lundi 21 novembre 2022

21 novembre 2022 : A propos de Nice


un enfant […] tente un jour ou l’autre d’échapper à l’image que ses parents ont de lui…

 

(Vonne Van der Meer, Le voyage vers l’enfant, trad. Daniel Cunin, H. d’Ormesson,2009)

 


J’ai retrouvé Nice avec plaisir et en suis reparti sans regret. C’est typiquement la ville où je n’aimerais pas vivre en permanence : trop de touristes, trop de magasins et quasiment aucune toilette publique (j’ai beaucoup crapahuté pendant trois jours et n’en ai pas découvert une seule), ce qui est un peu fort quand on sait que la population est plus vieille que la moyenne, et que la proportion de SDF est très importante

 

Ce fut avec plaisir que j’ai revu A., mon copain d’internat entre 11 et 16 ans (que dis-je, mon copain, mon ami de cœur et jamais perdu de vue, même si on ne s’est pas vus pendant 32 ans entre 1972 et 2004), plus âgé que moi (il a déjà 78 ans), mais toujours en forme. Le covid l’a beaucoup affecté, car son grand loisir est de chanter dans deux chorales qui se sont mises en sommeil. Heureusement, ça vient de reprendre. Il a pu me refaire visiter un peu le vieux Nice et ses belles couleurs, on a marché sur la Promenade des Anglais, j’ai vu des églises et l’Opéra, quelques parcs et la coulée verte… Et il m’a fait découvrir quelques spécialités culinaires, la pissaladière et la socca ! Ce fut bref, mais très sympa.

Et c’est aussi avec beaucoup de reconnaissance que j’ai revu quelques-uns des protagonistes du voyage en Roumanie d’avril 2019. En fait, l’objectif de mon passage à Nice était aussi de participer à l’Assemblée générale de l’Association des amis de Panaït Istrati, cet écrivains roumain de langue française, qui publia entre 1922 et 1935 et mourut de tuberculose. Ce fut aussi un de mes amis de cœur, comme l’indique bien le chapitre que je lui ai consacré dans mon livre D’un auteur l’autre, et comme le furent nombre de mes écrivains et écrivaines favoris. Et j’ajouterai que l’amitié est le moteur central de la part autobiographique (très romancée) de son œuvre.


Nous avons donc eu deux réunions, l’une le dimanche soir dans un restaurant du Vieux port, qui permit de faire ou refaire connaissance autour d’un agréable repas de cuisine niçoise. Et la seconde le lendemain à la Bibliothèque universitaire Henri Bosco qui,pour l’occasion, avait composé une petite exposition consacrée à notre écrivain, dont elle conserve des archives, notamment photographiques. Rappelons que Panaït Istrati, entre autres métiers, fut photographe de rues à Nice.

L’AG fut elle aussi très intéressante. Parmi les participants, il y avait trois Roumaines, membres de l’Association, ainsi que les responsables du CIRA (Centre International de Recherches sur l’Anarchisme, cf le site https://www.cira-marseille.info/), tous deux bibliothécaires retraités, avec qui j’avais sympathisé lors du voyage précité. Je suis invité en Roumanie : irai-je ? Ainsi qu’à Marseille : je devrais y aller vers la fin janvier pour une animation au CIRA.

Je rappelle que cette association est la seule des deux associations littéraires auxquelles je suis adhérent, l’autre étant l’Association Romain Rolland (encore un de mes amis de cœur), un de nos prix Nobel (1917) qui joua un grand rôle amical dans la vie d’écrivain d’Istrati. Comme quoi l’amitié est nourrissante dans la vie, que ce soit avec des vivants, d’où mes nombreux déplacements, ou avec des morts, par exemple nos écrivains du passé favoris.


vendredi 11 novembre 2022

10 novembre 2022 : le poème du mois, La Fontaine


On retrouve sa place. Je retrouve la mienne. Elle s’appelle solitude. Je vais vivre dans ma tête des aventures magnifiques. Seul.

(Esteban Moreno Corral, Les hommes oignons, Éd. de la Trémie, 2022)


Je ne sais pas pourquoi ma grand-mère maternelle, qui vivait chez nous, disait souvent cette fable qui était sans doute sa préférée. Je la prenais toujours pour moi, car j’étais, comme le roseau, chétif et malingre. Et ça me forçait à me battre pour exister, et même subsister contre les moqueries des autres, à l’école par exemple. Il est vrai qu’on se moquait aussi, et même davantage, des gros. Car tous savaient qu’on ne risquait rien d’un petit maigriot dans mon genre, tandis qu’il arrivait à un gros de se rebeller d’être toujours appelé Le gros, Bouboule, Gros sac, Gros lard, Gras double, Bibendum... et de donner un coup de poing bien ajusté qui faisait taire, un temps, les moqueurs. Mais un petit rachitique, voire débile, comme moi, qu’a-t-il : eh bien, de lire La Fontaine et de se dire qu’après tout, on peut plier et ne pas rompre. C’est sans doute ce que voulait me faire sentir ma grand-mère par cette récitation qu’elle avait apprise à l’école cinquante ans auparavant et jamais oubliée.

                                                      
Auguste Vimar, Fables de La Fontaine, Mame, 1897

 

Le Chêne et le Roseau


Le Chêne un jour dit au Roseau :


"Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.


– Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." 

Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.



Jean de La Fontaine

 

mardi 8 novembre 2022

8 novembre 2022 : Ballade en novembre (chanson du mois)


Il m’est déjà arrivé de pleurer de plaisir en respirant l’air du matin.

(Amélie Nothomb, Soif, Albin Michel, 2019)


En ce mois de novembre 2022, je repense à cette soirée d’Angers de l’hiver 1972, où nous vîmes et écoutâmes Anne Vanderlove à la Maison des Jeunes et de la Culture, et qui nous ravit. C’était frais, c’était jeune, c’était presque silencieux, j’allais dire religieux, ça nous touchait au cœur, à l’âme, on pouvait rêver, on est sorti dans la nuit d’hiver ragaillardi, réchauffé, prêt à rebondir vers l’inaccessible étoile, comme dirait Brel. Et on chantonnait sur les trottoirs givrés.

À écouter ici :

https://www.youtube.com/watch?v=PAvz4-AmkIo

https://www.youtube.com/watch?v=zrp-LOFLUg4



Ballade en novembre

 

Qu'on me laisse à mes souvenirs
Qu'on me laisse à mes amours mortes
Il est temps de fermer la porte
Il se fait temps d'aller dormir
Je n'étais pas toujours bien mise
J'avais les cheveux dans les yeux
Mais c'est ainsi qu'il m'avait prise
Je crois bien qu'il m'aimait un peu


Il pleut
Sur le jardin, sur le rivage
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut
Sur le visage


Le vent du Nord qui s'amoncelle
S'amuse seul dans mes cheveux
Je n'étais pas toujours bien belle
Mais je crois qu'il m'aimait un peu
Ma robe a toujours ses reprises
Et j'ai toujours les cheveux fous
Mais c'est ainsi qu'il m'avait prise
Je crois que je l'aimais beaucoup


Il pleut
Sur le jardin, sur le rivage
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut
Sur le visage


Si j'ai fondu tant de chandelles
Depuis le temps qu'on ne s'est vus
Et si je lui reste fidèle
À quoi me sert tant de vertu?
Qu'on me laisse à mes amours mortes
Qu'on me laisse à mes souvenirs
Mais avant de fermer la porte
Qu'on me laisse le temps d'en rire
Le temps d'essayer d'en sourire


Il pleut
Sur le jardin, sur le rivage
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut
Sur le visage

 


 







mardi 1 novembre 2022

1er novembre 2022 : Cinémed 2022


Dans une société, intéressée au bonheur et à la santé mentale de ses membres, mais respectueuse des fragilités de chacun, le théâtre ne devrait-il pas être pratiqué par tous, dès les premières années de l’école et jusqu’à la fin de la vie, comme le sport dont il est une variante parlée ?

(Jean-Pierre Milovanoff, Presque un manège, Julliard, 1998)


Je reviens du Cinémed 2022, le cœur rempli d’images souvent dures (c’est que le monde est rude, spécialement autour de la Méditerranée, thème de ce festival de cinéma), et c’est vrai que la mort jouait un grand rôle dans plusieurs des films vus. Mais doit-on fermer les yeux devant la mort ? Je sais bien qu’aujourd’hui, c’est le mot lui-même qui est quasiment tabou. Mais je ne veux pas faire l’autruche, et préfère regarder la réalité en face. Je suis en fin de vie et je m’attends à disparaître d’un jour à l’autre, même si je souhaite que ce jour reste assez lointain (pas trop quand même, je ne tiens pas à devenir centenaire, sauf si l’état physique et l’état mental se maintiennent à peu près bien).

Le Cinémed comprend entre autres les séries suivantes :

- avant-premières : j’ai vu Pétaouchnok, une comédie française où l’on voit deux précaires (interprétés par Pio Marmaï et Philippe Rebbot) essayer de s’en sortir, dans les Pyrénées orientales, en organisant du tourisme rural, à base de randonnée à cheval et de recherche d’une communion avec la nature. Et j’ai vu aussi Pattie et la colère de Poséidon, un film d’animation pour la jeunesse, sorte de péplum mythologique animé. J’ai beaucoup aimé aussi le film algérien, Houria, l’histoire d’une jeune femme qui fait de la danse et doit renoncer à sa carrière de ballerine à la suite d’une agression.

- compétition de longs métrages : J’ai particulièrement aimé le film palestinien, Fièvre méditerranéenne, qui conte l’histoire d’un Palestinien vivant à Haïfa en Israël, sombrant dans la dépression, alors qu’il voudrait écrire un roman. Le film tunisien, Ashkal, conte l’histoire d’un duo de policiers qui mène une enquête, c’est un film féministe et chaleureux qui a reçu l’Antigone d’or.  

Adelinho, le film marocain montre l’arrivée d’un prédicateur islamiste fanatique qui bouleverse la vie d’un jeune marocain féru du Brésil, de samba et de chanson, tout ce que les islamistes détestent. La stranezza (Italie) raconte un épisode la vie de Luigi Pirandello, à l’époque où il compose sa pièce Six personnages en quête d’auteur. Dirty, difficult, dangerous, explore les difficultés d’un réfugié syrien et de son amour pour une domestique éthiopienne, véritable esclave au Liban : un film salutaire et fort.

- panorama de longs métrages : Delta (Italie), film sombre, violent et très noir, met en place la rivalité des pêcheurs légaux et des clandestins dans le delta du Pô. Burning days (Turquie), tout aussi sombre et violent, narre l’arrivée d’un jeune procureur dans une bourgade turque, qui s’oppose aux notables locaux prêts à tout pour défendre leurs privilèges. Un film très dur et impressionnant !

- compétition de documentaires : le film slovène, Réconciliation parle du code traditionnel qui régit la loi tribale de réconciliation entre les familles albanaises en cas de meurtre.

- rétrospectives : la cinéaste espagnole Icíar Bollaín était à l’honneur, avec neuf films. J’ai revu Même la pluie (2010), qu’elle a tourné en Bolivie et qui raconte l’histoire d’un tournage de film sur Christophe Colomb, la conquête de l’Amérique, et la mise en quasi esclavage des autochtones. Excellent. Tout aussi excellent était son premier film Salut, tu es seule ? (1995). Quant au Mariage de Rosa, sa comédie de 2020, ce fut un des éclats de rire du Festival. 

De la rétrospective Francesco Rosi, je n’ai vu qu’un de ses premiers films (j’avais vu tous les autres), l’étonnant Profession : Magliari, où l’on voit Alberto Sordi et Renato Salvatori, migrants en Allemagne dans les années 50, tenter de se débrouiller pour survivre. 

La Géorgie et le cinéma géorgien aussi étaient à l’honneur, je n’ai vu que Le repentir (1984), qui montre les difficultés de la déstalinisation dans une petite ville dans les années 80. Une belle satire du culte de la personnalité et du mensonge déconcertant.

Au total, un très bon festival.