Le
voleur le regarda sans sourciller ; mais il avait appris qu’il
avait affaire à un véritable honnête homme, autrement dit à un
authentique couillon.
(Luigi
Bartolini, Les voleurs de bicyclette,
trad. Olivier Favier, Arléa, 2008)
Je
n’en parlais pas, mais croyez-moi, j’ai continué à aller au
cinéma ces derniers temps. Je me suis même investi dans la création
de l’Association des Amis de l’Utopia 33, qui va démarrer
prochainement ses activités. Ça me fait connaître du monde sur
Bordeaux, et je peux encore me rendre utile, on verra bien !
Qu’est-ce que j’ai vu ce dernier mois ?
Des
films qui font du bien :
L‘ascension
Dans
ce petit film français, tiré du livre de Nadir Dendoune, Un tocard
sur le toit du monde, nous voyons un jeune des cités qui essaie de
prouver son amour à sa belle en s’attaquant au sommet du monde,
l’Everest. Samy, un peu hâbleur, qui n’a jamais grimpé la
moindre montagne, trouve un sponsor, arrive à s’inscrire sur
internet à un groupe qui doit gravir la montagne. Il débarque au
Népal et rejoint le groupe. De temps en temps, il envoie de ses
nouvelles en France, où son aventure est suivie par tout un peuple.
C’est modeste, c’est rafraîchissant, ça montre qu’on peut
faire quelque chose dont on est fier quand on vit dans ces cités
oubliées de l’État. Mention spéciale aux acteurs et à celui qui
joue le héros : c’est
son premier film en vedette, il ne s’arrêtera pas là !
Paysages de montagne magnifiques, qui contrastent avec la banlieue un
peu triste. J’en suis sorti aussi ravi que j’avais pu l’être
il y a plus de cinquante ans en sortant des Demoiselles de Rochefort !
C’est dire si ça m’a rajeuni...
Les
derniers Parisiens
Là,
je ne savais à peu près rien du film ! Au début, je me suis
dit que ça n’allait pas me plaire : scènes nocturnes,
dialogues argotiques banlieusardes peu audibles. Le héros, Nasser (joué par Reda Kateb, un
de mes acteurs actuels préférés) sort de prison. Il est embauché
(en contrat aidé, le temps de sa période de probation) dans le bar de
son frère, Arezki, qui essaie de vivre dignement, en attendant de
revendre son bar pour partir vivre en haute Provence en créant le
restaurant de ses rêves. Le courant passe mal entre les deux frères,
d’autant que Nasser a renoué avec sa bande de petits trafiquants. Peu à
peu, pourtant, Nasser, qui finit par être pris à son propre piège
par un truand plus matois que lui, comprend qu’il doit se ranger. J’ai
aimé cette évolution simple d’un homme aux abois, qui cependant
ne veut pas être écrasé par la société qui l’entoure. C’est
vivant, enlevé, bien joué, filmé dans des couleurs flashantes par
deux rappeurs dont c’est le premier film, très réussi.
Des
films qui font peur, mais obligent à réagir :
Les
fleurs bleues
Nous
sommes en Pologne, à la fin des années 40 et au début des années 50. C’est
un épisode de la fin de la vie de Wladislaw Strzeminski, artiste
polonais de grande renommée mais d’avant-garde, adulé de ses
élèves à l’École des beaux-arts, et qui est persécuté par le
régime stalinien qui se met en place à partir de 1948 et qui ne
prône que le réalisme socialiste en art et la soumission des
artistes. Le film d’Andrzej Wajda (son dernier, car il est mort
l’an passé) renoue avec les qualités de ses premiers films,
réalisés dans la période communiste. Classicisme assumé, jolis
mouvements de caméra, interprétation émouvante, belle
reconstitution d’époque. J’ai beaucoup pensé à Piotr, mon ami
polonais du début des années 70. Le totalitarisme de l'époque est montré avec
vigueur.
Chez
nous
Ce
totalitarisme politique est à l’œuvre aussi dans le nouveau film
de Lucas Belvaux, Chez nous,
qui raconte l’ascension d’un parti politique d’extrême droite
dans une petite commune du Nord de
la France, et la manière
dont le parti se sert de la naïveté d’une jeune infirmière, à
qui on fait miroiter l’élection à la mairie, mais qui doit dès
lors abdiquer toute vie privée pour se consacrer au parti. J’avoue
que j’ai eu peur que ça fasse un film à thèse. En fait, non,
c’est certes un tableau à charge d’un parti qui se veut
rassurant, mais qui cherche clairement à enchaîner les âmes. Le
seul point faible, la conversion un brin trop rapide de la jeune femme. Mais,
en dehors de ça, c’est vraiment le film à voir en ce moment. On
comprend qu’il déplaise à un certain parti. Car voir la manière
dont on déchaîne les passions (même chez les enfants), observer la
violence des services d’ordre occultes... Wouah, ça fait froid
dans le dos. Une sorte de totalitarisme à venir !
Un
classique inédit et formidable :
Le
plus dignement
Le
deuxième film (1944) de Akira Kurosawa est clairement un film
patriotique, comme il devait s’en tourner des dizaines dans le
Japon en guerre, destinés à galvaniser les populations derrière
leur armée. Le film se passe dans une usine d’optique qui fabrique
des produits destinés aux avions, bateaux, tanks, etc. Le
gouvernement lance un plan de hausse de la production, et les
ouvrières s’engagent à augmenter la leur de 2/3. Le film suit
donc l’histoire de ces femmes harassées. Contrairement
à ce qu’on pourrait penser, ce n’est nullement un film de
propagande (ce qui nous aurait étonné d’un humaniste de la trempe
du réalisateur), mais une tranche de vie qui expose directement les
combats et les difficultés de ces femmes éloignées de leurs
familles, leurs espoirs aussi, leurs rires et leurs révoltes. Le
tout dans le superbe noir et blanc des films de ce temps, très
correctement restauré. Inédit en France, c’est un film à
découvrir pour tous les amateurs du vieux maître, aujourd’hui
disparu.
À
noter que le dernier roman
que j’ai lu est celui de Luigi Bartolini, cité en exergue, et dont
Vittorio De Sica a tiré son film le plus célèbre. Le roman est
très différent et mérite largement le détour, par la description
sans fard de la Rome de 1944, libérée des fascistes, mais certes pas des
trafiquants de tous poils ! De ceux qui prolifèrent toujours, sur les décombres du totalitarisme...