dimanche 30 mars 2025

30 mars 2025 : Vieillesse et fin de vie au cinéma

« Ça va ? » Comme si on avait un jour le courage de répondre, de dire : « Non, ça ne va pas...Non, ça va très mal… Qu’est-ce qu’on est en train de devenir ? »

(Hajar Issami, Lettres à un jeune Marocain, choisies par Abdellah Taïa, Seuil, 2008)

 

 

        En l'espace de trois mois, j'ai vu quatre films très intéressants consacrés à la vieillesse (appelons un chat un chat, j'en ai marre des euphémismes désignant la vieillesse, comme le grand âge  le troisième âge, les anciens, les seniors, etc., comme si vieillesse et vieux ou vieille étaient devenus des gros mots à bannir du langage parlé), à la fin de vie et à la mort, trois sujets qui sont les tabous d'aujourd'hui dans nos sociétés soi-disant civilisées.

        Combien de fois, dès que je dis et proclame bien haut que je suis vieux, j'entends mes interlocuteurs rétorquer : "Mais non, tu en jeune" ou "Tu es encore jeune", et je réponds du tac au tac : "Vous vous foutez de moi ?" Par contre, je ne me permettrai pas de dire à un interlocuteur "Tu es vieux' ou "Tu es vieille". Mais qu'ils me laissent dire "Je suis vieux", car ça na rien d'inconvenant ni de honteux, comme si on avouait une faiblesse. Alors que vieux, c'est un état. Et j'étais très content de découvrir l'an passé le CNaV, Conseil National autoproclamé de la Vieillesse, dont je suis avec intérêt les travaux, les conférences et les réunions à son antenne de Bordeaux. La revue Vieux, qui va dans leurs sens, est également digne d'être lue et suivie. 

        Donc quatre films : La chambre d'à côté de l'espagnol Pedro Almodovar, Mon gâteau préféré, des iraniens Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha, Yokai, le monde des esprits du singapourien Eric Khoo, et Dimanches, de l'ouzbek Shokir Kholikov.

 

         La chambre d'à côté, parlé en anglais, est, comme presque tous les films de son réalisateur, très bon. Il conte les retrouvailles de deux amies de longue date, mais qui s'étaient un peu perdues de vue. Ingrid Julianne Moore), apprenant le cancer de sa vieille amie Marthe (Tilda Swinton), s'empresse de la rejoindre. Elle va l'accompagner jusqu'à sa mort attendue. C'est tout bonnement formidable, en sortant je le qualifiais même de sublime : comme on aimerait avoir un(e) ami(e) de ce genre pour nous accompagner jusqu'au bout. Les deux actrices sont excellentes.

 

        Mon gâteau préféré, d'un tout autre style, est tout aussi émouvant. Cette fois, l'héroïne, Mahin, qui a vécu une vie de femme placée sous le patriarcat local, est seule maintenant. Sa fille a fui l'Iran, et elle l'a seulement de temps en temps au téléphone. Elle souffre de la solitude. Un jour, au restaurant, elle aperçoit un homme qui a l'air très solitaire aussi. Faramarz se révèle être chauffeur de taxi. Elle lui demande de la raccompagner jusque chez elle, mais il faut se méfier des voisins, car une femme seule ne doit pas recevoir un homme chez elle s'ils ne sont pas mariés. Je n'en dis pas plus, mais ce film iranien mérite plus que le détour, et nous montre de façon directe le malheur d'être une femme en Iran.

 

        Yokai, le monde des esprits, lui, est un film japonais, sans doute le moins réaliste des quatre films, puisque c'est un film fantastique. Claire Emery est une chanteuse française très célèbre au Japon, et qui est venue pour un dernier concert. C'est l'immense Catherine Deneuve qui interprète le rôle. Ne parlant pas japonais, elle a une interprète au début du film. Mais après son tout du chant, elle s'enivre à l'hôtel et tombe raide morte. La suite nous la montre devenue esprit. Elle rencontre le fantôme de Yuzo, qui fut son fan, et qui est le père du chauffeur de taxi qui la voiturait quand elle est arrivée, vivante, à Tokyo. Et les esprits parlent et se comprennent. Yuzo parle en japonais, Claire en français. C'est un film très curieux qui parle très directement de la mort et de l'après-mort. J'ai beaucoup aimé.

        Dimanches, nous montre l'Ouzbékistan, encore un pays très patriarcal (mais la France l'était tout autant il y a soixante ans, le couple des deux vieux m'a rappelé celui que formaient mes parents, c'est tout dire, et à aucun moment, je ne me suis demandé "Comment peut-on être Ouzbek" pour parler comme Montesquieu). Un couple de vieillards habite un petit village et mène une vie calme, et ils tiennent à leur maison où ils ne veulent surtout rien changer. Mais leurs enfants, qui comptent bien récupérer leur maison, voudraient la moderniser. Ainsi arrive un jour une nouvelle gazinière, puis un nouveau réfrigérateur, un nouveau téléviseur, un smartphone pour remplacer le vieux téléphone. Mais comment marchent ces nouvelles machines ? Les vieux n'arrivent pas à s'y faire. Le film est parfois cocasse, mais il est surtout très émouvant. J'ai donc pensé à mes parents, mais aussi à moi-même et à mes déboires avec le smartphone. Et j'en ai eu les larmes aux yeux, signe que le film, très simple, m'a beaucoup plu. (Image en tête d'article)


                                             

        

 

jeudi 27 mars 2025

27 mars 2025 : Gaza : testament d'un journaliste assassiné


Ce n’est pas être antisémite que de réprouver la politique coloniale d’un gouvernement à Tel Aviv, et nombre de juifs qui s’en démarquent ne désavouent pas leur confession.

(Régis Debray, Ce que nous voile le voile, Gallimard, 2004)


Il y a quelque temps, j'avais dit que je ne parlerai plus de Gaza. Mais quand je vois le silence sidérant de la grande presse et des medias télé sur le sujet, je suis bien obligé d'en parler encore et toujours, même si j'ai peu de lecteurs. Et je ne dis encore rien de la Cisjordanie martyrisée par les colons et l'armée "soi-disant la plus morale du monde".

Dans la dernière newsletter d'EuroPalestine,j'ai trouvé  le testament posthume du dernier des 210 journalistes palestiniens assassinés par Israël :


Voici le dernier message laissé, il y a 4 jours, par le journaliste Hossam Shabat, assassiné lundi après avoir été visé par un missile israélien  :

« Si vous lisez ceci, cela signifie que j’ai été tué – probablement pris pour cible – par les forces d’occupation israéliennes. Lorsque tout a commencé, j’étais à moins de 21 ans, un étudiant avec des rêves comme tout le monde.

Ces dix-huit mois, j’ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J’ai documenté les horreurs dans le nord de Gaza, minute par minute, déterminé à révéler au monde la vérité qu’ils tentaient d’enfouir. J’ai dormi sur les trottoirs, dans les écoles, sous des tentes – partout où je le pouvais. Chaque jour était une lutte pour la survie. J’ai souffert de la faim pendant des mois, sans jamais quitter mon peuple.

Par Dieu, j’ai fait mon devoir de journaliste. J’ai tout risqué pour rapporter la vérité, et maintenant, enfin, je me repose – une chose que je n’avais pas connue ces dix-huit mois. J’ai fait tout cela par foi en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est à nous, et mourir pour la défendre et servir son peuple a été le plus grand honneur de ma vie.

Je vous le demande maintenant : continuez à parler de Gaza. Ne laissez pas le monde lui tourner le dos. Continuez à vous battre, continuez à raconter nos histoires, jusqu’à ce que la Palestine soit libre.

Pour la dernière fois, Hossam Shabat, du nord de Gaza. »

Assassinat par Israël de 210 journalistes en 17 mois : pas de témoins gênants ! Et que fait le reste des médias grand public ? Poser la question, c’est malheureusement y répondre.


 

dimanche 9 mars 2025

9 mars 2025 : la chanson du mois, Barbara, L'île aux mimosas

 

 

Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne pas désirer. Car il consiste à être libre.

(Épictète, Entretiens)

 

             Barbara a toujours été une de mes chanteuses favorites, car j'ai toujours trouvé, en l'écoutant, une souffrance sourde qui m'allait droit au cœur. 
            J'ai découvert dans le roman d'Abdellah Taïa (écrivain marocain que je lis toujours avec plaisir), que le héros apprécie particulièrement une chanson de Barbara, L'île aux mimosas, que je ne connaissais pas. Chanson tardive sans doute car je connais bien les chansons des années 60 et 70. Je l'ai trouvée sur internet. Elle semble dater de 1985 probablement. Ce n'est pas sa meilleure chanson, mais je rends ici aussi hommage à l'auteur marocain qui me l'a révélée.
            En voici les paroles (légèrement modifiées pour la scène du Châtelet)  :
 
L'île aux mimosas
 
Il y a si peu de tempsEntre vivre et mourirQu'il faudrait bien pourtantT'arrêter de courir
 
Toi que j'ai souvent cherchéÀ travers d'autres regardsEt si l'on s'était trouvésEt qu'il ne soit pas trop tardPour le temps qu'il me reste à vivre, 
stopperais-tu ta vie ivrePour pouvoir vivre avec toiSur ton île aux mimosasEt comme deux chevaux courant dans la prairieEt comme deux oiseaux volant vers l'infiniEt comme deux ruisseaux cherchant le même litNous irions dans le temps droits comme des roseauxQuand sous le poids des ans nous courberions le dosCe serait pour mieux boire ensemble à la même eau
 
Et si tu m'avais cherchéeDe soir en soir, de bar en barEt si tu m'aivais trouvéeEt qu'il ne soit pas trop tardPour le temps qu'il me reste à vivre, 
j'amarrerrai mon piano ivrePour venir vivre avec toiSur ton île aux mimosasNous aurions la fierté des tours de cathédralesEt nous serions plus près du ciel et des étoilesNous saurions le secret des aurores boréales
 
Il y a si peu de tempsEntre vivre et mourirQu'il faudrait bien pourtantS'arrêter de courir
 
Toi que j'ai souvent cherchéÀ travers d'autres regardsEt si l'on s'était trouvésEt qu'il ne soit pas trop tardPour le temps qu'il nous reste à vivre, 
stoppons notre vie ivreEt nous vivrons, toi et moiSur ton île aux mimosas
Toi que j'ai souvent cherchéÀ travers d'autres regardsEt si l'on s'était trouvésEt qu'il ne soit pas trop tard...
 
 
pour écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=TWeOl866v1s

 

samedi 8 mars 2025

8 mars 2025 : Ah ! le smartphone 10

 

La tristesse est un état d’esprit subversif. 

(Paolo Milone, L’art de lier les êtres, tard. Emanuela Schiano de Pepe, Calmann-Lévy, 2023)

 

            Je lis de temps en temps des médias qui n'existent que sur internet et qui me consolent des médias radio, télévisuel et papier ordinaires, toujours prêts à se plier à l'air du temps, à ne dire que ce que les gens veulent entendre et répétant ad nauseam le prêt-à-penser ordinaire. J'ai donc découvert dans Lundi matin du 3 mars l'article suivant, témoignage accablant sur l'absurdité de la technologie moderne. 

            Autant dire qu'il va falloir jeter à la poubelle tous les vieux dans mon genre, si on ne peut plus avoir de rapports humains en présenciel (quel terme affreux, même si on a échappé pour une fois à l'horrible franglais) pour résoudre les innombrables problèmes que la société actuelle génère. Où est passée l'humanité, le lien entre les êtres humains est en train de disparaître, je n'ai plus qu'à m'effacer moi aussi !

 

« Il faut bien vivre avec son temps ! » ou comment s’officialise l’effacement de la signature manuelle et l’imposition du smartphone (paru dans lundimatin#465, le 4 mars 2025)

"Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil", Ivan Illich, La convivialité [1]

Voici le récit d’une expérience peu plaisante : comment l’outil smartphone et le projet qui l’impose, annihile la véracité d’une signature manuelle, acte même d’une singularité jusqu’au bout des doigts.

Il est où l’Autre ?

Le statut d’auto-entrepreneur ne me faisait pas rêver, mais c’était la seule façon pour pratiquer mon activité dans la légalité. Bref retour en arrière : pour l’inscription au statut d’auto-entrepreneur, un formulaire en ligne de l’INPI [Institut national de la propriété industrielle], le guichet unique. Une erreur de ma part dans une case qui pourtant n’aurait pas dû faire valider l’inscription – erreur de procédure apparemment rencontrée par nombre de candidats. Conséquence : je ne suis pas auto-entrepreneur mais gérante d’une société. Quelques jours à peine et voilà qu’arrive au courrier un appel à cotisation pour l’URSSAF de plus de 1300 euros. Commence alors un parcours infernal de deux mois entre les impôts, la sécurité sociale et l’URSSAF pour la rectification de mon statut.

Un rendez-vous, enfin au siège de l’URSSAF. J’arrive. Porte fermée, caméra. Incompréhension. Attendre qu’une personne passe par hasard dans un couloir et faire un geste désespéré à travers une porte vitrée. Ce rendez-vous par messagerie informatique est en fait un message fantôme, « Ah, ça arrive des fois. Nous sommes désolés, votre rendez-vous ne s’est pas affiché sur notre planning. Mais bon, comme vous êtes là... » - je viens de faire 2 heures de route. Entrer. Couloir vide. Ils sont où les gens ? Un bureau blanc et froid, autre caméra dans un recoin. Les traditionnels dessins des enfants au mur ont disparu, aucun objet personnel si ce n’est un gobelet pour le café. Glaçant. Trou dans le ventre. « Nous n’avons plus accès aux dossiers. Ce sont des personnes à l’étage qui gèrent tout maintenant. Nous avons juste le droit de les appeler ou de leur envoyer des mails. Je peux au moins transmettre votre dossier. Je suis désolée » - encore un « désolé ». Nous échangeons quelques mots informels sur la situation des agents et l’évolution de leur « métier ».

Je repars, un peu détendue et confiante en leur bonne foi, mais la résignation ou l’acceptation, c’est selon, se généralise dans nombre de services publics. Pour mon affaire, cela s’arrange en quelques semaines. J’envoie une « jolie » carte postale réellement postée ; ce n’est qu’un mot de remerciement sur une carte, mais symboliquement j’espère qu’elle est arrivée sur le bureau.

« C’est facile et rapide ! Ne vous inquiétez pas. 

Il suffit de suive la procédure »

"L’expert ne pourra jamais dire où se situe le seuil de la tolérance humaine. C’est la personne qui le détermine, en communauté ; nul ne peut abdiquer ce droit." [2]

Je demande un jour la cessation définitive de mon activité d’auto-entrepreneur auprès de l’INPI. Pour ce faire, j’effectue les démarches en ligne et obtiens le formulaire qu’il me faut valider par une signature numérique. Première tentative, et échec ; c’est en fait une signature « hautement identifiée » qui est exigée. J’imprime alors le document, le signe et me rends à la mairie pour l’authentification de ma signature manuscrite – la mairie ne peut me proposer de signature numérique. J’envoie le document en recommandé avec accusé de réception à l’INPI, doublé d’un scan et d’un envoi numérique sur le site officiel - je me dis, à tort, qu’avec toute cette matière « ils » trouveront un moyen pour entériner l’affaire en cochant la case - je croyais encore en une main heureuse devant un écran, mais c’était oublier momentanément la dimension absolue du numérique.

Courrier de l’INPI, une réponse informelle : « Depuis le 1er janvier 2023, les formalités de création, de modification et de cessation d’entreprises s’effectuent exclusivement en ligne, en application de l’article 1er de la loi PACTE n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ». Un numéro de téléphone disponible puisque « les experts de notre centre national d’information sont à votre disposition pour répondre à vos questions sur l’utilisation de ce service » ; j’appelle, la réponse est sans retour : « Madame, il faut bien vivre avec son temps ! Mais ne vous inquiétez pas, c’est facile et rapide si vous suivez la procédure ».

Je demande conseil et aide à FRANCE SERVICE de ma commune pour tenter de trouver une solution afin que ma cessation d’activité soit validée : nous optons, malgré ma réticence, pour le service en ligne LIVECONSENT, site officiel, pour la création de ladite signature numérique hautement identifiée. Le formulaire est ainsi complété. Mais voilà que la signature n’est pas reconnue par l’INPI. Encore une mauvaise surprise. Nous réalisons alors la démarche via FRANCE CONNECT +, or il est imposé à l’utilisateur d’avoir un smartphone. Ne disposant pas de ce type d’appareil, il est possible d’obtenir une signature numérique via LA POSTE, en présentiel. Mais à La Poste la réponse est similaire : un smartphone est indispensable. Je fais donc appel à un mandataire pour qu’il puisse accomplir la démarche via son smartphone, sous le regard d’un agent de LA POSTE : cela ne fonctionne pas davantage. « Bug ». Entre ces rendez-vous, je multiplie les courriers auprès de l’URSSAF pour leur expliquer mes difficultés, en vain.

Pour obtenir la fameuse signature, il me faut donc posséder personnellement un smartphone ou technologie équivalente. Or, étant diagnostiquée « hypersensible aux champs électromagnétiques » depuis plusieurs années (Médecine de pathologie professionnelle et environnementale), je ne dispose que d’un simple portable à touches – d’autres raisons me font opter pour cet outil ; en tant que citoyenne, je ne suis pas dans l’obligation d’avoir un smartphone. Me voici donc dans une réelle impasse, je vis la situation avec une certaine « violence » institutionnelle.

Je fais appel auprès d’un Défenseur des Droits ; plusieurs semaines de procédures, et n’avoir au final pour réponse que ce fameux article 1er de la loi PACTE déjà brandi par l’INPI.

Contre mon gré une fois encore, mais acculée, je réalise une identité numérique avec LA POSTE via un numéro de téléphone provisoire - achat d’une carte chez un opérateur et insertion de la puce dans un smartphone prêté pour l’occasion. L’opération nécessite : photos de face et de profil, création d’un QR Code, etc. sueurs froides, et « Les données personnelles seront conservées pendant 7 ans conformément à la Charte Informatique et Libertés ». Mais nouveau « bug » ; à quel endroit du processus ? Je contacte l’INPI qui me renvoie à une erreur du service de LA POSTE, et LA POSTE de me faire la réciproque, évidemment. Aucun aboutissement.

Entre temps, le Centre des Impôts m’informe avoir entériné ma demande de fin de statut d’auto-entrepreneur, et ce, sans l’aval de l’URSSAF qui ne peut valider quoi que ce soit sans un document de l’INPI. Quelque chose a donc « fonctionné » à l’envers, contre toute attente, enfin un rendez-vous avec l’humanité. Mais pour l’URSSAF et l’INPI, je suis toujours auto-entrepreneur.

Alors maintenant ? Et bien j’écris à la Présidence de la République... Peu de temps après j’obtiens une réponse du directeur du cabinet : mon courrier est transmis à qui de droit. J’acte cette réponse sans savoir quoi en penser. Quelques semaines passent, je reçois un courrier officiel de l’URSSAF attestant de la fin de mon statut depuis ma première demande des mois auparavant. Je ne saurai le « qui » et le comment. Profond soulagement. J’ai décoché une case parmi ces innombrables données interconnectées mais non sans avoir participé au nourrissage de l’IA ; et le logiciel de l’INPI de continuer à envoyer régulièrement des messages de rappel pour le suivi de l’avancement de mes formalités. Je pourrais presque sourire de tout cela si ne me venaient en tête les drones et leurs « cibles de haute valeur ».

Parenthèse : il n’y a jamais eu de raison écologique ou de simplification administrative à la numérisation des formes du monde.

Fin des années 80 début 90, arrivée des premiers ordinateurs dans les maisons, après le minitel. 1993 : pour valider un parcours universitaire, les cours d’informatique sont obligatoires ; aujourd’hui, formation incontournable à l’IA dans le parcours scolaire. Nombreux diront que « tout dépend de l’utilisation de l’outil »… Cet état de fait, s’il a seulement existé un jour, semble pourtant bien révolu - de même que la question éthique en science disparaît puisque rien ne doit entraver le « progrès » [3].

Jacques Ellul expliquait au milieu du siècle dernier comment la technique était devenue autonome et l’humain un appliquant résigné, ou un résistant voué à l’usure. Certes, le choix de refuser certains outils est d’évidence de plus en plus difficile à assumer, mais résister apporte cette sorte de joie d’espérer encore ; nous avons des mains fabuleuses et des corps pour éprouver. Non, demain n’est pas codé dans les circuits informatiques. Et je rêve : machines sauvages [4].

« L’installation du fascisme techno-bureaucratique n’est pas inscrite dans les astres. Il y a une autre possibilité : un processus politique qui permette à la population de déterminer le maximum que chacun peut exiger, dans un monde aux ressources manifestement limitées ; un processus d’agrément portant sur la fixation et le maintien de limites à la croissance de l’outillage » [5].

« Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du manque à la spontanéité du don. » [6]

Stéphanie Chanvallon

[1Ivan Illich, « La convivialité », Editions du Seuil, 2021, p. 13

[2Ivan Illich, ibid., p. 127

[3La science est « par nature transgressive » et ne doit pas être freinée dans un monde en compétition internationale. Voir Pierre Savatier, « Les Chimères homme-animal sont une alternative à l’expérimentation humaine », Le Monde, 9 mars 2021.

[4Voir « Rêver : Machines sauvages », Lundi matin, n° 321, 2022

[5Ivan Illich, ibid., p. 145

[6Ivan Illich, ibid., p. 13

 


samedi 1 mars 2025

1er mars 2025 : Elisabeth Pelloquin, poète du mois

et ce chant ô ce chant doux-amer des humains

(Élisabeth Pelloquin, Tout amour est douleur de n'être pas plus grand, Ex Æquo, 2024)

 

            Élisabeth Pelloquin fait partie de la Maison des poètes de Poitiers, association dont j'ai fait partie aussi de sa création à mon départ de Poitiers. Je savais qu'elle écrivait mais, pour l'instant, elle n'avait jamais rien publié, du moins à ma connaissance. Son premier recueil est très beau et je vous en livre ce mois-ci un poème, mais tout m'a plu dans son livre, d'une qualité étonnamment égale.


    Peut-être qu'une nuit de détresse 

    une main amie a défait tes tresses

 

    Peut-être qu'une nuit de louve

    l'ombre t'a bercée 

    jusqu'au soyeux des larmes

 

    Peut-être

    as-tu voyagé ainsi

    jusqu'aux cils d'une aurore

    qui ouvrait le regard

 

    Peut-être

    pourrais-tu maintenant

    faire de ce regard

    un poème

    pour réchauffer ceux qui ont froid