Je
crois que c'est l'âge qui va mal à la révolte, je crois qu'une
certaine posture de jeunesse n'est pas tenable passé la date, je
crois qu'il y a péremption pour la colère, ou alors c'est une
faiblesse [...]
(Gilles
Sebhan, Domodossola
: le suicide de Jean Genet)
Nous
sommes dans les territoires occupés, au début des années 90. Les
soldats israéliens maltraitent et parfois tuent sans états d'âme
tous ceux qui protestent, essaient de vouloir défendre leur bien,
leur maison, leur terre, en les traitant de terroristes :
"lorsque
l'ennemi entre dans ta maison et prend tes vêtements, voilà, et
quand il occupe les pièces de ta maison, et te laisse un bout de
couloir, juste ce qu'il faut pour y tenir debout, toi et ta famille
[…], et qu'après, après avoir pris ce qui est à toi, il te dit
maintenant « faisons la paix », voilà, si tu dis non, tu
es un terroriste ?"
C'est ainsi que le conflit est perçu par des jeunes Palestiniens de
Gaza qui ont perdu des parents, qui ont été chassés de chez eux
par la soldatesque. Ibrahim, Riham et son frère Gihad, Nedal,
Mohammad, Ramy, Ahmed et le jeune Oualid, se soudent entre eux et
essaient de reconstituer une fratrie, en rêvant à un monde
meilleur. Mais l'horreur de la guerre et des tueries gratuites les
rattrapent lorsqu'ils voient des soldats assassiner froidement un
jeune garçon et sa mère ou faire sauter des maisons. L'Intifada
commence, cherchant à venger la population. Oualid, à peine
adolescent, qui a toujours vécu dans la rue, a la haine chevillée
au corps. Aux provocations des enfants qui veulent être chez eux et
qui jettent des pierres ripostent les vraies balles de soldats
surarmés. Car la haine ne peut qu'engendrer la haine. Pourtant,
pensent certains Palestiniens, "Ils
ont souffert, ils ont été persécutés, et au lieu d'en tirer un
enseignement, au lieu d'avoir pitié de nous parce qu'ils connaissent
la douleur, ils nous infligent les tortures qu'on leur a infligées".
Tout cela finit très mal,
la fragile communauté se délite. Des survivants, Ramy, ne
supportant pas d'être amputé de la jambe, se suicide, Mohammad
devient fou, Gihad pour la Syrie et Nedal choisit le combat
permanent. Quant à Ibrahim, il "meurt
chaque jour en même temps qu'un camarade palestinien, qu'un enfant,
qu'une femme, qu'un homme, en même temps que l'Intifada et ceux qui
la combattent".
Alors,
trouve-t-on ici "incitation à la haine", "apologie du
terrorisme et du Djihad", voire "incitation à la haine
raciale et antisémite" comme l'ont estimé les associations qui
ont demandé l'interdiction de ce roman écrit par une très jeune
égyptienne (quinze ans) vivant en Italie ? D'une part toute la
narration est vue du point de vue des jeunes Palestiniens, qui ne
peuvent pas penser autre chose que ce qu'ils sont en train de voir :
confiscation de terres, maisons détruites, soldatesque abusivement
arrogante (je pensais aux contrôles au faciès dans nos quartiers et
au rejet qu'ils suscitent). Ramy ne dit-il pas : "il faut
garder notre sang-froid, même la douleur ne doit pas nous rendre
fous. Nous devons les vaincre en nous maîtrisant nous-mêmes. […]
Avec les attentats et les bombardements, nous n'arriverons jamais à
la paix". Cependant l'humiliation permanente, l'absence de
perspectives, les émotions primaires, sont les plus fortes. Même
l'histoire d'amour entre Ramy le Palestinien et Sarah l'Israélienne
sera sans issue.
Au
fond, la jeune romancière de Rêver
la Palestine
ne fait que dénoncer ce que tout le monde sait : une situation
bloquée dans laquelle les Palestiniens, dépourvus de leurs droits
les plus élémentaires, se trouvent confrontés avec une armée
d'occupation. Et encore, le livre a été écrit avant la
construction du fameux Mur de la honte, condamné par les
Nations-Unies (mais si j'étais méchant, je dirais que, comme
l'Allemagne des années 30 avec la SDN, Israël n'a jamais admis que
l'ONU se mêle de ses affaires) !
Or,
tout de suite après ce livre, je me suis lancé dans celui de Mumia
Abu-Jamal, En
direct du couloir de la mort.
Et j'ai vu plus d'une ressemblance entre la situation des
Palestiniens et celle des jeunes (et vieux) noirs des USA, telle que
décrite par Mumia : "Alors
qu'ils sont privés de toute possibilité de subsister légalement,
méprisés par les politiciens prédateurs et par la police,
abandonnés à un système éducatif dégradé qui ne leur laisse
guère de chance de réussir, au lieu de paroles d'amour, les enfants
de cette génération n'entendent que des paroles de mépris.
Devons-nous vraiment nous demander pourquoi ces jeunes sont aliénés ?
Où est la surprise ? […] Ils sont moins « perdus »
qu'« égarés », voire abandonnés, par un système de
plus en plus raciste qui sape leur potentiel",
nous dit-il du fond de sa prison, où il croupit après un procès
inique comme il y en tant aux États-Unis.
Rappelons tout de même que ce pays qui se mêle de donner des leçons
partout dans le monde a un nombre de prisonniers trente fois
supérieur à celui de la France (pour une population à peine quatre
fois supérieure), que ses prisons sont parmi les pires de la planète
mais sources de profits juteux pour la « libre
entreprise »(bravo les patrons!), que les peines de mort et à
perpétuité sont légion, que le "25
janvier 1993, les neuf juges de la Cour suprême des Étas-Unis
concluaient dans l'arrêt Herrera contre Collins que de nouvelles
preuves d'innocence ne donnent pas un droit constitutionnel à un
réexamen du dossier. En clair, la loi autorise l'exécution d'un
innocent",
comme le rapporte Marie-Agnès
Combesque, dans sa postface au livre de Mumia, L'hyperviolence
des prisons d'Amérique.
Que, comme Mumia le souligne, "le
système a récupéré les principaux thèmes non-violents de Martin
Luther King afin de protéger ses propres intérêts. Imaginez la
plus violente nation de la Terre, héritière du génocide des
Amérindiens et des Africains, la seule nation qui a largué des
bombes atomiques sur des populations civiles, le plus grand marchand
d'armes du monde, le pays qui a arrosé au napalm dix millions de
Vietnamiens (afin de les « sauver » du communisme), le
roi de l'enfermement, – imaginez donc ce pays qui brandit le
cadavre de King en appelant à la non-violence !"
J'avais
à plusieurs reprises signé des pétitions en faveur de la révision
du procès de Mumia. Mais je n'avais encore jamais lu un de ses
livres. Il y dénonce bien évidemment la prison, "agression
de chaque seconde contre l'âme, une dégradation quotidienne de la
personnalité, un couvercle d'acier et de brique qui opprime et
dilate la durée",
mais surtout la situation encore extrêmement raciste faite aux
noirs.
Et de ce point de vue, on peut aussi y lire en filigrane ce qui nous
attend ici, si nous ne parvenons pas à régler promptement le
problème de nos propres ghettos. La violence de l'ordre établi se
trouvera confrontée à une violence souterraine activée par la
prison. Car il faut répéter encore que cette dernière, au lieu de
réformer et de restaurer les individus, les pervertit
impitoyablement. Il n'y a pas de lieu où la loi est plus bafouée,
où seul le droit du plus fort règne. Et c'est bien là que se
tissent les draps de lit du terrorisme, un nombre croissant (sans jeu
de mots) de jeunes s'y convertissent à l'Islam et croient trouver
ainsi une solution à leurs problèmes. Non, la prison ne règle
rien !
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