samedi 30 novembre 2019

30 novembre 2019 : la chanson du mois : notre Manu national


l’élection présidentielle de 2017 à la faveur de laquelle est élu un Bonaparte favori des puissances d’argent.
(Annie Ernaux, entretien avec Éric Fottorino, Zadig, 2019, n° 04)



Oui, et un « petit caporal » de maigre envergure, mais qui fait beaucoup de mal, détricote toute la protection sociale dont nous disposions, fait la chasse aux gilets jaunes et aux migrants, tandis qu’il laisse les ultra-riches s’engraisser scandaleusement. Heureusement qu’il y a quelques chansonniers qui le prennent pour cible. Tout dernièrement, on m’a signalé cette chanson de Damien Saez, qu’on peut écouter ici :

Voici les paroles qui valent ce qu’elles valent, y a plus poétique, mais difficile de faire dans la dentelle avec un pareil sujet :


hey Manu viens chez moi voir un peu la galère
de ceux qui meurent de froid de ceux qui puent la bière
qu’on offre à son frangin dès les premiers du mois
et tant pis si les sous ouais tiennent pas jusqu’au trois

hey Manu ferme-la quand tu prends tes grands airs
tes airs de p’tit bourgeois qui chie sur l’populaire
‘vec ta gueule de p’tit roi ‘vec ta gueule de princière
qui f’rait mieux d’retourner sous les jupons d’sa mère

hey Manu rent’ chez toi et remballe tes cent balles
t’as mal compris je crois sur la place de l’Étoile
les mots qu’javais tagués oui comme un idéal
allez chiale pas Manu ça t’a coûté que dalle 
 
Ouais Manu ! Rent' chez toi puis va baiser ta vieille
La France en a assez d'être baisée sans oseille
puis ça fait tellement d'temps qu'elle a fait le tapin
que mon pote, l'addition, va chiffrer, c'est certain
Il est temps d’arrêter d’gratter les populaires 

va d’mander à Total de payer pour la Terre
tu verras ça f’ra pas chialer dans les chaumières
ouais Manu rent’ chez toi c’est l’heure des révoltaires
il est heure mon cadet ouais d’rentrer chez ta mère
il est l’heure d’faire croquer les millions qui galèrent
il est l’heure ouais d’aller racketter l’milliardaire
pour que la Liberté devienne la Solidaire

ami s’il est l’heure poing levé c’est sûr de pendre le banquier
d’enl’ver la nationalité à leur CAC 40 d’enculés
ça y est le peuple est dans la rue t’as vu comme on porte un drapeau
armée de la misère au poing du fond des campagnes aux ghettos
frangin s’il faut sauver ton pain je crois quand civile est la guerre


s’il faut cramer la financière la guillotine aux actionnaires
t’as vu l’incendie populaire venu éclairer les grandes ourses
la rue qui s’offre aux révoltés populaires vient braquer la bourse

quand soudain les boutiques Chanel soudain s’ouvrent aux enfants du souffre
ami quand y a plus b’soin d’CB pour pouvoir aller faire ses courses
dix mille arrestations normal pour bien garder au chaud tu sais
je crois tous les p’tits culs planqués du grand royaume des collabos
tu pourras bien nous mettre en taule frangin nous serons Jean Moulin
puis tu sais ça nous f’ra une piaule pour avoir chaud jusqu’à demain


puis surtout garder quelques sous pour pouvoir payer au gamin
autre chose que bouffer les clous toujours de la croix du destin

et les vendus parlent de République avec leurs gueules de pathétiques
VRP du grand capital pleure sur un tag place de l’Étoile
oh non z’ont pas honte ces gens-là de sucer la bite aux médias
salariés du grand financier esclavagiste humanité
quand toujours pour dix milliardaires y a toujours dix millions d’crétins
qui crèvent la gueule au fond des chiottes qui galèrent pour s’ach’ter ses clopes
ouais quand moi soudain c’est « j’accuse » que j’vois descendre dans la rue


c’est sûr quand on va passer t’voir salope ouais pour régler la note
pour te fout’ la fessée cul nu pour t’fout’ la gueule au fond des chiottes
qu’tu sentes un peu c’que c’est la merde toujours de pas gagner un rond
ouais sûr c’est pas qu’un coup à boire mon pote que tu vas prendre dans l’fion

te casse pas Manu c’est fini les prises d’otage au fond des urnes
la peur des méchants loups pour faire sûr toujours élire les mêmes burnes
ça y est l’heure est à la révolte et même s’il faut sortir le colt
c’est fini les j’me fais baiser à chaque seconde j’me fais taxer
par les parrains d’l’état mafia par des p’tites putes sorties d’l’ENA


j’suis sûr t’as placé tes paris ouais sur la dette de ton pays
esclaves des pourritures finances mais t’as vu la gueule de la France
démocratie morte enterrée sang sur les mains des députés
au viol des arts ou des tomates du carbone ou du glyphosate
pour enrichir l’intermédiaire il faut satisfaire l’actionnaire,
aux lacrymales des coups d’matraques pour éduquer les p’tits macaques
les gouvernances aiment bien taper ouais sur des manifs d’ouvriers
trésorier qui rackette son peuple les p’tits comptables présidents
p’tite raclure d’émissions de télé juste bonne à violer nos enfants
monocratie des monarchies médiocratie pornocratie
financières financent les médias
médias font élire le politique
et le politique encule son peuple
et le politique encule son peuple
et le politique encule son peuple
et le politique l’encule
et le peuple encule le politique
le peuple encule le politique
et le peuple encule le politique
et le peuple encule

Manu dans l’cul
Manu dans l’cul
Manu dans l’cul
Manu dans l’cul


hey Manu rent’ chez toi et remballe tes cent balles
t’as mal compris je crois sur la place de l’Étoile
les mots qu’j’avais tagués oui comme un idéal
allez chiale pas Manu ça t’a coûté que dalle

hey Manu casse-toi d’là faut lâcher ta chaumière
c’est l’heure d’rentrer chez toi pour prom’ner la grand-mère
de rendre l’assemblée au peuple d’ouvrières
il est l’heure d’faire croquer les sans-dent qui galèrent

hey Manu casse-toi d’là avant que l’incendiaire
ne vire à tout cramer pour faire goûter misère
à tous ceux-là d’en haut qui niquent tous ceux d’en bas
allez casse-toi Manu ouais Manu casse-toi d’là

ouais Manu rent’ chez toi avant qu’ce soit la guerre
avant qu’la France d’en bas ne devienne Robespierre
populaire au combat jusque dessous la terre
il est heure mon cadet ouais d’rentrer chez ta mère

hey Manu rent’ chez toi ou viens m’payer ma bière
il est l’heure ouais d’aller faire saigner l’milliardaire
ici la France d’en bas ici les révoltaires
tu sais qu’on lâch’ra pas pour rendre au populaire
de quand la liberté devient la solidaire
de quand la liberté devient la solidaire 
 

jeudi 28 novembre 2019

28 novembre 2019 : Tunisie, la "démocratie" est-elle exportable ?


Car une nouvelle religion est née, la religion démocratique. Elle est frappée d’un nouvel interdit : le doute. Être démocrate est un impératif sacré, ne pas l'être une hérésie. il n'y a pas d'athées en démocratie, on est tous ses dévots, tremblant à l’idée que notre Dieu démocrate n’existerait pas.
(Hélé Béji, Dommage, Tunisie : la dépression démocratique, Gallimard, 2019)
Pour comprendre les révolutions arabes et la naissance du jihadisme, et ne pas se tromper d’objet, il est nécessaire de savoir que le "colonialisme portait la vieille intolérance chrétienne qui expliquait qu’il fallait subjuguer, fût-ce par la violence, les peuples idolâtres et primitifs", comme le rappelle Hélé Béji, la grande intellectuelle tunisienne dans son opuscule Dommage, Tunisie : la dépression démocratique, paru dans la belle collection Tracts chez Gallimard. Et comme le montraient à l’envi, concernant l’Amérique latine, la plupart des films que j’ai vus au Festival de Pessac. "La prédication démocratique prend-elle le même chemin ?", celui de l'intolérance, s’interroge l’auteur, en se demandant si notre manière de vouloir exporter la démocratie (à l’occidentale) par la force n’est pas contre-productive : "Aucune puissance étrangère ne peut apporter la liberté à un pays s’il ne l’a pas conçue par lui-même. Personne ne peut vous forcer à être libre, si vous n’avez pas décidé de le devenir. Être libre par la seule volonté des autres est nouvel esclavage." On ne saurait mieux dire : voir les catastrophes que sont l’Irak, la Lybie, l’Afghanistan, la Syrie, aujourd’hui !


L’auteur note aussi que "la Révolution tunisienne s’est distinguée par le geste souverain de n’avoir pas été précédé d’aucun bombardement « démocratique » au nom de la civilisation", mais est née spontanément. Ceci étant, est-ce suffisant pour qu’une démocratie analogue à la nôtre s’y installe ? Au moins n’a-t-elle pas été imposée de l’extérieur, en apparence, et nous ne sommes pas venus, tels des chevaliers blancs, y proposer (imposer ?) les attributs de la liberté telle que nous la concevons. Et pourtant, qui nous dit que l’ingérence occidentale n’y figure pas, à l’arrière-plan, ce qui explique en partie les succès des partis islamistes. Car rien n’est jamais gagné : Hélé Béji nous lance un appel. "Non, chers Européens, c’est ignorance de soi que de vous croire démocrates depuis la nuit des temps, par nature. Vous pouvez ne pas le rester. Peut-être avez-vous déjà commencé à ne plus l’être" (et j’ai pensé à la manière dont nos gouvernements se prétendant démocratiques répriment à l’intérieur les contestations issues des milieux populaires avec une violence inouïe, et à l’extérieur, remettent vite au pas les gouvernants pourtant élus qui ont l’heur de leur déplaire : au Chili en 1973, ou aujourd’hui même au Venezuela et en Bolivie). Pourtant, la démocratie a mis des décennies à se mettre en place chez nous et ne nous a pas été imposée de l’extérieur.
On peut aboutir à un échec : "Exporter la démocratie par la guerre s’avère le pire fossoyeur de la démocratie elle-même. Mais qui vous dit que ces égarés souhaitaient se plier à votre magistère, fût-ce au nom d’un idéal démocratique qu’ils vivent comme le nouveau dessein de les régenter ? Vous avez détruit des états séculiers en formation, pourquoi vous étonner de voir surgir des états islamiques ?" Elle pointe du doigt les responsabilités des pays occidentaux qui approuvent les pires dictatures quand ça les arrangeait, et quand ça les arrange encore (notamment pour la prédation des ressources minières),  et imposent parallèlement un mode de vie privé de signification à des autochtones qui n’en peuvent mais, et qui sont tout étonnés de voir naître des mouvements imprévus tels que le jihadisme : "c’est la destruction des traditions qui enfante des types humains dénués de toute affection envers le prochain, et prêts à faire fi du simple devoir humain, familial, social. Ils vivent dans ce no man’s land d’atomisation urbaine où ils ont grandi, qui les décharge de tout sentiment d’attache et de compassion".
Car, si la démocratie telle que la nôtre ne naît pas spontanément, la destruction outrancière de cultures et de traditions jugées dépassées entraîne un rejet qui peut être violent : "les crimes jihadistes semblent sortir d’un archaïsme sauvage, ils viennent pourtant d’un monde défait de son trésor passé au profit d’un hyperindividualisme prospérant sur cette ruine". Et le leurre des indépendances a fait long feu : le roi est nu ! "Le pastiche démocratique est devenu une seconde nature. Les prélats des mosquées ont usurpé la langue des silencieux. Les artistes ont surenchéri sur la Révolution avec un cynisme boursouflé. Les menteurs se sont costumés en juges de vérité, les tartuffes en directeurs de conscience, les forbans en gens d’honneur. […] Les femmes élégantes et coiffées ont parlé aux voilées comme à des domestiques. Les singes savants ont roulé des yeux en simulant l’indignation. Les petits marquis ont défendu l’égalité en se gavant de grand privilèges". Et la puissance des armes et de la technologie (d’autant plus que nous les vendons, car business is business) peut se retourner contre nous.
Si encore notre exemple pouvait servir de modèle irréprochable, avec nos démocraties bancales ! "Maintenant, nous sommes face à ce que nous avons engendré, les élites avec leur suffisance, le peuple avec ses idolâtries, les religieux avec leur imposture, les hommes d’affaires avec leur inculture, les intellos avec leur « machine à non-sens » ; les politiques avec leur arrogance ; les philistins des droits de l’homme avec leur hypocrisie ; les universitaires avec leur impuissance ; les juristes avec leur parjure". Et Hélé Béji de rappeler que "tant que la population n’a pas atteint une vie décente, tant qu’elle ne peut se chauffer ni se nourrir correctement, tant qu’elle est mal soignée, maltraitée, trompée, alors […] L’islamisme armé vient nous rappeler que le travail ne fait que commencer et qu’en réalité, nous ne l’avons pas pris à bras le corps, nous l’avons esquivé. […] Dommage [qu'il] soit la seule riposte que nous offrons aux crimes de la démocratie impériale".
Inutile de dire que ce petit livre ne porte guère à l’optimisme, ni sur la nature humaine, ni sur les possibilités de ce que l’auteur appelle la dépression démocratique. "La Révolution [tunisienne] inscrit dans sa modernité l’avènement du religieux en politique. Elle a donné au discours religieux le moyen de se manifester sans craindre la répression. La nation se trouve confrontée à sa négation dans l’offensive de la doctrine islamiste". Bref, les Tunisiens ont du pain sur la planche...

mercredi 27 novembre 2019

27 novembre 2019 : la technologie, perversion de la science ?


En vérité, le développement incontrôlé de la technologie détruit les sources vitales de notre humanité. Elle crée une culture dépourvue de fondement moral, sape certains processus mentaux et mine les relations sociales qui donnent du sens à la vie.
(Neil Postman, Technopoly : comment la technologie détruit la culture, trad. Collective, L’échappée, 2019)
La publication originale de ce livre date de 1992, donc à une époque où internet ne faisait que balbutier et où l’ordinateur portable était en passe de se développer à une allure exponentielle. On était entré, selon l’auteur, dans l’ère de la Technopoly, Postman étant très sensible aux effets de saturation liés à son usage, et qui pour lui, paraissent propres à miner toute notre vie sociale et même le "sens de la vie". Que dirait-il aujourd’hui s’il voyait l’ordiphone envahir la vie privée et l’espace public, y compris dans les pays les plus pauvres, ruinant toutes la vie traditionnelle ?

L’ouvrage de Postman se veut en effet comme un signal d’alarme : avons-nous oublié Platon qui, dans Phèdre, nous rappelle que la technique présente certes des avantages mais aussi des inconvénients ? Il est indéniable que l’ordinateur, comme toute innovation technique, suscite des gagnants et énormément de perdants. Et, en particulier, nous avons par cet outil "dévalorisé la capacité singulière des humains à appréhender les choses sous un angle psychique, émotionnel et moral, et remplacé cette confiance par une foi dans la puissance du calcul technique"
Postman explique que la technocratie, qu’il fait remonter à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, modifie en profondeur ce qui fait l’humanité : "les outils jouent un rôle central dans la façon de penser des hommes. Tout est soumis d’une manière ou d’une autre au développement des outils. Ils ne sont pas intégrés dans la culture ; ils attaquent la culture et finissent par devenir la culture. Ce faisant, ils forcent la tradition, les mœurs sociales, les mythes, les politiques, les rites et les religions à lutter pour leur survie". Or, la culture, c’est la langage, la littérature, l’art, la religion, les mythes, les traditions, l’intelligence ordinaire et banale de la vie en société. Toutes choses mises à mal par la toute puissance de la technologie, devenue totalitaire, livrée aux mains d’experts et de techniciens qui font la pluie et le beau temps dans tous les domaines, y compris la politique, l’économie, l’éducation et l’enseignement. La spiritualité en est quasiment exclue. Dans la Technopoly, "tous les experts jouissent d’un charisme religieux. Certains de nos prêtres-experts sont appelés psychiatres, d’autres psychologues, sociologues ou statisticiens. Leur dieu ne parle pas de droiture, de bonté, de clémence ou de grâce, mais d’efficacité, de précision et d’objectivité. Les concepts moraux de péché ou de mal […] sont alors remplacés par ceux de « déviance sociale » et de « psychopathologie » issus des domaines statistique et médical." L’humanité se trouve dépossédée d’elle-même, et en particulier de la notion de bien et de mal : que dirait-il de la connectivité généralisée dans laquelle nous baignons trente ans plus tard ? Bientôt nous n’aurons plus de contacts directs avec nos médecins, comme déjà nous n’en avons plus avec nos banquiers ; nous passerons par des machines pour nous connaître.
Ces machines nous renvoient à la crédulité ancienne : Bernard Shaw notait déjà avant guerre qu’un "individu lambda de la première moitié du XXe siècle est à peu près aussi crédule qu’un individu lambda du Moyen âge. Pour ce dernier, la source d’autorité était la religion. De nos jours, c’est la science". Or, nous rappelle l’auteur, il y a science et science : pour lui, les sciences humaines ne sont pas exactes, et pourtant on en fait état à tout moment dans les débats télévisuels pour justifier la technocratie, au nom d’un scientisme cautionnant l’économie et toutes les décisions qui nous concernent tous, et qui nous transforment en consuméristes passifs, aptes à considérer toute innovation comme inévitable, car c’est le "progrès" (cf les trottinettes électriques...). Et, par contre, à nous enfermer dans un "présentisme" qui abolit l’histoire (faut voir comment elle est enseignée aujourd’hui !), la mémoire des traditions, des religions, des mythes, la distance critique envers la nouveauté et, en fin de compte, tout ce qui fonde l’humanisme.
Dans sa préface, François Jarrige note que l’auteur regrette la disparition de la fonction essentielle de l’enseignement : "c’est lui qui doit permettre le maintien “d’âmes rebelles”, c’est-à-dire capables de conserver une distance critique vis-à-vis de la technologie, afin qu’elle apparaisse toujours comme quelque peu étrange et artificielle". Dans le dernier chapitre, Postman estime que "chaque élève, même dès son plus jeune âge, pourrait commencer à comprendre, contrairement à aujourd’hui, que la connaissance n’est pas une chose établie, mais un stade de développement de l’humanité, avec un passé et un avenir". Cette déification de la technologie (via la "science" et le "progrès") finit par prendre "la forme d’un dogme qui prône un progrès sans limites, des droits sans responsabilité et des technologies sans conséquence. Ce dogme ne repose sur aucun fondement moral, mais sur le seul culte de l’efficacité, de l’intérêt personnel et de la croissance économique. Il promet le paradis sur terre en vantant le confort apporté par le progrès technique. Il rejette tous les récits et symboles traditionnels et résume l’existence à des compétences, à une expertise technique et à une frénésie consumériste".
Un livre à lire urgemment si l’on veut se battre contre les excès de la croissance économique, contre la prédation des ressources naturelles par des êtres bornés et soucieux uniquement de la croissance de leur capital, contre le réchauffement climatique, contre le pouvoir aux mains de "cliques technocratiques, insatiables autant qu’impitoyables, au service des intérêts privés dominants" (Alain Accardo).



lundi 25 novembre 2019

25 novembre 2019 : le racisme colonial. 1


Bolivia libre : SI, Bolivia yankee : NO (cri du peuple des "Indios" boliviens qui manifestent)
(Icíar Bollaín, Même la pluie : film, scénario de Paul Laverty)

Décidément, le festival de Pessac 2019, malgré ses défauts (trop de films et de débats à la même heure, trop de films qui débutent en retard, sans compter la pluie qui, pour le vieux cycliste que je suis, constitue un handicap, mais là ils ne sont pas responsables), aura eu au moins l’effet de nous faire prendre conscience – si tant est que j'en avais encore besoin – que notre confort (dont nous sommes si fiers, et qui contribue beaucoup à notre allongement de notre espérance de vie) repose largement sur l’exploitation des miséreux d’Amérique latine (et aussi d'Afrique et d'Asie), et tout particulièrement des descendants des premiers natifs, les "Indios". Que ce soit au Brésil (film La terre des hommes rouges), au Nicaragua (documentaire État de guerre), à Cuba (Soy Cuba qui évoque le Cuba des années 50) ou en Bolivie (les films de Sanjinés ou Même la pluie), enfin à peu près toute l’Amérique latine était bien représentée. Et derrière cette exploitation, on trouve, comme par hasard, les yankees, à l’affût des richesses minières et autres, et leurs valets-potiches-Quisling au pouvoir. À peine un Indien a-t-il réussi à être élu président (Evo Morales), on le déconsidère à tout va : la presse et les médias (largement aux mains de l’oligarchie, comme en France, tiens, comme c’est curieux !) se comportent en chiens de garde (et on se demande pourquoi je n’aime pas tellement les chiens !), et la droite revancharde ont réussi à l’obliger à s’enfuir - heureusement, d’ailleurs, car il aurait été assassiné, comme le sont actuellement ses nombreux soutiens, paysans et pauvres Indios. La répression y bat son plein, au Chili aussi : comme c’est étrange, on ne parle que de celle des Hong-Kongais ; c'est qu'il y a de bons et de mauvais révoltés. Deux poids deux mesures, la répression des, allons au hasard, Indiens d'Amérique, Palestiniens, migrants, gilets jaunes, Yémenites, Kurdes, passe à la trappe. Mais Hong Kong, ah, Hong Kong ! Passons…

Revenons au cinéma. La Bolivie, dis-je, était à l’honneur. J’ai donc vu un autre film de Sanjinés, Le courage du peuple (1971) qui raconte la lutte des mineurs d’étain en 1967 (certains d’entre eux voulaient rejoindre la guérilla menée par Che Guevara), surexploités par l’oligarchie bolivienne (et derrière elle, les USA), voulant obtenir une augmentation de leur déjà maigre salaire qui venait encore d’être divisé par deux, et la sanglante répression qui eut lieu pendant la nuit de la St Jean 1967… Jorge Sanjinés ne cache pas qu'il aime cette fronde, même si elle se termine par un massacre odieux. Et les femmes sont aussi protagonistes de l'Histoire, car ce sont elles qui n’arrivent plus à nourrir leurs enfants ni leurs maris mineurs. Elles débarquent à la coopérative pour exiger du sucre, de la farine, du riz (j’ai repensé à Anna Magnani, fer de lance de la fronde des femmes dans L’honorable Angelina, vu à Venise, les opprimés sont les mêmes partout). La première et longue scène voit les manifestants (hommes, femmes, enfants, vieillards) descendre de la montagne en un long groupe avec en contrechamp les militaires qui les attendent de pied ferme (musique martiale) et finissent par leur tirer dessus avant de les ensevelir dans des fosses communes. Pas de dialogue, puis suit une séquence d’images fixes avec en surimpression le rappel des nombreux massacres opérés depuis 1942, avec leurs responsables nommés (présidents-dictateurs du pays, généraux). Puis on passe aux protagonistes du film, la lutte des femmes, la négation de tout problème par les autorités, la répression d'une férocité inouïe (pensez, ce ne sont que des Indiens, donc des sous-hommes) et enfin l’autre massacre, celui de la nuit de la Saint Jean. Enfin, la séquence du début reprend, mais cette fois l’armée a disparu, on voit la longue file des manifestants heureux et joyeux, comme s’ils avaient été vainqueurs : ils songent à un autre avenir possible avec en surimpression « Le peuple luttera jusqu’à la victoire. » Un film engagé, puissant, concret, antiraciste, militant. Nos gilets jaunes adoreraient !






 



Autre film tourné en Bolivie : Même la pluie. Là, ça se passe dans les années 2000 : une troupe espagnole de cinéma vient tourner un film à grand spectacle sur Christophe Colomb et Bartolomé de Las Casas. Ils ont besoin d’Indiens pour la figuration, même si ce ne sont pas les Indiens d’époque : on va donc leur mettre un pagne et leur peinturlurer le visage et ça devrait faire l’affaire. Mais acteurs, techniciens, producteur, metteur en scène sont vite confrontés au racisme ambiant. Et surtout à la multinationale qui veut s’emparer de l’eau, alors que les Indiens avaient creusé des puits et des tranchées pour amener l’eau (gratuite) dans leurs quartiers périphériques de Cochabamba. Voilà qu’on arrache les cadenas qui fermaient leurs puits pour les remplacer par ceux de la multinationale. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La communauté indienne manifeste, promet le blocus de la ville : répression immédiate et violente, comme en 1967 dans le film précédent. L’équipe de tournage, d’abord indécise et divisée, voit leur "acteur" Indien, devenu meneur de la contestation, battu, torturé et emprisonné. Le tournage du film est donc interrompu. Je n’en raconte pas plus. Mais là encore, on voit le fossé qui sépare les oligarques et les classes moyennes blanches, qui tirent les marrons du feu, des Indiens qui, au mieux, sont domestiques, paysans et ouvriers, au pire, sont réprimés avec sauvagerie par la police et l'armée. La haine de l’Indien dans toute sa splendeur. Nos cinéastes, acteurs et techniciens, venus d’Espagne, n’en croient pas leurs yeux. Nous non plus ! Comme quoi il suffit d'aller là-bas pour les ouvrir, nos yeux !

vendredi 22 novembre 2019

22 novembre 2019 : Olga Tokarczuk, le bréviaire du voyageur


Quand je suis en voyage, je disparais des cartes. Personne ne sait où je suis.
(Olga Tokarczuk, Les pérégrins, trad. Grażina Ehrard, Noir sur blanc, 2010)


J’avais acheté en 2010, lors d’un passage à Paris, à la Librairie polonaise, Boulevard Saint-Germain, Les pérégrins, d’Olga Tokarczuk. D’abord parce que la littérature polonaise figure parmi mes préférées, qu'invité par un ami polonais, je suis allé quatre fois en Pologne (seuls la Grande-Bretagne, sept fois, et le Maroc, six fois, m’y ont vu plus souvent), et sans doute la thématique du livre, le voyage, m’a porté vers lui. Comme d’habitude, je lis rarement tout de suite les livres que j’achète. C’est à l’occasion du tri drastique que j’ai opéré en septembre-octobre parmi mes nombreux livres (j'en ai "désherbé" plus de six cents), que je l’ai retrouvé. Il a échappé à la mise au rebut, car j’ai gardé presque tous les livres que je n’avais pas encore lus. Entretemps, l’auteur a obtenu le prix Nobel de littérature, d’où la lecture que j’en ai faite ces jours-ci. Lecture qui m’a pris pas mal de temps, car, bien qu’il y ait quelques aspects romanesques, ce n’est pas à proprement parler un roman, et c'est un livre à déguster qui, d'ailleurs, ne conviendra pas à tout le monde. Amateurs de guides de voyage, s'abstenir ! 
Et la lecture s’en révèle parfois ardue, car c’est à la fois un journal, une suite de textes courts, entrecoupée de courts essais ou de récits d’histoires vécues puisées dans l’histoire, le réel actuel ou dans le vécu pérégrin de l'auteur. Le tout consacré à ce qu'elle appelle la pérégrination. On rencontre là des nomades modernes, des vagabonds de tous temps, des intellectuels en goguette entre deux congrès, des voyageurs en train, en car, sur mer, des fuyards et des errants…


Ce qui m’a intéressé, c’est la réflexion de l’auteur sur ce qu’est le voyage : "nous n’avançons vers nulle part, nous ne voyageons qu’à l’intérieur d’un moment, et il n’y a aucune direction ni aucun but", nous dit-elle. J'ai souvent dit que je faisais des voyages sans but (notamment en cargo, mais aussi mes randos à vélo qui, hors mes cyclo-lectures, n'étaient que du vagabondage à la rencontre des autres et de moi-même). Il est souvent question des figures de cire des musées d'anatomie, que l’auteur a fréquentées dans ses visites de musées ou par le biais de ses lectures ou de personnes qu’elle a connues : la "plastination" des cadavres (méthode d’embaumement moderne) fait rêver la narratrice. Sans doute ces figures lui paraissent aussi des rencontres, à l’instar des personnes qu’elle croise au fil des lieux, des images et des situations qui se présentent à elle et qui lui font dire : "le but des pérégrinations est d'aller à la rencontre d'un autre pérégrin".
On a affaire ici à une œuvre complexe, érudite souvent (les citations latines ou étrangères ne sont pas traduites), truffée de références. Mais les premières surprises passées, j'ai adhéré, je me suis laissé porter par la narration, je me suis grisé à travers les mots et les personnages rencontrés. On passe d’anecdotes légères ("Ça ne me faisait pas plaisir de tomber sur des compatriotes à l’étranger") à des pensées ("Soudain, elle pensa avec étonnement à ce curieux phénomène – cette envie qu’ont les gens de revenir sur les lieux de leur jeunesse, et cela de leur propre gré. Pour y trouver quoi ? Pour s’assurer de quoi ? qu’ils ont été là un jour ? Ou qu’ils ont bien fait de les avoir quittés ?") ou à des histoires plus dramatiques. Mais chaque fois, on se laisse prendre, c’est toujours intéressant.
On pense aux Mille et une nuits (avec des histoires comme celle de Kunicki, dont la femme et l'enfant ont disparu sur une île de Croatie, ou celle de la croisière en Méditerranée du docteur Blau, où il délivre une conférence chaque jour, malgré son âge avancé), aussi bien qu’à un livre documentaire sur la manière de voyager ("pour voir quelque chose, il faut savoir regarder, et savoir ce que l’on regarde"), sur le vieillissement ("Personne ne nous a appris à vieillir, songeait-elle. Nous ignorons ce que c’est. Tant qu’on est jeune, on a l’impression que cette maladie ne touche que les autres et que, pour d’obscures raisons, on restera toujours jeune. […] Et pourtant, cette maladie, le vieillissement, affecte même les plus parfaits innocents"), des réflexions sur le langage ("elle a comme un transport d’émerveillement – transport, un mot désuet, plutôt comique dans ce contexte, car elle est réellement transportée à la hauteur des nuages" - la narratrice est dans un avion), des notations sur la manière dont le voyage nous transforme ("quelle que soit notre destination, nous voyageons toujours vers ce but. « Peu importe où je suis », où je suis m’est égal. Je suis" - constatation que j'ai faite également, tant dans mes randonnées à pied ou à vélo, dans mes déambulations dans des grandes villes que dans mes voyages en cargo : je voyage, donc je suis), bref tout un méli-mélo de carnet de voyages. Et de voyages pluriels. Car le livre est foisonnant. Une histoire en entraîne une autre, une méditation n’est jamais close sur elle-même, on passe d'une salle d'aéroport à un train, d'une cabine de paquebot à une chambre d'hôtel. On apprend la mort de Chopin, le rapatriement de son corps en Pologne et le destin de son cœur (prélevé sur ordre de sa sœur). Des souvenirs émergent, de philosophes grecs, d’écrivains aimés (Kafka ou Melville par exemple), de continents visités, de gares... La narratrice annonce la couleur avec la phrase citée en exergue : le voyage, toujours en solo, se déroule comme une disparition, ce qui m’a immédiatement séduit, moi qui me déconnecte toujours quand je pratique mon nomadisme.
Le titre du livre évoque une secte religieuse ayant sévi au XVIIIe siècle pour qui il s’agissait d’échapper à l’Antéchrist (le diable) en nomadisant : "Laissez ce que vous possédez, abandonnez vos terres et mettez-vous en route !", tel était leur mot d’ordre. La narratrice en conclut que c’est pour cela que les tyrans, disciples du diable, détestent les nomades et cherchent à les sédentariser de force (les nazis ont poussé ça à l'extrême, jusqu'à les envoyer en four crématoire). Car les nomades sont d'abord "des gens libres". Et la pérégrination est double : intérieure (l’âme) et extérieure (le corps). Le livre mêle le rationnel et l’irrationnel, la logique et la folie, le mouvement (les moyens de transports) et la fixité (les chambres d’hôtel), le vécu et le mythe. Tout cela peut dérouter.
Mais comment ne pas être emporté par les torrents de poésie ou de philosophie que le livre d’Olga Tokarczuk charrie, même dans des réflexions qui semblent banales comme celle-ci : "s’il demeura silencieux sur la question, ce fut à cause de sa terrible conviction – une conviction qu’il se cachait peut-être à lui-même – que si l’on effaçait rapidement de sa mémoire les faits douloureux, ceux-ci perdraient de leur force, cesseraient de nous poursuivre, et qu’ainsi le monde deviendrait meilleur" (j'ai aussi beaucoup pratiqué cette sorte de résilience). Ou simplement accepter de devenir autre quand on voyage – comme quand on lit, du reste, ou quand on aime – à moins que ce soit pour devenir tout simplement soi : "notre questionnement porte sur le sens, sur la signification profonde du voyage, en vertu du principe : je deviens ce à quoi j’assiste. Bref, je suis ce que je regarde".
Un très grand livre, une sorte de guide du voyageur, à ne pas confondre avec un guide de voyage. Excellente traduction.


jeudi 21 novembre 2019

21 novembre 2019 : La Palestine au cœur


L’antisionisme, lui, est une opinion politique, la forme spécifique de l’anticolonialisme en Palestine-Israël. Cette opinion n’est pas seulement légitime ; de mon point de vue, elle est juste.
(Michel Warschawski, Siné mensuel N°84, mars 2019)
Après la Bolivie, cette fois la Palestine. Hors des Rencontres de Pessac, j'ai vu Le char et l'olivier à l’Utopia de Bordeaux, où le film n’attire, hélas, malgré ses qualités et surtout sa nouveauté – car généralement sur le "problème" israélo-palestinien, on n’a qu’un son de cloche – pas grand monde. Le silence assourdissant de la presse écrite et télévisée sur la répression israélienne contre Gaza n’a d’égal que le bruit fait autour de la répression chinoise à Hong Kong (car il y a de "bons casseurs", ceux de Hong Kong, et de mauvais, à Paris notamment). Deux poids deux mesures. Car il hors de question en occident de critiquer un tant soit peu l’état israélien sous peine d’être taxé d’horrible antisémite.

Pourtant Le Char et l'Olivier : une autre histoire de la Palestine, documentaire français, donne pour une fois le point de vue des Palestiniens pour nous apporter un autre éclairage sur l'histoire de la Palestine et sur ce que les médias appellent le conflit israélo-palestinien, de 1947 à nos jours, remontant même jusqu’aux débuts du sionisme avec la publication par Theodore Herzl en 1896 de L’état juif (Der Judenstaat en allemand, signifiant plutôt L’état des Juifs). Ce documentaire regroupe des documents d’époque et d'actualité, des interviews nombreuses de personnalités palestiniennes ou internationales, expertes sur ce sujet, ainsi que des témoignages de citoyens palestiniens et français. Tout cela pour tenter de nous éloigner des idées reçues colportées tant par la presse internationale que par la puissante propagande israélienne.
Le Char et l'Olivier sera un outil pédagogique décisif pour ceux qui voudront en savoir plus sur le sujet et avoir une autre opinion, celle d’un peuple chassé de chez lui (sur les 400 000 Palestiniens vivant sur le territoire octroyé par l’ONU à Israël en 1947, 375 000 en furent chassés dès avant la guerre de 1948, leurs maisons et villages détruits, et condamnés à un exil qui devint définitif). Les guerres suivantes ont permis à Israël (seul le général de Gaulle a eu le courage de dénoncer en 1967 la manipulation de l'opinion mondiale par Israël qui avait attaqué en premier, détruit au sol l’aviation égyptienne, et gagné la guerre, préventive si l’on ose dire, en six jours, preuve de la préméditation) d’agrandir son territoire de 40 % supplémentaires, et d’annexer le reste de la Palestine sous couvert des "territoires occupés" où ils se sont livrés depuis à des déplacements de population, pour créer les fameuses colonies juives dans l’illégalité la plus totale, empêchant ainsi toute solution d’une Palestine en deux états et a fortiori en un seul état. Et ne parlons pas de Gaza où deux millions de Palestiniens vivent dans un territoire fermé de toutes parts et livré aux exactions permanentes de l’armée israélienne, qui bombarde à tout va (y compris les écoles et autres lieux collectifs construits avec les crédits européens et onusiens), qui surveille en permanence à l’aide de drones, qui assassine sans discernement les moindres manifestants, qui maltraite la population en ne laissant entrer la nourriture, l’eau, l’électricité et les médicaments qu’au compte-gouttes, ce qui alimente ainsi la haineTout cela sans entamer la détermination des Palestiniens pour qui "vivre c’est déjà résister", même dans ces conditions difficiles !
Le film, très dense (et dont on sort éberlué, sonné, même quand on est déjà bien au courant, ce qui est très rare en France, vue l’information tronquée et très partiale fournie par la télé, la radio et la presse, à de rares exceptions), commence par définir le sionisme = une variante du colonialisme occidental hérité du XIXe siècle, puis la Palestine = à la fin du XIXe siècle province de l’Empire ottoman, où cohabitaient des Musulmans (85%), des Chrétiens (10 %) et des Juifs (5 %). Après ce départ, à l'aide de documents et d’interviews, le film raconte ce qui s’est passé dans cette région depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Il faut avouer qu’en 1947, on sortait de la guerre, on venait d’apprendre l’extermination des Juifs par les nazis et leurs complices (dont la France de Pétain) et la compassion occidentale allait vers eux ; on préférait ignorer ce que deviendraient les Palestiniens. Mais depuis une trentaine d'années, la politique de l’état d’Israël a fait place à des sentiments pour le moins mitigés, les exactions à l’égard des Palestiniens ne peuvent plus passer inaperçues. Une relative solidarité avec le peuple palestinien s’est mise en place, au travers de diverses associations, et en dépit de l’accusation d’antisémitisme toujours pendante pour tous ceux qui critiquent Israël et la colonisation !
Le char et l’olivier est donc tout à fait explicite : il démontre que la création de l’état d’Israël est le fruit d’une colonisation à l’occidentale, largement soutenue par la Grande-Bretagne et la France, et même approuvée par leurs antisémites : enfin, on se débarrassait des juifs d’Europe ! Plus en douceur que les nazis, certes. Même les Amérindiens et les Africains noirs du sud interviewés dans le film, victimes d’une spoliation assez semblable et aussi brutale, approuvent la colère des Palestiniens bafoués en permanence. Le grand-père maternel de Leïla Shahid avait proposé à l’ONU en 1947 de créer un état palestinien incluant les immigrants juifs, personne ne signale ce fait aujourd’hui. Le film parle des nombreuses résolutions de l’ONU qui n’ont jamais été appliquées. Il évoque le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël, sur le modèle du boycott international contre l’apartheid en Afrique du Sud). Il nous présente les tours tueuses de Gaza commandées à distance et tuant allègrement la population civile (là, j’ai appris quelque chose que j'ignorais), etc., etc.


Et n’oublions pas, au moment où on célèbre un peu trop bruyamment la chute du mur de Berlin, la construction à partir de 2002 de cette fameuse barrière de séparation, ce nouveau mur de la honte, un parmi bien d’autres aujourd’hui, qui sépare Israël des territoires occupés : c’est bien d’apartheid qu’il s’agit ! Alors, est-ce qu’un jour, comme le disait Jean Genet (c’est rappelé dans le film), on verra reconnaître la "justesse" de la cause palestinienne ? Ou au contraire, la naissance d’un état palestinien relève-t-elle de l’impossible, puisqu'Israël fait tout pour l’empêcher ? En tout cas, voir Le char et l’olivier me semble important, notamment pour les jeunes générations. Le documentaire est bien fait, sérieux, sévère même, à mille lieues des blockbusters ou des comédies infantilisantes qu’ils ont coutume de voir. Comme d’habitude, on regrettera qu’aucune chaîne de télévision ne semble capable de diffuser un tel film à une heure de grande écoute ! C'est dire l'état pitoyable de la télévision en tant que média...