Piégés
entre divertissements télévisés, réseaux sociaux et papiers
glacés, les citoyens n’apparaissent à nos dirigeants que comme
des lapins pris dans les phares d’une voiture, incapables de se
défaire des sortilèges qu’ils ne cessent de produire afin des les
soumettre et de les inhiber.
(Juan
Branco,
Abattre l’ennemi, M.
Lafon, 2022)
Je m'aperçois que je ne suis pas le seul à pester contre le smartphone, cet instrument diabolique qui, loin de nous faciliter la vie, nous impose de nouvelles contraintes et, personnellement, me fait perdre un temps considérable de ce peu de temps qui me reste à vivre.
Je
viens de recevoir le dernier numéro de L’âge
de faire,
et j’y trouve l’appel suivant
(https://lagedefaire-lejournal.fr/appel-pour-la-desmartphonisation-de-la-societe/)
auquel je souscris des deux mains, surtout depuis que j’ai un
smartphone. je vous le soumets. J'aimerais avoir votre avis.
Apparu
il y a seulement une quinzaine d’années, le smartphone est devenu
avec une incroyable rapidité un objet central de notre société. Il
suffit d’observer nos contemporains, dans la rue, dans le métro,
au restaurant, partout, pour se rendre compte de la place
prépondérante qu’il occupe. Selon les dernières statistiques de
l’Insee, 77 % de la population française âgée de 15 ans et
plus en possèdent un. Ce pourcentage atteint 92 % chez les 30-40
ans, et 94 % pour les 15-29 ans. Signalons que ces statistiques
portent sur l’année 2021 et que le taux d’équipement étant en
hausse constante, il est assurément encore plus élevé aujourd’hui.
Signalons aussi qu’il concerne des enfants de plus en plus jeunes.
Selon une étude Médiamétrie, ces derniers se voient offrir leur
premier smartphone, en moyenne, avant l’âge de 10 ans. Là encore,
ces statistiques datent de 2020 et tout porte à croire que cet âge
moyen a encore baissé.
Est-ce que chaque humain sera,
d’ici quelques années, systématiquement relié au « grand
tout » via un smartphone ?
Nous sommes un certain nombre à
ne pas le souhaiter et à vivre sans smartphone, pour de multiples
raisons. Ce petit objet est un concentré
de pollutions industrielles. Il contient une cinquantaine
de métaux différents quasiment impossibles à recycler dont
l’extraction crée des situations dramatiques aux quatre coins du
monde (1). Dans les usines
de smartphones chinoises, ouvriers et ouvrières sont soumis aux
conditions d’exploitation les plus extrêmes quand ils
ne font pas l’objet de travail forcé, comme les Ouïgours (2).
Nous pensons qu’à l’heure où l’on nous annonce des coupures
d’électricité, l’énergie disponible ne doit pas être
accaparée par cet appareillage, ainsi que par la gigantesque
infrastructure nécessaire à son fonctionnement (antennes relais,
serveurs…). Nous affirmons que les ondes électromagnétiques liées
à cette technologie posent de sérieuses questions de santé
publique.
Nous
refusons d’être sollicités et pistés en permanence par des
sociétés privées, et que celles-ci s’emparent de l’un de nos
biens les plus précieux : notre attention. Nous
constatons à quel point ce qui est appelé « outil de
communication » altère en réalité nos relations sociales.
Le smartphone est si addictif
qu’il a démultiplié les tensions et les conflits dans les foyers.
C’est le pire ennemi des parents qui doivent se démener pour
soustraire leurs enfants à ses mondes parallèles et marchands.
Nous avons aussi découvert à
travers la mise en place du « passe sanitaire » l’utilisation
qui pouvait être faite de cet objet, à savoir gérer, de manière
individualisée, le moindre de nos déplacements en nous délivrant,
ou non, l’autorisation de pénétrer dans tel ou tel lieu. Le
problème n’est pas ici de savoir si ce dispositif a permis de
limiter la propagation du virus. Ce que nous retenons, c’est que le
smartphone s’est révélé être une interface entre l’humain et
l’administration centrale, offrant à cette dernière
un pouvoir inédit de surveillance et de contrôle.
L’industrie et le
gouvernement multiplient les décisions rendant cet objet de plus en
plus indispensable : disparition des cabines téléphoniques, des
guichets « humains » et même des bornes automatiques dans les
gares, envoi de codes pour réaliser un paiement en ligne, QR codes à
scanner dans les musées ou les restaurants, administrations de plus
en plus déshumanisées (« dématérialisées »,
selon le langage consacré…), etc. Au point de pousser la
Défenseure des droits à lancer ce cri du cœur : « Il
n’est pas possible d’imposer à tout le monde d’avoir un
smartphone ! »
(3)
Nous exigeons donc de l’État
qu’il rétablisse les alternatives au smartphone pour permettre à
chaque citoyen d’accéder à ses droits et aux biens communs sans y
avoir recours. Nous revendiquons le droit de vivre pleinement dans
cette société sans pour autant être équipé de cette
prothèse incroyablement envahissante.
Parallèlement – et sans
ignorer les contraintes, notamment professionnelles, qui peuvent
s’imposer à certain·es – nous appelons celles et ceux qui le
peuvent encore à abandonner au plus vite leur smartphone.
« On
croit fabriquer des automobiles, on fabrique une société »,
prévenait le philosophe Bernard Charbonneau en 1967. Aujourd’hui
plongés dans le modèle du « tout-bagnole », et alors que nous
en connaissons les ravages écologiques, nous constatons l’extrême
difficulté que nous avons à en sortir. En quinze ans, le smartphone
ne nous a rendus ni plus heureux, ni plus libres. Il a simplement
augmenté notre dépendance à des chaînes de production
insoutenables et démultiplié les profits de l’industrie du
numérique. Un bilan aussi désastreux appelle une réponse
collective. C’est pourquoi nous appelons à démanteler tant qu’il
est encore temps la société du smartphone.
Signataires :
– Matthieu
Amiech,
éditeur, auteur de L’industrie du complotisme (La Lenteur)
– Fabien
Benoit,
journaliste, auteur de Techno-luttes (Seuil/Reporterre) ;
– Nicolas
Bérard,
journaliste, auteur de Ce monde connecté qu’on nous impose (Le
passager clandestin/L’âge de faire) ;
– Nicolas
Celnik,
journaliste, auteur de Techno-luttes (Seuil/Reporterre) ;
– Alain
Damasio, auteur
de Les Furtifs (La Volte) ;
– Sabine
Duflo,
psychologue, autrice de Il ne décroche pas des écrans (Marabout) ;
– Lisa
Giachino,
rédactrice en chef du mensuel L’âge de faire ;
– Celia
Izoard,
journaliste, autrice de Merci de changer de métier (La dernière
lettre) ;
– François
Jarrige,
historien, auteur de On arrête (parfois) le progrès (L’échappée)
;
– Fabien
Lebrun,
chercheur, auteur de On achève bien les enfants. Écrans et barbarie
numérique (Le bord de l’eau)
– Yves
Marry, délégué
général de l’association Lève les yeux, auteur de La guerre de
l’attention (L’échappée) ;
– Geneviève
Pruvost,
sociologue, autrice de Quotidien politique – féminisme, écologie,
subsistance (La découverte)
1-
Minerais de sang, C. Boltanski, Gallimard, 2014 ; Voilà
pourquoi on meurt, Amnesty International, 2015
2- La Machine
est ton seigneur et ton maître, Jenny Chan, Xu Lizhi et Yang,
Agone, rééd. 2022.
3- Lors de la matinale de France Inter du 5
juillet 2022.