C'était
un immigrant, et papa m'avait dit cent fois qu'on ne saurait avoir
trop de sympathie, trop d'égards envers les déracinés qui ont bien
assez à souffrir de leur dépaysement sans qu'on ajoute par le
mépris ou le dédain.
(Gabrielle
Roy, Rue Deschambault,
Boréal, 2010)
Heureusement
que pour se consoler des nouvelles délirantes du monde comme il va
(mais Leibniz n'a-t-il pas dit que c'était le « meilleur des
mondes possibles » ?), il nous reste l'amour et l'amitié ;
j'ai lu récemment sur ma liseuse dans le roman d'Édouard
Rod, L'ombre s'étend
sur la montagne
(Fasquelle, 1907) : "L'amour
et l'amitié sont les seuls boucliers que nous puissions opposer aux
forces ennemies du destin".
J'y ajouterai aussi l'art, sous toutes ses formes, et la littérature
qui me nourrit sans cesse.
Les
déplacements aussi. Il se trouve que, outre le plaisir de faire de
nouvelles rencontres ou de revoir mes vieux amis, je lis énormément
quand je suis hors de chez moi, et surtout je m'astreins moins à des
lectures actuelles – euh, je veux dire des livres qui viennent de
paraître. Comme je constate que ce qui est nouveau n'est pas
forcément meilleur (c'est valable aussi bien pour les arts
traditionnels que pour le cinéma, le théâtre ou le roman), j'ai le
plaisir grâce à ma liseuse de lire les auteurs d'autrefois,
puisqu'ils sont dans le domaine public, et du reste, quasiment
introuvables aujourd'hui en librairie ou en bibliothèque.
Édouard Rod (cliché Wikipedia)
C'est
ainsi que je viens de découvrir Édouard Rod, écrivain vaudois
(1857-1910), avec deux de ses romans : Mademoiselle
Annette, superbe
portrait d'une famille en train de se décomposer, malgré les
efforts de l'héroïne, vieille fille qui se sacrifie dans le
dévouement ("comme
elle a dû renoncer sans aigreur aux biens que lui refusait
l'existence, elle a, sans fléchir les épaules, supporté le fardeau
qu'y posait le destin..."),
est un merveilleux roman idéaliste comme on n'en fait plus. L'ombre
s'étend sur la montagne
est le récit d'une sorte de ménage à trois et de l'amour
impossible ; comme dans La
princesse de Clèves,
l'héroïne renonce à l'amour, mais elle en meurt. Très beau roman,
ô combien réaliste, celui-là.
Édouard Rod est surnommé, paraît-il, l'Anatole
suisse, par allusion
à notre grand Anatole France. Comme lui, très célèbre de
son vivant, il sombra rapidement dans l'oubli. Tous deux méritent
pourtant largement de survivre et d'être réédités.
Et
puis, je lis les livres que j'ai achetés au fil des années.
Notamment, il m'arrive quand je passe à Paris d'aller à la
Librairie du Québec et de rapporter une moisson de livres. Que je ne
lis pas forcément tout de suite. J'aime trop être dans l'attente.
C'est ainsi que je viens, lors de mon dernier déplacement à
Poitiers, d'y emporter Rue
Deschambault, de
Gabrielle Roy (1909-1983), acheté il y a trois ou quatre ans.
Cette romancière canadienne francophone (qui obtint le prix Femina en 1947) y raconte sous la forme de nouvelles plus ou moins brèves des épisodes de son enfance et de sa jeunesse dans le Manitoba, ceux qui ont justement fondé sa vocation d'écrivain. Ce sont le plus souvent des rencontres, des souvenirs d'enfant, de sa curiosité qui s'aiguisait au fil de ses apprentissages. On y trouvera un magnifique portrait de son père, employé du gouvernement au service des immigrants, notamment venant de l'empire russe, qui s'installaient dans le Manitoba ou le Saskatchewan. Un père taiseux, souvent absent, puisqu'il était à régler les problèmes de ses Doukhobors ou de ses Petits-Ruthènes, mais un père admirable, avec qui la petite fille (nommée Christine dans le livre, largement autobiographique) apprendra la fraternité et l'accueil. Mais tout aussi beau est le portrait de sa mère, qui régit avec vigueur et beaucoup d'amour la maison et la famille nombreuse : une fille va devenir religieuse, une autre sombre dans la folie. Le chapitre Les déserteuses, où la mère quitte le foyer avec Christine pour prendre le train jusqu'au Québec, sans avoir demandé l'autorisation à son mari absent, et après avoir gagné par elle-même l'argent du voyage par des travaux de couture, est d'une humanité déchirante. Tout aussi superbes sont les chapitres où sont évoqués les nombreux immigrants qui peuplent le Canada, et pas toujours bien accueillis : Les deux nègres, L'Italienne, Wilhelm, nous montrent Christine enfant ou adolescente qui apprend à regarder avec les yeux du cœur ces étranges étrangers. Auxquels on pourrait ajouter les vieillards à qui l'enfant, en vacances chez une tante un peu austère, rend visite en faisant une fugue (Mon chapeau rose). Ou bien la tante Thérésina, souffrant d'un asthme chronique, calfeutrée sous des piles de lainages et dans une chambre surchauffée, et son mari, l'oncle Majorique, éternel vagabond qui veut à toute force rapprocher sa femme de la Californie, où le climat lui serait plus favorable : elle y mourra sitôt arrivée !
Cette romancière canadienne francophone (qui obtint le prix Femina en 1947) y raconte sous la forme de nouvelles plus ou moins brèves des épisodes de son enfance et de sa jeunesse dans le Manitoba, ceux qui ont justement fondé sa vocation d'écrivain. Ce sont le plus souvent des rencontres, des souvenirs d'enfant, de sa curiosité qui s'aiguisait au fil de ses apprentissages. On y trouvera un magnifique portrait de son père, employé du gouvernement au service des immigrants, notamment venant de l'empire russe, qui s'installaient dans le Manitoba ou le Saskatchewan. Un père taiseux, souvent absent, puisqu'il était à régler les problèmes de ses Doukhobors ou de ses Petits-Ruthènes, mais un père admirable, avec qui la petite fille (nommée Christine dans le livre, largement autobiographique) apprendra la fraternité et l'accueil. Mais tout aussi beau est le portrait de sa mère, qui régit avec vigueur et beaucoup d'amour la maison et la famille nombreuse : une fille va devenir religieuse, une autre sombre dans la folie. Le chapitre Les déserteuses, où la mère quitte le foyer avec Christine pour prendre le train jusqu'au Québec, sans avoir demandé l'autorisation à son mari absent, et après avoir gagné par elle-même l'argent du voyage par des travaux de couture, est d'une humanité déchirante. Tout aussi superbes sont les chapitres où sont évoqués les nombreux immigrants qui peuplent le Canada, et pas toujours bien accueillis : Les deux nègres, L'Italienne, Wilhelm, nous montrent Christine enfant ou adolescente qui apprend à regarder avec les yeux du cœur ces étranges étrangers. Auxquels on pourrait ajouter les vieillards à qui l'enfant, en vacances chez une tante un peu austère, rend visite en faisant une fugue (Mon chapeau rose). Ou bien la tante Thérésina, souffrant d'un asthme chronique, calfeutrée sous des piles de lainages et dans une chambre surchauffée, et son mari, l'oncle Majorique, éternel vagabond qui veut à toute force rapprocher sa femme de la Californie, où le climat lui serait plus favorable : elle y mourra sitôt arrivée !
Je
n'en dis pas plus, c'est un livre tout bonnement magique (réédition
chez Boréal, 2010), qui donne, évidemment, envie de lire ses autres
livres. Bien entendu, le fait d'avoir vécu moi-même mon enfance à
la campagne (moins rude que celle du Manitoba) m'a fait adhérer sans
peine aux petits bonheurs et petits malheurs de l'héroïne.
Et,
au moment où l'Europe dans son ensemble, et la France en
particulier, se braque sur le soi-disant « problème »
des immigrants, la phrase que j'ai relevée et mise en exergue nous
invite à méditer.
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