son enfance et adolescence franco-marocaine au soleil marocain jusqu’au baccalauréat de sa sœur cadette Soraya. Puis la mutation en France des parents pour leurs études supérieures. Il s’inscrit en médecine, mais rapidement, sa vie bascule : "J’ai déserté les cours. Je n’ai fait qu’une année. Même pas. — Va à Paris, me disait-on. Là-bas, avec ta gueule, ton charme, tu trouveras le bonheur. Va à Paris, on t’y attend…"
Et à Paris, il fait usage de son charme de métis kabyle, devient mannequin, fait de la publicité, se laisse entraîner dans de folles nuits, séduit des femmes. Mais il n’est pas heureux. À la suite d’un passage en hôpital et d’une transfusion sanguine, il devient séropositif HIV. Il revient en province à Bordeaux où il fréquente les clochards, lui, le rebeu les apprécie : "Heureusement, je me suis rapproché de ce qu’il y a de mieux sur cette terre, l’élite du genre humain : les clochards. Je sais que je vous choque en disant cela, enfin, que je choque certains d’entre vous, et que ce n’est pas vrai. Peut-être. Cette société n’est pas plus vertueuse mais au moins, elle, elle ne souffre pas du superflu. Elle n’écrase pas les autres". Il aidait les SDF comme il pouvait et remarque "alors qu’on n’aidait pas les gens que pour eux, qu’on le faisait aussi pour soi".
Il devient amoureux de Véronique, rencontrée au centre de soins, séropositive elle aussi, ils décident de se marier. Ils publient les bans pour leur mariage, ils fêtent ça le soir même au casino, et en sortant il subit les injures racistes d’un groupe auquel il répond vertement. Une rixe s’ensuit, les policiers sont appelés, mais Pascal et Véronique tombent sur des policiers racistes qui les embarquent, les rouent de coups, surtout Pascal arrivé à demi-mort au commissariat. Au matin, il était mort.
Jean Casset a eu l’envie d’inventer les pensées de Pascal pendant la nuit tragique, et de retracer les moments importants de toute sa vie. Ce qui donne un récit romanesque Bien sûr, les parents n’ont pas accepté sans sourciller la version policière et ont porté plainte devant le tribunal de Bordeaux, qui a disculpé les policiers. C’était l’époque de Charles Pasqua au Ministère de l’Intérieur, et la chancellerie faisait pression sur les juges. Le procureur de Bordeaux a dû rouvrir le dossier une dizaine d’années plus tard, après la publication d’un rapport d’Amnesty international intitulé France : des policiers au-dessus des lois, qui s'ouvrait justement sur un rappel de l'affaire Taïs. Et le dossier passa devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui constata de nombreuses irrégularités, qu’on a laissé pendant plusieurs heures Pascal Taïs crier et hurler dans sa cellule sans lui porter assistance, qu’aucune "enquête effective" sur les circonstances du décès n'a été menée, qu’aucune explication "plausible" n’a été donnée sur l'origine des blessures.
En 2010, dix-sept ans après la découverte du corps de Pascal Taïs dans une cellule du commissariat, l’État français sera condamné pour dysfonctionnement du service public de la justice. L’auteur avoue : "Je me suis totalement identifié à lui [Pascal]. J’étais lui couché sur le ciment dans sa cellule. Je voulais lui redonner vie, lui rendre sa voix. restituer la cruauté de son destin". Il dira à Sud-Ouest, le grand quotidien local : "Le crime, les deux non-lieux, l’attitude de la Justice, tout m’a révolté". Ça donne un récit qui se lie d’une traite ou presque et on en conclura que les violences policières existent. Quand la République dévie, il faut le dire. Et fermement.