Et
c'est d'être habités par des gens qui regardent
Le
reste avec mépris du haut de leurs remparts
La
race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les
imbécil's heureux qui sont nés quelque part.
(Georges
Brassens, La
ballade des gens qui sont nés quelque part)
Il
y a des critiques que je ne comprends pas : dans le même
numéro, Télérama encense
Les beaux jours
(ce navet sans âme) et éreinte Né
quelque part, le film de Mohamed Hamidi ;
j'ai voulu en avoir le cœur net, et je suis donc, après le premier, où
je m'étais copieusement embêté (en restant poli !), allé
voir le second. Bien sûr, c'est tout l'opposé : le côté
artificiel du premier est remplacé ici par la faconde populaire
(Jamel Debbouze et d'autres acteurs que je ne connaissais pas, en
particulier le fabuleux réceptionniste du téléphone du café
Secteur) et l'émotion, les sentiments délicats et vrais. C'est
assez curieux, parce que peu avant, j'avais vu L'absence,
un film sénégalais qui conte un peu la même histoire : le
retour au pays d'un qui a réussi ses études.
Mais alors que L'absence est d'un pessimisme absolu (le film n'est d'ailleurs jamais sorti en France, alors qu'il date de 2009, c'est une copie de festival que nous avons vue, avec sous-titres en français et en anglais – c'était dans le cadre de la manifestation Sénéfesti 2013, organisée à Bordeaux par l'Union des Travailleurs Sénégalais en France, où milita dans les années 50 le regretté romancier et cinéaste Ousmane Sembène), Né quelque part reste assez optimiste, malgré des scènes rudes et réalistes (le vol des papiers, les difficultés avec l'administration aussi bien algérienne, à la mairie, que française, au consulat, les clandestins dans la soute du cargo, la détention en centre de rétention).
Mais alors que L'absence est d'un pessimisme absolu (le film n'est d'ailleurs jamais sorti en France, alors qu'il date de 2009, c'est une copie de festival que nous avons vue, avec sous-titres en français et en anglais – c'était dans le cadre de la manifestation Sénéfesti 2013, organisée à Bordeaux par l'Union des Travailleurs Sénégalais en France, où milita dans les années 50 le regretté romancier et cinéaste Ousmane Sembène), Né quelque part reste assez optimiste, malgré des scènes rudes et réalistes (le vol des papiers, les difficultés avec l'administration aussi bien algérienne, à la mairie, que française, au consulat, les clandestins dans la soute du cargo, la détention en centre de rétention).
Farid
donc, né en France, et qui n'a pas encore achevé ses études de
droit, doit remplacer son père, malade, pour aller faire un saut en
Algérie, pays qu'il ne connaît pas et dont il ne parle pas la
langue (il la comprend toutefois). En effet, la maison que son père
a construit pierre par pierre pendant ses vacances au bled,
est menacée de destruction, l'État
algérien voulant faire passer un gazoduc à son emplacement ;
or, le père ne veut pas vendre sa
maison. Farid est embêté parce qu'il a ses examens à passer et qu'il doit donc quitter sa
bonne amie, déjà avocate, à qui il ne peut tout dire, car il ne
l'a pas encore présentée à sa famille. Mais il doit partir, sans
conviction. Sur place, il découvre donc le bled, son oncle et sa
tante, son cousin qui le chaperonne, les voisins et tout le petit
monde du village proche, où il faut aller pour téléphoner à
l'unique téléphone public, celui du café Secteur. Chemin faisant, il
découvre les problèmes d’un pays où les hommes sont en proie au
découragement (pas de travail, pas d'argent, pas de relations avec
les femmes), obligés à une certaine débrouille (pour ne pas dire
magouilles et trafics) et cultivent un mélange d'attirance et de
rejet de la France. Il se découvre étranger dans son pays
d'origine ! Mais il découvre aussi la chaleur humaine (les
voisins, les scènes du café et du mariage), la joie de vivre (la
scène du mouton) et la tendresse (la scène avec sa jeune voisine
qui le verrait bien comme époux, ou celle où sa tante étend le
linge qu'elle lui a lavé) de ce peuple malgré tout éloigné de
lui, ne serait-ce que par le mode de vie, les traditions, la religion
(scène de la mosquée, où Farid attend dehors pendant la prière)
et même la langue, car il ne baragouine que quelques mots d'arabe.
Jamel
Debbouze joue à contre-emploi le rôle du cousin magouilleur
sympathique, mais assez salaud, et on n'est pas loin de Pagnol dans
l'aspect interculturel du film, et dans les scènes du café
Secteur, havre de paix, de réconfort et d'amusement, dont les
dialogues pétillants sont remplis d'un humour souvent décapant des
lascars du bled (internet, la France, Pigalle et les petites femmes
de Paris, les visas… les blagues : « Tu sais comment on
dit intimité en Algérie ? – Ça
n'existe pas ! » et tout le groupe de se moquer du
Français Farid et de hurler de rire)
qui se consolent comme ils peuvent de leur manque d'avenir en jouant
(au domino), en buvant, en fumant et en parlant. Un peuple capable de
rire de lui-même n'est pas condamné au malheur ! Farid
(excellent Tewfik Jallab) découvre un pays qui n'est pas "libéré
des normes sexuelles qui ont assigné depuis si longtemps aux hommes
et aux femmes non seulement un destin social mais aussi une manière
de penser, de sentir, de se comporter, au point de les empêcher de
vivre et de respirer librement"
(comme écrit Serhe Hefez dans le livre dont je causais hier) et,
après le charme de la découverte des beaux paysages, des
habitations, des relations humaines et sociales,
ce sera vite le cauchemar, à partir du moment où son cousin lui
fauche son passeport pour partir en France et pour y faire des
bêtises. Le film ne dresse aucun constat, ni pour ou contre
l'Algérie (dont les difficultés de vie ne sont pas esquivées –
pauvreté, chômage, paperasserie administrative), ni pour ou contre
la France (sont malgré tout évoqués les difficultés d'obtenir un
visa, et le sort des clandestins pris à l'arrivée et placés en
centres de rétention). Farid ne reviendra pas indemne de ce voyage
en quelque sorte initiatique, il va être bousculé dans ses
certitudes. Mais au spectateur de tirer une leçon, s'il y a lieu.
Tout peut se résoudre, Inch'Allah.
Difficile
après avoir vu ce film de dire à ces jeunes nés en France :
« Vous n'êtes que des étrangers ! » C'est donc aussi un
film utile pour le dialogue interculturel, pour le mieux vivre
ensemble, et pour permettre aux jeunes issus de l'immigration de se
dire : « Ben, en France, on souffre, mais là-bas c'est
pas mieux ! » et aussi aux jeunes de
souche
de se rappeler que, comme le chantait Maxime Le Forestier, "Être
né quelque part / Être né quelque part / Pour celui qui est né /
C'est toujours un hasard".
Chose,
hélas, trop communément oubliée.
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