Petite
précision sur l’emploi du terme « intelligent » :
il fut un temps, pas si lointain, où cet adjectif qualifiait surtout
des êtres vivants, des humains par exemple. Aujourd’hui, ne sont
intelligents que des objets, des applications, des compteurs, voire
des villes.
(Nicolas
Bérard, L’âge de faire, N°
141, mai 2019)
C’est
toujours terrible de rentrer, après quinze jours presque autant hors
du temps que si j’étais parti sur un cargo vers de lointains
horizons ! Il faut dire que la Côte d’Opale et la Côte
picarde sont loin d’être des destinations très courues en cette période. Nous
étions presque seuls, l’ami C. (choletais devenu bisontin) et moi
(redevenu bordelais après 43 ans d’éclipse), à nous balader
longuement sur les longues plages de Berck, de Fort-Mahon, de
Quend-plage ou du Crotoy, de la Baie d’Authie (où nous aperçûmes
de nombreux phoques) à la Baie de Somme, avec ces marées
extraordinaires qui dégagent la plage sur des centaines de mètres,
ce ciel souvent bleu ou voilé, ce vent qui nous a fortement hâlés.
échouage sur la plage
C’était
aussi un retour aux sources pour moi, puisque de 1984 à 1985, j’ai
travaillé à Amiens, et donc cette côte picarde était une destination assez
fréquente dès les beaux dimanches de mai, avec nos deux enfants
encore petits. Si le temps était relativement frais (pour moi le
sudiste, par pour C. habitué à des rigueurs hivernales dans le
Doubs), c’était finalement mieux pour les belles balades sur le
sable, dans les dunes, sous les pinèdes ou près des marais.
chemin picard
le phoque qui me fait les yeux doux
De
temps en temps nous croisions quelques péquins avec leur chien
(souvent des shih tzu selon C.) et, dans les petites agglomérations,
d’improbables couples, un camelot vendeur de chaussettes et
dévidant son boniment assorti d’une blague vaseuse (au marché de
Berck), les jeunes employé.es de l’office de tourisme de Quend-Plage (qui
fait cybercafé), les coureurs au départ d’une étape cycliste des Quatre jours
de Dunkerque (qui durent six jours, cherchez l’erreur !), la
caissière loquace du cinéma associatif local (quatre films par semaine,
prix imbattable) qui vit toute l’année dans la station balnéaire
réduite à 70 habitants l’hiver sans aucun commerce, sauf le
cinéma qui draine la population des communes environnantes, la
boulangère qui ressemblait à Catherine Frot jeune, une boite à
livres où j’ai dégoté une perle du roman populaire de 1890, Le
crime d’une sainte, de Pierre Decourcelle, mélange de mélo et
de roman policier, que j’ai dégusté avec plaisir…
4 jours de Dunkerque : départ à Fort Mahon
le calvaire géant près de la plage de Berck
Bref,
on a baguenaudé…
Francis Tattegrain : portrait d'un vieillard de l'asile de Berck
(Musée de Berck)
à Berck, villa au décor gothique (?)
On
a peu roulé. Car j’avais loué une voiture Toyota hybride à boîte
automatique, avec démarreur intelligent. Tellement
intelligent qu’après notre premier arrêt, impossible de
repartir. Obligé de téléphoner à l’agence de location, je
m’entends dire qu’il n’y a pas plus simple. Dix minutes au
téléphone quand même avant de réussir à redémarrer (ils
s’apprêtaient à nous envoyer un de leurs sbires pour nous
expliquer comment faire !). De plus, le GPS était si compliqué à
utiliser (pour nous qui étions novices en la matière) que nous
n’avons pas réussi à trouver le clavier digital qui nous aurait
permis de taper notre destination (heureusement que j'avais emporté mon atlas routier). Par ailleurs, nous avons roulé
sans avertisseur sonore, ce dernier étant introuvable sur le tableau
de bord (et non indiqué sur le livret-notice technique du véhicule). Ah !
Elles sont chouettes, les voitures actuelles, connectées (?),
intelligentes (?)… Fort heureusement, nous avons rendu la nôtre
sans une égratignure !
la terrasse de la maison de Catherine, où nous mangions le midi
Beaucoup
de discussions avec C. sur les bibliothèques et leur devenir. La
dernière lubie actuelle étant d’affecter un budget pour des achats de jeux
vidéos à mettre à disposition des usagers, ceci afin d’attirer
les jeunes générations. Bien sûr, j’ai lu récemment que "la
génération qui arrive aujourd’hui aux postes d’enseignants et
de chercheurs a été biberonnée aux jeux vidéo et aux séries
télé. Tout cela lui est familier et lui semble donc
légitime". Est-ce une raison pour oublier la raison d’être
d’un établissement culturel ? Conforter nos jeunes sur une
addiction décérébrante, est-ce encore notre rôle ? Quand je
dis qu’il est temps que je quitte ce monde !
dans la pinède
Je
finirai en citant ce qu’écrivait Pier Paolo Pasolini dans ses
Écrits corsaires (Flammarion, 1976) : "[La société
de consommation] a touché [les jeunes] dans ce qu’ils ont
d’intime, elle leur a donné d’autres sentiments, d’autres
façons de penser, de vivre, d’autres modèles culturels. Il ne
s’agit plus, comme à l’époque mussolinienne, d’un
enrégimentement superficiel, scénographique, mais d’un
enrégimentement réel, qui a volé et changé leur âme".
sculpture devant l'Office de tourisme de Quend-Plage