samedi 28 septembre 2013

28 septembre 2013 : Paul's Place


l'art […] moyen de chercher un sens à l'étonnement d'être au monde. (Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre, Belfond, 2009)



Je viens de participer ce jeudi soir à ma première soirée « collective » à Bordeaux, et bien sûr, consacrée à la poésie. Cela s'est passé dans un café-restaurant tenu par un Anglais amateur de livres et de poésie, Paul's Place, dans le quartier des Chartrons, rue Notre-Dame. Un des plus beaux lieux de Bordeaux, chaleureux, avec des livres, des images sur les murs, et une nourriture saine et agréable. Avis aux végétariens/nes (j'en connais plusieurs) : ils/elles peuvent venir ici ! Même si on sert aussi de la viande... J'ai été séduit aussi par la qualité des participants, même si pour l'instant je n'ai pas approfondi leur connaissance. Ces soirées ont lieu les 2ème et dernier mardi de chaque mois, si j'ai bien compris. Déjà je sais que je ne pourrais pas y aller fin octobre (j'avais arrêté mon programme de déplacement auparavant), mais il va de soi que désormais je vais m'organiser en fonction de ce site, de cette « famille », devrais-je dire.



Paul's Place


J'ai donc mangé là et lu quelques textes de mon recueil (un exemplaire vendu). Il fut lu (ou dit) de l'Aragon, du La Fontaine (décidément un extraordinaire jongleur de mots, une vieille dame – j'espère ne pas la vexer en disant cela – a dit d'une façon exquise Les animaux malades de la peste), du Tardieu, du Pérec... Des textes inédits, écrits par les diseurs ou par d'autres. Parfois excellents, parfois moins bons, mais il faut de tout pour faire un monde, et on ne peut pas rester tout le temps sur les cimes. Une grande liberté, en somme. Je me suis éclipsé à la pause-cigarettes de 23 heures, mais il y avait une seconde partie ; peut-être aurais-je pu lire quelques poèmes de plus et augmenté ma vente ? Mais j'étais fatigué : le sachant, je ferai la prochaine fois une bonne sieste l'après-midi.



L'animateur, et deux diseurs préparant leurs textes


Puisqu'il est question de poésie, je vous livre quelques-unes des phrases que j'ai relevées dans mes lectures récentes, très latino-américaines : de l'Uruguayen Carlos Liscano, "J'ai toujours été meilleur dans le silence. Il est difficile de ne pas entendre le bruit. Tout est bruit et au cœur du bruit vit le silence. Ne pas écouter le bruit, tout laisser s'éteindre, s'évanouir, et que vienne le silence. Là, dans le silence, s'asseoir et attendre. Alors vient le mot", "Très souvent, comme ces derniers temps, je me suis laissé envahir par le bruit. Il n'y a pas de poésie dans le bruit; de l'Argentin Julio Cortázar, "nous sommes de l'autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu'à nous comme une flèche d'abeilles..." (lettre à Fredi Guthman, 1963).

La poésie aide à ne pas trop s'installer. "Jamais je n'ai su m'installer dans la vie. Toujours assis de guingois, comme sur un bras de fauteuil ; prêt à me lever, à partir", écrivait André Gide le 14 juillet 1930. Je pars pour Poitiers tout à l'heure pour une soirée poésie ce soir, deux poètes très jeunes au programme, une visite à mes vieux amis, ainsi qu'à Igor, hospitalisé dans le coma au CHU après une chute dans la rue ; dépourvu de plaquettes, ça a déclenché une hémorragie cérébrale qui risque bien de lui être fatale. Je lui dois beaucoup, il m'a admirablement accueilli à Poitiers ces deux dernières années, et même prêté son appartement dont j'ai les clés quand il était absent. Encore un de ces originaux qui font le sel de la vie ! Je vais lui faire un peu de lecture, même s'il est dans le coma. Je lui avais dédié un poème dans mon recueil (je vois que j'en parle déjà au passé, mais sa tante m'a dit au téléphone que c'était sans doute son dernier voyage). Il aimait beaucoup Barbara, particulièrement cet extrait de la chanson Mon enfance :


Et j'ai laissé couler mes pleurs,

mes pleurs.

J'ai mis mon dos nu à l'écorce,

l'arbre m'a redonné des forces

tout comme au temps de mon enfance.

Et longtemps j'ai fermé les yeux,

je crois que j'ai prié un peu,

je retrouvais mon innocence.

Igor dans le train, et son éternel chapeau



 

vendredi 27 septembre 2013

27 septembre 2013 : prédateurs !



Quand l’œuvre devient publique apparaissent d'autres personnes qui participent à l'invention, l'agrémentent de détails, de nuances, d'une légende. Le premier qui contribue à l'invention est le lecteur : il invente son propre écrivain à partir du livre qu'il lit.

(Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre, Belfond, 2009)



Aujourd'hui, je n'écris pas moi-même, mais je vous invite à lire ce communiqué du Syndicat de la Librairie Française (j'ai simplement supprimé les références, tableaux chiffrés et notes de bas de page pour ne pas alourdir ma page, mais tout ce qui est dit est vérifiable).

J'écrivais le 14 juillet dernier : "Allons-nous, sous prétexte de modernité, continuer à soutenir longtemps ce genre de multinationale anonyme, cette sorte de commerce virtuel qui pratique la concurrence déloyale (remise à tout le monde, pas de frais de port), à grand renfort d'exploitation du personnel et d'exemption d'impôts, en étant localisés dans des paradis fiscaux ? Non, non et non."

Battons-nous contre ce e-commerce qui est en train de détruire notre société ! Voulons-nous un monde de concurrence déloyale, de chômeurs ou d'exploitation éhontée d'une main-d’œuvre à bon marché ? Voulons-nous favoriser l'évasion fiscale, nous qui payons des impôts ? Cessons donc cette facilité d'achats inconsidérés sur le net ! 


Contre le « dumping » d’Amazon, défendons une concurrence juste entre les ventes en ligne et les ventes en magasin


En cumulant la gratuité des frais de port, sans minimum d’achat, pour l’achat des livres sur son site, et un rabais systématique de 5%, Amazon finance, grâce à l’évasion fiscale qu’il pratique à grande échelle, une politique de «dumping» visant à étrangler ses concurrents, à contourner le prix unique du livre et à bâtir un monopole qui lui permettra dans quelques années d’imposer ses conditions aux éditeurs et de relever ses prix.
Face à cette concurrence déloyale, les libraires soutiennent les positions exprimées par la ministre de la Culture et de la Communication et de nombreux députés de la majorité comme de l’opposition afin de rééquilibrer la concurrence entre la vente en ligne et la vente physique de livres. Ils souhaitent qu’une mesure encadrant la facturation des frais de port sur Internet soit rapidement adoptée par le Parlement.

1/ offrir les frais de port, c’est vendre à perte
pour tuer la concurrence et détenir un monopole des ventes

En 2012, les frais de port ont représenté pour Amazon, au niveau international et pour l’ensemble des produits un coût de 5,1 milliards de dollars. Sur ce coût global, les frais de port refacturés aux clients n’ont représenté que 2,3 milliards de dollars, soit une perte de plus de 2,8 milliards de dollars. Les projections pour 2013 laissent supposer que cette perte dépassera les 3 milliards de dollars. Quand l’on sait que le résultat global dégagé par Amazon était négatif en 2012 (- 39 millions de dollars), on mesure combien la gratuité des frais de port correspond à une stratégie de «dumping» qui s’appuie sur les économies réalisées grâce à l’évasion fiscale, d’une part, et sur une capitalisation boursière sans égale, d’autre part. C’est une position de domination absolue sur le marché de la distribution que recherche Amazon à travers cette stratégie. Cette stratégie a déjà fait des victimes : la chaîne Borders aux Etats-Unis, Virgin en France.
À l’exception de Fnac.com, challenger d’Amazon en France, aucun libraire ni aucune chaîne ne pratique la gratuité des frais de port dès le 1er euro, tout simplement parce que cette pratique est financièrement intenable économiquement.
Le « dumping » d’Amazon est aggravé par le cumul de la gratuité des frais de port sans minimum d’achat et du rabais de 5% sur le prix des livres que même la FNAC a supprimé dans ses magasins tant son coût était rédhibitoire.

2/ Amazon finance ses pertes grâce à l’évasion fiscale, c’est-à-dire sur le dos 
des contribuables français

En France, Amazon est sous le coup d’un redressement fiscal de 200 millions d’euros concernant la période 2006-2010, la quasi-totalité de son chiffre d’affaires réalisé dans notre pays étant déclaré au Luxembourg. En intégrant les années 2011, 2012 et 2013, l’impact financier de l’évasion fiscale mise en place par Amazon est estimé à près d’un demi-milliard d’euros. Amazon est également sous le coup de procédures fiscales au Japon, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Chine et même au Luxembourg.
Au final, ce sont les contribuables de France et d’ailleurs qui financent la gratuité des frais de port. Ce que les clients d’Amazon gagnent en frais de port, ils le perdent en impôts !

3/ gratuité des frais de port pour le livre mais pas pour les autres produits ou pas dans les autres pays, cherchez l’erreur…

En France, Amazon réserve au livre, ainsi qu’aux chaussures et aux vêtements, la gratuité des frais de port sans minimum d’achat. Pour les centaines d’autres catégories de produits, la gratuité n’est offerte qu’à partir de 15 € d’achat ou en contrepartie d’un forfait annuel de 49 €.
Au niveau international et à l’exception du Royaume-Uni, Amazon n’offre les frais de port sans minimum d’achat que dans les pays dans lesquels s’applique un prix unique du livre (France, Allemagne, Autriche, Espagne, Pays-Bas, Japon…). Dans des pays sans prix unique du livre (États-Unis, Canada, Suède, Finlande, Australie…), les frais de port pour les commandes de livres sont payants jusqu’à un certain montant d’achat (25$ aux États-Unis). Ces pratiques attestent que la gratuité des frais de port, telle que pratiquée par Amazon en France, vise bien à contourner le prix unique du livre en offrant un rabais supérieur aux 5% autorisés par la loi.

4/ Amazon ne crée pas d’emplois, il en détruit

Amazon dispose aujourd’hui de quatre plateformes logistiques en France et prétend, à grand renfort de communication, créer des milliers d’emplois. En réalité, ce sont uniquement quelques centaines d’emplois permanents de manutentionnaires qui ont été créés, les autres recrutements correspondant à des intérimaires embauchés lors du pic d’activité de la fin de l’année. Les conditions sociales au sein de ces entrepôts sont de plus en plus dénoncées par les salariés, d’où plusieurs grèves récentes en Allemagne et en France. Le livre En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes (par Jean-Baptiste Malet, Fayard 2013) confirme le caractère précaire et dégradant des conditions de travail imposées par Amazon à son personnel.
En comparaison, la vente de livres dans les commerces physiques génère en France plus de 20 000 emplois qualifiés dont 14 000 dans les seules librairies indépendantes. À proportions égales, la librairie indépendante génère 18 fois plus d’emplois que la vente en ligne ! En captant à son profit, par des pratiques déloyales, la vente de livres sur Internet, seul le circuit de diffusion du livre en expansion aujourd’hui, Amazon détruit des emplois dans les librairies physiques et fragilise des entreprises qui contribuent à la richesse de la création éditoriale ainsi qu’à la vie culturelle et économique locale.
5/ les librairies indépendantes et Internet

Plus de 500 librairies françaises ont investi pour offrir à leurs clients la possibilité d’acheter et/ou de réserver leurs livres sur Internet en complément des achats en magasin. Certains libraires ont développé leur propre site (Mollat, Ombres blanches, Sauramps, Gibert Joseph, Dialogues, Procure…), d’autres s’appuient sur des plates-formes collectives (Leslibraires.fr, Placedeslibraires.fr, Lalibrairie.com, Librest.com…) ou sur leur réseau de librairies (Chapitre.com, Decitre.fr, Gibertjoseph.com…). Si les librairies ne disposent pas des capacités logistiques et financières suffisantes pour rivaliser avec Amazon, cette présence sur Internet leur permet d’offrir un service supplémentaire à leurs clients. Cette activité peut en outre représenter jusqu’à 6% du chiffre d’affaires des librairies, ce qui leur permet de compenser l’érosion de leurs ventes en magasin ou aux collectivités.
Néanmoins, les pratiques prédatrices d’Amazon freinent considérablement le développement de la vente en ligne dans les librairies et les chaînes de librairies. Les librairies étant parmi les commerces de détail les moins rentables, elles ne peuvent rivaliser avec les pratiques de dumping d’Amazon. A titre d’exemple, les frais de port représentent entre 15 % et 18 % du chiffre d’affaires réalisé sur Internet par les libraires indépendants alors même que ceux-ci n’offrent la gratuité des frais de port qu’à partir d’un montant minimal d’achat (de 25 à 35 € en règle générale). En cumulant ces coûts avec le rabais de 5%, c’est donc près d’un quart de la marge du libraire qui est amputée, ce qui est insupportable lorsque l’on sait que le résultat net moyen des librairies est aujourd’hui inférieur à 1%. 

(Source : Syndicat de la librairie française)
 

jeudi 26 septembre 2013

26 septembre 2013 : l'humain d'abord


L'émigrant vit deux vies. L'une dans la langue du pays, celle des choses pratiques, du travail, de la rue. Et une autre vie intime, celle de la réflexion et de la mémoire, qui continue à se dérouler dans la langue de son enfance.
(Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre)

Trois films, trois variations sur les aspects de la solitude dans le monde contemporain appliqués à trois thèmes fondamentaux : l'immigré, la fin de vie, la garde des enfants dans les couples séparés. Je ne vais pas m'étendre longuement dessus, car je préfère vous les laisser voir. Quelques indications seulement.



Commençons par Ilo Ilo, mon premier film singapourien (vu avec Mathieu et Lucile à Clermont-Ferrand), qui m'a fait à peu près le même choc qu'Une simple vie, le film chinois que j'avais chroniqué le 9 mai dernier. Comme ce dernier, nous avons affaire ici à un petit bijou d'humanité, un véritable OFNI dans le monde du cinéma actuel qui défile à deux cent mille images/seconde, comme si la vie n'était qu'une course. Jiale, un garçon solitaire que ses deux parents négligent, trop absorbés par leur travail, est devenu à dix ans un horrible garnement tant en classe qu'à la maison. Les parents, qui s'en rendent compte, engagent une nounou philippine, Teresa, qui doit en outre s'occuper de tout à la maison. Cette jeune femme a laissé là-bas un enfant en bas âge. Jiale lui en fait voir de toutes les couleurs, jusqu'au moment où il se rend compte qu'au fond Teresa est la seule personne sur qui il peut compter, et cette dernière devient en quelque sorte une mère de substitution. Ils vont s'apprivoiser et même s'aimer d'une profonde et secrète affection. Dans ce film peu bavard, tout passe par les gestes, les regards : la fameuse pudeur asiatique. Le film, très beau, brasse aussi d'autres thèmes (le chômage et la honte, entre autres). Je ne sais quel homme politique a choisi comme slogan l'humain d'abord. Eh bien, voyez ce film. En voici une application.



Sur la fin de vie, il y a eu ces derniers temps quelques films mémorables, Indian palace (sur les retraités anglais), La belle endormie (vu à Venise l'an passé, il avait déchaîné les foudres des cathos intégristes), Quelques heures de printemps (où Vincent Lindon accompagne sa mère mourir dans la dignité en Suisse). Un nouveau film italien, Miele, nous raconte l'histoire d'une jeune femme qui, en toute illégalité, aide à mourir ceux qui lui en ont fait la demande, tous volontaires, bien sûr. En quelque sorte une bonne sœur de l'euthanasie. Elle se procure au Mexique les barbituriques interdits en Europe ; on la voit ainsi aider une vieille femme qui n'en peut plus ou un jeune homme grabataire atteint d'une maladie génétique. Miele est le pseudo d'Irène, trentenaire solitaire et sportive. Jusqu'au jour où elle tombe sur un "client" suicidaire, mais qui lui avoue avoir une santé de fer, et qu'elle ne souhaite pas aider. Sujet évidemment polémique, mais on n'a pas du tout affaire ici à un film à thèse pour un débat télévisé. Non, c'est un film romanesque qui nous interroge sur notre rapport avec la mort. Le vieil homme va ainsi conduire Irène (magnifique Jasmine Trinca) à s'interroger sur le sens de ce qu'elle fait. Très beau film qui s'achève sur un plan magnifique de la coupole de la mosquée de Soliman le magnifique à Istanbul.



 
Solitaires, Laetitia et son ex-compagnon Vincent, le sont plus que tout. Ils sont séparés, car il est pas mal déjanté, fait des séjours en hôpital psychiatrique, elle a un nouveau compagnon, complètement dépassé par les événements. Car nous sommes le 6 mai 2012 (d'où le titre La bataille de Solférino), et Laetitia doit couvrir pour une chaîne d'information télévisée le second tour de l'élection présidentielle. Elle a donc commandé un baby-sitter pour garder les deux petites filles qu'elle a eues avec Vincent. Or, ce dernier veut absolument les voir, car c'est son droit. Elle interdit au jeune baby-sitter de lui ouvrir la porte ! Alors qu'à l'extérieur, la bataille des élections est à sa tension maximale, à l'intérieur se joue un autre drame tout en excitation presque aussi hystérique. La réalisatrice Justine Triet nous livre un des films français les plus originaux que j'ai vus ces dernières années. À mi-chemin entre le documentaire (les scènes de rue devant les sièges du PS et de l'UMP, la société du spectacle dans toute ses dimensions) et la fiction. La bataille est aussi bien individuelle que collective. Et l'auteur nous montre que tout n'est pas blanc ou noir. Le père certes a l'air un peu dingue, mais au fond, il aime ses enfants. La mère, elle, est finalement un peu psycho-rigide et, à sa manière, presque aussi dingue. C'est un film de notre temps, où l'amour se cache dans l'étrangeté des comportements. 

symbole de la solitude : le banc public (Poitiers)
 


mercredi 25 septembre 2013

25 septembre 2013 : hommage à Salvador Allende



Je ne reconnais pas un autre signe supérieur que la bonté.

(Ludwig van Beethoven, cité dans Vie de Beethoven, par Romain Rolland)



Pour le quarantième anniversaire du putsch militaire de Pinochet au Chili, putsch largement fomenté et financé par les USA – ceux-là même qui prétendent donner des leçons de démocratie partout, en général à coups de canons, de bombes au phosphore, de napalm, de drones maintenant, faut bien que les marchands d'armes vivent, mon bon monsieur – un certain nombre de manifestations se sont déroulées à Bordeaux, en hommage au président Allende. 
C'est ainsi que j'ai pu voir le superbe documentaire de Claudia Soto et Jaco Bidermann, Les enfants des mille jours, et me replonger dans cette période qui fut cruciale pour ma conscience politique et sociale. J'étais en effet à ce moment-là en instance de départ d'Angers, et à l'auberge de jeunesse de Trélazé où j'avais passé tout l'été, les commentaires allaient bon train, d'autant que John, l'Américain exilé ici pour refus de faire la guerre au Vietnam, nous a instantanément fait soupçonner que la CIA était derrière. Et avec elle, tous ceux qui souhaitaient instaurer la nouvelle économie de marché dont le Chili fut le terrain d'essai et dont nous subissons toujours les conséquences néfastes : chômage accru, misère qui se généralise, monde marchandisé, politique devenue spectacle, retraites qui battent de l'aile, services publics devenus obsolètes... Mais aussi dividendes multipliés et enrichissement éhonté des uns, financiarisation totale de l'économie sans aucun contrepouvoir politique puisque nos élites, complices, ont abdiqué : "C’est ça le système capitaliste que nous gérons, une école du crime autorisé qui porte à son fronton l’implacable injonction : “Que nul n’entre ici, s’il répugne à servir l’Argent en se servant.” Et c’est pourquoi, même parmi les meilleurs d’entre nous, les “élites” proclamées de notre monde économique, politique et culturel, il ne cesse d’y avoir des gens enclins, par avidité, ambition, orgueil ou bêtise, à piétiner l’éthique afin de pousser toujours plus loin leurs avantages et donc les limites de l’impunité que leur assure le système", nous dit Alain Accardo, dans La décroissance de mai 2013.

Aussi n'est-il pas inutile de relire encore une fois des extraits du dernier message de Salvador Allende, assiégé et bombardé dans le Palais présidentiel de la Moneda :  
"C'est peut-être la dernière possibilité que j'ai de m'adresser à vous. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de Radio Portales et Radio Corporación. Mes paroles n'expriment pas l'amertume mais la déception et ces paroles seront le châtiment de ceux qui ont trahi le serment qu'ils firent. […] Face à ces événements, je peux dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas. Impliqué dans cette étape historique, je paierai de ma vie ma loyauté envers le peuple. Je leur dis que j'ai la certitude que la graine que nous sèmerons dans la conscience et la dignité de milliers de Chiliens ne pourra germer dans l'obscurantisme. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais nul ne retient les avancées sociales avec le crime et la force. L'Histoire est à nous, c'est le peuple qui la construit. Travailleurs de ma patrie ! Je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez accordée à un homme qui a été le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, les dernières paroles que je voudrais vous adresser sont les suivantes : j'espère que la leçon sera retenue. Le capital étranger, l'impérialisme réactionnaire ont créé ce climat afin que les Forces Armées brisent leurs engagements […] : avec l'aide des mains étrangères ils attendent de s'emparer du pouvoir afin de continuer à protéger leurs privilèges et l'exploitation des richesses de la terre. Je voudrais surtout m'adresser à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui crut en nous, à l'ouvrière qui a travaillé dur, à la mère qui s'est toujours préoccupée de l'éducation de ses enfants. Je m'adresse aux professionnels de la patrie, aux patriotes, à ceux qui depuis un certain temps voient se dresser au-devant d'eux la sédition [...]. Je m'adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur combativité. Je m'adresse au Chilien, à l'ouvrier, au paysan, à l'intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme était présent depuis un certain temps déjà par les attentats terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, complices du silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir... L'Histoire les jugera ! Il est certain qu'ils feront taire Radio Magallanes et le métal de ma voix calme ne vous rejoindra plus. Cela n'a pas d'importance, vous continuerez à m'entendre. Je serai toujours auprès de vous et vous aurez pour le moins, le souvenir d'un homme digne qui fut loyal envers la patrie. Le peuple doit se défendre et non se sacrifier. Le peuple ne doit pas se laisser cribler de balles, mais ne doit pas non plus se laisser humilier. Travailleurs de ma patrie ! J'ai confiance au Chili et à son destin. D'autres hommes dépasseront les temps obscurs et amers durant lesquels la trahison prétendra s'imposer. Allez de l'avant tout en sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues sur lesquelles passeront des hommes libres de construire une société meilleure. Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles. J'ai la certitude que le sacrifice ne sera pas inutile. Et que pour le moins il aura pour sanction morale : la punition de la félonie, de la lâcheté et de la trahison."

Belles paroles qui me vont droit au cœur : oui, Salvador, je continue de t'entendre. Savez-vous que j'ai craint en 1981 que la même chose arrive en France ? À l'époque directeur de la bibliothèque départementale, je participais à des réunions des huiles du département du Gers à Auch, et j'ai entendu des hauts gradés militaires – et policiers – dire qu'ils ne laisseraient en aucun cas le socialisme s'instaurer en France. Il y avait comme une odeur de putsch dans notre pays ! Et comme le magnifique discours de Salvador Allende tranche avec celui, lamentable, de Pétain en juin 1940 ! C'est bien là qu'on voit les différences de rigueur morale entre les défenseurs de l'idéal et de la légitimité d'un côté, et ceux qui se saisissent de l'occasion pour prendre un pouvoir, même aussi faible que celui que Hitler laissa à notre maréchal.

mardi 24 septembre 2013

24 septembre 2013 : retrouver le temps


12 avril 1918 : L'ordre a ceci de mauvais qu'il paralyse, impressionne, invite à ne rien toucher. Il invite à s'en remettre au lendemain. Remettre une chose au lendemain, c'est la remettre à jamais. (Josep Pla, Le cahier gris : un journal ; trad. Pascale Bardoulaud, Éd. Jacqueline Chambon, 1992)



sous 
les 
pavés, 
le 
temps ?




Aujourd'hui, 24 septembre 2013, temps prisonnier de notre calendrier, temps universel (quoique)...

Mon temps à moi ne s'organise pas ainsi. C'est un temps qui se promène sur la tangente d'une circonférence, au bout d'un rayon de quatre ans et trois mois de deuil, sans que je rencontre toujours avec exactitude ce qui en fait la lenteur, ce qui me donne l'illusion d'exister, la certitude de me prolonger au-delà du raisonnable, le désir de m'en aller au fil de ma bicyclette, et le remords de cette vie qui perdure, alors que d'autres sont partis et m'accusent. 

l'escalier du temps (Poitiers)
Oh ! le temps des douces affinités, je l'ai bien connu, il n'a rien à voir avec un horaire quelconque, avec une horloge murale ou une montre de poignet ou maintenant le téléphone mobile qui sert à donner à voir cette heure sans cesse fuyante. Oh ! le temps de la rencontre, de la trouvaille en fait, celle qui vient à son heure, qui fait trembler la peau de l'émotion, qui fait flamboyer l'envers de la solitude, qui nous propulse à travers vents et marées vers l'amitié, la fraternité, la solidarité, l'amour... Ce temps désordonné, ce temps qui se prolonge, ce temps de la durée, ce temps de la pertinence, ce temps seul qui importe et dont nous avons besoin pour vivre.


autre escalier du temps (Venise)

Aujourd'hui je l'invoque, car oui, j'ai le droit de l'exiger, ce temps qui est vie comme les poussières du soleil, ce temps du souvenir, du silence, ce temps hésitant qui s'arrête brusquement (voir la belle scène de la rencontre Maria/Tony pendant le bal dans West side story), comme suspendu sur un fil tendu au milieu du vide, ce temps qui n'a pas été éteint par les sirènes de la consommation (voiture individuelle, télévision, hypermarchés, jeunisme et autres anti-dépresseurs), ce temps de la conversation avec les vivants et les morts (via le livre et les arts), ce temps qui combat l'abrutissement par un surcroît de vie, supplément d'âme apporté par le savoir, la curiosité, la spiritualité, les arts, la culture sous toutes ses formes...




le temps plonge ses racines

Oui, le temps qui s'impose maintenant, et qui importe seul, n'est pas celui de la montre, c'est l'oasis des heures libres du tête-à-tête avec soi-même, ces heures si précieuses, qu'il faudrait les mettre sous cloche pour les préserver. 

les croisillons du temps
C'est le temps des rencontres vraies, de la parole librement épanouie, des valeurs qui ne prédominent pas dans la société, loin de la confusion mentale qui semble gouverner le monde et nuire à chacun. C'est le temps de la nuit dénudée, du dépouillement des jours, le temps de l'oubli de soi dans la lumière éblouissante des autres, dans l'éclairage de ceux qui ont besoin de nous.

 les reflets du temps dans le Clain













Aujourd'hui, quelque chose d'indicible s'est posé devant moi : le temps retrouvé ?

 
l'anti-vol du temps



lundi 23 septembre 2013

23 septembre 2013 : petits bonheurs


il avait peur de lui ressembler. D'être une de ces personnes qui considèrent le bonheur comme un luxe non seulement coûteux, mais aussi immérité.

(Giampaolo Simi, Train express pour ailleurs)





Ah ! le petit bonheur que de reprendre le vélo ! J'ai eu le malheur d'accomplir mon périple poitevin du week-end dernier en voiture (malheur relatif car quelle saucée j'aurais prise le samedi 14 pour arriver à Arçais sous la pluie battante !), ce qui m'a privé du plaisir du grand air... et du train, car au départ, j'avais envisagé de faire le circuit à vélo et en train pour raccourcir les distances. Puis, ayant vu la météo, j'ai renoncé. J'ai dit à Claude, à Christian et à Gilles, que je devenais flemmard. Ouais, à discuter. Disons que je n'aime plus trop les intempéries. Bientôt 68 ans tout de même... 

Un de mes lieux favoris : 
La librairie "La Machine à lire", Place du Parlement
je m'y rends... à vélo !  

Et pourtant, en remontant sur le vélo, même en ville, à Bordeaux – il faut dire que le temps est exceptionnel, beau, chaud, mais pas trop, avec juste le peu de vent qui sied à ma vieille carcasse, j'ai fait un tour au Parc Bordelais, grand jardin public, où je n'étais jamais allé – je me suis senti renaître. En vérité, c'est en auto qu'on devient flemmard. C'est ainsi que, ayant mon véhicule, je me suis déplacé presque exclusivement avec pendant mes trois jours à Poitiers, soit 80 km au compteur : quelle absurdité ! Alors que j'aurais pu louer un vélo...

Enfin, rien de grave. Ceci pourtant : de même qu'à Venise, je me suis interrogé sur la difficulté de ma survie si je devenais aveugle (appelons un chat un chat !), je me demande comment je vais faire le jour où mon corps refusera de pédaler. Déjà, j'ai pu constater tout à l'heure en remontant sur le vélo, qu'il me faudra bientôt le remplacer d'ici quelque temps par un vélo à cadre hollandais (en diagonale pour faciliter l'enjambement), car essayez donc d'enjamber le cadre quand le vieillissement du corps s'y refuse. Ce n'est pas encore le cas, mais je pressens que ça va arriver. Et je comprends le succès des mini-vélos, vraiment accessibles à tous.



La Cathédrale Saint-André, 
dernière visite avec Lucile 

L'automne a commencé à prendre ses marques, les feuilles à jaunir et à tomber, et en voyant les photos de la soirée-lecture, je vois que je suis aussi à l'automne de ma vie. Je ne me savais pas les cheveux si grisonnants ! On ne se voit pas vieillir, sauf en cas de maladie. Grand nettoyage d'automne ce matin, avec l'aide de Juan, qui occupera la chambre du fond jusqu'en juin prochain. Le jeune Colombien, qui fait des études de corniste au Conservatoire, est ainsi assuré du gîte. Je suis content de participer à la continuation de son séjour en France. Et puisqu'après tout la chambre était libre... J'enrage de voir des gens à la rue : chacun sait que l'immobilier, c'est d'abord de la spéculation, et j'entendais encore ce samedi après-midi, rue Sainte-Catherine, une conversation entre proprios qui tournait autour de ça et de la plus-value que ça apporte en un temps record, sans doute les mêmes qui critiquent le recyclage de l'argent sale, celui de la drogue par exemple ; pourtant comme écrit Jean-Marc Rouillan, "sale, façon de parler, car cet argent n'est pas plus sale qu'un autre. L'exploitation de la souffrance du salariat, de son ennui, de la vie qui s'enfuit, serait-elle plus propre que le suicide pharmaceutique [allusion à la drogue] d'une génération ? Et le deal de la « soupe culturelle » décervelant des millions de jeunes est-il blanc de blanc ?" [oh, que non] (Glucksamschlipszig, Le roman du Gluck). Pour moi, l'argent de la spéculation immobilière est aussi sale que celui de la drogue.

Et, alors que j'ai de la place, je refuserais d'héberger quelqu'un qui en a besoin ? J'y gagne à tous points de vue : je me fais plaisir en faisant une BA, j'aurai quelqu'un qui récupérera mon courrier pendant mes (trop) nombreuses absences. Je l'aiderai à perfectionner son français si, par hasard, il avait envie de rester plus longuement en France. Ça va m'obliger à cuisiner un peu plus, et plus varié. J'ai de plus appris qu'Alexander, notre premier Colombien (pendant l'année scolaire 2007-2008), était actuellement à Perpignan pour l'année scolaire. Je sens que j'irai le voir, en souvenir de Claire. Et je vais prêter à Juan mon deuxième vélo pour ses déplacements.

Hier dimanche, j'avais invité ma sœur de Bordeaux et Alejandra, l'autre Colombienne, à déjeuner avec nous. Juan m'a aidé à préparer le repas, et je lui ai appris à faire des crêpes françaises. Il n'a pas encore le tour de main pour qu'elles soient fines, mais on s'est régalé tout de même. L'après-midi, on est allés sur les quais, et on a découvert le forum des associations. Chacun a fait le tour des stands et grappillé des renseignements sur ce qui l'intéressait. J'ai en particulier fait connaissance de deux ateliers d'écriture. Au retour, Lucile était rentrée, et le soir, nous avons fini les crêpes au dessert. Pour sa dernière soirée en France, nous avons achevé de visionner La flûte enchantée, l'opéra de Mozart filmé par Bergman. Et ce matin, je l'ai emmenée à l'aéroport : ce soir, elle sera à Abidjan. 
Bonne chance, ma fille !


Lucile à Arcachon mardi dernier,
portant le tee-shirt de la CIMADE que je lui ai offert
il y est écrit :
"il n'y a pas d'étrangers sur cette terre"



samedi 21 septembre 2013

21 septembre 2013 : une tournée


5 juin 1918 : Il n'y a rien d'aussi stupéfiant, satisfaisant, pour la vanité humaine, pour l'amour de soi, que de se sentir écouté, que d'avoir un public apparemment ou réellement attentif.
(Josep Pla, Le cahier gris : un journal ; trad. Pascale Bardoulaud, Éd. Jacqueline Chambon, 1992)

Je reviens donc de mon petit périple dans le Poitou, avec arrêts à Arçais, Montreuil-Bonnin et Poitiers.

Claude, affublé d'une perruque, ouvre la soirée :
 un sketch qui se moque gentiment des poètes
 
À Arçais, en plein Marais poitevin, la Guinguette du Marais offrait en ce samedi 14 septembre un dîner-spectacle auquel j'étais convié à participer. En fait, la soirée, préparée et animée par l'ami Claude Andrzejewski (seize ou dix-sept ans qu'on se connaît) a été l'occasion d'écouter des musiciens (saxophoniste, accordéoniste, formidables tous deux), un crieur (qui a fort bien dit un extrait des Pieds dans l'eau, de René Fallet) et d'entendre Claude, son épouse Virginie et sa fille Émilie chanter. Chacun des trois a eu sa chanson personnelle (une chanson d'Alain Leprest, que je ne connaissais pas, La gitane, pour Virginie, L'accordéoniste de Piaf pour Émilie, et plusieurs chansons dont Est-ce ainsi que les hommes vivent d'Aragon et Ferré et Le tango corse pour Claude, déchaîné dans cette dernière chanson, que je connaissais, ayant le disque de Fernandel, mais qui m'a quand même, comme le restant du public, fait plier de rire). Virginie et Émilie ont chanté en duo l'excellente Complainte des filles de joie de Brassens, et tous trois ont poussé La Javanaise de Gainsbourg. Bien sûr, on a mangé aussi, et fort bien. 

Virginie chante
 
Enfin, après le café, je suis passé avec quelques textes extraits de mon dernier livre. La poésie a-t-elle sa place dans une soirée-cabaret de ce genre ? Je me suis posé la question après. On m'a écouté dans un silence recueilli, mais après la musique et les chansons, c'était bien sûr un peu fade. Mais ça m'a servi de galop d'essai pour Poitiers. Belle soirée donc, que je n'oublierai pas. Merci aussi à Monique, chez qui j'ai dormi, à Valentin (garde bien toujours l'éclat de tes quinze ans !), qui a failli me faire faire une promenade en barque mais il pleuvait...
Deuxième arrêt : chez l'ami Christian Rome, photographe à la DRAC. Je n'avais pas revu sa maison écologique depuis 2006, où nous l'avions visitée avec Claire et Mathieu. Ce dernier, de retour de Suède s'intéressait vivement à ce genre de maison. Outre le plaisir de renouer l'amitié, je voulais voir comment elle avait vieilli, car elle était alors toute neuve. Elle est conçue pour ne pas avoir de déperdition de chaleur en hiver (un poêle central, énorme, chauffe l'ensemble de la maison) comme pour rester fraîche en été, sans le moindre appareil électrique de climatisation. Une vraie réussite, très confortable : j'ai hélas oublié de prendre des photos. J'ai dormi à l'étage, entièrement conçu en mezzanine. On a visité le jardin, je devrais plutôt dire le parc, où il a planté une centaine d'arbres, laissé les haies s'épanouir et les herbes sauvages prospérer. Sa bibliothèque, sa discothèque, sont formidables. En attendant Sylvie, qui travaille à l'hôpital psychiatrique, et ne rentrait qu'à dix heures du soir, on a refait le monde, comme si on s'était quittés la veille. Sylvie, rentrant dans la nuit, a illuminé la maison de sa présence douce et chaleureuse.
Troisième arrêt : Poitiers. Le tour des amis, Georges, Odile, Frédéric, Gilles (qui m'a prêté son appartement), l'arrivée de Lucile et un dîner à Mignaloux-Beauvoir chez ma sœur Danièle, où une autre de mes sœurs, Marie-France, était de passage, et la soirée du mercredi est arrivée. J'étais convié par la librairie La belle aventure à une présentation de mon livre Le temps écorché

Devant le public attentif (photo Bernard Liégeois)
 
Devant une quinzaine de personnes (dont Anita, Martine, Bernard et Roselyne, pas vus depuis longtemps), Christine Drugmant, la libraire, a introduit la lecture en retraçant mon parcours, me faisant parler de ce qui m'a amené au livre et à la poésie. Grâce au ballon d'essai du samedi précédent, ma lecture a été plus fluide.  

Le lecteur (photo Bernard Liégeois)
 
Je pense que le public a été intéressé, sinon ravi et conquis. Je n'ai eu que de bons échos, et j'ai passé un excellent moment. Cinq exemplaires ont été vendus et dédicacés. Je recommencerai ; il faut que je contacte d'autres libraires en d'autres lieux. Cependant, l'écrivain catalan Josep Pla (son livre Le cahier gris, que Charles Juliet m'a fait connaître, est superbe) peut être satisfait : je n'ai tiré de cette soirée aucune vanité, mais un simple contentement de soi, qui me semble légitime, puisqu'elle a été réussie. Merci à la librairie et aux auditeurs venus m'entendre.

Signature (photo Bernard Liégeois)
 
Josep Pla écrivait le 16 avril 1918 : "Cela m'effraie de voir le peu de personnes qui conservent dans le regard quelque trace d'illusion et de poésie – l'illusion et la poésie de leurs dix-sept ans. Dans la plupart des yeux, tout éclat pour les choses immatérielles et divertissantes, gratuites, fascinantes, incertaines et passionnantes, s'est envolé." Je peux affirmer que j'ai rencontré, dans ma vie en général et dans cette tournée en particulier, beaucoup de personnes dont les yeux ont gardé cet éclat : ainsi, en quelques jours, toutes les personnes citées plus haut m'ont semblé lumineuses. La vie n'est donc pas si mal, après tout !