mercredi 16 février 2022

16 février 2022 : L'amour sans convention

 

Tomber amoureux maintenant, c’est un soin palliatif de misère. Prétendre que la vie bat son plein, qu’on est au sommet de son existence. Ce sommet que tout le monde est censé avoir envie d’atteindre. […] Elle en a vu, des vieux qui voulaient revenir à leurs grands jours. Qui faisaient semblant, même au prix d’un effort surhumain. Les éclats de rire pour tromper la mort…

Halldóra Thoroddsen, Double vitrage, trad. Jean-Christophe Salaün, Bleu & Jaune, 2021)


Il se trouve que j’ai lu ce roman islandais, emprunté à la bibliothèque, et qui évoque justement la vie difficile d’une femme âgée solitaire, roman assez dur, et qui laisse peu de place à la possibilité d’un dernier amour. Et que j’ai vécu récemment moi-même une histoire d’amitié avec F., de trois-quatre ans plus jeune que moi, dont j’ignorais qu’elle était atteinte d’une récidive de la maladie qui a causé sa mort en décembre dernier. Quand nous nous étions rencontrés, j’ai tout de suite senti qu’elle voulait plus que de l’amitié. Elle s’est heurtée à un refus de ma part, et je m’en veux un peu, j’ai presque l’impression de me sentir coupable de ne pas avoir accédé à son désir. Je n’avais pas encore vu les deux films dont je vais parler, deux films admirables et qui ont accentué mes remords...



Dans Les jeunes amants, Carine Tardieu nous conte la passion (il n’y a pas d’autre mot) qui se noue entre Shauna (Fanny Ardant, sublime), une femme âgée de 70 ans, élégante, gracieuse, indépendante, généreuse, libre (elle a eu une fille, elle est grand-mère), qui fut architecte et qui n’attend plus grand-chose de la vie, et Pierre, un médecin de quarante-cinq ans (Melvil Poupaud, excellent lui aussi), marié, deux enfants. Ils se rencontrent à l’hôpital où il travaille, elle est venue au chevet d’une de ses amies, mourante et qu’il n’a pas pu sauver. Rencontre sans lendemain, car elle disparaît. Ils se retrouvent quinze ans plus tard, en Irlande, dans la maison où Shauna est née et dont elle a hérité.

Le film est un hymne à la liberté d’aimer, envers et contre tout, contre les préjugés, la bien-pensance et l’hypocrisie ambiante : car enfin, personne n’ose condamner un homme de soixante ans et plus de s’amouracher d’une femme de vingt-cinq ans de moins que lui ! La cinéaste se bat contre ce qui est prétendument normal et contre toute discrimination. Shauna elle-même va devoir se battre contre les maux qui l’assaillent (maladie de Parkinson) ; elle n’a plus envie de faire face aux jugements malveillants sur sa liaison avec Pierre et rompt assez brutalement. Le médecin tombe dans une grave dépression, il n’a plus goût à rien. Il a trouvé dans cette liaison une tendresse, et peut-être une liberté, qu’il ne connaissait pas.

L’histoire est inspirée d'un scénario de Sólveig Anspach (cinéaste, auteur de Lulu femme nue et de L’effet aquatique) qui rêvait de le mettre en scène, elle mourut d’un cancer avant. La maladie (Pierre est oncologue dans un hôpital), la mort sont ici très présentes. Alors qu’on s’extasie aujourd’hui sur la jeunesse triomphante, voir un couple inattendu, mais radieux, de 45/70 ans, fait plaisir à voir. La bande sonore (Chopin, Bach, entre autres) est formidable et la musique ponctue amoureusement, si j’ose dire, ce film d’amour aussi surprenant que merveilleux et douloureux.

La veille, j’avais vu Vous ne désirez que moi, de Claire Simon (tiens, une autre femme cinéaste), d’après les entretiens que Yann Andrea (dernier compagnon de Marguerite Duras) avait eus avec la journaliste Michèle Manceaux en 1982 et qui ont été publiés sous le titre Je voudrais parler de Duras. Là, c’est donc une histoire vraie, plus extraordinaire encore : trente-huit ans d’écart entre le jeune homme et la vieille écrivaine, âgée de près de près de soixante-dix ans quand ils commencent à vivre ensemble.

Donc le film est constitué par l’interview de Yann (l’extraordinaire Swann Arlaud) par Michèle (Emmanuelle Devos, tout aussi lumineuse) dans la maison de Duras. Marguerite n’apparaît pas dans le film, mais on sait sa présence au rez-de-chaussée. On ne voit Duras que dans des archives, aucune actrice ne joue son rôle. C’est surtout Yann qui parle et dresse finalement le portrait de Duras, de leur couple, de leur passion amoureuse, tels qu'il les voit. La journaliste n’intervient que pour le pousser dans ses retranchements. Même s’il a eu quelques aventures féminines, il sait qu’il est profondément homosexuel et ne l’a pas caché à Marguerite dont il connaît et a lu tous les livres, vu les films (en particulier India song, dont quelques plans, ainsi que la musique obsédante parsèment le film) et à qui il a écrit pendant huit ans, avant qu’elle le convie à venir la trouver à Trouville-sur-mer, où elle passe l’été à l’hôtel. Bien sûr, elle l’impressionne, mais il est subjugué, même si l’amour est inégal : c’est une passion, mais Duras est en position dominante et peu à peu, elle le soumet à tous ses désirs, en toutes les matières : nourriture, habillement, sexualité, écriture. Ce qui fait qu’il est partagé entre l’admiration amoureuse qu’il a pour elle et l’envie de fuir. Car il est obligé de renoncer à être lui-même. Pourtant il resta auprès d’elle jusqu’à sa mort (quatorze ans plus tard), car elle ne peut se passer de lui, dans une relation fusionnelle abolissant toutes les conventions normatives.

Ponctué de dessins d’ébats sexuels, d’extraits de films (dont un film de Lelouch avec Annie Girardot vieillissante) et d’archives (entretiens ou émissions de télé où Marguerite Duras apparaît), le film est aussi un hommage à la liberté d’aimer envers et contre tout. Les deux comédiens, Emmanuelle Devos et Swann Arlaud, sont extraordinaires. La caméra saisit parfois la détresse du regard de Yann, capte la pensée de Michèle, qui donne l’impression que c’est avec l’œil qu’elle l'écoute. La dévotion de Yann pour Marguerite transparaît dans toute sa splendeur. Bien évidemment, Vous ne désirez que moi, plus difficile à suivre que Les jeunes amants, plus littéraire aussi, bien qu’étant une œuvre lumineusement réussie, séduira avant tout les admirateurs inconditionnels de Marguerite Duras, dont je suis. J’en suis sorti foudroyé. 

 

lundi 14 février 2022

14 février 2022 : Migrants 14 : "Silence du chœur"

 

pour tous ces pays qui se demandent si toute la misère du monde peut débarquer comme ça chez eux ou non, un bon migrant est en train de devenir un migrant presque mort.

(Mohammed Mbougar Sarr, Silence du chœur, Présence africaine, 2017)


Décidément, Mohammed Mbougar Sarr mérite amplement le détour. Après son roman sur la difficulté des homos au Sénégal (De purs hommes, 2018 ; cf ma page de blog du 17 juillet 2019) et son prix Goncourt 2021 (cf le 4 janvier 2022), voici le troisième roman que je lis, qui est son second et tout aussi excellent. Moins intello que le Goncourt, moins centré sur le Sénégal que ses purs hommes, ce roman-ci lui tient sans doute très à cœur, car le thème en est la rencontre des migrants avec l’Europe, en l’occurrence un village imaginaire de Sicile, proche de l’Etna, où une association caritative, soutenue dans un premier temps par le maire, tente courageusement d’accueillir un groupe de migrants, les ragazzi (jeunes hommes), malgré l’hostilité d’une part croissante des habitants.

C’est presque l’épopée des migrants, avec son lot de tragédie : elle nous rappelle "le récit du voyage, le récit de la peur, le récit des violences subies, le récit des violences infligées, le récit des violences vues, des hontes bues, des humiliations tues, des privations, de l’incertitude, du désespoir, du doute, de la faim, de la soif, de l’hallucination, du soleil, de l’étourdissement, des évanouissements, des vomissements, de la fièvre, de la maladie, des insolations, des désolations, des diarrhées, de la vénalité des passeurs triplant les prix, de la corruption des policiers fermant les yeux, de l’inhumanité des gardiens fouettant leurs chairs, des dizaines de corps harassés, recroquevillés, serrés, assis les uns contre les autres, couchés les uns sur les autres, dans la poussière, la pisse, la merde, le sang"…

Mais, une fois les rescapés arrivés, rien n’est joué. En effet, progressivement, un nombre non négligeable des natifs du lieu vont peu à peu harceler le groupe de migrants, avant de basculer dans une violence mortifère. De leur côté, une partie des migrants, excédés par les lenteurs administratives, l’absence de travail, sont bien décidés à ne pas se laisser faire. Les personnages assez nombreux, tant du côté migrants que des natifs de la commune, sont campés avec précision, on comprend leurs motivations, on s’attache à eux, ou on les trouve indéfendables (les nervis fascistes et racistes). Ce roman choral s’attache aux différents personnages. Les histoires, les récits vécus des migrants (le journal de Jogoy, arrivé quelques années plus tôt, et qui sert de médiateur et d’interprète) nous fait vivre de l’intérieur la migration, l’horreur du passage en Lybie, le drame de la traversée de la Méditerranée, la honte : "Ce n’est pas la honte de partir, c’est la honte de n’avoir pu rester, de ne pas avoir pu trouver sa place dans son pays".

Le tout dans un style magnifique (l’auteur n’a pas fait mieux dans son prix Goncourt) qui rend l’avancée de la lecture merveilleuse. On reste attentif, on est plongé dans un suspense qui culmine avec les scènes finales, d’un grand réalisme. Sur un sujet aussi grave, l’auteur a réussi à nous présenter des personnages lumineux, mesquins, ignobles, parfois étonnants (notamment le curé aveugle, et le grand homme du lieu, un poète qui n’écrit plus depuis quinze ans et qui retrouve l’inspiration en aidant les migrants) ou surprenants (le maire qui, d’abord accueillant, va devenir hostile aux migrants par ambition personnelle). Quant aux migrants, ils sont saisis de l’intérieur comme je l’ai rarement vu dans un roman consacré à ce thème. L’auteur rend compte de leurs difficultés, de leurs incompréhension vis-à-vis des personnes bénévoles de l’association qui les a accueillis ; ces dernières s’aperçoivent qu’on ne peut pas faire grand-chose pour eux. "Je les appelle migrants, mais j’aurais bien pu dire immigrés, immigrants, déplacés, exilés, réfugiés… Comme nous tous, j’ai du mal à les nommer, et je crois d’ailleurs que c’est l’une des raisons pour lesquelles il y a à leur propos tant de polémiques. Avoir du mal à nommer précisément un homme est le début du malheur"…

Le drame interroge l'humanité qui est dans le lecteur. L’auteur sait faire vivre ses personnages, siciliens comme venus d’Afrique. Le roman est si bien construit et maîtrisé qu’on a envie de connaître la suite, mais qu'on prend le temps quand même. Parfois il utilise la forme du journal (le récit de Jogoy, avec une typographie différente) ou du théâtre (la scène entre Lucia, une des bénévoles et Fousseyni, un jeune migrant). On a l’impression d’y être. Roman choral (ou polyphonique), Silence du chœur nous interpelle ! "La plus grande humiliation, pour n’importe quel homme, c’est de n’avoir aucun visage en face de lui, ou de ne rien voir sur le visage qu’il regarde". Qui sommes-nous face aux migrants ? Que pouvons-nous faire quand ils nous interrogent : "Qui est le plus misérable, entre celui qui n’a rien et celui qui lui a tout volé ? Qui est le plus misérable, entre celui qui fuit la guerre et celui qui l’entretient ?"

 

vendredi 11 février 2022

11 février 2022 : la police, reflet de l'âme d'un pays

 

la main droite [de l’État] – celle qui punit – est plus agissante aujourd’hui.

(Bernard Legros, La Décroissance, N° 177, mars 2021)



Les policiers se suicident beaucoup, nous dit-on. Il faut voir ce qu’on leur ordonne de faire : taper sur des manifestants désarmés, leur lancer des armes offensives, des grenades lacrymogènes, utiliser des canons à eau, les encercler dans des nasses, les malmener et les maltraiter, voire dans certains cas les mutiler ou provoquer la mort. A-t-on le droit, oui ou non, de manifester, de refuser de se plier à des lois confuses, scélérates parfois, incomprises souvent et toujours destinées à protéger les puissants de ce monde et les plus riches qui, eux, peuvent frauder impunément, retirer leurs passeports à leurs esclaves domestiques (en plein Paris, pas seulement dans les émirats), acheter les politiques par un lobbying effréné, etc. ?

Et l’on s’étonne de constater que beaucoup de gens n’aiment pas la police, moi le premier ! Une bonne partie de la population affuble les policiers de noms communs désobligeants : les cognes dans Les misérables de Victor Hugo, les flics pour les anciennes générations ou les keufs pour les nouvelles. Sans compter les innombrables mots d’argot pour les désigner : bourres, bourrins, chtars, dékis, feukeus, flicards, guignols, lardus, pingouins, poulagas, la rousse, schmitts, vaches, volailles, et j’en passe… Ce n’est pas forcément la police que les gens n’aiment pas, mais ce qu’on lui fait faire, cette brutalité qui n’a d’égale que celle de la pègre.

Côté individus, ils peuvent être sympathiques. Avec mon voisin de Poitiers, qui était inspecteur, on avait de bonnes relations proches de l’amitié entre voisins. Mais quand je vois, à chaque fois que je manifeste, l’encadrement de robocops ultra-armés, le coût que ça doit représenter, la haine qu’ils ont l’air de porter sur eux en même temps que leur armement sophistiqué, je me dis que quelque chose ne tourne pas rond dans notre société : ceux qui sont censés nous protéger sont prêts, chauffés à blanc, à nous humilier, à nous tirer dessus, à nous matraquer, à nous piétiner…

L'horizon (le film est réalisé par Émilie Carpentier, une jeune réalisatrice), le film que je viens de voir avant-hier, hier, montre la violence avec laquelle la police protège des intérêts privés, ici la construction d’un immense parc d’attraction (style Disneyland) sur des terres agricoles que des zadistes veulent défendre ; un paysan du coin a hérité dix ans auparavant de la ferme de ses parents, et l’a transformée en dix ans par la permaculture bio, en un merveilleux marché de production locale. Et on veut l'exproprier au moment où il commence à réussir. En jeu, des intérêts financiers colossaux, et des hommes politiques locaux prêts à se vendre pour une poignée d’emplois précaires et à bas prix, et "attirer les touristes du monde entier" ! L’horizon (avec de jeunes acteurs inconnus, blacks, blancs, beurs) est un film qui m’a fait chaud au cœur, car bien sûr, je suis contre ces extensions d’aéroports, d’autoroutes, de centres commerciaux géants et de parcs de divertissement décervelant, etc. On voit dans le film le divorce des générations, les jeunes qui veulent sauver le climat par la relocalisation de l’agriculture, et les vieux encore dans un passé fait de voyages en avion, de divertissements minables et de surconsommation. Je me dis que je peux partir tranquille. Si on ne les empêche pas, nos jeunes sauveront peut-être un monde devenu fou.

Mais ne nous y trompons pas, ce rôle malsain de la police est joué  de la même manière dans tous les pays du monde, en Chine contre les Ouïgours, en Israël contre les Palestiniens, en Birmanie contre les Rohyngias, au Chili contre les Mapuches, pour ne donner que quelques exemples... Et peu à peu, le monde perd son âme !

 

jeudi 10 février 2022

10 février 2022 : homophobie et sport

 

Andromaque :

Les grands malheurs ont l’avantage

De vous libérer de la crainte (scéne 7)

(Sénèque, Les Troyennes, trad. Florence Dupont, Actes sud, 2018)


La narration de cette autobiographie, Adieu ma honte, est chronologique, de l’enfance à l’âge d’homme. On assiste à l’éveil d’un petit garçon des cités, dont le père meurt quand il huit ans, et qui est élevé par la mère et ses quatre sœurs : il est le petit dernier. Bien évidemment, il est confronté à de nombreuses injustices et discriminations, mais l’enfance et la jeunesse vont être illuminées par la passion du ballon rond. On entre d’autant plus facilement dans sa tête qu’il ne nous cache pas, à nous lecteur, le secret qu’il découvre dès l’âge de huit ans : bien que souhaitant devenir footballeur, bien que musulman, il se rend compte qu’il aimera les garçons. C'est un drame, une honte qu’il va garder en lui longtemps et qui va lui gâcher son adolescence, où il va s’efforcer de paraître hétérosexuel, voire homophobe !

On est scotché par ce récit. Ouissem Belgacem, aidé de Éléonore Gurrey (qu’on trouve aussi sur la couverture et qu’il remercie chaleureusement à la fin du livre, ce qui est rare) se montre un conteur magnifique. De famille modeste, il vit son enfance dans un quartier populaire d'Aix, la Cité Beisson, il est donc d'origine maghrébine, premier handicap, de tradition musulmane (il restera croyant, mais plus tard, il découvrira que c’est difficile pour lui de "partager [s]a religion et ses valeurs. Dans l'esprit de la plupart des gays, l'islam est uniquement associé à un dogme homophobe et persécuteur. Comment leur en vouloir, quand certains pays musulmans appliquent aujourd'hui la peine de mort pour les homosexuels, au nom de la charia ?"), et se découvre gay, catégorie honnie tant dans le quartier et la religion que dans le football, comme il va le découvrir quand il intègre le centre de formation du Toulouse FC dans l’espoir de devenir footballeur professionnel

 


Il était bon élève (comme moi, il a sauté le CE1) et pourra aussi préparer le baccalauréat, puis continuer des études supérieures. C’est le premier déchirement, s’éloigner des repères de l’amour familial, des amitiés et de la solidarité du quartier, loin des clichés des cités (drogue, racaille, délabrement, enfants livrés à eux-mêmes). Mais c'est aussi le début du rêve et un voyage qui le mûrit, la rencontre de jeunes footballeurs avec qui il noue de solides liens, et de coaches bienveillants (il en perçoit un comme un père de substitution). Le centre de formation, avec son rythme intensif d’entraînement, a pour finalité de décrocher le graal : devenir joueur professionnel. Ouissem s'entraîne dur, est payé et peut envoyer de l’argent à sa mère. Mais la sélection est implacable, et le secret qui le hante va le desservir. On ne peut pas vivre éternellement dans le déni de sa nature profonde. Malgré les amis, les camarades, à qui il donne le change, il vit mal dans sa tête, consulte des psys dans l’espoir de changer sa sexualité, car son lourd secret est à la fois contre sa foi, ses valeurs familiales et il est impensable avec son ambitions de devenir footballeur professionnel. On n'a jamais vu un footballeur pro homosexuel ou l’avouant ! L’homophobie est la règle dans ce sport.

Il essaie de s’hétérosexualiser, a une liaison avec une fille. Mais, pour arriver à s’exciter pendant l'amour, il doit rester dans le noir et fantasmer sur des mecs ! Il a beau prier, jeûner, s’abstenir pendant quatre mois de se masturber… S’imposer en quelque sorte une conversion forcée, sauver les apparences en couchant avec une fille (et en veillant à ce que ça se sache), c’est comme vouloir changer de peau et surtout de mental. Or, dans le sport de haut niveau, il n’y a pas que le corps qui compte, l’esprit aussi (dirai-je aussi le fond de l'âme, le soi). La lutte constante contre ses vrais désirs le fatigue, le déroute, le lamine. Ses performances s’en ressentent. On le change de position, car sa croissance est finie, et il lui manque 5 mm pour faire le mètre 80 nécessaire pour être défenseur central. Deux ans après, à vingt ans, il décide d’arrêter le football : "J'ai potentiellement un bel avenir de sportif devant moi. Mais je sens que je ne peux pas continuer à mentir, à me nier, à agir comme si ma sexualité était véritablement une maladie".

Je vous laisse découvrir la suite. Adieu ma honte est un récit exceptionnel qui pourra peut-être aider certains jeunes gays à s’assumer pleinement ? Le livre indique clairement qu’on ne choisit pas d’être homosexuel, que ce n’est pas une maladie dont on peut se soigner. Dix ans après avoir quitté la compétition, il avoue son secret à son ancien coach qui lui dit : "T’as bien fait de pas le dire… Dans cet environnement, c’était la meilleure chose à faire. […] Si tu l’avais dit, le club se serait débrouillé pour te faire sortir". Même dans sa vie ultérieure, Ouissem a dû cacher son homosexualité pour ne pas mettre sa start-up en faillite, en faisant fuir clients et financeurs.

Quant à l'homophobie dans le football professionnel (et chez les supporters), il y a beaucoup à faire. Ce livre pourra peut-être y aider. Mais l’homophobie ordinaire peut par ailleurs se doubler du racisme : "Combien de fois, parce que je refuse des avances, je reçois en réponse : « Sale bougnoule de merde, tu te prends pour qui ? » Le cumul de la minorité sexuelle et de la minorité raciale n'est pas de tout repos". J'ai appris en outre dans ce livre plein de choses sur le foot, sur l'intégration (et ses difficultés), sur le déracinement, et sur la vie à l'étranger, où part notre héros quand il quitte le foot. Et sur l'Angleterre et Londres, où il se refait une vie sans honte.

 

mercredi 9 février 2022

9 février 2022 : baroud d'honneur de la protestation

 

Notre médecine est à un tournant, fragmentée

Les docteurs fidèles à leur serment d’un côté

De l’autre ceux que les labos ont transformés

En associés du plus grand cartel du crime organisé

(Akhenaton, La faim de leur monde, L’iconoclaste, 2021)



On devrait toujours se méfier de la télévision. Ça fait trois ans maintenant que le mécontentement populaire se manifeste en France. J’avoue qu’au début je suis resté perplexe devant le mouvement des Gilets jaunes. J’en ai eu connaissance justement par la télévision, BFMtv en particulier, seule chaîne d’info en continu que je captais à Marrakech en 2018 dans ma chambre d’hôtel. Depuis, je déteste toutes ces chaînes d’info, qui se sont révélées particulièrement toxiques dans la manière de présenter (et discréditer) le mouvement, de dresser perpétuellement un portrait à charge de ses leaders et de ses revendications, de minimiser (euphémisme) les violences policières, etc. 

Je dois dire que le même processus s’est mis en place avec le traitement de la pandémie par ces mêmes médias. Cette fois, ce sont tous ceux qui émettaient des doutes sur la propagande gouvernementale pseudo-scientifique, sur la validité des vaccins fabriqués à la va-vite et administrés aux cobayes que nous sommes, qui ont été cloués au pilori, vouées aux gémonies, au point que toute protestation (à laquelle les gilets jaunes s’est jointe, d’ailleurs – étrange hasard !) a été qualifiée de nulle et non avenue. Aucune contradiction, aucune opposition, n’ont été tolérées, au point qu’une minorité, importante tout de même (5 millions de non-vaccinés + les vaccinés anti-passe) s’est trouvée traitée de non-citoyenne, parfois privée de travail, écartée de la vie sociale, condamnée à se taire, etc.

Et pourtant la grande majorité était apparemment satisfaite, prête à accepter toutes les injonctions (et injections), les soumissions, les interdictions, l’obligation du passe, etc. Pardi, c’est tellement facile de trouver des boucs émissaires à se mettre sous la dent. De crier haro sur le baudet, même si ce dernier émet des doutes qui, après tout, sont naturels, et qu’on pourrait au moins écouter, évaluer, avant de prendre des décisions fondés sur du chiffre. Ce qui m’a le plus effrayé, c’est cette politique du chiffre, étalé à tout moment, nombre de contaminés, nombre d’hospitalisés, nombre de gens en réa, nombre de morts, nombre de testés, nombre de vaccinés. Je regrette, je ne vis pas de chiffres, je vis de sentiments, d’émotions, de parole, de rencontres, de bonté, de beauté, de foi, d'amitié, de solidarité, de fraternité…

Et voici qu’aujourd’hui, des gros trucks américains semblent incarner le visage de la protestation dans les rues d’Ottawa… Et sur ce modèle, le convoi de la liberté qui se met en place en France prochainement incarnera celle du camp démocratique, social et écologique, dans la lignée des Gilets jaunes, et tenteront d’exprimer le ras-le-bol général. Espérons qu’une frange non négligeable de la population soutiendra ce convoi. Mais parions aussi que la répression dirigée par "Darmachinchose" sera aussi sauvage et brutale que celle qui a touché tous les protestataires (ZAD diverses, Bure, Gilets jaunes, antivax et antipasse…) ces dernières années d’un quinquennat qui n’en finit pas de finir.



La chanteuse bretonne Annchrist (qui fera l'objet d'un chanson du mois) nous dit : ‘‘Qui dort dîne vient spontanément à l’esprit de tout un chacun, peu connaissent le proverbe dans son intégralité : "Qui dort dîne, qui chante combat". Proverbe de sagesse populaire, pas toujours aussi stupide qu’on ne le dit’’. Souhaitons que des chants soutiennent tous ceux qui combattent la mascarade qui nous enlise.



lundi 7 février 2022

7 février 2022 : le poème du mois : Le Mahâbhârata

 


L’ignorant attend toujours le fruit de ses actions. Il pense : « Je fais ceci, la récompense m’en revient ». Tandis que le sage agit sans aucun attachement, animé du seul désir, naturel, de protéger les êtres ; car lui connaît le soi.

(Le Mahâbhârata conté selon la tradition orale par Serge Demetrian, Albin Michel, 2011)



Je viens d’achever la lecture du Mahâbhârata, l’une des deux grandes épopées indiennes, l’autre étant le Râmâyana, que j’avais lu il y a quelques années. Bien entendu dans une adaptation en langue française, et contée comme seuls les conteurs savent faire. Je n’oublie de lire régulièrement des contes, et depuis une quinzaine d’années, depuis que je suis entré dans cette antichambre de la mort qu’est la retraite, je me suis mis à lire de grands poèmes épiques, antiques (L’Énéide), médiévaux (La Chanson de Roland), ou renaissants (Roland furieux), en attendant de reprendre une lecture de L’Iliade et de L’Odyssée. J’ajouterai que j’ai lu aussi La Divine comédie, que je considère également comme une épopée.

Ça m’enchante, comme toutes les œuvres classiques et comme peu de livres récents arrivent à le faire. Donc, comme poème du mois, je vous propose des extraits à tonalité poético-philosophique de la version oralisée que propose Serge Demetrian, comme il avait fait aussi avec le Râmâyana que je vous recommande aussi.

 

Celui qui demeure satisfait dans le Soi

Et rejette les désirs qui affectent l’esprit,

Celui-là s’appelle établi-dans-la-Connaissance.

Il est dépourvu du moindre attachement,

Il ne se réjouit pas de ce qui est plaisant,

Il est établi-dans-la-Connaissance.


[…]


Si l’homme s’attarde aux objets des sens,

l’attachement à ceux-ci se fait jour d’ici peu ;

De cet attachement naît la convoitise ;

celle-ci, frustrée, engendre la colère.

De la colère provient l’égarement,

c’est-à-dire le manque de discernement.

L’égarement affaiblit le mémoire,

d’où l’oubli des enseignements qui aident

à suivre la voie de la Vertu.

Le déclin de la mémoire ruine la raison,

qui discerne entre bien et mal.

Si la raison défaille, l’homme se prive

de toute aspiration vers le divin :

Cet homme est perdu !


[…]


Celui-là connaît la paix,

Qui s’approche des objets

En se contrôlant lui-même,

Sans amour et sans haine.


Pour celui-là, la fin de ses maux

Réside toujours dans la paix ;

Car la raison, dominant sa pensée,

Devient vite établie-dans-la-Connaissance.


L’homme dépourvu de stabilité

Ignore la sagesse et la méditation ;

Et qui ne médite pas n’arrive pas à la paix.

Comment pourrait-il atteindre le bonheur ?


La pensée affaiblie et soumise aux sens

Qui sautillent d’un objet à l’autre,

Cette pensée égare le jugement de l’homme,

Comme le vent qui emporte un bateau mal conduit.


Il atteint la paix, au contraire,

Celui qui reçoit, sans se troubler, tous les désirs

Comme l’océan les rivières ;

L’océan accueille les eaux de toutes parts

Et cependant demeure inchangé.