Le
pire dans l'isolement c'est quand il n'ouvre à aucune solitude.
(Patrick
Chamoiseau, L'empreinte à Crusoé)
Je
dois aller mieux puisque j'ai estimé que je pouvais m'absenter de
chez moi deux heures pour aller au cinéma ! Et voir quel film !
Un film que n'aurait pas désavoué Victor Hugo, un film sur les
misérables d'aujourd'hui et, parmi eux, les plus misérables, les
femmes en prison et parmi elles, les encore plus misérables, les
femmes enceintes ou avec bébé. Par mes fréquentes visites en
prison, je connais l'horreur carcérale. Cependant, je n'avais encore
jamais vu un film français de fiction reflétant avec autant de
vigueur et d'authenticité la vie en prison, et dans une prison de
femmes. Il y a certes le formidable documentaire de Stéphane
Mercurio, À
côté, que
je recommande vivement.
On
est saisi dès le début, empoigné par Ombline.
On y voit une femme, à l'étroit dans une pièce, qui lit un album
« L'arche de Noé » à son très petit enfant qu'elle
enserre contre sa poitrine. Retour en arrière : Ombline est
incarcérée enceinte et, jusqu'au dernier moment, doit partager une
cellule avec deux autres détenues, heureusement, car ce sont elles
qui ameutent les gardiennes, au moment où l'accouchement se précise.
Mais il n'y a plus de médecin, et on est en week-end, il faudra
attendre lundi pour être emmenée à l'hosto, estiment dans un
premier temps les matonnes !!! Devant l'urgence, et le risque de
mort, on finit quand même par appeler une ambulance et par la
transporter, menottée (!), à l'hôpital. Ombline y accouche d'un
garçon, qu'elle pourra garder dans sa cellule, à la « nursery »
de la prison, jusqu'à l'âge de dix-huit mois, c'est la loi. Comme
elle a été condamnée à trois ans pour avoir agressé un policier,
le petit Lucas sera donc confié à une famille d'accueil en
attendant sa sortie.
Ombline
va devoir se battre contre les conditions pénitentiaires, tout
autant que contre elle-même et ses démons intérieurs. Orpheline de
mère, elle voit son père être mis en prison pour une longue
détention quand elle a treize ans. Placée en foyer jusqu'à l'âge
adulte, elle y rencontre José. Quand celui-ci, un petit trafiquant,
est cerné par la police, et se jette du quatrième étage pour leur
échapper (il meurt), elle pète un plomb et blesse un policier à
l'arme blanche, les rendant responsables de la mort de son ami. Dans la nursery de la
prison, elle découvre la solidarité de ces femmes encellulées avec
bébé. Elle rencontre aussi la détermination bêtement
administrative des surveillantes qui appliquent le règlement à la
lettre et aussi la méchanceté de certaines, aussi bien que la bienveillance de
l'une d'entre elles : tout n'est donc pas noir et blanc (ce qui
m'a rappelé cette phrase de Simone Weil, citée par Pietro
Citati, dans son Portrait
de Simone Weil,
in Portraits de
femmes :
"Lorsqu'un
être humain, quel qu'il soit, dans n'importe quelles circonstances,
me parle sans brutalité, je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression
qu'il doit y avoir une erreur, et que l'erreur va sans doute
malheureusement se dissiper").
Mais
globalement, en prison, c'est l'inhumanité qui domine. Sans parler
de la violence carcérale quand, une fois son bébé placé en
famille d'accueil, elle retrouve une cellule normale et surpeuplée :
elles sont à trois dans une cabine prévue pour deux, avec donc un
matelas rajouté par terre pour elle. Elle retrouve aussi les cours
de promenade, où la brutalité est reine. Ombline doit apprendre à se
battre pour conserver sa dignité, préserver son avenir et sa chance
de pouvoir récupérer son enfant à la sortie ; elle découvre
que, comme l'écrit Alexandre
Jollien, dans La construction de soi,
"on
ne naît pas libre, on le devient. Et se libérer procède d'un acte
généreux, simple et exigeant. Sans rien nier, je peux, de proche en
proche, m'émanciper pour cesser d'être l'esclave résigné des
circonstances, le jouet de mes passions." Ce que parvient à réaliser Ombline, au fil d'un parcours difficile, mais qui la rend suffisamment forte pour affronter la sortie.
Les
actrices sont extraordinaires, Mélanie Thierry en premier (déjà
vue dans La princesse de
Montpensier), et aussi Corinne
Maserio, dans le rôle d'une détenue féroce, aussi impressionnante
que dans Louise Wimmer. Un excellent premier film !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire