mercredi 29 septembre 2021

29.09.2021 : des prisons et des hommes


La prison est la bienvenue, les barreaux de fer ne mentent pas, tandis que cette liberté que nous avons au-dehors nous déçoit et nous attire toutes sortes d’ennuis. Et si nous parlons de bonne compagnie, les menteurs et les lâches sont, en comparaison, moins nombreux à l’intérieur parce qu’il y a moins de place, au-dehors leur nombre est beaucoup plus grand.

(Rabindranath Tagore, Nuage et soleil in Le vagabond et autres histoires, Gallimard, 1962)


Coup sur coup, je viens de voir deux films de fiction sur la prison. Réalisés par des Français, l’un se déroule en France dans une de ces prisons modernes, comme celle où je faisais des lectures en prison à l’aube des années 2010, tandis que l’autre se passe en Côte d’Ivoire, dans la tristement célèbre MACA d’Abidjan. Mais dans un cas comme dans l’autre, j’avais l’impression d’être en terrain connu. Sans doute ce fut la lecture, adolescent, de Victor Hugo, et en particulier de Claude Gueux, Le dernier jour d’un condamné, Les Misérables, qui me donna de l’intérêt pour les prisons et les détenus.Le cours de ma vie a fait le reste, et comme je dis parfois, je suis souvent allé en prison, soit pour des animations, soit pour mon travail pendant mes années DRAC.


Dans Un triomphe, Emmanuel Courcol nous livre, tiré d’une histoire vraie qui se passa en Suède, un récit hugolien en diable où l’on décèle un lointain écho de la bienveillance, de la compassion et de l’espoir que distillait notre poète national.

Étienne, un acteur de théâtre en galère et sans travail (Kad Merad, parfait) accepte le défi d’animer un atelier théâtre en prison, le précédent animateur, comédien lui aussi, ayant jeté l’éponge pour des activités plus lucratives. Il découvre l’univers carcéral et ses codes, non sans difficultés, et fait connaissance des quelques prisonniers qui ont décidé de participer à l'atelier. Bien sûr, plus que du théâtre, ces derniers voudraient davantage faire des sketches, si possible comiques. Après un essai concluant sur les Fables de La Fontaine, Étienne vise haut et leur propose de jouer En attendant Godot, de Beckett, du théâtre de l'absurde pas évident pour des débutants. Il arrive pourtant à les mettre en confiance et va déployer une énergie formidable, tant auprès de ses apprentis comédiens que de l’administration pénitentiaire. Je n’en dis pas plus. 

C’est une belle aventure humaine. Pas trop de bons sentiments ici : les détenus sont en effet des fortes têtes qui peinent pendant les répétitions mais vont découvrir la joie du travail collectif et des représentations sur scène. Aucun jugement n’est porté sur eux, on ne sait rien ou presque de ce qui les a menés ici. Étienne les voit comme des acteurs solidaires entre eux et non des taulards, malgré la tension et l’animosité qui règne en prison. La scène finale, que je vous laisse découvrir, est étonnante. Un film qui fait du bien.

Le film La nuit des rois (titre repris de Shakespeare), de Philippe Lacôte, se déroule au sein de la MACA (Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan), une prison terrible et surpeuplée, où il semble qu’on enferme les caïds de la pègre locale, et où les détenus font la loi. Le pénitencier est en quelque sorte central : unité de lieu ; unité de temps, tout se joue en une nuit, et unité d’action : un jeune détenu arrive dans la prison, et très rapidement, il est soumis à une lourde épreuve : la nuit venue, il doit raconter une histoire aux autres détenus, et doit les tenir en haleine. Mais on n’assiste pas à un conte de fée : la plupart des détenus sont violents et il y a des groupes rivaux. Le chef des détenus (Barbe noire) est malade et d’autres personnes cherchent à le supplanter, d’autant que la règle édictée, c’est que le chef malade doit laisser sa place en se suicidant par noyade dans le puits de la prison. Une fois les principaux personnages mis en place, on est happé, envoûté par le récit du conteur que le grand chef a renommé Roman, qui improvise, comme sa grand-mère, qui était d’une famille de griots. On se demande comment il va s’en sortir, d’autant plus qu’il ne doit pas finir son histoire, car comme Shéhérazade, s’il finit son conte, il sera exécuté ! Aussi Roman étire son histoire, fait des rallonges, ajoute des intrigues, il est proche du conte fantastique mais qui se mêle à la réalité torride et violente du milieu carcéral. On sent qu'on est en Afrique, qu'il y a de la magie dans l'air. Nous ne nous sommes pas ennuyés, et nous avons ouvert une discussion fort intéressante après le film.

 

dimanche 26 septembre 2021

26.09.2021 : Venise 2021-5, la Biennale et considérations finales

 

J’oublie les mots quand il s’agit d’épeler les syllabes formidables du rêve.

(René-Guy Cadou, Monts et merveilles : nouvelles fraîches, Éd. du Rocher1997)


Comme je suis encore sur le choc du décès d’Odile Caradec, même si elle a eu une vie longue et bien remplie, car j’avais encore beaucoup d’amitié à lui donner et beaucoup de chose à lui dire. Il me reste à écrire ou plus exactement terminer le chapitre que je veux lui consacrer dans mon futur livre sur les femmes écrivaines.

                        *        *        *

Mais n’oublions pas Venise : quelle conclusion donner à mon séjour ?

 

J’ai donc visité la Biennale d’architecture pour la première fois. Celle-ci a lieu tous les deux ans, l’autre année étant consacrée à l’art contemporain. 

Les pavillons qui m’ont le plus plu sont ceux qui ressemblaient aux pavillons des différentes Biennales d’art contemporain que j’ai eu le plaisir de précédemment visiter en 2011, 2013, 2015, 2017 et 2019.

 

C’est-à-dire qui présentaient des installations qui, du point de vue esthétique, me touchaient le cœur ou l’imagination. C’est tout à fait personnel. Je vous laisse visionner ces quelques images.

Par contre il y a eu, un peu à l’écart, sur l’île de San Giorgio, dans un petit bois près de la mer, la chapelle vaticane qui présentait les propositions de dix architectes actuels pour la création d’une chapelle : au moins ça ressemblait à de l’architecture, comme de grands modèles réduits où on pouvait entrer et qui proposaient divers matériaux, du bois au métal ou au verre et diverses formes… Là, j’ai été séduit ! 

En voici quelques photos.




 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

les bâtiments conventuels réels autour de l'église de San Giorgio

Les installations de la Capelle vaticane étaient dans le petit bois au fond

 

 

 

Reviendrai-je à Venise ? Je suis obligé de tenir compte de mon âge, de l’aspect numérique envahissant désormais, non seulement pour tout voyage, mais même pour la Mostra et ses fameuses réservations… On verra !

 

                                             Ciao, Venezia !

                                                        Un ancien théâtre converti en supermarché !
 

 


jeudi 23 septembre 2021

23.09.2021 : L'amie Odile n'est plus

 

on ne peut écrire qu’en faisant inconsciemment le pari qu’écrire retardera et même repoussera indéfiniment la mort, que l’écriture, comme la prière, est une sorte de rétrécissement, semblable à la mort, qui conduit non pas à une autre vie, mais à l’élargissement de celle-ci.

(Yvon Rivard, Le dernier chalet, Leméac, 2018)


                        © Maison de la poésie, Poitiers

Odile Caradec nous a quittés dans la nuit de mardi à mercredi. Ce n’est pas sans une grande émotion que je veux lui dédier ce poème que j’ai écrit en songeant à notre grande amitié. 

Elle a eu la gentillesse de bien vouloir m’accueillir chez elle toutes ces dernières années à Poitiers. J’apportais mon drap de couchage (que les campeurs appellent "sac à viande") pour lui éviter de changer les draps. Je restais le plus souvent trois nuits à chaque fois et deux ou trois journées pleines. Je me suis aperçu que pour elle, qui était nonagénaire, le plus dur était de manger toute seule. Tant qu’elle a eu sa voiture, que je pouvais conduire, nous allions manger parfois au restaurant. Mais je lui préparais ses repas aussi, soit en réchauffant les plats faits par sa cuisinière auxiliaire de vie, soit en me mettant moi-même à la cuisine en puisant dans son réfrigérateur-congélateur ou en allant au marché du dimanche matin revenant avec des plats cuisinés asiatiques, qu'elle appréciait beaucoup. Et on mangeait joyeusement avant qu’elle parte siester. Je l’aidais à mettre le couvert ou à défaire la table, elle tenait à participer un peu. Puis je faisais la vaisselle avant de m’allonger pour ma sieste.

Le reste de la journée, je l’emmenais promener dans le parc en bas, et on causait de tout. Elle me racontait ses souvenirs d’enfance et surtout ses années de lycéenne dans un pensionnat catholique pendant les années de guerre (1941-1944) où, connaissant l’allemand, elle servait d’interprète quand les soldats nazis venaient faire une incursion. Nantie d'une licence d’allemand, elle enseigna quelques années avant de se reconvertir comme documentaliste dans un lycée de Poitiers. Et elle eut la joie de voir plusieurs de ses recueils de poèmes publiés en édition bilingue franco-allemand, traduits par Rüdiger Fischer. Je me racontais aussi et nous parlions de notre découverte de la littérature et de la poésie, de l’amour et de l’amitié, de voyages, de cinéma, de musique et même de la mort, qu’elle ne redoutait pas, ayant pleinement vécu.

Je lui citais Gandhi : "Si nous pleurions toutes les morts qui ont lieu dans notre pays, nos yeux seraient à jamais remplis de larmes. Cette pensée devrait nous aider à nous délivrer de la crainte de la mort", et elle acquiesçait. Évidemment le décès de son grand ami poète Georges Bonnet à 101 ans, en février dernier, l’avait beaucoup affectée. Ils se sont rejoints dans l’éternité de nos pensées.

Merci, Odile, tu m’as beaucoup soutenue après le décès de Claire, dont nous parlions souvent. Et ta chaude amitié a illuminé ces douze dernières années. Puissé-je moi-même avoir été pour toi, un petit lampion dans les dernières années de ta vie. Je t’ai beaucoup aimée. À bientôt sur l’autre rive...



L’amie Odile


elle était comme un roc assoiffé de silence

elle ramait sur l’herbe haute de la vie

sa barque vient de toucher terre


les reflets du soleil n’agiteront plus ta chevelure

tes rires ne trancheront plus nos visages

et ta voix ne résonnera plus à notre appel


quel rêve viendra désormais troubler les nuits ?

quelle étoile éclairer nos chemins ?

quel oiseau meubler nos regards ?


le temps nous file entre les doigts

le temps de l’été finissant

qui oubliera de réchauffer l'amitié


l’ombre se fait déchirante

le souvenir hantera nos blessures

vers quel oubli partirons-nous ?

 

lundi 20 septembre 2021

21.09.2021 : Venise 2021-4, impressions

 

Il y a dans cette profusion inutile un arrière-goût de mystification.

(Simone de Beauvoir, L’Amérique au jour le jour, Gallimard, 1948)


                                                    sur le chemin de San Marco, une sculpture

Bon, une semaine passée depuis mon retour. J’ai repris mes marques ici, mais je n’oublie pas de donner mes dernières impressions de Venise.

* * *


  

 

Marco Zennaro, ancien rugbyman, détenu au Soudan

 

 

 

Cette année 2021, je suis davantage resté dans le centre de Venise, n’ayant eu que peu à me déplacer pour aller voir mes films ; en effet je n’ai même pas mis les pieds au Lido, où se font toutes les projections officielles de la Mostra, ce qui prend un minimum de 1 heure et quart à l’aller et au retour (vaporetto + marche à pied Hôtel-quai de départ + marche à pied ou bus au Lido). J’ai pu ainsi observer à quel point Venise est une cité faite pour les touristes et pour le consumérisme : discutant avec des marchands, ils m’ont confirmé que l’absence des touristes venant des USA, de Chine, du Japon, de Russie et des émirats entraînerait une baisse significatives de leur chiffre d’affaires. Que de magasins de luxe dans les artères principales, ou de babioles made in China dans les kiosques ou petites boutiques de souvenir, que de restaurants. 

 


J’y faisais fort peu attention autrefois, marchant à grand pas pour aller prendre le vaporetto ou pour rentrer à l’hôtel, sans regarder les vitrines ! Je présume qu’ils gagnent quand même leur vie, avec les touristes européens (surtout allemands et autrichiens) et italiens, ces derniers étant très nombreux, puisqu’ils n’avaient que peu de possibilités pour partir en vacances à l’étranger. Certains Italiens m’ont dit qu’ils venaient pour la première fois visiter Venise, pourtant un fleuron de leur patrimoine ! Et certains couples venaient parfois avec leurs jeunes enfants âgés de deux ou trois ans, alors que la ville (nombreux escaliers, délicats pour les poussettes, canaux sans protection) me semble bien dangereuse pour de tels visiteurs. Quelques-uns avaient prévu le coup et tenaient leurs chérubins avec une laisse et un harnais, comme nous l’avions fait pour Lucile petite quand nous la promenions en ville ! D’autres, qui n’avaient pas d’enfants, promenaient leurs chiens : je n’en avais jamais vu autant à Venise. C’était peut-être de Vénitiens qui, s’ennuyant pendant le confinement, avaient acquis un animal de compagnie.

* * *

 

                                                    derrière l'Arsenal, des religieuses

J’ai donc beaucoup arpenté les quartiers du Dorsoduro, juste de l’autre côté du Pont de l’Accademia ( pour la restauration, l’apéritif dînatoire et l’opéra de Purcell, et prendre le vaporetto qui nous a conduits à San Giorgio)), du Rialto (pour aller au cinéma Rossini ou pour me balader, manger au restaurant), du Cannaregio, de Castello et des Giardini, principalement pour visiter la Biennal d’architecture. Enfin, bref, j’ai bien arpenté la ville et, me connaissant, j’ai évité de piétiner dans les musées et dans les Fondations de plusieurs milliardaires, redoutant de piétiner. À ce sujet, il y fort peu de bancs à Venise, ce qui oblige à s’asseoir à des terrasses de café ou à l’intérieur, si l’on veut se reposer.


                                                                        l'apéritif dînatoire

On est allés à l’île de San Giorgio, où je n’étais pas retourné depuis le voyage de 2002 avec Claire. Je suis monté au sommet du Campanile de l’église, d’où j’ai pu avoir une vue panoramique de Venise et de ses îles (on y monte par un ascenseur). J’ai visité aussi pour la première fois l’île de San Michele, qui abrite le Cimetière de Venise. Il y a bien quelques tombes traditionnelles, mais la plupart des tiroirs funèbres (des grands contenant les cercueils ou des petits contenant des urnes funéraires) sont dans des parallélépipèdes rectangles d’environ 30 mètres de long sur 10 de haut et 6 ou 7 de profondeur. Alors, évidemment, on a l’impression de se promener dans une cité HLM miniature, où il est très difficile de méditer, de se recueillir et de penser à ses morts. Il y avait assez peu de visiteurs, et la plupart comme moi, étaient déçus, m’a-t-il semblé.

                                                        le cimetière

* * *

Du fait de ne pas aller au Lido, où en général, les autres années, je ne faisais que croiser épisodiquement les autres membres du groupe, j’ai pu passer quelques journées un peu en compagnie, soit pour aller voir des films au cinéma Rossini, soit pour être plus souvent avec eux (elles surtout, puisqu’on était si peu d’hommes) à aller au restaurant, soit même pour visiter la Biennale d’architecture ou me promener. Alors qu’habituellement, je suis seul pour l’art contemporain. La Biennale fera l’objet de ma dernière évocation dans les prochains jours.


                                                l'île de Giudecca vue du sommet du campanile de San Giorgio

À suivre...



samedi 18 septembre 2021

18.09.2021 : la chanson du mois, Françoise Hardy

 

Au train où vont les choses, tout mouvement de l’âme un peu négatif retombera bientôt dans la clandestinité.

(Jean Baudrillard, La transparence du mal, Galilée, 1990)



  Pour changer de Venise, une nouvelle chanson, peu connue, de Françoise Hardy (1971). Elle reste une de mes chanteuses préférées, et je suis toujours heureux de découvrir d’elle des chansons que je ne connaissais pas ou que j'avais oubliées, grâce à youtube ! Demain, la suite de Venise...



                La question


                    pour écouter :

https://www.youtube.com/watch?v=uc6QfFVDomc


Je ne sais pas qui tu peux être

Je ne sais pas qui tu espères

Je cherche toujours à te connaître

Et ton silence trouble mon silence


Je ne sais pas d'où vient le mensonge

Est-ce de ta voix qui se tait?

Les mondes où malgré moi je plonge

Sont comme un tunnel qui m'effraie


De ta distance à la mienne

On se perd bien trop souvent

Et chercher à te comprendre

C'est courir après le vent


Je ne sais pas pourquoi je reste

Dans une mer où je me noie

Je ne sais pas pourquoi je reste

Dans un air qui m'étouffera


Tu es le sang de ma blessure

Tu es le feu de ma brûlure

Tu es ma question sans réponse

Mon cri muet et mon silence...