dimanche 11 septembre 2022

11 septembre 2022 : Moi aussi, j'aime Jeanne

 

le film commence enfin. J’adore quand les lumières s’éteignent, quand l’écran s’allume. Pour moi, cela a toujours quelque chose de magique. J’ai toujours la chair de poule avant que le générique ne démarre.

(Rémi Giordano, Les premiers plans, T. Magnier, 2021)



Comme toujours avec le cinéma français d’auteur, je me sens en phase. La comédie Tout le monde aime Jeanne m’a fait découvrir Blanche Gardin dans le rôle-titre, une actrice selon mon cœur. Et à la fin du film, je me suis dit moi aussi, j’aime Jeanne. C’est mon double en féminin, du jeune homme que j’étais. À la fois insouciant, un peu dépressif, lunaire, mais aussi solaire, les larmes souvent au coin des yeux, souffrant d’un cruel manque d’amour, et me croyant un peu raté.

Jeanne est une inventeuse qui croit qu’elle va sauver les océans, en lançant une machine qu’elle a conçue, destinée à récupérer les plastiques qui encombrent les mers. Mais, hélas, le lancement du prototype vire à la catastrophe sous l’œil des caméras télévisuelles : la technique ne fonctionne pas, les producteurs retirent leurs billes, et Jeanne est ruinée, surendettée. Elle part en vrille, déprime. Et Jeanne, que tout le monde aime, sombre. Son frère Simon lui suggère de partir à Lisbonne pour mettre en vente l’appartement de sa mère suicidée, de manière à prendre du recul et à récupérer un peu d'argent pour rebondir. Mais Jeanne n’est pas si seule. Elle part avec sa voix intérieure (représentée dans le film par une voix off et des images animées) qui commente ses actions actuelles, mais aussi des réminiscences de discussions, des blessures intimes, des regrets, des fantômes du passé, dont sa mère, ce qui donne au film une couleur surprenante.

Par ailleurs, elle trouve à l’aéroport un ancien camarade de classe, Jean (que, d'ailleurs, elle ne reconnaît pas, et qui lui rappelle qu'au lycée "tous les garçons étaient amoureux d'elle"), qui va aussi à Lisbonne, et qui va se révéler collant, mais aussi attachant. Un dépressif aussi, grandeur nature (joué par Laurent Lafitte), et qui pourtant n’a peur de rien ! Peu à peu, plongés dans une Lisbonne solaire, ils vont s’apprivoiser. Jeanne va-t-elle retrouver la joie, le goût du beau et des petits plaisirs ? 

C’est un premier film, et une belle réussite, les séquences d’animation sont là pour ponctuer et commenter le récit : laissez-vous aimer Jeanne, elle le mérite !

 


lundi 5 septembre 2022

5 septembre 2022 : le poème du mois (d'un inconnu)

Rencontrer quelqu’un, c’est se permettre d’exister à nouveau

(David Foenkinos, Numéro deux, Gallimard, 2021)



               Et voici le poème que m’a envoyé quelqu’un que j’ai rencontré dans la rue lors de mon dernier passage à Poitiers. Je ne sais rien de lui, sinon qu’il écrit des poèmes, on a échangé nos adresses mail, et il m’a envoyé un de ses poèmes qui m’a bien plu, malgré quelques maladresses dues à la rime : "je fus-je", par exemple !



Il y a des parenthèses qui s’ouvrent sur des plans étrangers

Et des cœurs qui s’ouvrent pour ne jamais se refermer


Une première bière

Je suis très fier


Dans les rues de Poitiers

Les spectacles commencent aux coins des rues

Et s’offrent aux passants et à leurs vues

Les places d’armes se chargent par milliers

De poètes et lyriques soldats

Qui déclament en prose et alinéas

Du Molière, et autres auteurs français


Une deuxième vodka

Je suis bien là !


À la nuit tombée, le volume augmente

Pour faire tomber les tours

Dans une ascension de rires et d’amour

Les verres se vident

Comme des barrages qui cèdent

Les sourires deviennent avides

Je crois que j’ai besoin d’aide

Des étrangers deviennent amis

Les langues se délient


Un troisième shooter

Je suis en pleurs


Elles sont des centaines en arabesques

Ces églises à dévoiler leurs fresques

Le quartier devient un refuge

Est-ce bien là que je fus-je

Et la nuit tourne si vite

Sous les lumières fantastiques

De la mairie baignée de rose

Spectatrice des longues proses


Un quatrième verre l’horloge accélère


Aux beaux-arts la folie nous narre

Les facéties d’un clown hagard

Des couleurs, des sons,

Des odeurs et la boisson

Les gris pèsent sous les cieux

Quand vient le moment des adieux

L’encre de tes yeux

Le jais des tes ch’veux


Un dernier spiritueux

Je crois que je tombe amoureux


Alexis Morin

 

samedi 3 septembre 2022

3 septembre 2022 : la chanson du mois : Tom Bird

 

et voici mourir l’amère ancolie

(Henri Droguet, Palimpsestes et rigodons, Potentille, 2016)


On va démarrer le mois avec une chanson récente - une fois n’est pas coutume – un peu mélancolique, avec sans doute un peu trop de rimes, mais qui correspond bien à mes états d’âme du moment : on y frôle le néant, le silence, les petits rien de la vie !

Pour l’écouter :

https://www.youtube.com/watch?v=almlIwXHihs



Le givre



Les cendres de ma plume s'effritent avec le temps

Dans sa fraîcheur posthume, balayée par le vent

Elle n'attend qu'une histoire pour accoucher de mots

Plus l'aube se fait tard, moins l'encre se fait tôt

Une phrase ponctuée après quelques nuits blanches

Aussitôt raturée lorsqu'un soir je m'épanche

Auprès d'une nouvelle qui passait près de moi

Elle s'appelle éphémère mais j'écris de ses doigts

Hallelujah (ter)



Sur ma page blanchie par ce trop long silence

Le givre y a fait son nid en niant l'évidence

Mais lorsqu'une goutte tombe

C'est une phrase qui prend vie

Mes doutes chassent leurs ombres

Et je la vois qui grandit

Hallelujah (ter)



Au passage d'une bouche le désert se replie

De ses mains elle repousse mes idées évanouies

Rendez-moi cette plume que j'avais déposée

Si la pointe se consume, elle n'a pas trépassé

La neige ne dure jamais, elle fond quand vient l'été

Mon été c'est l'amour mais lui aussi s'est barré

C'est après lui que je cours pour le mettre sur papier

Il ne sort jamais le jour, je n'ai plus qu'à veiller

Oubliées les syntaxes, oubliés les tourments

Ma mine elle, reste intacte au contact du néant

Mais vers quel horizon ont bien pu s'envoler

Les rimes de leur prénom, y en a-t-il un pour m'aider ?

Mais je sens que ça revient, ça monte et puis ça court

Et ce n'est pas un chagrin qui inspire cet instant court

Il s'en ira trop loin mais au moins j'aurai pu

Mettre un terme à ce rien avant qu'il ne soit plus.

                                        Hallelujah (ter)