dimanche 26 mai 2024

26 mai 2024 : retour de stage

Il y eut des chrétiens avant le Christ. Nous devrions en éprouver de la gratitude. Le malheur est qu'il n'y en en ait plus eu depuis lors. Je ferai une exception pour saint François d'Assise. Mais Dieu lui avait donné à sa naissance l'âme d'un poète; et lui-même, très jeune encore, avait pris, en un mariage mystique, la pauvreté pour épouse. Et, avec l'âme d'un poète et le corps d'un mendiant, il trouva facile le chemin de la perfection. Il comprit le Christ et devint pareil à lui.

(Oscar Wilde, De profundis, trad. Léo Lack, Le Livre de poche, 2000) 


Le stage est fini. J'étais dans l'Hérault, sur les hauteurs de Saint-Martin de Londres, dans un centre qui accueille des stages divers et variés, dans un cadre de nature boisé et rocheux, au pied des Cévennes, logé dans un hameau de mas restaurés, comprenant :

une hôtellerie avec restauration en partie végétarienne (c'est ce que j'ai pris, j'ai adoré)pouvant nourrir plus de cent personnes ;

des salles plus ou moins grandes pour le déroulement des stages : nous étions 18 (dont 1 Australien ne parlant qu'anglais et quatre Belges), plus un maître de stage et deux assistants ;

des chambres de une à quatre personnes dans le mas principal, plus des cassines et des cabanes en bois dans la forêt proche, et même des tentes pour l'été ;

un terrain immense avec des petites bois et une immense piscine jouxtant l'auberge en contrebas (deux de notre groupe s'y sont baignés).

Le stage de remise en forme et de recherche de notre force intérieure était très dense, à base d'exercices physiques et spirituels, comprenant des séances de méditation sur des textes et musiques indiens et tibétains, de la danse (vingt ans que je n'avais pas dansé depuis mes stages de qi gong de 2003 à 2005), du massage des exercices au sole en solo, duo, trio ou en groupe. J'étais de loin le plus âgé, la moyenne devais se situer ente 40 et 45 ans.

 


Avant de m'endormir, je lisais les Récits d'un pèlerin russe, un classique anonyme russe de 1870, un très grand livre de quête spirituelle chrétienne, livre qui convenait particulièrement bien comme compagnon du stage, qui a aussi contribué à m'élever l'âme. Je suis sûr que Poutine n'a jamais lu ce livre.

J'ai revu mon kiné en rentrant : en me massant les lombes, il m'a dit qu'il n'avait pas trouvé cette région de mon corps aussi souple et détendue depuis longtemps. Les effets du stage sont donc positifs, intérieurement et physiquement.

Voici les ressentis de fin de stage, après quelques jours de repos, sous forme de litanie poétique :


SORTIE DE STAGE

mes impressions intimes sont que j'ai traversé 

les labyrinthes et les obscurités du Temps

j'ai évacué le désert et les plaies du monde moderne

j'ai trouvé un chemin furtif et secret

plein de fraternité, de bienveillance et d'harmonie

à l'écart du vide existentiel

avec des proches vivifiants et aimants


comme si une force active s'était mise à bouillonner dans mon cœur

comme si j'avais suivi une ardente voie spirituelle

comme si j'avais reçu un appel pour surmonter mes ignorances

comme si j'avais surpris un entendement clair et sacré

comme si je m'étais délesté des illusions de ce monde

pour recevoir une grâce intérieure 


c'est pourquoi je me suis trouvé au bord des larmes

mon esprit s'égarait loin de ma prison habituelle

loin de ma pesanteur et de mes peurs ordinaires

cheminant désormais à l'orée d'un nouvel âge

l'air était merveilleux dans ce lieu enchanteur

mes larmes témoignaient d'une joie insolite


comme si le moment était propice à une renaissance

comme si mon âme était à portée de ma main

comme si tout chagrin, submergé, disparaissait

comme si j'avais abouti dans un autre univers

comme si mes larmes épousaient une paix inédite

 

et je suis redevenu humble, prêt à accepter les autres

et toute manifestation d'amour et de fraternité

dans un ciel infini rempli de choses douces 

mon corps éclate loin des rivages vils

et ma force décuplée trace un avenir


 




samedi 11 mai 2024

11 mai 2024 : la marche du monde

Chaque classe sociale aurait prêché l'importance des vertus qu'aucun de ses membres n'aurait besoin de pratiquer. Les riches auraient souligné les mérites de l'épargne et les oisifs font assaut d'éloquence sur la dignité du travail.

(Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, trad. Richard Crevier, GF, 1995)

 

Hier, à l'atelier d'écriture, une des participantes, Isa, a choisi pour thème le bon goût et a composé un texte magnifique sur la manière dont celui-ci est imposé à la société tout entière (il suffit d'écouter la radio et de regarder la télévision, je n'ose plus dire lire le journaux, puisque plus personne, ou presque, n'en lit) par une minorité de privilégiés qui, du haut de leur statut, se permettent de critiquer les masses populaires(les pauvres, les illettrés et les analphabètes, les migrants, les SDF, les anormaux, etc.) tout en les pressurant de toutes les façons.

                                                            dessin de Karak

Et, comme écrivait Oscar Wilde, de prêcher les vertus de l'épargne à ceux qui, le matin, ne savent pas encore ce qu'ils vont bien pouvoir manger dans la journée, ni même s'ils sont manger quelque chose, et de prôner l'abstinence à ceux dont la seule consolation se trouve dans une cigarette ou une cannette de bière, et de louer la propreté à ceux qui pas d'autre toit que le ciel, et de célébrer le travail devant ceux qu'ils mettent au chômage, et de glorifier les mérites de l'instruction à ceux qui n'ont pas les codes pour suivre une scolarité normale, etc., etc...

Je lis aussi chez Oscar Wilde : "Il y eut des chrétiens avant le Christ. Nous devrions en éprouver de la gratitude. Le malheur est qu'il n'y en ait plus eu depuis lors. Je ferai une exception pour saint François d'Assise. Mais Dieu lui avait donné à sa naissance  l'âme d'un poète, et lui-même, très jeune encore, avait pris, en un mariage mystique, la pauvreté pour épouse. Et, avec l'âme d'un poète et le corps d'un mendiant, il trouva facile le chemin de la perfection. Il comprit le Christ et devint pareil à lui (De profundis, trad. Léo Lack, Le libre de poche, 2000).

Mais, pour un François d'Assise, combien de paradeurs sans états d'âme, combien d'exploiteurs sans vergogne, combien de politicards nés dans des draps de soie et qui prétendent savoir tout, combien de criminels de geurre ui, malheureusement, mènent le monde, et que le menu peuple est prié de ne pas critiquer...

Et j'ai compris Isa d'avoir dévoilé l'hypocrisie de ces gens de la haute qui prétendent vouloir nous guider, nous imposer notre façon de vivre sous la férule de lois iniques et scélérates. Allez voir le magnifique film japonais le mal n'existe pas et son superbe héros Takumi. Sans avoir l'air d'y toucher, cet ermite des bois nous console de la démence du monde.

Et Madame Mimi est décédée le lendemain de ma visite, j'ai retenu sa dernière phrase : "C'est la fin".

 

 

mardi 7 mai 2024

7 mai 2024 : la chanson du mois, politique et polémique

vous êtes mauvais sujet, partant séditieux ; on vous applique la loi, et quelquefois, on vous l’applique un peu rudement, comme on fit dernièrement à dix de nos plus paisibles habitants…

(Paul-Louis Courier, Pamphlets politiques (1816-1824), Theolib, 2020)



Je vous propose comme chanson du mois une chanson d’actualité : la chanson de GieDré, Des droits de l’homme aux prudhommes, en défense de Guillaume Meurice, humoriste qui va être privé de ses chroniques à France inter pour s’être moqué, assez méchamment, je l’avoue, de Benjamin Netanyahou.
Pour l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=AHLKmioO1o0
Je n’en ai pas le texte, c’est plutôt une chanson de chansonnier, comme on disait dans ma jeunesse, quand il y avait des chansonniers à la radio, qui mettaient l’actualité ou la politique en chanson.

 

lundi 6 mai 2024

6 mai 2024 : le moral en berne

 

Ne rien posséder, mais demeurer fidèle à sa jeunesse, ce feu sacré qui ne dure pas. Faire face à la mort avec la même innocence que l’enfant qui respirait l’odeur des lentisques devant la mer. Garder jusqu’au bout cette présence au monde et puis partir en une nuit, sans un bruit, parce que le moment est venu.

(Sophie Avon, Une femme remarquable, Mercure de France, 2021)



La vieille dame est fragile : pensez donc, Madame Mimi (c’est ainsi qu’elle veut qu’on l’appelle) a 102 ans, elle est aveugle, depuis un glaucome mal soigné il y a quelques années, un peu sourde aussi, et  ne se déplace, poussée par une aide-soignante, qu'en fauteuil roulant. Mais elle parle encore trè bien, comprend bien et souhaite qu’on lui fasse la lecture. Mais pas de n’importe quoi : de romans qu’elle a aimés dans sa jeunesse. Elle a voulu commencer avec moi par Le portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde. Très beau choix, mais pas facile à lire à haute voix : les dialogues (nombreux) sont un peu verbeux. Je lui lis pendant 45 minutes environ.
Ensuite nous papotons. Elle me raconte des pans de sa vie. Elle a eu cinq enfants, n'a dons pas travaillé à l'extérieur, deux garçons encore vivants, dans la septentaine, et trois filles, toutes décédées. « Forcément, quand on vit si longtemps, vos enfants meurent avant vous ! », me dit-elle. Elle trouve qu’elle a trop longtemps vécu et que, malgré la qualité de l’EHPAD où elle vit, elle est tout à fait favorable à l’euthanasie ou au suicide assisté. « Ce n’est plus une vie, c’est une survie », me claironne-t-elle presque à chaque visite (Georges Bonnet, mon grand ami poète de Poitiers, me disait à peu près le même refrain). Le personnel est sympathique, mais dispose de peu de temps pour s'occuper de chaque résident
Elle participe comme elle peut aux activités assez nombreuses : Atelier expression, Atelier créatif, Gymnastique douce, Mots croisés, Atelier mémoire, Atelier musical, Ciné-club, Conférences, Lecture collective, Culte. Mais ce qu’elle préfère, c’est les visites : celle de son fils bordelais, celles des bénévoles, et celles de son nouveau lecteur. Mais le temps est long, entre deux passages du personnel, entre deux visites, entre deux ateliers. Elle écoute un peu la télévision.
Et voilà qu’aujourd’hui, on me dit qu’elle ne va pas bien, qu’elle est au bout du rouleau. Je suis allé quand même dans sa chambre, lui, dire bonjour, lui serrer longuement la main, lui balbutier quelques mots affectueux de consolation (comme pour Georges Bonnet il y a trois ans), elle avec qui je faisais connaissance il y a un mois et demi à peine. On était arrivé au chapitre 7 (sur 20) du Portrait de Dorian Gray. Et soudain je me pose la question : mais pourquoi donc a-t-elle demandé que je lui lise ce livre-là, dont le thème est le vieillissement et la mort.
D’accord, elle l’avait lu dans son jeune temps (17 ans, je crois). Mais le livre est, d’une certaine manière, sinistre. Le héros décide de vivre une vie sans frein : "Jeunesse éternelle, passions sans limites, plaisirs subtils et secrets, joies sauvages et péchés plus sauvages encore : il lui fallait tout cela". Dorian Gray sait que toutes ses cruautés, toutes ses méchancetés, toutes ses turpitudes n’entament en rien sa beauté juvénile. C’était "au portrait de porter le fardeau de sa honte, voilé tout". Et le portrait devient ainsi le reflet de son âme corrompue, et le roman finit mal.
Est-ce que Madame Mimi voulait ainsi se préparer à la mort ? Avait-elle commis quelque ignominie qui pesait sur la conscience ? Peu importe. Je garde le souvenir d’une très vieille dame (ah non ! ne me faites pas le coup de me dire « elle faisait jeune, encore », comme beaucoup de gens qui croient me faire plaisir en parlant de moi ! Elle n’aurait pas accepté qu’on lui parle ainsi), certes d’une jolie vieille dame, mais qui savait qu’elle allait mourir. Et mourir sous peu, alors que jeune Dorian n'est pas encore trop dépravé.
J’ai eu avec elle, après lecture, de belles conversations. Elle m’a même dit un très beau conte que sa mère lui disait étant enfant et qu’elle avait gardé en mémoire précieusement. Je ne l’avais jamais lu ni entendu nulle part, c’est un comte d’explication du monde, celui de la naissance des étoiles. Je vais essayer de le transcrire de mémoire. Mais elle le disait avec une gourmandise souriante et une gouaille enfantine telles que j’avais l’impression que son regard, pourtant éteint, en était illuminé.
J’ai le moral en berne...

 

jeudi 2 mai 2024

2 mai 2024 : le poème du mois, La Fontaine

 

CAMILLE DESMOULINS : Les différences ne sont pas si marquées, nous sommes tous des anges et des démons, des imbéciles et des génies, et cela en même temps.

(Georg Büchner, La mort de Danton, trad. Arthur Adamov, L’Arche, 1970)



La Fontaine nous aide à voir clair dans cette différenciation des êtres humains. Ainsi la tortue de la fable est une fieffée imbécile un rien trop curieuse et imbue d’elle-même, aussi bien que les deux canards sont aussi bien des génies (l’idée superbe de transporter la tortue dans les airs) que des démons (ne pas lui avoir assez insufflé l’idée de la prudence et de ne point ouvrir la bouche). Cette fable, peut-être un peu compliquée pour des enfants, je l’avais pourtant apprise à huit ans, puisque dans notre école de village, la classe des grands allait de 8 (CE2)à 14 ans (certificat de fin d’études), et que le maître faisait le même cours à tous les enfants de sa classe, se contentant d'alléger d’un paragraphe les dictées et d’une question les problèmes d’arithmétique pour les plus jeunes. Ce dont il aurait pu se dispenser : on assistait en commun à la correction.

La Tortue et les deux Canards

Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s'étonne partout
De voir aller en cette guise
L'animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l'un et l'autre Oison.
« Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
— La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point ». Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d'un lignage.