En
haut, le même exubérant désir de savoir, le même insatiable
bonheur de découvrir quelque chose, l’identique monstrueuse
sécularisation ; à côté, on erre à l’aventure comme un
vagabond sans patrie, on se presse avidement à des tables
étrangères ; c’est une frivole apothéose de l’actualité
ou une indifférence aveugle et blasée...
(Frédéric
Nietzsche, L’origine
de la tragédie)
Mon
médiocre état de santé actuel ne me permet pas d’écrire quelque
chose de valable. Aussi vais-je me contenter de vous proposer un
article paru dans Le
Temps,
quotidien édité à Lausanne, et qui se réfère au mythe
d’Antigone, aussi
bien qu’aux figures de Gandhi et de Mandela
pour prôner la désobéissance civile. Rappel qui me semble
salutaire au moment où on peut
être poursuivi en justice pour aide aux migrants en situation
illégale, comme
Cédric Herrou.
Délit d’humanité en somme ! Je
rappelle aussi qu’aux temps de l’auto-stop, je n’ai jamais
demandé aux personnes que j’ai embarquées leurs papiers
d’identité !
L’article
reproduit l’appel de 55 enseignants des universités de Suisse
romande, qui sont l’honneur de leur profession et auquel je
souscris à 100 %.
La
légalité est-elle toujours légitime? Relire Antigone
55
enseignant-e-s des universités romandes de Lausanne, Fribourg et
Genève se dressent contre une loi à leurs yeux injuste en matière
de renvois de demandeurs d’asile.
La
légalité est-elle toujours légitime ? Les autorités vaudoises
répondent par l’affirmative, ou du moins utilisent cet argument
pour délégitimer le Collectif R et le débouter dans ses demandes
répétées de rendez-vous pour discuter du sort des migrants qu’il
protège.
Le
Collectif R prône la désobéissance civile
Il
est vrai que le Collectif R revendique publiquement de désobéir à
la directive européenne des renvois Dublin. Pour autant, revendiquer
sa désobéissance est un acte politique, et non délinquant.
L’adéquation de la loi au droit est un vieux problème. Ce n’est
pas la première fois que des citoyen-ne-s se dressent contre une loi
injuste, telle la figure tragique d’Antigone contre le roi Créon.
Suite à des attentats anarchistes, des «lois scélérates» virent
le jour en France à la fin du XIXe siècle, limitant la liberté
de la presse, restaurant le «délit d’opinion» et violant la
présomption d’innocence. Les socialistes Jean Jaurès et Léon
Blum en furent les opposants acharnés, arguant de l’inadéquation
au droit de lois bien peu républicaines.
L’écart
entre la loi et le droit
C’est
ce même écart entre la loi et le droit que faisait valoir Pierre
Bühler, professeur émérite de l’Université de Zurich, sur le
plateau de la RTS 1, lors de l’émission «Faut pas croire», le
12 novembre 2016. Face à lui, le Conseiller d’Etat Vaudois
Philippe Leuba était arcbouté sur la défense de la Loi, présentant
son rejet comme le règne de l’arbitraire. Plusieurs articles
inscrits dans la nouvelle Loi sur l’asile, acceptée à l’occasion
du référendum du 6 juin dernier, ne sont pourtant pas
légitimes au regard des droits fondamentaux inscrits dans la
Constitution de ce pays. Les articles 7 à 12 de la
Constitution fédérale prévoient expressément de défendre le
droit de tout être humain présent sur le territoire national à la
dignité humaine, à une protection de la bonne foi contre
l’arbitraire, à la liberté personnelle, à l’intégrité
physique et psychique, à la liberté de mouvement, enfin à une aide
dans des situations de détresse.
La
Suisse applique la loi avec extrême rigueur
Parmi
les pays européens signataires des Accords de Schengen, le
gouvernement suisse est celui qui applique avec le plus de rigueur
les renvois prévus au titre des accords de Dublin III (renvoi des
demandeurs d’asile dans le premier pays d’accueil). Or rien ne
l’y oblige, puisque ces accords offrent une clause de souveraineté.
Ces renvois Dublin mettent les personnes dans des situations de
précarité parfois dégradantes, de limitation des libertés et de
détresse humaine, physique, morale et psychologique. La loi
s’interprète. Avoir une interprétation rigoriste, formaliste,
implacable et déraisonnable du renvoi conduit à des situations
inhumaines.
Les
figues illustres de Gandhi et Mandela
Les
objecteur-e-s préfigurent souvent la loi, comme les objecteur-e-s de
conscience ont permis l’avènement du service civil en Suisse en
1990. Comme ces femmes qui avouèrent publiquement leur avortement,
avant la légalisation de ce dernier en France, puis au niveau
confédéral suisse, en 2002. Des figures illustres, comme Gandhi ou
Mandela, se dressèrent également contre les lois indignes d’une
démocratie à l’encontre d’une partie de la population. Il
arrive que des oppositions minoritaires préparent la légalité et
le droit ultérieurs, voire deviennent les pouvoirs législatifs et
exécutifs de demain.
Le
cas de Paul Grüninger
Tel
ne fut pas le cas cependant pour Paul Grüninger, le commandant de la
police cantonale de Saint-Gall, révoqué en 1939 pour avoir
encouragé l’entrée illégale de réfugiés juifs en Suisse.
Condamné en 1940 pour manquements aux devoirs de sa charge et
falsification de documents, il n’était qu’un pionnier en somme,
puisqu’en juillet 1944 le gouvernement suisse reconnut aux Juifs le
statut de réfugié politique… Pourtant, Paul Grüninger, lui, ne
sera réhabilité par la justice qu’en 1995 et par la police
saint-galloise qu’en août 2014. Une démocratie peut manquer à
ses devoirs, émettre des lois fautives. Elle peut même armer de
pied en cap une dictature militaire : de 1940 à 1944, 80% des
exportations d’armes suisses étaient alors destinées aux
puissances de l’Axe. Si l’argent n’a pas d’odeur, la
limitation des libertés est malodorante.
«L’Allemagne»
a bien changé, c’est son gouvernement qui a accueilli récemment
le plus de réfugiés en Europe. Donnant raison à un réfugié
érythréen qui s’opposait à son refoulement, les juges allemands
de Darmstadt ont estimé le 4 mai 2016 que les migrants
risquaient de se retrouver en Italie «privés de toit et de
prestations de base et par conséquent de vivre dans une extrême
pauvreté».
L’appel
des 55
Il
revient aux bien nommés êtres humains présents sur le territoire
national de rappeler leurs droits aux représentants élus, eux qui
sont censés faire respecter l’esprit autant que la lettre de la
Constitution. Nous, 55 enseignant-e-s des universités romandes de
Lausanne, Fribourg et Genève, nous leur apportons ici notre plein
soutien.
Ivan
Sainsaulieu
et les 54 signataires qui suivent: Jean-Philippe Antonietti, Jean
Batou, Irene Becci-Terrier, Mounia Bennani-Chraïbi, Catherine
Brandner, Pierre-Yves Brandt, Claude Calame, Sébastien Chauvin,
Antoine Chollet, Alain Clavien, Alain Clémence, Valérie Cossy,
Joëlle Darwiche, Jacques Dubochet, Olivier Fillieule, François
Gauthier, David Giauque, Stéphanie Ginalski, Gaële Goastellec,
Philippe Gottraux, Jean-Christophe Graz, Sébastien Guex,
Pierre-Emmanuel Jaques, Remi Jolivet, Philippe Junod, Rahel Kunz,
Eléonore Lépinard, René Levy, Olivier Lugon, Dave Lüthi, André
Mach, Martino Maggetti, Silvia Mancini, Fabien Ohl, Francesco Panese,
Cécile Péchu, Christiane Perregaux, Marc Perrenoud, Fabrice Plomb,
Francesca Poglia-Mileti, Julie Pollard, Hugues Poltier, Stefanie
Prezioso, Jean-Bernard Racine, Raphaël Rousseleau, Monika Salzbrunn,
Janick Schaufelbuehl, Agnieszka Soltysik-Monnet, Muriel Surdez,
Michel Thévoz, Nelly Valsangiacomo, Bernard Voutat, Anne Katrin
Weber, Grégoire Zimmermann.