dimanche 29 avril 2007

26 avril 2007 : Dis, quand reviendras-tu ?


Je me réveille à sept heures. Douche, exercices d’assouplissement, comme tous les matins, puis je m’habille et débouche à huit heures moins le quart pour le petit déjeuner. Confiture de coings de Mireille.
A 9 h pétantes, Gabrielle S. vient me chercher. Je fais mes adieux aux Bonnin, les remercie vivement, on échange nos adresses électroniques. A la bibliothèque, je retrouve Rossinante, bien reposée, la brave bête ; un rapide coup d’œil me montre que les pneus sont toujours bien gonflés et qu’elle devrait encore tenir le coup, si je ne la fatigue pas trop. Je remplis ma gourde avec le reste de la bouteille qui était sur la table hier au soir, et que j’avais à peine entamée. Gabrielle me signale qu’elle a une amie documentaliste à Narbonne qui m’accueillera volontiers dans son collège l’an prochain. Décidément, ma sœur Monique m’ayant dit le même chose pour son collège, il faudra que je prépare un programme “teen agers”.
Et il est 9 h 25 quand je quitte la bibliothèque, non sans avoir remercié Gabrielle. Je tournicote un peu dans la ville pour finalement dénicher la route de Melle. J’ai décidément toujours du mal à comprendre pourquoi les panneaux indicateurs sont si rares – et, le plus souvent, placés d’un seul côté des rues ou des croisements, ce qui les rend parfois peu visibles et lisibles...
Dans mes préparatifs, j’avais décidé de faire le trajet Saint Jean d’Angély - Lusignan, et de là, prendre le train pour Poitiers, j’ai d’ailleurs le billet SNCF en poche. Mais, compte tenu de la forme que j’ai, je décide de modifier l’itinéraire et de faire toute la route jusqu’à Poitiers, en quittant après Melle la grande route pour rejoindre Lezay, Couhé-Vérac et La Villedieu-du-Clain. Ce sera plus long, mais sur ces petites routes, tellement plus agréable.
La route de Melle, sans être aussi chargée que celle de Niort hier, est en effet passablement circulante : beaucoup de camions, des camping-cars aussi, les vacances de Pâques ne sont pas finies, certains profitent de ce beau temps exceptionnel, à mon avis du jamais vu en avril. Et ça fait quinze jours que ça dure. Bien sûr, je ne m’en plains pas, mais je souffre pour les plantes qui ont probablement besoin d’eau, tout comme moi d’ailleurs, qui vais boire beaucoup dans la journée. Toutefois, il ne fait pas chaud, et je supporte l’écharpe resserrée contre ma poitrine.
Je m’arrête un instant à Aulnay-de-Saintonge.
L’église romane du XIIème siècle est de toute beauté, et, puisque j’ai le temps, faisons un peu de tourisme. J’ai mis du temps à succomber au charme des églises anciennes, romanes en particulier. Sans doute un vieux fond d’anti-catholicisme hérité de mes ancêtres parpaillots. La surcharge décorative, les statues de saints, les peintures saint-sulpiciennes, m’ont toujours défrisé. Mais ici, c’est très dépouillé, presque nu, et en phase avec mon état d’esprit actuel...
Car on se sent nu, dépouillé, sur un vélo ; on ne bénéficie d’aucune protection, on est dans l’air comme le poisson dans l’eau.
Ce sera un des nombreux arrêts de la journée, le plus souvent consacrés à boire (de l’eau), manger (mes fameuses crêpes, bananes sèches, chocolat) et faire mes besoins naturels.
J’ai toujours aimé cette expression qui s’oppose aux multiples besoins artificiels imposés par la civilisation et la publicité – et, en l’occurrence, ici, les besoins se font dans la nature – même si je remarque une nouvelle fois en traversant les villages, des panneaux indicateurs W.-C., qui montrent les progrès accomplis depuis quelques années en France, probablement sous l’impulsion de l’Europe ; il ne manque plus qu’une amélioration du côté des villes. C’est en effet toujours la croix et la bannière pour aller pisser à Paris, Bordeaux ou même Poitiers. Les “sanisettes”, payantes – d’ailleurs assez rares – et étouffantes, me donnent le mouron. Je m’y sens enfermé comme dans une boite de sardines, j’ai besoin d’espace, d’ouvertures, de fenêtres, d’air. Et les cafés font payer ce service : voilà pourquoi certains murs sont marqués par une odeur prégnante, il faut bien que la nature s’exprime, pour les SDF par exemple ou pour le simple quidam comme moi, dont le vieillissement de la prostate entraîne un besoin parfois fréquent...
Et aussi des arrêts pour reposer le corps (par exemple, petit arrêt allongé dans l’herbe l’après-midi, yeux fermés, pour savourer pendant quelques minutes le vide) ou faire quelques exercices d’assouplissement, toujours nécessaires quand la distance s’allonge.
Le vent semble contraire, peut-être aussi la route monte-t-elle insensiblement, à moins que ce ne soit le contrecoup de la journée d’hier et des émotions, ou bien du petit déjeuner insuffisant, toujours est-il que je rame : j’espérais arriver à Melle vers 11 h 30, il est déjà midi. J’ai aperçu des pierres tombales dans un jardin – un cimetière protestant du XVIIIème siècle ? L'histoire du protestantisme du « désert », au temps des persécutions, si célèbre chez nous autres, huguenots, est fortement ancrée ici, et ils en sont les marques. Vu aussi sur le bord de la route des cahutes de cantonniers en pierre datant du XIXème, et dans lesquelles on doit pouvoir s’abriter en cas de pluie, voire dormir.
Et j’ai les jambes lourdes, je pensais manger au restaurant à Lezay, il faudra que je m’arrête avant. Il y a sans doute des tas d’excellents restaurants à Melle, mais je ne tiens pas à entrer dans la ville, par souci de ne pas rallonger une étape déjà longue. Y aura-t-il quelque chose sur le bord de la route ?
Oui, j’avise un “boui-boui” ambulant placé sur un parking, un peu à l’écart de la route, et tenu par un couple de Sénégalais : c’est lui qui cuisine. Il est 12 h 20, j’arrête, et manger en plein air me plaît. De toute façon, j’aurais choisi une terrasse. Je pose le vélo contre un arbre, salue la compagnie, deux ou trois clients, regarde ce qui est proposé, choisis poulet-frites, avec un Coca. Pendant que ça se prépare, je me décontracte, enlève le sweat et l’écharpe, il commence à faire chaud, je ne crains plus de me refroidir, et je jette un œil sur les cartes IGN pour observer de plus près le parcours restant, environ 72 km. Vu la distance, un impératif : ne pas se tromper et faire de la rallonge...
Je ne suis pas un gastronome patenté, et ce genre de cuisine me convient tout à fait : l’assiette, copieuse, contient également des tomates et de la salade, et est accompagnée d’un pain en forme de petite crêpe ronde et épaisse. Le poulet est épicé, coupé en petits morceaux. Je mange lentement, interroge le restaurateur sur son commerce, il est installé là depuis juin dernier, ça marche bien, mais évidemment, il attend les grandes vacances avec impatience. Il est étonné par la chaleur « sénégalaise » de ce mois d’avril !
Il est 13 h 10 quand je reprends ma vieille Rossinante, qui m’a attendu sagement à l’ombre médiocre de l’arbre. Je suis repu. De toute façon, règle d’or, ne pas trop manger, mais manger souvent pour échapper à la fameuse fringale du cycliste. Je garde les crêpes restantes pour plus tard. De même, je me réserve d’attendre Lezay pour prendre un café qui me donnera un nouveau coup de fouet. L’embranchement vers Lezay me permet enfin de quitter la grand-route et d’échapper aux camions. C’est une route secondaire, beaucoup plus sinueuse, et sur laquelle je vois peu de circulation. Je croise deux cyclotouristes, aux vélos surchargés, que je salue d’un « Bon voyage » et qui me répondent « Merci » avec un accent marqué : Allemands, Néerlandais ? Probable qu’ils font les chemins de Saint-Jacques, mais ils ne s’arrêtent pas.
Déception à Lezay, l’unique café est fermé, c’est l’heure de la sieste, ce sera donc pour plus tard. La balade est agréable, je peux observer un four à pain, des murets de pierres sèches, un lavoir, des pigeonniers, des oiseaux de proie. Un peu plus loin, le village de Rom abrite un musée gallo-romain, semble-t-il spécialement conçu pour les enfants. A visiter un jour ?
Plus loin, Couhé-Vérac. Arrêt enfin au bistrot : il est temps, j’ai achevé ma provision d’eau et demande au patron de me garnir mes gourdes, commande un café. Je m’installe sur la terrasse. Un cycliste s’arrête aussi : mais un vrai cyclosportif, cuisses et mollets impressionnants, large cage thoracique, vélo de course, cuissard et gilet criard de publicité mode. Evidemment, avec mon short en coton et mon tee-shirt ordinaire, ma poitrine étroite et mes jambes de grenouille, je ne risque pas de le suivre. Chacun son truc. Il me salue toutefois et me souhaite bonne route.
Depuis un moment, je ne rame plus. Pourtant, j’en ai dans les pattes ! Mais j’ai dépassé le stade où la difficulté semble insurmontable : j’avais remarqué, quand je courais des marathons, que le moment le plus dur était vers le trentième kilomètre, après ça allait tout seul, on était comme en transe, dans un état d’exaltation que je souhaite à tout le monde de connaître. Il ne me reste plus que quelques 40 km. Une broutille ! Et je retrouve ce même état d’esprit. Je sais que je finirai mon étape. J’ai envoyé à Claire un message SMS lui annonçant mon arrivée vers 18 h 30…
Je retrouve Anché, petit village jusqu’où j’étais allé il y a deux semaines pour reconnaître le parcours : à partir d’ici Rossinante connaît bien le chemin, et m’entraîne sans que j’ai besoin de cravacher. Je passe donc à Château-Larcher, devant sa superbe église fortifiée et sa lanterne des morts.
Un peu plus loin, sur la route d’Aslonnes, après être resté étendu au soleil dans l’herbe un moment, je passe à côté du camp naturiste, non encore ouvert, et de la base de parapente d’où les départs sont hélitreuillés. Puis, c’est La Villedieu-du-Clain où je peux – heureusement, car la route est extraordinairement encombrée de véhicules – emprunter la piste cyclable jusqu’à Saint-Benoît.
17 h 45 : je suis devant la maison, un peu fourbu, mais content. Thé, douche…
Affaire à suivre…



25 avril 2007 (suite) : Et le lecteur lit


Pas de plan de ville en vue. J’interroge : deux jeunes filles ne savent pas où c’est, elles ne sont pas d’ici – seraient-elle de Saint Jean, elles ne le sauraient peut-être pas davantage, étant plutôt à l’âge où on ne fréquente plus les bibliothèques, sauf s’il y a des CD et des DVD. Un jeune homme non plus n’est pas d’ici, mais me signale qu’à deux pas, dans la rue piétonne proche, il a aperçu le panneau. Effectivement, j’y suis aussitôt. Je passe sous un porche et le bâtiment de la bibliothèque apparaît, c’est ouvert.
Je pose le vélo, entre, me présente, l’employée de la banque de prêt me serre la main et appelle au téléphone Gabrielle S., avec qui j’avais été en contact. La voici qui arrive, jolie trentenaire, elle me fait contourner le bâtiment en poussant le vélo pour entrer par la porte de service. Rossinante passera la nuit à la bibliothèque, bien sagement, et aura son content de livres à déguster. Accueil sympathique des magasiniers de l’atelier de préparation des livres.
Je prends mon sac, Gabrielle va m’emmener chez M. et Mme Bonnin, des lecteurs qui doivent me recevoir pour la soirée et la nuit, et où je pourrai me doucher et m’habiller. Elle n’y est jamais allée, mais a noté des explications manuscrites embrouillées sur un petit papier vert qu’elle me tend. J’apprendrai plus tard qu’elle est nouvelle ici, où elle ne travaille que depuis janvier.
Mais finalement on trouve. Jean-Pierre et Mireille Bonnin habitent à 3 km une belle maison sur un grand terrain. Une chambre quasiment indépendante m’attend. Grand lit, cabinet de toilette. Tandis que je prends ma douche, une autre douche tombe du ciel, ce que je constate un peu plus tard. Comme je demande un fer à repasser pour mes vêtements de scène, quelque peu froissés par le sac, Mireille propose de les repasser elle-même. Pendant ce temps, je fais deux exercices de qi gong pour me délasser. Jean-Pierre prépare un café que je prends avec un biscuit. Enfin, je suis prêt, il est prévu que j’arrive un peu avant 18 h pour les essais d’éclairage.
Les bibliothécaires ont installé une petite estrade avec un fauteuil à accoudoir, une table basse avec une bouteille d’eau et un verre. Deux projecteurs sur les côtés arrière m’éclaireront bien sans m’éblouir. Je fais un petit tour dans la bibliothèque pour faire le vide, et salue Mireille Jules, la directrice, que j’ai connue dans les années 90, d’abord parce qu’elle a passé le certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire sous ma direction en 1990, puis quand il fut question de travaux d’agrandissement vers 1997-1998 – travaux apparemment non encore réalisés à ce jour. Mais franchement, la bibliothèque est charmante telle quelle, même si sans doute elle pourrait être plus grande.
Peu à peu, le public arrive, toutes les chaises ne sont pas occupées, je remarque quelques enfants d’environ dix ans. Le choix des textes – le thème pérégrinations a été choisi par les bibliothécaires, parce qu’entrant dans le cadre de La science se livre 2007, consacré aux explorations – n’est pas vraiment prévu pour eux, j’espère que ce ne sera pas trop long, qu’ils ne s’ennuieront pas et qu’ils seront calmes. De fait, il y en a un qui passe tout son temps à gigoter.
Je me présente, signale que j’ai placé près de la sortie le livre d’or où on peut écrire quelques mots si on le désire, et un béret pour y déposer quelques sous pour m’aider à continuer ma randonnée. Et je me lance. Il est 18 h 10. Pendant toute la séance, je ne regarde pas ma montre. Quand j’achève sur le poème Les étoiles d’Edith Södergran, que je dédie aux enfants, il est 19 h 05. J’avais donc assez bien minuté le temps de mon intervention. Je crois que s’il n’y avait pas eu les enfants, surtout celui qui n’arrêtait pas de gigoter, j’aurais lu peut-être plus lentement, ou du moins avec davantage de silences, et ça aurait duré une heure. Mais dans l’ensemble, c’est plutôt correct. La nouvelle Un petit vélo dans la tête, malgré sa longueur, a été suivie avec attention : j’étais déchaîné et j’y ai mis tout mon cœur, car c’est vraiment un texte que j’aurais aimé écrire.
Un petit quart d’heure de discussion avec le public, qui comprend un comédien professionnel, car Jean-Pierre Bonnin pratique aussi le théâtre en amateur (cette année La leçon, de Ionesco) sous la direction de ce comédien. Une seule personne a écrit trois mots sur le livre d’or, et le béret contenait 12 €. Je ne ferai pas fortune…
Direction, la maison des Bonnin, que rejoignent aussi Gabrielle et Mireille. Apéro, puis sympathique repas, avec au menu une sorte de colombo de porc. Discussion sur les élections : Ségolène a la cote ici, et on ne la sent pas perdante. Et les Bonnin racontent leurs faits d’armes ( ?) en Guinée, où ils ont fini leur carrière vers l’an 2000 : lui, ancien instituteur spécialisé, y était inspecteur de l’éducation. Ils ont deux enfants, une fille et un garçon. Le garçon est devenu comédien et a épousé une Allemande, ils vivent à Lübeck.
Vers onze heures, chacun regagne ses pénates.

25 avril 2007 (début) : Il faut un début à tout


Je me réveille frais et dispos... J’ai encore mille vérifications à faire avant de partir, tout à l’heure, vers midi. J’ai mon billet de train pour Niort, 12 h 57. Je révise mon sac : ai-je bien tout ? Pyjama, trousse de toilette, linge de rechange, lunettes blanches (vu le soleil qu’il fait, je circulerai à vélo avec mes lunettes de soleil), vêtements de pluie – on ne sait jamais – coupe-vent, le béret destiné à recueillir des fonds à la fin de mes animations, faire la manche en quelque sorte, le petit carnet qu’on m’a offert pour Noël et qui servira de livre d’or, et bien sûr le costume de scène, en fait un pantalon et une chemisette (Claire m’a aidé à choisir quelque chose d’assorti) ; sans oublier surtout mes textes à lire, que je compte réviser dans le train. Ne pas oublier non plus ma ceinture avec mes papiers, ma carte senior et les billets SNCF, et enfin le téléphone portable, devenu incontournable ( ?... Ça fait à peine deux mois que je sais m’en servir). Le sac enfin prêt est chargé dans le panier arrière du vélo. J’y rajoute une grande gourde d’un litre, plus une petite bouteille d’eau d’un demi-litre dans la sacoche de devant.
Car bien sûr, je suis trop excité pour revoir quoi que ce soit ce matin. Claire est partie faire sa petite randonnée du mercredi matin avec Marido, j’envoie mes derniers courriels, je continue à mettre en mémoire un texte du thème “nourritures” non encore achevé, mais ce n’est pas urgent, pour l’instant ce thème ne m’est pas demandé. Compte tenu de l’excitation légitime propre à un départ, je suis somme toute assez calme, serein, point trop inquiet.
Je fais des crêpes, j’en emporterai une boite, ça pourra être utile demain sur le chemin du retour, et comme ça, il y en aura aussi pour Claire et Lucile qui doit venir manger ce midi.. Je fais un saut à vélo jusqu’au marchand de journaux, c’est mercredi, jour où traditionnellement on achète Libé, ça tombe bien, gros titre : “Dix bonnes raisons de ne pas voter Sarkozy”, j’ai cru un instant voir Dix bonnes raisons de ne pas venir voir le cyclo-lecteur ! Et j’achète le pain. Au retour, je gonfle à bloc les pneus du vélo.
Midi, Lucile vient d’arriver, j’achève de déjeuner (au menu des pa^tes, sucre lent indispensable pour le vélo), et hop, dernières embrassades, je visse ma casquette sur le crâne, mets un petit sweat sur le tee-shirt et même une écharpe légère, car j’ai constaté tout à l’heure en faisant les courses que le fond de l’air reste frais – on est en avril, que diable ! – j’enfourche la bécane pour mes premiers six kilomètres jusqu’à la gare. Ne pas se presser, pas la peine de tomber ou d’avoir un accrochage dans la descente du Faubourg du pont neuf, toujours vertigineuse. Ajuster l’équilibre, car avec le sac à l’arrière, le vélo – ou moi, dans l’ivresse du départ ? – tangue un peu.
Bref, midi vingt-cinq, je suis à la gare. Je composte, repère le quai de mon train (voie Z) et cherche à le joindre d’abord par l’ascenseur : peine perdue, le vélo n’y rentre pas, il faudrait le mettre debout. Je n’y songe même pas, trop lourd. Et je préfère prendre les escaliers. Cahin-caha, je descends, enfile le souterrain, puis remonte sur le quai. Oui, c’est bien là. Ouf, car redescendre et remonter, je n’y tiens pas.
12 h 45, le TER se pointe. Voyons, quelle voiture est destinée aux vélos ? C’est dessiné dessus, formidable, on n’arrête pas le progrès. De plus, le quai et le plancher de la voiture sont de niveau, encore plus formidable. Ce qui l’est moins, c’est le système d’accrochage. Même après avoir dépouillé le vélo de mon sac à dos, il se révèle fort lourd à placer en position debout, et surtout il est difficile d’insérer la roue avant dans l’encoche prévue à cet effet, tout en la crochetant. J’ahane un peu, et, bien sûr, personne pour m’aider. Je ne vais pas tout de même pas demander de l’aide à la vieille dame voisine qui me regarde en souriant, ni à la jeune fille au nez plongé dans un bouquin. Faut vraiment être costaud, bonjour les risques de lumbago. La SNCF a-t-elle pensé aux femmes qui doivent avoir les plus grandes difficultés à mettre en place un vélo ? Le mien est-il si lourd que ça, ou mes bras si faibles ? Bon, ça y est, le crochet est entré entre deux rayons, et ça tient bien...
Je m’installe à proximité. A vrai dire, vu la complexité de la mise en place du vélo, j’imagine que l’enlever doit être assez long aussi, et je crois que la surveillance ne semble pas indispensable. Mais je préfère être à côté, à couver du coin de l’œil ma Rossinante à moi, qui vais essayer de me battre également contre des moulins à vent.
Je sors mon dossier et relis mes textes, à voix basse d’abord, puis dans ma tête, car je préfère ménager ma voix. Soudain, arrêt sur la voie : on est à Pamproux, à peu près à mi-chemin de Niort. Un haut-parleur nous signale qu’on reste arrêté pour attendre la passage d’un TGV. Allons-nous nous mettre en retard ? C’est que j’ai minuté mon temps très juste aujourd’hui. Arrivée à 13 h 57 à Niort, le temps de sortir de la gare, de me repérer, ce sera 14 h 05, 45 km jusqu’à Saint Jean d’Angély, il me faudra bien deux heures et quart, deux heures et demi, et encore s’il n’y a pas de vent, et si je n’ai pas d’incident technique.
Et bien sûr, c’est alors que je me rends compte que j’ai oublié d’emporter adresse et n° de téléphone de la bibliothèque : comment les prévenir si je prends du retard ? Mon éternel problème avec le Temps, l’angoisse de ne pas être à l’heure, qui fait qu’en réalité je suis toujours très en avance… Ainsi tout à l’heure, une demi-heure avant le départ du train à Poitiers. Il me faudrait une psychanalyse pour régler ce rapport au Temps.
Je me dis que j’aurais dû partir par un train plus tôt ce matin pour avoir du mou, tandis que les minutes s’égrènent, qui me paraissent interminables. J’ai suspendu mon souffle, cessé mes lectures, rangé mon dossier dans le sac. Enfin, on repart. Pourtant, l’arrêt n’a duré qu’à peine cinq minutes... Mais à retenir pour le futur, prévoir toujours du large !
Autre problème : le temps se couvre, pourvu qu’il ne pleuve pas ! Une autre de mes hantises... Faut dire qu’à vélo, même avec une cape et un sur-pantalon, la conduite sur route mouillée et glissante n’a rien d’agréable, sans compter l’eau qui dégouline sur les lunettes, et les freins qui répondent difficilement... Et le souvenir qui surgit de mon genou qui avait prodigieusement enflé pour avoir pris la pluie lors des vacances en 1967, sur la route de Mont de Marsan vers la Dordogne. Bref, une balade à vélo peut se transformer en enfer.
Toutefois, ne pensons pas au pire, et profitons du paysage, avec ces trains à vitesse presque humaine. Les champs de colza me paraissent de gigantesques maillots jaunes couvrant les épaules bossues des collines. Ils alternent avec des prairies où des vaches somnolentes continuent à regarder passer les trains. De-ci de-là, des bosquets, quelques haies, un village et une église dans le lointain. Des noms familiers : La Mothe Saint-Héray, Saint-Maixent, La Crèche, lieux que j’ai visité professionnellement du temps de la DRAC, j’allais dire « et de ma jeunesse folle ». Bref, j’apprécie cette différence entre déplacement (le TGV, où je m’endors immanquablement, et où le paysage défile trop vite) et voyage.
En fin de compte, il est plus facile de décrocher le vélo que de l’accrocher. Par contre, à retenir pour une autre fois : ne pas attendre pour le faire que les voyageurs se soient levés, car je manque agripper la vieille dame avec ma roue arrière. Sortie sans problèmes de la gare de Niort, avec encore obligation d’emprunter le passage souterrain, mais cette fois, c’est plus facile, car j’ai gardé le sac sur mon dos, le vélo est ainsi plus léger et j’utilise sur la bordure de l’escalier une pente aménagée pour les valises à roulettes.
J’appuie le vélo contre le mur de la gare, je regarde une dernière fois la carte, oui, il faut partir sur la gauche, et la route de Saint Jean d’Angély se profilera bientôt, presque en ligne droite sur 45 km. J’enfourche Rossinante qui hurle de plaisir en voyant une voiture s’arrêter pour me laisser passer !
Là encore, une leçon à retenir pour mes futures randonnées, éviter les grandes routes, et donc prévoir plus de temps, car le chemin des écoliers est toujours plus long. Mais là, j’étais pressé, j’avais annoncé mon arrivée pour 16 h 30... Pas question de dégotter sur la carte une route parallèle qui me rallongerait au bas mot de dix km, et d’ailleurs peut-être inexistante. Le temps est menaçant, relativement frais, je garde mon sweat pour l’instant.
La grand-route de Niort à Saint Jean d’Angély est une nationale, en fait, et je suis sans cesse dépassé par de gros bahuts, tout au moins pendant les premiers km jusqu’à l’embranchement vers l’autoroute. Après, ça se calme un peu, mais il y en aura toujours. Seul avantage, la route est rectiligne et lisse, ce qui est rarement le cas des petites routes de campagne.
En tout cas, voyage sans encombre, deux arrêts – pipi et boisson, collation de bananes séchées et chocolat – j’ai du tonus, j’enroule la plupart du temps le grand plateau, et soudain, à mes yeux éblouis, Saint Jean d’Angély est là. Il est 16 h 15.
Me reste à trouver la bibliothèque, dans une ancienne église, selon mes souvenirs, et plutôt au centre ville, mais où ? C’est que j’y suis, au centre ville. J’aperçois de vieilles maisons, une rue piétonnière, c’est très beau.

samedi 28 avril 2007

22 avril 2007 : Le vélo : oui, oui, oui


Soyons clair : quels sont les avantages du vélo ?
Le vélo est pratique : en ville, il est rapide et efficace, on peut aller partout, il supprime les problèmes de stationnement ; à la campagne, il permet de cheminer plus rapidement qu'à pied et d'aller un peu plus loin. on peut même, en lui adjoignant un caddy ou une remorque, faire ses courses avec.
Il est économique, puisqu’en moyenne, il dure dix ans (si on achète un vélo de bonne qualité et si on l’entretient), et que son coût d'achat reste à la portée de tous. il ne pollue pas et ne contribue pas au réchauffement de la planète. Il est très fiable, puisque, en dehors des crevaisons, il n’est pas tributaire des embouteillages ni des grèves de transports publics. Pas besoin de carburant, on ne dépense que sa propre énergie, et on en a à revendre : on me dit toujours « qu’est-ce que tu es courageux ? », je réponds qu’il n’y a pourtant rien de plus simple et qu’il n’y a pas besoin d’être costaud, la preuve !
Enfin, c’est un facteur de santé : il permet de se maintenir en forme, et comme on ne pollue pas, de donner un air sain à respirer aux autres. A cet égard, j’aimerais que voitures et camions en fassent autant. On est en train d’interdire – à juste titre – l’usage du tabac dans les lieux publics : à quand l’interdiction des gaz d’échappement ? Qui probablement causent tout autant de problèmes sanitaires que la fumée de tabac ! Et contrairement à ce qu’on croit, l’exposition à la pollution à vélo est deux à trois plus faible qu’en voiture.
Et de plus, le vélo est agréable : on s’arrête aisément sur le bas-côté pour profiter d’un panorama, prendre une photo, une petite collation ou boire, pisser, changer inopinément de route, puisqu’on va lentement et qu’on a le temps de voir les directions et les embranchements. On se sent libre, porté par le vélo, on ne ressent pas le poids de la pesanteur comme quand on marche.
Je reviendrai sur le sujet.

20 avril 2007 : L'angoisse du cyclo-lecteur au moment de s'élancer




Dessin de Claire Brèthes

Ça y est. Le grand jour va arriver. Je ne l’aurais jamais cru. Pas si évident de concevoir un projet et de le réaliser.
De quoi s’agissait-il ? Au départ, l’idée, alors intitulée Le lecteur ambulant, qui avait germé dans mon esprit en 2003, était de réaliser un grand tour de France à bicyclette, qui aurait duré trois à quatre mois, et m’aurait permis de retrouver ici ou là toutes les personnes que j’ai connues dans ma vie – famille, amis, collègues de travail, connaissances – et de leur dire un petit bonjour, tout en leur demandant de m’aider à organiser à certaines étapes une séance de lecture à haute voix que j’animerais. J’avais dans l’idée de faire un programme de textes courts, poèmes et surtout nouvelles ou récits.
En quelque sorte, comme j’ai beaucoup lu, rencontré pas mal de gens au hasard de mes nominations dans plusieurs régions de France, j’aurais voulu accomplir un partage avec eux de la somme de mes lectures, ou plutôt de leur quintessence…
Je me disais aussi que le début de la retraite – qui en est la meilleure période, parce qu’on est encore en relatif bon état, et qui allait pour moi sonner en 2006 – était le moment idéal pour réaliser ce vieux rêve un peu fou : faire la somme des amis, la somme des lectures, la somme de la randonnée vélocypédique que représente un Tour de France.
J’allais mettre tous les atouts de mon côté.
D’abord, mon corps, lui faire retrouver le meilleur état possible, sa souplesse, son confort. Alors que je souffrais d’un lumbago en 2002, la rencontre de Fabrice G., grâce à un membre de la chorale du Chœur des Champs, m’a permis de découvrir les bienfaits du massage corporel, de l’exercice physique qu’il intitule « éveil musculaire », et du qi gong. Les stages d’été qu’il a animés en pleine nature près de Vézelay pendant trois ans ont été un enchantement ; j’ai pu m’y ressourcer, y retrouver des souvenirs d’enfance, me réconcilier post-mortem avec mon père, me sentir mieux dans ma tête ainsi que dans mon corps. Il m’a poussé aussi à me remettre à faire un peu de musculation dans un centre de remise en forme.
Sur d’autres plans, mon passage pendant quelques années dans la chorale m’a fait prendre conscience des possibilités de la voix, même si mon niveau de chant n’a jamais été brillant, parce que les morceaux à chanter devenaient de plus en plus difficiles. J’ai finalement renoncé, mais le défi que constituaient l’apprentissage des notes, le positionnement de la voix, m’a tout de même marqué.
La pratique par ailleurs du théâtre, depuis 1999, m’a également encouragé à sortir de mon introversion excessive, confinant parfois à l’autisme, et surtout parce que j’ai dû jouer des rôles de composition dans des pièces comiques le plus souvent, ce qui n’est pas tellement dans mon caractère. Hervé G.-I., le comédien qui m’a dirigé, m’a fait également sortir toute la violence rentrée en moi et m’a libéré en quelque sorte.
Et puis j’avais commencé à pratiquer la lecture à haute voix en prison. Le public y est difficile. Beaucoup de détenus sont très éloignés de la lecture, voire analphabètes. Certains sont sous tranquillisants, d’autres sont instables, peu éduqués. Pas simple de les captiver. Le choix des textes est ici crucial. Lise B., qui officie avec moi, ne lit pas du tout de la même façon que moi, ses choix de lectures sont aussi très différents, souvent plus difficiles. Au quartier femmes, il faut compter aussi avec l’émotion. Enfin, être enfermé, ne fût-ce que quelques heures, reste très éprouvant. Les premières fois, je souffrais de claustrophobie, après le franchissement de toutes ces barrières… Mais l’expérience est positive, en dépit de quelques erreurs dans les choix de textes, qui tombent alors à plat.
Bref, il ne me restait qu’à continuer à lire, à dévorer des recueils de poèmes et de nouvelles pour parfaire le choix et les programmes de lectures que je pourrai mettre en route et proposer à d’éventuels auditeurs.
Et à faire du vélo de façon un peu plus intensive. Je n’ai jamais cessé d’en faire. Depuis quelques années même, j’utilise principalement le vélo dans mes déplacements urbains. La mise en place, par la municipalité, de couloirs de bus et de bandes cyclables, a grandement facilité la circulation des vélos. J’ai même pris l’habitude de justifier mes séances de cinéma par le fait que je les gagne, ou les mérite, en y allant à vélo. Enfin, les petites routes aux alentours de Poitiers n’ont plus guère de secrets pour moi. J’y ai découvert des coins enchanteurs, comme la fontaine de Flée où désormais je vais remplir des bidons d’eau de source destinés à nos plantes d’intérieurs et aux bonsaïs de Claire, qui s’en portent mieux qu’avec l’eau du robinet.
Mais les « plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne réalisent pas ». Et un grain de sable est venu, qui a enrayé momentanément le projet et m’a poussé à le modifier. En juillet 2004, Claire est tombée malade, si gravement qu’elle n’en est en fait pas encore remise. Elle a beaucoup souffert, et je n’ai pas pu faire grand-chose pour la soulager. Je me suis imaginé qu’en mettant mon projet en veilleuse, en n’en parlant plus, elle guérirait plus vite.
Et quand je suis arrivé à la retraite, en janvier 2006, je ne voyais pas comment mettre en route le projet. M’absenter trois ou quatre mois ? Impensable. Donc, je n’en parlais plus. Et c’est elle qui un beau jour m’a relancé. Pourquoi ne le ferai-je pas, mais sous une forme un peu différente, moins ambitieuse, mais plus à la portée de mon âge, et sans l’abandonner de façon si continue ?
L’idée a donc germé de le faire sur cinq ans, chaque printemps, en commençant par le Sud-ouest. Avec deux ou trois animations par semaine, je pourrai rentrer à Poitiers, ou bien Claire pourrait m’y suivre, et ainsi elle ne serait pas trop seule…
Et voilà, le départ est imminent. En serai-je capable ? Le moral tiendra-t-il ? Et le physique ?