dimanche 30 décembre 2007

30 décembre 2007 : Victor Hugo, encore et toujours !

Je voudrais terminer l’année sur un auteur évident, qui a érigé l’écriture en arme. Je n’ai jamais vraiment cessé de le lire. J’ai récemment renoué avec lui, pour lire à haute voix deux poèmes : Mon père, ce héros, et Les pauvres gens. Mais aussi pour me replonger dans Les misérables. Avec un bonheur de lecture inaltéré. Je redeviens le gamin de quinze ans qui découvrait ce livre-fleuve-épopée-somme...
L’exposition : Un juste – il s’agit de Monseigneur Myriel, est fabuleuse. Au sens propre, c’est une fable, et qui a beaucoup à nous apprendre ! Pourquoi ? Parce qu’on y voit l’évangile en action. Je ne sais pas qui me disait récemment : l’évangile n’est pas une idéologie qui a failli, puisque tout simplement la bonne nouvelle n’a jamais été vraiment appliquée. Est-elle inapplicable ? C’est à voir.
Ecoutons Monseigneur Myriel : "À ceux qui ignorent, enseignez-leur le plus de choses que vous pourrez ; la société est coupable de ne pas donner l'instruction gratis ; elle répond de la nuit qu'elle produit." Victor Hugo commente un peu plus loin, à propos de sa façon d’agir : Je soupçonne qu'il avait pris cela dans l'Évangile.
Plus loin, à propos de la peine de mort, et après que Monseigneur Myriel ait assisté un malheureux guillotiné :
L'échafaud, en effet, quand il est là, dressé et debout, a quelque chose qui hallucine. On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort, ne point se prononcer, dire oui et non, tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine ; mais si l'on en rencontre une, la secousse est violente, il faut se décider et prendre parti pour ou contre. Les uns admirent, comme de Maistre, les autres exècrent, comme Beccaria. La guillotine est la concrétion de la loi ; elle se nomme vindicte ; elle n'est pas neutre, et ne vous permet pas de rester neutre. Qui l'aperçoit frissonne du plus mystérieux des frissons. Toutes les questions sociales dressent autour de ce couperet leur point d'interrogation. L'échafaud est vision. L'échafaud n'est pas une charpente, l'échafaud n'est pas une machine, l'échafaud n'est pas une mécanique inerte faite de bois, de fer et de cordes. Il semble que ce soit une sorte d'être qui a je ne sais quelle sombre initiative ; on dirait que cette charpente voit, que cette machine entend, que cette mécanique comprend, que ce bois, ce fer et ces cordes veulent. Dans la rêverie affreuse où sa présence jette l'âme, l'échafaud apparat terrible et se mêlant de ce qu'il fait. L'échafaud est le complice du bourreau ; il dévore ; il mange de la chair, il boit du sang. L'échafaud est une sorte de monstre fabriqué par le juge et par le charpentier, un spectre qui semble vivre d'une espèce de vie épouvantable faite de toute la mort qu'il a donnée.
Aussi l'impression fut-elle horrible et profonde ; le lendemain de l'exécution et beaucoup de jours encore après, l'évêque parut accablé. La sérénité presque violente du moment funèbre avait disparu : le fantôme de la justice sociale l'obsédait. Lui qui d'ordinaire revenait de toutes ses actions avec une satisfaction si rayonnante, il semblait qu'il se fît un reproche.
Par moments, il se parlait à lui-même, et bégayait à demi-voix des monologues lugubres. En voici un que sa soeur entendit un soir et recueillit : – Je ne croyais pas que cela fût si monstrueux. C'est un tort de s'absorber dans la loi divine au point de ne plus s'apercevoir de la loi humaine. La mort n'appartient qu'à Dieu. De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue ?
Dans un autre passage, il brave les préjugés de la population locale en se rendant au chevet d'un vieux conventionnel agonisant ; les deux hommes évoquent longuement la Révolution française ; si Mgr Myriel ne peut accepter 93 (titre d'un autre beau roman de Hugo), le sang versé et la mort du roi, il entrevoit par cette discussion la grandeur des idéaux révolutionnaires : il s'agit de se débarrasser du véritable tyran, c'est-à-dire de la fin de la prostitution pour la femme, la fin de l'esclavage pour l'homme, la fin de la nuit pour l'enfant.
Voilà : au moment où un peu partout dans le monde, de nouveaux misérables (pas des miséreux, mais des misérables dans le sens de méchants) appliquent la peine de mort de façon effrayante et récurrente : meurtres, guerres, viols (qui sont une autre forme d’assassinat), attentats…, Victor Hugo a beaucoup à nous apprendre par la voix et par la geste de cet évêque surprenant, qui vit l’évangile et l’applique. Songeons qu’il ne ferme jamais sa demeure ! Que loin de rejeter un bagnard, il le traite en invité de marque, sortant les couverts et chandeliers d’argent. On pourra trouver tout cela artificiel, trop moraliste, trop parfait. Ça me paraît plutôt rafraîchissant !
Même le grand Baudelaire a apprécié : Donc Monseigneur Bienvenu, c'est la charité hyperbolique, c'est la foi perpétuelle dans le sacrifice de soi-même, c'est la confiance absolue dans la Charité prise comme le plus parfait moyen d'enseignement. Il y a dans la peinture de ce type des notes et des touches d'une délicatesse admirable. On voit que l'auteur s'est complu dans le parachèvement de ce modèle angélique. Monseigneur Bienvenu donne tout, n'a rien à lui, et ne connaît pas d'autre plaisir que de se sacrifier lui-même, toujours, sans repos, sans regret, aux pauvres, aux faibles et même aux coupables. […] Les Misérables sont donc un livre de charité, un étourdissant rappel à l'ordre d'une société trop amoureuse d'elle-même et trop peu soucieuse de l'immortelle loi de fraternité; un plaidoyer pour les misérables (ceux qui souffrent de la misère et que la misère déshonore), proféré par la bouche la plus éloquente de ce temps. Malgré tout ce qu'il peut y avoir de tricherie volontaire ou d'inconsciente partialité dans la manière dont, aux yeux de la stricte philosophie, les termes du problème sont posés, nous pensons, exactement comme l'auteur, que des livres de cette nature ne sont jamais inutiles.
Oui, si les librairies et les bibliothèques regorgent de livres inutiles, il en est qui sont des phares qui rayonnent à jamais, et Les Misérables sont de ceux-là. Et tant pis pour les puristes qui n'aiment pas les bons sentiments ! Ces derniers nous aident pourtant à vivre...

samedi 15 décembre 2007

15 décembre 2007 : anniversaires

Ah ! ce mois de décembre ! Comme je l'attendais avec impatience quand j'étais enfant... Il me tardait tellement de grandir !

Pas tellement pour Noël, mais parce que c'était le mois des anniversaires : le mien et celui de mes deux frères... C'est aussi celui de Claire... Et de Gilles, mon jeune collègue...

J'ai pris l'habitude de le fêter en conviant les employés de mon ancien service à la BU : Pol, Patrick et Nadine ; je crois bien que c'est le quatrième repas que nous faisons ensemble à la maison, car nous avions commencé avant mon départ en retraite. Pourquoi les fêter eux aussi ? Parce que d'abord, ils ont dû me supporter pendant quelques années, ensuite, parce que je les connais depuis fort longtemps, l'un ayant été mon élève-bibliothécaire, les deux autres ayant travaillé déjà sous mes ordres au centre de formation des bibliothécaires (je les avais donc retrouvés avec plaisir pour travailler avec moi...)
, enfin, parce que j'ai eu le temps de les apprécier. Nous nous faisons des petits cadeaux, nous discutons famille, cinéma, air du temps. Et Claire est contente de recevoir du monde : elle leur avait concocté un rôti de porc aux pommes à l'oignon, figues et pommes de terre, un délice. Je crois bien que ça leur a fait plaisir aussi.

A cet "anniversaire", j'ajoute un autre repas où je convie Gilles, celui de mes collègues conservateurs avec qui je me sentais le mieux (il y avait aussi Pierre-Jean, mais il est désormais à Paris), et qui est resté un ami. Cette fois, j'y avais associé Jeanne Condamin, ancienne directrice de la Bibliothèque municipale. Comme Gilles, elle fait toujours partie de l'Association D'un livre l'autre, qu'elle a d'ailleurs contribué à créer il y a plus de vingt-cinq ans. Claire avait fait une délicieuse morue à l'aïoli (j'avais préparé moi-même ce dernier), Gilles avait apporté le vin blanc et les gâteaux. Jeanne, sa bonne humeur, ses souvenirs et de menus cadeaux qui nous ont bien fait plaisir. Elle a eu droit aussi à son cadeau d'anniversaire, bien que celui-ci soit en août !

Le bonheur de la convivialité... Le temps qui passe sans qu'on s'en rende compte...

Anne-Marie, ma soeur, et son mari Josué, étaient passés avant-hier, et on avait aussi fêté mon anniversaire : ils ont eu droit à une tarte à l'oignon maison au foie gras.

Hier au soir, j'étais au Temple, à une conférence-débat sur Planète : état d'urgence. je suis effondré de voir que ça attire si peu de monde. Nicolas Hulot a encore beaucoup de travail de médiation à faire pour que nous comprenions que nous usons nos énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) à trop vive allure ! Des millions d'années pour qu'elles aient pu se constituer... Deux siècles seulement pour être épuisées ! Consolation : je suis rentré, à vélo, de nuit, sous une magnifique faucille lunaire... Poitiers était très belle.

Et encore aujourd'hui, Gilles et Jeanne partis, je suis allé à notre jardin associatif chercher notre panier composé de carottes, poireaux, navets, betteraves et radis noir. Il était déjà 5 h quand j'ai pris le chemin du retour. En débouchant du chemin de la Mérigote, j'ai découvert les grandes barres HLM des Trois cités sublimées par le rose du soleil couchant. Oui, la ville est belle, en tous lieux, quand on circule à vélo ou à pied.

dimanche 9 décembre 2007

8 décembre 2007 : enfances

Ce samedi 8, lecture à la Maison du temps libre de Vouneuil-sous-Biard, à l'invitation de Christine Blondet, de la troupe de théâtre de la DRAC. Petit public, mais attentif et chaleureux : tout le monde est resté pour le pot qui a suivi, et qui a duré assez longtemps, dans la nuit pluvieuse.

Alors qu'à l'origine, j'aurais dû lire le programme "pérégrinations", j'ai changé d'avis sur demande de Christine qui souhaitait que je lise une nouvelle de Georges Bonnet, notre écrivain poitevin. Puisque nous sommes dans le Poitou, effectivement, c'est une heureuse idée de lui rendre cet hommage mérité, une troisième fois, puisque j'avais déjà lu une de ses nouvelles inédites à la DRAC en octobre et une autre au Temple en novembre.

J'ai donc opté pour le programme "enfances", assez sensiblement modifié, dans lequel la nouvelle La case numéro 8 pouvait heureusement s'insérer. J'ai pu ainsi lire quatre récits brefs enchâssés entre deux poèmes. Un voyage autour du monde, puisque nous partions du Cameroun, avec le beau poème Dors mon enfant d'Epanya Yondo, pour achever sur Le globe de Nazim Hikmet.

Je tenais particulièrement à rendre hommage à ce poète turc, qui passa une majeure partie de sa vie en prison ou en exil. D'une part, parce que mes lectures en prison m'ont sensibilisé au problème de l'incarcération, et d'autre part, parce que je viens de me lancer dans Longue marche (3 vol., chez Phébus), de Bernard Ollivier, récit de son long voyage à pied sur la route de la soie. Il part d'Istamboul, et les péripéties de son périple à travers la Turquie contribuent à me rendre définitivement attachant le peuple turc, en particulier pour son hospitalité (cf notamment le chapitre 3 du 1er volume). Je suis à fond pour l'entrée de la Turquie dans l'Europe, ne serait-ce que pour nous rendre un peu plus hospitaliers !



En prose, nous sommes partis de France avec le beau texte de Christian Bobin, début de son roman La folle allure, puis nous sommes partis aux Etats-Unis avec Paul Auster, avant de bifurquer vers la Norvège avec un récit extrêmement sombre de Sigurd Hoel, puis pour finir sur le texte plus apaisant de Georges Bonnet.

Programme très éclectique donc, pour montrer qu'il n'y a pas une enfance, mais des enfances. Avec leurs joies (le premier amour chez Bobin, cette confiance absolue entre l'être humain et l'animal), mais aussi leurs peines : qu'il s'agisse de l'aversion alimentaire décrite par Paul Auster - et dont on sait qu'elle peut générer une angoisse terrible de l'enfant vis-à-vis de la nourriture, ou d'une éducation d'une sévérité inouïe et d'un rigorisme absurde, dans ce milieu protestant de Norvège de la fin du XIXème siècle, ou même de la cruauté des enfants en milieu scolaire, tempérée toutefois par l'amitié dans le beau récit de Georges Bonnet.

Et j'ai pensé bien sûr aux relations des enfants avec la bicyclette.

Depuis la rentrée, je participe à Vélo Gib', une animation de quartier (notre quartier s'appelle la Gibauderie) pour accompagner les enfants à l'école à bicyclette. Il faut voir la joie des enfants, leur apprentissage de la responsabilité et du code de la route, et leur plaisir du plein air, même dans le froid ou sous la pluie. C'est tout de même autre chose que d'être éjecté d'une automobile dans les embouteillages et les gaz d'échappement qui entourent l'école primaire, surtout qu'on passe par des chemins à l'écart des voitures ! Et c'est l'apprentissage aussi de l'autonomie pour, plus grand, aller seul au collège ou au lycée ! Et croyez-moi, les filles ne sont pas les dernières...

samedi 8 décembre 2007

6 décembre 2007 : De Sica et la bicyclette

Jeudi dernier, je suis allé voir Le jardin des Finzi Contini, avec Jeanne, l’ancienne directrice de la Bibliothèque municipale de Poitiers. Elle avait lu autrefois le livre de Giorgio Bassani et en avait gardé un souvenir suffisamment vif pour voir ce que Vittorio De Sica, l’immortel réalisateur du Voleur de bicyclette, avait pu en tirer.



Nous sommes sortis ravis du cinéma. Le film, datant de 1970, un des derniers donc de l'illustre cinéaste, à une époque où la critique le boudait, est ressorti en copie neuve cette année, et était projeté en prélude aux Rencontres Henri Langlois, Festival international des écoles de cinéma de Poitiers. Outre la discrétion et les nuances avec lesquelles Vittorio De Sica aborde la question peu connue (en France) de la montée de l'antisémitisme dans l'Italie de 1938, la finesse de touche dans la présentation des personnages, la luninosité des couleurs, l'élégance du jeu des acteurs, j'ai été séduit par la place centrale qu'occupe la bicyclette dans le film. Et, accessoirement, du livre et des bibliothèques...
Sans doute sommes-nous avant-guerre au début du film, puis pendant la guerre ensuite. L’automobile n’a pas encore acquis la place centrale qu’elle a aujourd’hui dans nos cités. Mais le bonheur de voir toute cette jeunesse effectuer la plupart de ses déplacements à vélo, et accessoirement à pied ou en train ! Peut-on dire que la tragédie vient ici de l’usage de la voiture ? Puisque c’est effectivement en automobile que les policiers viennent arrêter les familles et les transférer en prison, avant peut-être de les envoyer vers les camps d’extermination…
Et c’est le moment de se souvenir que De Sica, inventeur avec Rossellini du néo-réalisme, souligne avec sensibilité que dans les périodes troubles, personne n’est à l’abri de la tragédie. Qu’il s’agisse ici de familles patriciennes ou bourgeoises, mais juives, ou dans le justement fameux Voleur de bicyclette, des chômeurs de l’après-guerre. Dans les deux cas, le drame naît avec la perte d’identité et d’estime de soi : comment peut-on encore être soi quand on devient des citoyens de seconde zone ou un laissé-pour-compte du travail ? Et la bicyclette, très présente, joue un rôle de lien social que ne peut pas remplacer l’automobile.
Et si le réalisme, aujourd’hui, était d’utiliser plus ordinairement le vélo ? Si oui, nous allons vers un nouveau néo-réalisme… Que j’appelle de tous mes vœux ! N'est-ce pas pourquoi, chaque fois que je le peux, je vais au cinéma... à bicyclette !