samedi 29 juin 2019

24 juin 2019 : AVC, AnniVersaire non Contrôlé


Tu la reverras toujours dans tes pensées, belle et inaltérable. […] C’est ça, le don que Dieu a fait aux hommes : de leur permettre de se souvenir, de faire revivre le passé devant leurs yeux.
(Pandelis Prevelakis, Le soleil de la mort, trad. Jacques Lacarrière, Autrement, 1997)


Le 24 juin 2019, il y eut dix ans que Claire avait disparu. Nous avions commémoré l’événement la veille et l’avant-veille à Poitiers, mes enfants et moi, mais Mathieu, devant travailler, repartit à Lyon le soir du dimanche 23 juin, Lucile devait reprendre son avion pour Londres, le lundi après-midi.

le magnifique roman que j'ai lu à l'hôpital
Ce même jour, vers 9 heures du matin, ma jambe gauche a refusé pendant quelques instants, vingt minutes à peu près, de répondre à mon cerveau. Le SAMU, appelé, m’a conduit au CHU de Poitiers où je suis resté cinq jours : 1er jour, scanner de la tête, deuxième jour, écho doppler, et quatrième jour, IRM (le plus difficile à obtenir, car l’appareil est très demandé, et je n’étais pas considéré comme un cas prioritaire). Conclusion, un accident ischémique transitoire (AIT, cf le bel article sur wikipedia) sans gravité, mais avec un traitement à vie par kardegic et statine pour l’excès de cholestérol…
Voilà : ça faisait vint-quatre ans que je n’avais pas séjourné à l’hôpital. Lucile a pu obtenir de faire du télétravail pour rester et me rendre visite tous les jours. Quelques amis sont aussi venus me voir, ainsi que ma sœur et mon beau-frère de Mignaloux.
Ce qui fait que, sans connexion autre que le téléphone, je n’ai pas pu célébrer sur ce blog le dixième anniversaire de la disparition de Claire avec le texte que j’avais composé pour l’occasion. Vous voudrez bien excuser mes inventions langagières pour les lettres sans verbe. Le voici :

Abécédaire pour Claire

a : elle aimait sur la pointe des pieds
b : elle badait sur la pointe des pieds
c : elle chantait sur la pointe des pieds
d : elle dansait sur la pointe des pieds
e : elle embrassait sur la pointe des pieds
f : elle farfouillait sur la pointe des pieds
g : elle griffonnait sur la pointe des pieds
h : elle humait sur la pointe des pieds
i : elle illuminait sur la pointe des pieds
j : elle jaillissait sur la pointe des pieds
k : elle kermessait sur la pointe des pieds
l : elle libérait sur la pointe des pieds
m : elle murmurait sur la pointe des pieds
n : elle narrait sur la pointe des pieds
o : elle opérait sur la pointe des pieds
p : elle pleurait sur la pointe des pieds
q : elle quémandait sur la pointe des pieds
r  : elle rougissait sur la pointe des pieds
s : elle souffrait sur la pointe des pieds
t : elle tournait sur la pointe des pieds
u : elle unissait sur la pointe des pieds
v : elle vadrouillait sur la pointe des pieds
w : elle walkyrisait sur la pointe des pieds
x : elle xylophonait sur la pointe des pieds
y : elle yoyotait sur la pointe des pieds
z : elle zézéyait sur la pointe des pieds

L'île de San Giorgio Maggiore, que Claire affectionna particulièrement
lors de notre séjour vénitien en 2002 
et qu'elle surnomme l'île aux chats


vendredi 21 juin 2019

21 juin 2019 : portrait d'un homme véritable


Et moi, je regardais ces mains calleuses et je pensais que les cals dans les mains des ouvriers sont beaux, comme les rides sur les visages des vieux.
(Alberto Prunetti, Amianto : une histoire ouvrière, trad. Serge Quadruppani, Agone, 2019)

Il n’est pas si courant de lire une vie d’ouvrier racontée par son fils, et qui ne soit pas seulement un témoignage brut, mais de la littérature. C’est pourtant ce qu’a réussi Alberto Prunetti en racontant la vie de son père qui a commencé à travailler à quatorze ans. L'auteur en profite pour au passage dénoncer la vie difficile de la classe ouvrière italienne au temps des "Trente glorieuses" (malgré le "plein emploi") et la précarisation orchestrée par le patronat à partir des années 80, et avec en filigrane, le drame de l’amiante et des nombreux autres produits toxiques auxquels les ouvriers étaient livrés pieds et poings liés et qui entraînaient leur dégénérescence physique et la mort prématurée.


Nous sommes ici dans la Toscane ouvrière des années 1970 et 1980. Renato Prunelli, pour faire vivre sa petite famille, consent à partir dans des sites industriels souvent éloignés dans le nord et le sud de l’Italie (il "frôlera mille villes sans jamais les connaître"), pour avoir une paie plus correcte, mais dans des conditions de travail pour le moins insécuritaires. Au milieu du fer et de l’acier que Renato, au départ simple manœuvre puis tuyauteur-soudeur hyper-spécialisé, est amené à traiter, dans des usines de toutes sortes, dans le bâtiment, dans des raffineries de pétrole, l’atmosphère est telle qu’à quarante ans, il est déjà très diminué : quasi sourd, obligé de porter appareil auditif, lunettes et dentier, c’est un homme qui se délite peu à peu, malgré sa fierté ouvrière ("aristocratie ouvrière, satisfaits de salaires plus élevés") et le fait qu’il sait tout faire. Le livre décrit aussi la fin d’un monde, celui des grandes entreprises métallurgiques et chimiques, (désormais délocalisées), la fin aussi du syndicalisme triomphant et de la force de la classe ouvrière, diluée dans la précarisation et la flexibilité du néo-libéralisme et de la mondialisation.
L’auteur y mêle ses propres souvenirs d’enfance, ceux liés à son père, la liesse des dimanches autour du football, les films vus en commun, leur amour pour les westerns-spaghettis et pour Steve McQueen, leur connivence et la tendresse qui les unissait. Après la mort du père due à l’amiante et aux produits chimiques respirés et ingérés pendant toute son activité professionnelle, le fils et sa mère vont intenter un procès pour faire reconnaître le rôle du patronat, sans beaucoup d’illusions : "Justice est faite ? Non, elle n’est jamais faite. La justice, c’est de ne pas mourir au travail, et de ne pas voir mourir ses collègues. […] C’est de travailler sans être exploité. Et ne pas voir reconnu un droit de vivant seulement après sa mort. La sentence affirme seulement que Renato a été exposé à l’amiante, non pas que l’amiante l’a tué, même si la conclusion n’est pas difficile à tirer ".
Un très bel hommage à ce père, pour lequel l’auteur a ouvert les "réservoirs de la mémoire [pour] la voir couler jour après jour, goutte à goutte, [et] fertiliser une page" : il a consulté les papiers de son père, où il est souvent question de sécurité au travail, de dénoncer le comportement des chefs de chantier, l’abus de pouvoir, l’impact environnemental des usines, les risques d’accidents, les vestiaires et toilettes insalubres, le statut des travailleurs intérimaires et précaires (devenu délégué syndical, il réclame les "mêmes horaires pour tous sur le chantier"), l’embauche de "jeunes […] sur des postes sans avoir l’expérience suffisante du travail". Une sorte de recherche du temps perdu en quelque sorte. Et un coup de poing contre l’État complice, les grandes organisations industrielles qui savaient la nocivité du travail et qui développaient le statut de "petit entrepreneur" au détriment de celui de salarié : Renato, mis au chômage à moment donné, doit se plier à ce nouveau statut pour retravailler (une ubérisation avant la lettre : Renato dut payer "tout seul les cotisations, maladies, indemnités, avec plus de probabilité – statistiquement – de subir des accidents du travail").
L’auteur dénonce aussi la fausse objectivité scientifique du corps médical : les médecins ont bien soigné Renato pour une tumeur mais n’ont pas voulu établir un lien avec ses trente années de travail sur des chantiers où il fut soumis aux diverses poussières de pollution de toutes sortes. Quand Alberto et sa mère entament le combat judiciaire, ils s’aperçoivent que Renato aurait eu le droit de prendre sa retraite sept ans plus tôt qu’il ne l’a fait.
Pour moi qui n’ai pas oublié d’où je viens, j’apprécie qu’on me raconte ainsi l’histoire d’un homme, d’un ouvrier, dans cette deuxième moitié du XXe siècle où se tissait encore un lien social fort, un lien de classe et aussi un lien de famille aimante. Si le père avait eu la "conviction que les envoyer à l’université était une façon de les faire sortir de la subordination de classe", celle-ci s'avère trompeuse, le fils restera un intellectuel précaire. Et finalement, l’auteur montre que l’on est passé d’un temps plein d’espérance à un présent peu porteur d’avenir.

Un très beau livre : le verra-t-on en bibliothèque ? Pas sûr, il ferait tâche au milieu des best-sellers dont raffole un certain public ! Il est tout de même dans une dizaine d'établissements universitaires (ce qui est peu) et pas encore à la Médiathèque de Bordeaux, ni dans le catalogue collectif de France !

jeudi 20 juin 2019

20 juin 2019 : Tout va bien...



Ça faisait quarante-cinq ans que j’attendais que "les pauvres" osent dire qu’ils étaient pauvres, sans en avoir honte. La honte, elle doit être pour ceux qui rendent les gens pauvres !
(Geneviève Legay, L’âge de faire, N° 142, juin 2019)


Il ne fait pas de doute que tout va bien.
Le progrès (ou prétendu tel) nous enfonce chaque jour davantage dans la servitude volontaire que dénonçait il y a cinq siècles l’ami de Montaigne, La Boétie (dans son fameux Discours sur la servitude volontaire), et que le système technologique galopant et le capitalisme triomphant rendent encore plus terrible, sous le masque de la liberté.


Dans son dernier numéro, L’âge de faire pointe du doigt quelques-uns des graves dysfonctionnements du monde actuel liés à la fuite en avant des applications démesurées de la science, du productivisme qui en découle, du capitalisme qui nous soumet à ses lois…
* Prenons l’information et les fameuses fake news : le gouvernement prétend lutter contre, mais n’est-il pas le premier à en annoncer à la télévision quand ça l’arrange ? Ainsi la désormais célèbre "attaque" de l’hôpital de la Salpétrière le 1er mai que claironnait à son de trompe le Ministre de l’Intérieur et qu’ont reprise et répétée à satiété, et sans vérification, les chaînes d’infos en continu, les radios. Quand il s’agit de déconsidérer les autres, on n’est plus à un mensonge près, ni à une fake news officielle ! Après, on s’étonne que les gens ne croient plus à rien… Quand l’exemple de la tromperie vient de si haut, les bras nous en tombent !
** Tout le monde sait que la mer est en danger, polluée, encombrée de matières plastiques, que la surpêche a quasiment vidé la mer de certaines espèces. Mais on continue à dissiper et dilapider les ressources maritimes qui sont loin d’être infinies. Lire Pour une révolution dans la mer, de la surpêche à la résilience (David Gascuel, Actes sud, 2019)
*** On sait aussi les difficultés de l’apiculture, on connaît la mort des abeilles, mais là aussi le productivisme est, semble-t-il, tout autant que les pesticides et autres produits chimiques, en grande partie responsable de ce déclin. La pression économique de l’industrialisation de l’agriculture, le toujours plus et le… consumérisme effréné, sont largement en cause. L’âge de faire propose ce mois-ci un dossier très nourri sur le sujet.
**** Les suicides de paysans sont bien connus, mais sait-on que les petits éleveurs bio sont victimes d’un harcèlement administratif, l’un d’entre eux ayant trouvé la mort sous les balles de gendarmes, parce qu’il s’échappait pour éviter un internement psychiatrique, car bien sûr, ceux qui veulent produire autrement, sainement, sont infiniment plus contrôlés. Les normes, les contrôles, sont bien plus destinés à préserver le commerce des animaux industriels qu’à vérifier la quantité de pesticides (peu contrôlée) de l’agriculture industrielle ou à protéger les populations humaines vivant aux abords de ces fermes démentielles. Sans remise en cause du marché mondial, de la croissance infinie et du capitalisme, le tissu rural va disparaître, comme c’est déjà le cas aux USA.


***** Et maintenant le numérique. On nous a déjà imposé les compteurs linky. La 5G va nécessiter des antennes relais encore plus nombreuses. Il n’est surtout pas question d’être en retard dans ce domaine, les millions d’usagers de smartphones et iphones tirent déjà la langue et salivent à la pensée du gain technologique et de la plus grande efficience qui s’en suivra. Tant pis pour les allergiques à l’exposition aux ondes électromagnétiques et qui vont servir à nouveau de cobayes. Et ne parlons pas de la santé du citoyen lambda. "La ville de Bruxelles s’est prononcée contre l’arrivée de la 5G sur son territoire, faisant justement remarquer qu’il n’y avait aucune garantie concernant la santé des citoyens". Mais tout le monde sait que les Bruxellois sont un peu archaïques : nous sommes modernes, nous, Français !


Dans le dernier Valeurs mutualistes, le mensuel de la MGEN nous apprend que la planète commence à manquer cruellement d’eau : un être humain sur quatre n’a d’ores et déjà pas accès à l’eau potable. Mais nous, pays civilisés, nous avons découvert la merveille que sont les canons à eau pour disperser les manifestants. Je ne sais pas si on manquera bientôt d’eau, mais d’ores et déjà, nos gouvernants ne manquent pas d’air !

mardi 18 juin 2019

18 juin 2019 : le poème du mois


ce marcheur insoumis qui fascine l’orage
(Thierry Metz, Poésies, 1978-1997, P. Mainard, 2017)


Le poème du mois sera cette fois-ci de moi ; je viens de le retrouver, je vous l’offre, bien qu’il aurait été plus judicieux, peut-être, de le garder pour le 24 juin, dixième anniversaire de la mort de Claire.

MA VIE
ma vie
ruban de velours noir
s'enroule autour de mes deuils
ma vie
dans la chaleur du jour
dans les cris des passants les klaxons des taxis
ma vie
arrondie comme une palme
s'élance vers le haut

j'ai toujours aimé courir
courir comme tous les perdants
courir comme un éclopé
courir aussi comme un rebelle
avec le sang indomptable du révolté

ici encore
voyant les fleurs rouges des flamboyants
le vol mélancolique des pique-boeufs altiers
je hante les ombres
je devine une main minuscule
qui recherche la mienne

et c'est une lueur mystique
un formidable enjambement de ma ligne de vie
comme une plaie écartelée
je devine des souffrances enfouies

Jean-Pierre Brèthes 

un recueil à lire, absolument

lundi 17 juin 2019

17 juin 2019 : Palestiniens et gilets jaunes



Ces voleurs-là, dénoncés, ne rougissent pas, ils rient au contraire, peu soucieux d’être provocants. Ils ont eu les places aux plus hauts niveaux politiques et administratifs, ils en attendent d’autres, ces voleurs qui, plus que tout, volent, chaque jour, notre foi dans la démocratie.
(Alberto Lattuada, Souvenir de Giorgio, in Feuillets au vent, trad. Paul-Louis Thirard, Lattès, 1981)



Je n’ai jamais pu supporter l’injustice, l’oppression, le racisme, la mise à l’écart, le harcèlement, la violence institutionnalisée.

la Palestine grignotée ou l'impossibilité de deux états
 
Au moment où un député de l’Assemblée nationale a proposé à ses collègues de voter une résolution visant à assimiler la critique du régime israélien à de l'antisémitisme, on se voit obligés de se défendre contre cette résolution profondément anti-démocratique. On remarquera tout d’abord que ces mêmes députés ne se gênent pas pour critiquer d’autres régimes politiques : celui de la Corée du Nord, celui de l’Iran, celui de la Syrie, ceux du Venezuela ou de Cuba, par exemple. Je ne vois pas en quoi le régime israélien aurait seul le droit d’échapper à la critique.
Comparons avec les pays précités. Occupent-ils indûment, comme Israël, des territoires conquis où ils volent la terre agricole et détruisent les maisons des habitants, où les colons arrachent impunément les oliviers palestiniens, où l’armée israélienne déboule en pleine nuit dans les maisons palestiniennes pour arrêter l’un ou l’autre de ses occupants, arrachant les portes, détruisant tout à l’intérieur, emportant ordinateurs et smartphones, où les habitants sous occupation armée doivent passer des heures à des checkpoints de contrôle qui les empêchent quasiment de circuler, voire d’accéder à un hôpital en cas d’urgence, où les enfants sont molestés, quand ce n’est pas emprisonnés et victimes d’une torture psychique et physique qui les rend hagards et définitivement haineux à l’égard de leurs tortionnaires, où l’eau potable, l’électricité, les médicaments, la nourriture même, sont délivrés au compte-gouttes dans l'immense camp de concentration à ciel ouvert de Gaza où sont entassées près de 2 millions de personnes privées de sortir, et sauvagement assassinées quand elles manifestent pacifiquement pour réclamer le droit de sortir…
Est-ce être antisémite de dire tout cela ? Certainement pas, c’est exprimer une colère et une critique tout aussi légitimes que celles qui nous saisissent contre d’autres pays, tout aussi avares de la défense des droits de l’homme. Ce n’est pas parce qu’on porte un peu de culpabilité du sort fait aux juifs par les nazis qu’il faut applaudir nécessairement quand les Israéliens pratiquent une politique d’occupation qui n’a rien à envier à celle que les nazis ont pratiquée dans les pays qu’ils avaient occupés. Ce n’est pas non plus parce qu’il nous reste un petit remords de notre passé colonial (et des nombreuses horreurs que la France et ses colons ont commises) qu’on va se priver de manifester notre anticolonialisme viscéral, surtout quand il est né pour moi dès 1958, en observant parmi mes condisciples les effets de notre guerre d’Algérie, et qu'il s'est nourri en observant les dégâts pendant mes voyages dans nos anciennes colonies : Maroc, Côte d'Ivoire, Madagascar.
Non, les droits les plus élémentaires des Palestiniens sont bafoués. L’État d’Israël a tout fait pour empêcher la naissance d’un état palestinien viable, et on voit poindre le moment où va se produire un exode de grande ampleur. La vie en Palestine occupée (Cisjordanie et Gaza) est devenue tellement difficile qu’elle tend à l’impossible, même si les jeunes résistent à leur manière (lançant des cailloux, giflant un soldat), et on sent bien que l’objectif inavoué des dirigeants israéliens est de faire partir la population non-juive qui les gêne, les embarrasse… Le sionisme, nationalisme étroit qui prétend que les Juifs ne peuvent échapper à l’antisémitisme que s’ils vivent dans un pays où ils seraient entre-soi, et sur cette terre qui leur revient de droit, car ils en sont le peuple élu, est une idéologie mortifère. De nombreux juifs partout dans le monde se réclament d’ailleurs de l’anti-sionisme.


On doit pouvoir rester critique à l’égard d’un État (comme de tous les états d’ailleurs, à commencer par le nôtre), dont le nationalisme étroit et religieux s’accompagne d’un projet ségrégationniste d’apartheid, ce qui est le cas d’Israël (enfermement de Gaza, mur de Cisjordanie, citoyenneté de seconde zone pour les Palestiniens vivant à l'intérieur d'Israël). Ce n’est pas être raciste que de dire cela. C’est une opinion politique qui relève de l’observation de ce qui se passe dans le pays et dans les territoires occupés. En aucun cas, on ne peut faire l’amalgame avec un quelconque antisémitisme, ce dernier se trouvant d’ailleurs largement alimenté par l’apartheid légal mis en place par le régime. Affirmer sa solidarité avec les peuples opprimés en général, et avec le peuple palestinien en particulier, c’est soutenir la justice et les droits de l’homme.
 
Quand on se bat contre le racisme, on refuse de séparer l’antisémitisme des autres formes de racisme. Si l’antisémitisme a une longue histoire en France, où il n’a jamais disparu, je constate qu’aujourd’hui, l’islamophobie, le racisme anti-noirs, anti-gitans et roms, l’homophobie sous ses diverses formes, voire la méfiance envers les migrants, sont bien plus inquiétants et graves. Et ça n’est sûrement pas une excuse pour empêcher qu’on critique un État qui s’est manifestement érigé en état-raciste et de qui nous n’avons pas de leçons à recevoir.
Même si nous-mêmes, Français, n’avons de leçons à donner à personne, quand on voit le degré de violence de la répression des manifestations de gilets jaunes. Tout comme les Israéliens, nous utilisons les mêmes méthodes répressives : les gaz lacrymogènes sont loin d’être innocents (ils sont même particulièrement nocifs), et je préfère ne pas m’appesantir sur les flashballs et autres armes de guerre destinés à nous faire croire que notre peuple, dont nos dirigeants font semblant d'avoir si peur, est dangereux. En soutenant les droits des Palestiniens, nous soutenons les droits menacés de notre peuple, n’en déplaise à nos dirigeants !

samedi 15 juin 2019

15 juin 2019 : revoilà Silien Larios



Le seul conseil, à vrai dire, qu’on puisse donner sur la lecture est de ne pas suivre de conseils, de se fier à son instinct, de faire usage de sa raison et de tirer ses propres conclusions.
(Virginia Woolf, Comment lire un livre, L’Arche, 2008)


Avec La Tour de Malévoz, Silien Larios relate une parenthèse dans sa vie : à la suite de la publication de son roman racontant une grève, L'usine des cadavres, , il est accueilli en résidence d'artiste de deux mois à l'hôpital psychiatrique de Malévoz, dans le Valais suisse. C'est un hôpital en milieu ouvert, sans portes et sans clefs ! La résidence devant s'achever par la grande kermesse de l'hôpital à laquelle participent le personnel et les pensionnaires, ainsi que les artistes invités.


« La tour de l’hôpital psychiatrique de Malévoz s’aperçoit au loin dans les cimes helvètes. La brume matinale la rend irréelle. » Le narrateur fait part de ses rencontres, qui vont du personnel soignant aux résidents, « êtres souffrant de troubles, nécessitant prioritairement le soulagement d’une souffrance existentielle ou relationnelle !... » Des êtres meurtris par la vie, qu'il apprivoise et qui lui font oublier ce qu'il appelle ses « névroses » d'ouvrier à la chaîne, lui aussi esquinté d'une autre manière.
Peu à peu, au fil des jours et des promenades et rencontres (Pablo, le moine, surnommé Saint Nicolas, lecteur de Céline et de Proust, aux curieuses homélies antireligieuses, Lenka, la psychologue, qui fait aussi du travail social en prison, Pascal le syndicaliste, Valentin le pianiste, Elsa la Polonaise, qu'il suppose rescapée des camps, Alain, le fou lunatique, capable de faire fuir les dames patronnesses venues apporter la bonne parole, Lili, la gitane diseuse de bonne aventure, Anaïs, la comédienne ambulante, le médecin-chef...), à l'intérieur du périmètre de l'hôpital ou dans les environs, dans la vallée en déconfiture économique, le narrateur, soucieux d'écouter (« Les yeux fermés, c’est d’une époque l’autre... D’un enchantement musical l’autre... ») et de regarder, les observe faire du théâtre, de la musique, du jardinage, préparer la fête, soigner, danser, boire et ripailler aussi. Il contemple également la nature, la montagne, les arbres et en saisit les nuances et la poésie.
L'auteur-narrateur a gardé de son passé d'ouvrier (qu'il reprendra d'ailleurs dès son retour en France) un ton farouche, indépendant, insoumis, indomptable même, que révèlent son style d'écriture (à bas la norme !) et son souci d'ouverture : « Je suis un humaniste avant tout !... Je perçois les rapports humains sous cet angle-là !... J’échange des idées et impressions avec le maximum de personnes que la vie fait rencontrer !... » Et il est bien obligé de constater que « Les fous !... Les marginaux font peur !... Dans une société en perdition ce sont les seuls qui peuvent défier tout les pouvoirs !... »
Il tire de sa résidence d'écrivain une expérience à plus d'un titre initiatique : loin de la ville et de son bruit, de sa pollution, loin des sentiers tracés de la vie ordinaire, familiale, professionnelle, il retrouve ici une combativité pour dénoncer avec ses phrases courtes, hachées, rageuses, les maux de notre temps, le conformisme en premier lieu, ce en quoi il se trouve en harmonie avec la plupart des personnes rencontrées. Le médecin-cher finit par lui avouer : « Le milieu hospitalier a tendance à avoir un côté normatif !... Or on a besoin que l'hôpital psychiatrique soit en quelque sorte un bordel organisé !..., un lieu organique, vivant. En ce sens, j'ai envie de dire qu'avec les artistes, on introduit enfin la folie à l'hôpital !... » Silien Larios se trouve pleinement d'accord avec Virginia Woolf : « Soyez une seule fois conforme, faites une fois ce que les autres font parce que cela se fait, et la léthargie gagne les nerfs les plus fins et les facultés les plus ténues de l’âme. Celle-ci devient tout spectacle à l’extérieur et vide à l’intérieur ; morne, endurcie, indifférente.. » (Virginia Woolf, "Montaigne", in Lectures intimes, R. Laffont, 2013)
Cependant l'auteur nous prévient en exergue : « Tout le raconté dans ce roman [qui est avant tout un récit], lieu, personnages, action, est imaginaire ! Absolument fictif! ! La seule réalité se trouve dans un ailleurs ! » Ce fictif, cet ailleurs que seule la littérature ou l'art permet, et qui nourrissent l'imaginaire du narrateur. Voulez-vous aller dans ce fictif-là ? Je vous y engage vivement…


D'autant plus que les peintures de Philippe Fagherazzi, artiste invité au même moment, offrent un contrepoint somptueux dans un style pictural aussi cru, sauvage et brut que l'écriture de l'auteur.