ARGAN : Mon Dieu ! Mon frère, vous en parlez comme un homme qui se porte bien ; mais, si vous étiez à ma place, vous changeriez bien de langage, il est aisé de parler contre la médecine quand on est en pleine santé.
(Molière, Le malade imaginaire, 1673)
Depuis l’an passé, je suis tellement entre les mains des médecins que j’ai l’impression – encore que je ne le désire pas du tout – de ressembler en plusieurs points au malade imaginaire de notre Molière national, j’ai nommé Argan. J’ai voulu, en effet, compte tenu de mes ennuis de santé, faire une révision quasi générale de ma mécanique physique, oubliant que je ne suis pas une machine (comme les automobiles ou autres) et que les médecins ne sont pas des mécanos, mais de simples humains qui ne savent pas grand-chose, comme on le voit en ce moment avec la COVID, où ils se contredisent autant que les médecins d’Argan en essayant de trouver une solution.
Alors, évidemment, en faisant réviser la machine humaine, on trouve toujours quelque chose, un polype par ci, un lipome par là, une ulcération ailleurs, une membrane en trop ici, etc., et je me retrouve comme Argan à réclamer à cor et à cri qu’on y fasse quelque chose, tant les soucis semblent se multiplier avec mes visites à d’illustres spécialistes.
Mais je suis aussi comme Béralde, le beau-frère d’Argan, qui dit : "Ils […] savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout", "C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies". Certes, la médecine a progressé depuis Molière et j’ai été très content d’être soigné, opéré en diverses circonstances ; je suis un des rares malades à ne pas avoir peur de l’hôpital où, au total, j’aurais passé plusieurs mois de ma vie, avec de nombreuses anesthésies à la clé, depuis la violence de 1954 où on m’a fourré une compresse d’éther sur le nez (et où le réveil avait été très pénible, je disais à ma mère : « Les Japonais, nais, nais ...», et personne n’a jamais su d’où je sortais ce bout de phrase) jusqu’aux anesthésies sophistiquées d’aujourd’hui dont la sortie est bien plus tranquille.
Je
suis un peu entre les deux, écoutant les médecins comme Argan,
mais aussi évitant ses défauts : aujourd’hui, au moindre
petit toussotement, ou mal de tête, il se précipiterait pour un
test anti-covid. Combien se font tester x fois, certains par
nécessité (test imposé parce qu’ils travaillent), mais bien
d’autres par pusillanimité, comme Argan qui n’est absolument pas
malade, mais on sait jamais. Avec tous les appareils modernes qu’on
a chez soi, on peut surveiller sa tension, son pouls, et bientôt
certains d’entre nous seront connectés à la médecine :
Argan serait ravi d’être hyperconnecté. Vive le monde moderne !
Molière en ferait certainement une comédie délirante... Il est vrai que depuis Molière, le docteur Knock nous a appris que "tout bien-portant est un malade qui s'ignore".