mercredi 21 décembre 2022

21 décembre 2022 : un Noël en 1952

 

Le temps commercial violait de plus belle le temps calendaire. C’est déjà Noël, soupiraient les gens devant l’apparition en rafale au lendemain de la Toussaint des jouets et des chocolats dans les grandes surfaces, débilités par l’impossibilité d’échapper à l’enserrement de la fête majeure qui oblige de penser son être, sa solitude et son pouvoir d’achat par rapport à la société – comme si la vie entière aboutissait à un soir de Noël.

(Annie Ernaux, Les années, Gallimard, 2008)



Oh la la, voici revenu le mois de décembre, celui que j’aime le moins, non pas pour ses frimas, mais pour cette désolante course à la consommation effrénée dont nous sommes devenus esclaves, et qui enlaidit nos centres villes autant que nos centres commerciaux périphériques, envahis par jeunes et moins jeunes et par la profusion de marchandises. Il est vrai que comme le moine japonais Kamo no Chomei, je me dis : "À la veille d’entrer dans les ténèbres de la mort, pourquoi me préoccuper de tant de choses ?" (Notes de ma cabane du moine, trad. Sauveur Candau, Le Bruit du temps, 2010)

Et on s’empiffre sans compter, même si on n’a pas faim, et on découvre que finalement, ça n’est pas si bon que ça, parce qu’on mange sans faim, qu’on oublie ceux qui n’ont rien à manger, et qu’on est à mille lieues du partage et de la fraternité que nous demandait celui qu’on est censé fêter à Noël, le trop oublié Jésus-Christ. Là encore, on devrait écouter le même moine : "Ma nourriture étant rare, elle me paraît délicieuse, bien qu’elle soit très ordinaire".

C’est comme cette inondation de cadeaux, tellement nombreux, surtout pour les enfants qu’ils s’en désintéressent rapidement, et qu’on voit les dits cadeaux assez rapidement en vente sur Le bon coin.

Et je repense aux Noëls de mon enfance, celui de 1952 en particulier. Mon père, militaire, était parti faire la guerre en Indochine et, bien sûr, il n’était pas là. Ma grand-mère maternelle, qui vivait avec nous, nous a demandé de mettre la table : « Nous allons fêter Noël. Mais c’est vous qui allez mettre le couvert ! Oui, même toi, Anne-Marie (ma petite sœur qui allait avoir quatre ans), tu aideras tes frères. Je vous montrerai comment il faut faire. D’ailleurs, vous devez commencer à nous aider, votre père a insisté là-dessus dans une de ses dernières lettres, votre maman est fragile et moi, et moi je commence à me faire vieille (elle n'avait que 57 ans). Et surtout, il faudra penser à mettre une assiette, un verre et des couverts en plus. Ce sera comme si votre père était là, on pensera tous très fort à lui et, qui sait, peut-être que quelqu’un viendra prendre sa place et manger avec nous, car Noël, c’est surtout la fête du partage et de l’amour. Et même si vous cassez quelque assiette ou quelque verre, le bon Dieu vous le pardonnera, car il saura que c’est en son honneur. »

Et elle ajouta : « Et le soir, après le repas, on fera une veillée, je vous raconterai une histoire... Une histoire de l’ancien temps, une histoire de Noël de ma jeunesse, une histoire d’avant la guerre de 14. Vous verrez, vous ne le regretterez pas. Et, avant d’aller au lit, on fera une partie de dominos et on finira par une prière pour votre père. Car la guerre, c’est terrible ! »

Au carillon du quart de sept heures, Mamie agita la petite clochette qui signifiait : « À table ! » Elle enleva son tablier et agrafa une jolie broche sur sa poitrine. Maman était redescendue de sa chambre, vêtue de sa superbe robe rouge ; elle avait mis sur ses épaules une sorte de boléro en laine angora grise qu’elle s’était tricoté en cachette. Nous étions éblouis. Que notre mère était belle !

On s’installa aussitôt dans la salle à manger, Mamie entre les deux aînés, Michel et moi d’un côté, Maman en face d’elle, entourée de Bernard, notre cadet et d’Anne-Marie. Mamie allait commencer à servir la soupe. La septième place était inoccupée ; on frappa soudain à la porte. Nous étions pétrifiés : Mamie avait donc raison, quelqu’un venait. Serait-ce Papa ? « Eh bien, Jean-Pierre, tu es le plus près de porte, va ouvrir ! », dit Maman en souriant. Elle doit savoir quelque chose, pensions-nous.

J’ouvris la porte, et tout le monde aperçut notre voisine d’en face, Mémé Louise, amie de Mamie, solitaire et veuve elle aussi, avec un bouquet de fleurs. Je lui pris la main pour l’aider à monter les trois marches qui menaient dans la salle et je refermai rapidement la porte, d’où venait un air froid. Louise fit le tour de la table en embrassant chacun, et je lui montrai sa place en bout de table. Mamie prit le bouquet et alla le disposer dans un vase, en remerciant. Et Mémé Louise partagea notre repas de Noël. Après quoi, elle assista à la petite veillée que Mamie avait organisée, où elle nous lut l’évangile qui contait la naissance de Jésus puis raconta son histoire, fit la partie de domino avec nous, puis elle aida Maman et Mamie à nous coucher, et Mamie l’accompagna à la messe de minuit.

Ce bouquet de fleurs, tout simple, fut mon plus beau cadeau de Noël. Il m’enseigna le sens de cette fête, car Mamie savait que Mémé Louise vivait seule, elle n’avait pas eu d’enfants, et dès qu’on était arrivé au village, un an auparavant, Mamie avait commencé à la visiter, et c’était même devenu quotidien ; et le jeudi et le dimanche, elle nous emmenait à tour de rôle, chacun des enfants avec elle. Elles papotaient de l’ancien temps et Mémé Louise avait toujours à nous donner un biscuit ou une image qu’on trouvait dans les paquets de chocolat.

Et avec une grand-mère aussi fabuleuse; vous vous étonnez que j’aime toujours les vieux ? et que je voudrais que nos fêtes de Noël redeviennent plus simples ? Et que je suis effrayé devant notre inhospitalité meurtrière à nos portes ?

 

                                                     dessin de Karak


mardi 20 décembre 2022

20 décembre 2022 : Hymne à l'amitié : "Un ami trop grand"

Nous nous sommes aimés.

(Claude Andrzejewsli, Un ami trop grand, La Dragonne, 2022)



Comme toujours avec Claude Andrzejewski, nous sommes dans le pacte autobiographique, il s’agit sinon de tout dire, au moins de dire beaucoup, sans rien cacher des beautés de la vie ni de ses côtés pénibles, voire mauvais, ceux qu’on n’a pas envie de dire, et encore moins d’écrire. Et ceci, tout en faisant un objet littéraire tenu et qui d’un bout à l’autre bénéficie d’une belle tension.

Ici, il s’agit d’une amitié extraordinaire entre le maître, le mentor, l’artiste établi, l’écrivain, poète et peintre belge Jean-Claude Pirotte (mort en 2014) et son cadet de presque trente ans, encore tâtonnant en littérature, mais qui écrit depuis son enfance, Claude Andrzejewski, le narrateur de ce récit qui est un hommage à l’auteur décédé, et un hymne à l’amitié comme on en voit peu.

Ils se rencontrent vers 1995, se retrouvent souvent, et entre deux retrouvailles, une correspondance d’une exceptionnelle densité s’établit entre les deux hommes, l’écrivain confirmé et le quasi-débutant. Pour Claude, c’est le début d’une aventure unique, qui dura plus de deux décennies ; il dresse ici un Tombeau pour Jean-Claude Pirotte, qui sera l’histoire de leur amitié : "J’ai fait partie de ta vie, de l’une de tes vies. Tu étais, et seras à jamais dans la mienne". Notre jeune homme suit le grand ancien dans ses interminables beuveries, reçoit autant de leçons de biture que des avis éclairés sur l’écriture et la littérature. Et, attention, Pirotte ne boit que des grands vins, se faisant père spirituel en matière littéraire et père spiritueux en matière de beuverie !

Le mentor donne aussi des conseils au novice : « Écrire, c’est se détacher. Tu ne te "détaches" pas. Il faut que tu regardes tout d’assez haut, ou d’assez loin. On dirait que tu n’as aucune vue d’ensemble [...]. Essaie-toi à l’allusion, plutôt qu’à l’assénement [...]. Je crois qu’il faut se forcer au naturel simple. À la narration sans effets [...]. Tes défauts sont ceux de l’enthousiasme, jamais maîtrisé. Tes dons, tu les muselles pas, et c’est ainsi que tu passes à côté de la grâce. Tu vas trop vite, et trop vite tu te contentes du mot, de la tournure, de l’"idée" », lui dit-il dans une de ses lettres. Et Claude obligé de constater que "Tu auras été mon père, et peut-être davantage encore ma mère, elle qui m’a encouragé sur la voie de l’écriture, comme tu n’as eu de cesse de le faire".

À lire ce nouveau livre, les encouragements de son mentor ont été salutaires. La prose est maîtrisée, on sent que les mots inutiles ont été sabrés, et cependant on ne sent pas l’effort. On éprouve les états d’âme émus du jeune devant son compère, à travers les voyages dans l’Hérault ou en Slovaquie, qui pourraient paraître anecdotiques sans une écriture aussi parfaitement contrôlée. Ainsi, cette fin de beuverie dans la chambre d’hôtel qu’il partagent. Claude, qui s’est réveillé contemple l’ami endormi : "tu dors. J’ai tout le loisir d’admirer ton visage dans le sommeil, effigie de pharaon, sphinx à la lueur orangée de la lampe de chevet. Tu ne respires presque pas, tu pourrais être mort, c’est tout comme d’ailleurs, j’ai peur, j’ai si peur que tu meures, si peur de te perdre, et cela m’étreint le cœur".

Et puis le temps a passé, Claude Andrzejewski, qui a publié ses premiers livres, décide de mettre de la distance avec son modèle, sans le renier le moins du monde, et de se couler dans un moule plus normatif : "J’ai préféré me retrancher dans la sécurité du cadre conventionnel en évitant néanmoins de me coller des tas d’emprunts bancaires sur le dos comme le commun du troupeau". Il a beaucoup retenu de son grand ami, la correspondance continue, tout en devenant moins fréquente. Et l’annonce de la mort de Pirotte sera un choc émotionnel terrible. "Je marche et je pense que c'est la grosse affaire de la vie des gens, des gens comme moi en tout cas, cette quête de soi. Je marche et je pense à toi, Jean-Claude, je pense tellement à toi depuis que tu n'es plus de ce monde".

Claude Andrzejewski se met alors à écrire sur l’ami disparu, pour se remémorer la grande aventure de sa vie, pour ne pas se perdre lui-même. Le livre présenté ici est une réécriture plusieurs fois mise sur le chantier, et enfin aboutie, comme si le mentor était encore là, en conseillant de récrire et de corriger sans cesse. On voudrait connaître une telle amitié, et on souhaite à l’auteur de lui rester fidèle, et de continuer à se hisser dans le futur dans le sillage de son grand modèle, tout en gardant la personnalité qui lui est propre.

Un bien beau livre, et un bel objet comme tous ceux de l’éditeur lorrain. Pour les férus d'amitié, le cadeau idéal !

 

mercredi 14 décembre 2022

14 décembre 2022 : chansons du mois

 

À quoi vous sert une bague en or sur un navire qui coule ? Une biscotte a plus de valeur, au moins, elle vous fait saliver.

(Petru Pintilié, La lisière, trad. Trad. Liliana Şomtǎlean et Maria Țenchea, Mirton, 2001)



C’est en voyant le film Annie Colère (excellent) que j’ai découvert l’hymne du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), qui est chanté pendant le générique de fin, comme quoi il faut toujours rester pendant les génériques, malgré leur longueur. Cette chanson est sur l’air du Chant des marais, composée par un Allemand dans les camps de concentration nazis. Je connaissais celle-ci depuis le magnifique concert sur les chants ouvriers écouté à Angers en 1971 pour marquer le centenaire de la Commune de Paris de 1871, concert merveilleux emmené par Mouloudji, Francesca Solleville et Marc Ogeret, avec des groupes vocaux.

Je vous livre les deux chansons :



L’HYMNE DES FEMMES

à écouter ici :

https://www.youtube.com/watch?v=lIE9HtFv0fc

https://www.youtube.com/watch?v=br_JKnkxr34



Nous qui sommes sans passé, les femmes
Nous qui n'avons pas d'histoire
Depuis la nuit des temps, les femmes
Nous sommes le continent noir.

Refrain :
Levons-nous femmes esclaves
Et brisons nos entraves
Debout, debout, debout !

Asservies, humiliées, les femmes
Achetées, vendues, violées
Dans toutes les maisons, les femmes
Hors du monde reléguées.

Refrain

Seules dans notre malheur, les femmes
L'une de l'autre ignorée
Ils nous ont divisées, les femmes
Et de nos sœurs séparées.

Refrain

Le temps de la colère, les femmes
Notre temps, est arrivé
Connaissons notre force, les femmes
Découvrons-nous des milliers !

Refrain

Reconnaissons-nous, les femmes
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble, on nous opprime, les femmes
Ensemble, Révoltons-nous !

 refrain final


Levons-nous femmes esclaves
Et jouissons sans entraves
Debout, debout, debout !


 

Le Chant des Marais (Moorsoldatenlied)

https://www.youtube.com/watch?v=LYB91ABu9kI

https://www.youtube.com/watch?v=afrkP4liAHY



Loin vers l’infini s’étendent
Des grands prés marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante
Sur les arbres secs et creux

 
Refrain
Ô, terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher (bis)

Dans ce camp morne et sauvage
Entouré de murs de fer
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d’un grand désert

Refrain


Bruit des pas et bruit des armes,

Sentinelles jours et nuits,
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.

Refrain


Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira.
Liberté, liberté chérie
Je dirai « tu es à moi ».

Refrain final


Ô, terre d'allégresse
Où nous pourrons sans cesse
Aimer (bis) 



mardi 13 décembre 2022

13 décembre 2022 : le poème du mois : Émile Verhaeren

 

Ai-je jamais envié le pain blanc et le bon lit et le bruit qu’on appelle la gloire ? Non, le ciel m’est témoin ! La preuve : quand je les ai eus, je ne les ai pas appréciés.

(Panaït Istrati, Correspondance entre Panaït Istrati et Nikos Kazantzaki, 1932-1935)



C’est en nous promenant à Boves, près d’Amiens, que soudain je dis à Catherine le long d’une rivière les premiers vers de ce poème d’Émile Verhaeren que ma sœur Mari-France apprit à l’école primaire, en 1964, je pense, elle avait 8 ans et demi. Je le lui faisais réciter, et bientôt je le sus aussi. Je viens de m’apercevoir qu’on ne donnait aux enfants petits que les deux premières strophes de ce poème, fort long, et que vous trouverez facilement en intégralité sur internet. Mais ces strophes se suffisent à elles-mêmes, à mon avis, les sonorités, le rythme, évoquent bien un petit cours d’eau, Ce sera le poème du mois dédié à mes amies Catherine (Amiens) et Christine (Plescop en Morbihan) et à ma petite fille, Sasha.


Le chant de l’eau (Émile Verhaeren, Les blés mouvants, 1912)

le voici dit :

https://www.youtube.com/watch?v=1Y9nGVOvWOM


L’entendez-vous, l’entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,

Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l’on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l’eau.



dimanche 11 décembre 2022

12 décembre 2022 : Morbihan 2022

 

Je ne m’en fais pas parce que je suis plus près du grand trou que du petit d’où je suis sortie, attention !

(Pierre Bonte, Le bonheur est dans le pré ; témoignage de Marie-Louis Pons, agricultrice, Stock, 1976)





Après Amiens, le Morbihan, toujours aussi pimpant et ensoleillé, où l’amie Christine (on fêtait cette année début octobre le 40ème anniversaire de notre rencontre, sous le soleil de la Guadeloupe), m’attendait à la gare routière. Car la fin de mon périple s’est faite en autocar, que j’apprécie toujours autant : Paris-Vannes puis Vannes-Bordeaux. Elle m’avait concocté un magnifique lot de visites diverses et variées, et je n’oublierai pas non plus ses petite plats somptueux et goûteux.

Honneur aux paysages. Tout d’abord, balades dans le golfe du Morbihan, avec l’île de Berder, accessible seulement à marée basse suivie du chemin côtier permettant de voir celle nommée Sept îles. Dépaysement garanti : arbres gigantesques, troncs d'arbres morts magnifiques, rochers, plages même et courant marin dangereux. Et cueillette de nombrils de Vénus (Umbilicus rupestris), une petite plante sauvage comestible, dont les feuilles arrondies peuvent se manger crues en salade et qui complètent ma panoplie de cuisine sauvage. 

 

                                        les nombrils de Vénus poussent sur les murets ou au bas des troncs

La forêt de Monteneuf, à 30 km au nord, renferme un site reconstitué de pierres droites (menhirs) découvert depuis peu. Occasion peu commune de voir un nombre important de ces pierres droites debout, tandis que beaucoup sont couchées. Non loin de là, un aperçu du Chemin des Chouans.

                                                                            les pierres droites et... couchées
 

Du côté des musées, petite halte au Musée la Cohue de Vannes, où se trouvait une installation nommée l’Orée qui propose une nouvelle lecture de paysages : "les deux artistes, Thomas Daveluy et Guillaume Lepoix, construisent un ensemble d’œuvres où la technologie numérique leur sert de moyen de reproduction du paysage, tout en interrogeant notre manière de percevoir le tangible". C’est assez fascinant. Autre exposition, mais je n’ai pas noté où c’était, dans une bibliothèque proche de Vannes : à base de napperons de dentelles récupérées, trois tisseuses de liens fabriquent de magnfiques objets suspendus.

À Ploërmel, le Musée de sciences naturelles des Frères de l’instruction chrétienne nous dévoile leur goût pour les coquillages, les minéraux, les araignées, les nids d’oiseaux, dénichés au cours de leurs missions d’évangélisation exotiques (Afrique, Asie, Amérique) etc. Juste à côté, le Musée de Jean-Marie de La Mennais, fondateur de l’ordre, évoque sa vie et son œuvre, et nous présente sa magnifique bibliothèque. Et par ricochet, parle aussi de son frère Félicité de Lamennais (orthographe la plus courante), prêtre également, mais finalement dissident, et auteur des célèbres Paroles d’un croyant, ouvrage furieusement romantique, qui lui valut l’admiration des poètes de l’époque.

Juste à côté de ces musées, j’ai découvert l’horloge astronomique (1850-1855), œuvre d’un professeur de mathématiques du lycée voisin, le frère Bernardin. Elle "comporte 200 pignons qui commandent d’une part 10 cadrans et d’autre part le système solaire. […] Elle indique l'heure moyenne, la date, les phases de la Lune, les saisons, l'équation du Temps, les positions de la Lune, de la terre et du Soleil, l'aspect de la voûte céleste pour Ploërmel. Sur le système planétaire, on retrouve la terre, la Lune, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et le Soleil (le système solaire connu à cette époque)". Classée monument historique en 1982, elle est exacte et fonctionne toujours. Un très grand moment de mes visites.

Autre grand moment, le déplacement à Augan où s’est montée en 2021 une librairie coopérative remarquablement bien tenue. Non loin de là, nous avons mangé à la cantine du Champ commun (https://lechampcommun.fr/), un commerce coopératif de proximité, qui comprend une épicerie, une microbrasserie de fabrication de bière locale, un espace culturel de programmation, et ce qu’ils appellent l’essaimage, des rencontres pour se lancer dans des projets du même type destinés à contrebalancer l’économie commerciale habituelle, par la participation des gens du cru.

Enfin je signalerai la visite de l’écomusée du Pays d’Auray qui permet de visiter une ferme d’époque, avec sa chaumière, son étable, son aire à battre, une longère, jardin, cellier, four, avec du mobilier ancien, des outils. Et une magnifique exposition de peinture-témoignage de Lucien Pouëdras : Où vont les les saisons, ouvrir notre regard. Ce peintre décrit le monde rural de son enfance, dont il retrace magnifiquement dans un art naïf très travaillé, aux couleurs superbes.

Au total, un périple qui se termine en amitié et en beauté, belle fin de ces rencontres diverses qui ont duré trois semaines.


                                                                            les tisseuses de lien
 

11 décembre 2022 : LA HONTE

 

il est suspect et dangereux d’être libre. La pensée sincère est aujourd’hui considérée comme douteuse. L’esprit, sous la pression de l’histoire, oublie son indépendance théorique…

(Nikos Kazantzaki, L’ascension, trad. René Bouchet, Cambourakis, 2021)


On n’arrête pas le progrès de l’intolérance dans notre beau pays de France devenu macronien. Voilà qu’on empêche depuis 2020 des dizaines de milliers de travailleurs médicaux et sociaux (médecins – ainsi à Bédarieux, il n’y a plus que trois médecins pour 6000 habitants, et les nombreux patients de la Dr A. L. manifestent leur colère devant cette radiation, cf https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/les-patients-d-un-medecin-non-vaccine-se-mobilisent-a-bedarieux-pour-denoncer-une-radiation-jugee-1651061603 – infirmiers, aides-soignants, etc.) en les plongeant dans la misère et le désespoir, mais voila que des bibliothécaires s’en mêlent.

Un témoignage accablant nous vient de Montélimar, dont la Bibliothèque municipale où un lecteur se trouve toujours banni de cet espace culturel pour avoir brocardé et raillé la bibliothèque de sa ville pendant le confinement. Rappelons-nous qu’il fallait il y a encore peu de temps montrer patte blanche (pass vaccinal à jour) pour pouvoir y pénétrer. Le gouvernement estimait que c’était dangereux de lire et de s’informer.

Voici le document que j’ai découvert aujourd'hui :



« Montélimar 11 décembre 2022

« Bonjour,

« Je suis un opposant de toujours au pouvoir en place et un ennemi de toute forme de dictature.

« J’ai refusé successivement les attestations dérogatoires que « le Dauphiné libéré » me proposait de remplir pour sortir une heure lors des absurdes confinements, les injections expérimentales de poison et, bien sûr, le pass sanitaire.

« Pendant cette période avec d’autres rebelles et gilets jaunes, nous avons manifesté à Montélimar chaque samedi notamment devant la médiathèque Maurice-Pic où un personnel de Kollabos masqués jusqu’aux oreilles auscultait les certificats de vaccination et les pass sanitaires des abonnés.

« Souvent des personnes âgées au minimum vieillesse qui n’ont pas les moyens de s’acheter livres, journaux et DVD.

« Contrairement à d’autres salariés courageux de médiathèque comme ceux de Grenoble que je salue ici, les employés de la médiathèque de Montélimar par lâcheté et soumission bureaucratique ont obéi aux consignes du gouvernement de demander un laisser-passer pour pénétrer dans une bibliothèque.

« Du jamais vu dans l’histoire de France.

« Même pendant « la grippe espagnole » (1917-1920) et l’Occupation (1940-1945), jamais des grouillots de bibliothèque ont demandé un « ausweiss » ou un carnet de vaccination à un lecteur.

« Je crois que les employés ont poussé le délire ici jusqu’à confiner les livres et DVD qu’on leur rendait pendant plusieurs jours avant de les manipuler avec des gants. [je confirme, pareil ici à Bordeaux]

« Devant un déploiement d’autant de conneries « sanitaires », je ne pouvais que boycotter la médiathèque Maurice-Pic et son personnel que même Georges Orwell ou Ray Bradbury n’auraient pu imaginer...

« Je m’amusais du reste à les brocarder sur facebook, LinkedIn et VK (un réseau social que je recommande : il est le seul à ne m’avoir jamais censuré !).

« Cependant j’étais loin de m’imaginer que mon opposition politique au pass sanitaire et mes railleries du personnel de la médiathèque Maurice-Pic allaient entraîner un bannissement de l’espace public au-delà de l’état d’urgence.

« Le 23 novembre 2022 en début d’après-midi, je décidais de retourner consulter journaux et livres à la médiathèque...

« Je demandais innocemment à l’employée de l’accueil que je ne connaissais pas de renouveler ma carte d’abonnement.

« Or à la lecture de mon nom qui apparaissait sur l’écran, la jeune femme se leva brusquement de son siège et courut chercher sa responsable.

« Cette dernière que je connaissais pour l’avoir vue à l’œuvre dans son rôle de « gestapiste amateur » me dit avec un sourire vengeur : « vous ne pouvez plus entrer à la bibliothèque ; vous avez écrit contre nous sur les réseaux sociaux et manifesté ».

« Après que je lui ai demandé son nom, elle bredouilla qu’elle avait l’aval de ses chefs pour me bannir de l’espace public...

« Je décidais de me rendre au commissariat de la police nationale où un officier de police judiciaire me conseilla de demander une explication écrite au maire de Montélimar. Ce que j’ai fait. A ce jour, je n’ai reçu aucune réponse ni du directeur de la médiathèque Maurice-Pic ni du maire.

« Ma plainte pour discrimination a été acceptée et enregistrée cependant par le défenseur des droits (N/Réf : 22-033501 ; N/Suivi : 870883B09052).

« Au-delà de cette affaire singulière, il y a quelque chose de grave : la mise en fiche des dissidents et la circulation d’une liste noire dans les réseaux administratifs de Montélimar.

La lecture d’un tel texte me confirme dans mon intention de ne pas m’éterniser dans ce monde. La lecture attentive des reportages parus dans Le monde des 27, 28 et 29 novembre me montre que ce n’est seulement la Guadeloupe qui souffre de cet ostracisme et de cette discrimination, même si elle en paye le plus lourd prix en matière de santé