mercredi 26 juin 2013

26 juin 2013 : "Né quelque part"


Et c'est d'être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbécil's heureux qui sont nés quelque part.
(Georges Brassens, La ballade des gens qui sont nés quelque part)

Il y a des critiques que je ne comprends pas : dans le même numéro, Télérama encense Les beaux jours (ce navet sans âme) et éreinte Né quelque part, le film de Mohamed Hamidi ; j'ai voulu en avoir le cœur net, et je suis donc, après le premier, où je m'étais copieusement embêté (en  restant poli !), allé voir le second. Bien sûr, c'est tout l'opposé : le côté artificiel du premier est remplacé ici par la faconde populaire (Jamel Debbouze et d'autres acteurs que je ne connaissais pas, en particulier le fabuleux réceptionniste du téléphone du café Secteur) et l'émotion, les sentiments délicats et vrais. C'est assez curieux, parce que peu avant, j'avais vu L'absence, un film sénégalais qui conte un peu la même histoire : le retour au pays d'un qui a réussi ses études. 

Mais alors que L'absence est d'un pessimisme absolu (le film n'est d'ailleurs jamais sorti en France, alors qu'il date de 2009, c'est une copie de festival que nous avons vue, avec sous-titres en français et en anglais – c'était dans le cadre de la manifestation Sénéfesti 2013, organisée à Bordeaux par l'Union des Travailleurs Sénégalais en France, où milita dans les années 50 le regretté romancier et cinéaste Ousmane Sembène), Né quelque part reste assez optimiste, malgré des scènes rudes et réalistes (le vol des papiers, les difficultés avec l'administration aussi bien algérienne, à la mairie, que française, au consulat, les clandestins dans la soute du cargo, la détention en centre de rétention).
Farid donc, né en France, et qui n'a pas encore achevé ses études de droit, doit remplacer son père, malade, pour aller faire un saut en Algérie, pays qu'il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue (il la comprend toutefois). En effet, la maison que son père a construit pierre par pierre pendant ses vacances au bled, est menacée de destruction, l'État algérien voulant faire passer un gazoduc à son emplacement ; or, le père ne veut pas vendre sa maison. Farid est embêté parce qu'il a ses examens à passer et qu'il doit donc quitter sa bonne amie, déjà avocate, à qui il ne peut tout dire, car il ne l'a pas encore présentée à sa famille. Mais il doit partir, sans conviction. Sur place, il découvre donc le bled, son oncle et sa tante, son cousin qui le chaperonne, les voisins et tout le petit monde du village proche, où il faut aller pour téléphoner à l'unique téléphone public, celui du café Secteur. Chemin faisant, il découvre les problèmes d’un pays où les hommes sont en proie au découragement (pas de travail, pas d'argent, pas de relations avec les femmes), obligés à une certaine débrouille (pour ne pas dire magouilles et trafics) et cultivent un mélange d'attirance et de rejet de la France. Il se découvre étranger dans son pays d'origine ! Mais il découvre aussi la chaleur humaine (les voisins, les scènes du café et du mariage), la joie de vivre (la scène du mouton) et la tendresse (la scène avec sa jeune voisine qui le verrait bien comme époux, ou celle où sa tante étend le linge qu'elle lui a lavé) de ce peuple malgré tout éloigné de lui, ne serait-ce que par le mode de vie, les traditions, la religion (scène de la mosquée, où Farid attend dehors pendant la prière) et même la langue, car il ne baragouine que quelques mots d'arabe.


Jamel Debbouze joue à contre-emploi le rôle du cousin magouilleur sympathique, mais assez salaud, et on n'est pas loin de Pagnol dans l'aspect interculturel du film, et dans les scènes du café Secteur, havre de paix, de réconfort et d'amusement, dont les dialogues pétillants sont remplis d'un humour souvent décapant des lascars du bled (internet, la France, Pigalle et les petites femmes de Paris, les visas… les blagues : « Tu sais comment on dit intimité en Algérie ? – Ça n'existe pas ! » et tout le groupe de se moquer du Français Farid et de hurler de rire) qui se consolent comme ils peuvent de leur manque d'avenir en jouant (au domino), en buvant, en fumant et en parlant. Un peuple capable de rire de lui-même n'est pas condamné au malheur ! Farid (excellent Tewfik Jallab) découvre un pays qui n'est pas "libéré des normes sexuelles qui ont assigné depuis si longtemps aux hommes et aux femmes non seulement un destin social mais aussi une manière de penser, de sentir, de se comporter, au point de les empêcher de vivre et de respirer librement" (comme écrit Serhe Hefez dans le livre dont je causais hier) et, après le charme de la découverte des beaux paysages, des habitations, des relations humaines et sociales, ce sera vite le cauchemar, à partir du moment où son cousin lui fauche son passeport pour partir en France et pour y faire des bêtises. Le film ne dresse aucun constat, ni pour ou contre l'Algérie (dont les difficultés de vie ne sont pas esquivées – pauvreté, chômage, paperasserie administrative), ni pour ou contre la France (sont malgré tout évoqués les difficultés d'obtenir un visa, et le sort des clandestins pris à l'arrivée et placés en centres de rétention). Farid ne reviendra pas indemne de ce voyage en quelque sorte initiatique, il va être bousculé dans ses certitudes. Mais au spectateur de tirer une leçon, s'il y a lieu. Tout peut se résoudre, Inch'Allah.
Difficile après avoir vu ce film de dire à ces jeunes nés en France : « Vous n'êtes que des étrangers ! » C'est donc aussi un film utile pour le dialogue interculturel, pour le mieux vivre ensemble, et pour permettre aux jeunes issus de l'immigration de se dire : « Ben, en France, on souffre, mais là-bas c'est pas mieux ! » et aussi aux jeunes de souche de se rappeler que, comme le chantait Maxime Le Forestier, "Être né quelque part / Être né quelque part / Pour celui qui est né / C'est toujours un hasard".
Chose, hélas, trop communément oubliée.

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