Pousser
jusqu’en haut des collines, chez les Mzoungous, nantis
métropolitains parqués dans leurs luxueux ghettos gardés par des
molosses qui mangent trois fois plus de viande qu’une famille
entière de pêcheurs anjouannais.
(David
Jaomanoro, Le cycle de Mayotte, Pierrot,
in Œuvres
complètes, L’Harmattan, 2017)
Le
fait que j’ai participé à des ateliers d’écriture
autobiographique ces deux dernières années a fait ressurgir à ma
mémoire des souvenirs enfouis et parfois douloureux, notamment en ce
qui concerne mon rapport à la nourriture. c’est que je reviens de
loin !
En
effet, mes premiers souvenirs de table qui remontent aux années 1949
à 1951 montrent que je venais manger à reculons. Car j’allais
trouver dans mon assiette des mets qui me déplaisaient. Ma mère
avait bien compris que je n’aimais pas le lait (mais avec sept
morceaux de sucre, le lait au chocolat du petit déjeuner arrivait à
glisser dans mon gosier, sucre + chocolat couvrant le goût infect du
lait) ni le beurre. Donc elle ne beurrait pas mes tartines
du petit déjeuner (elle avait bien essayé en le recouvrant de
confiture, mais je l'avais remarqué, ça puait le beurre), mais elle en
mettait dans tout le reste de la nourriture : résultat, je
n’aimais quasiment aucun légume (sauf les frites, cuites à
l’huile chez nous). Me restaient la soupe (ma grand-mère n’y
mettait jamais de beurre), la viande et le poisson, en général
grillés à la poêle ou au four, les œufs au plat et les omelettes
pour lesquelles on n’utilisait pas non plus le beurre. Mais la
purée (gorgée de lait et de beurre), les petits pois, les haricots
verts et la plupart des végétaux puaient le beurre, qu’on ne
voyait pas, puisqu’il avait fondu.
Ma
mère pensait que le beurre contenait une vitamine qu’on ne
trouvait pas ailleurs, et donc que j’en avais besoin, comme mes
frères et sœurs. Résultat, mangeant en grande partie par déplaisir
(d’autant plus que mon père, quand il était là, ne me laissait
pas sortir de table avant que mon assiette ne soit entièrement vide),
je mâchonnais par bribes et buvais pour pour faire glisser ces mixtures
infâmes, et bien sûr, je traînais, donc ça avait refroidi et
c’était encore plus mauvais ! Mangeant sans plaisir, je ne profitais
pas, ne grandissais guère et étais très maigre. Ce qui m’a sauvé, ce fut le médecin de famille qui
exigea un changement d’air en 1952 ; je fus expédié en août chez mon oncle
et ma tante des Basses-Pyrénées, où, Dieu merci, on ne cuisinait
pas au beurre, et où je découvris avec stupeur que carottes,
petits pois, poireaux, haricots verts, épinards etc., avaient bon
goût, une fois retiré le goût du beurre… On me ramena en
meilleure forme, et ma tante dit à ma mère de ne pas rajouter de
beurre à mon alimentation et que je mangeais très bien.
J’ai
gardé aussi de cette époque un retard de croissance important : à
quatorze ans, en 3ème, je mesure à peine 1,30 m et je craignais de ne jamais
grandir comme les autres. J’étais toujours un enfant et j’ai eu
une puberté très tardive. Par ailleurs, c’est quand même dans ma
petite enfance que j’eus mes première douleurs d’estomac qui, au
fil des ans, se muèrent en un ulcère qui culmina en novembre 1968
par une perforation et une hémorragie interne dont je fus sauvé de
justesse.
Tout
ça pour dire que manger est pour moi seulement une nécessité, mais
que je ne ferai aucune folie pour aller manger au restaurant
(d’autant plus que viandes et poissons y sont la plupart du temps
enrobés de sauces qui puent le beurre, la crème fraîche, le yaourt
ou le fromage). Pourtant, je ne suis pas si difficile qu’on le
dit : sur les cargos, ou à Cuba, par exemple, j’ai toujours
très bien mangé, alors que je suis presque toujours malheureux dans
les restaurants gastronomiques !
Sur
ce, je pars à Bruxelles signer mon nouveau livre et rencontrer les
autres auteurs de la collection Opuscules
demain dimanche à la Librairie Les mots passant...