mardi 28 juin 2022

28 juin 2022 : Gaza, Gaza, Gaza...

 

la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme, même le plus civilisé

(Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme,Présence africaine, 1955)


GAZA : L’HÉROÏSME DES PÊCHEURS QUI CONTINUENT

À ALIMENTER LA POPULATION

Il se passe rarement une journée sans que les 4000 pêcheurs de Gaza, qui nourrissent 50.000 familles, soient attaqués par la marine de guerre israélienne.

La semaine dernière, la marine militaire israélienne a tenté de noyer un pêcheur palestinien et sa barque dans les eaux de Gaza, en les inondant d’eaux d’égout ! Le pêcheur, Mohammad Adel Abu Rayala, s’est évanoui et a dû être transporté et traité à l’hôpital, tandis que son bateau est endommagé.

En moins d’un an, 22 bateaux de pêches palestiniens ont été confisqués par Israël et 71 pêcheurs ont été détenus. Israël a ouvert le feu 139 fois sur des pêcheurs, blessant 24 d’entre eux et abîmant 24 de leurs bateaux, rapporte le Centre al-Mezan pour les droits de l’Homme. Chaque semaine Israël met en prison 2 pêcheurs. Ils sont souvent relâchés en mer après leur arrestation et doivent rejoindre la côte, parfois à la nage quand leur bateau est confisqué.

« Les Israéliens confisquent notre matériel, nos bateaux, nos filets. Nous subissons des interrogatoires et quand ils nous relâchent nous devons revenir à la nage. Imaginez sur 400 mètres : nombreux sont ceux qui se noient. Ils sont passés maîtres dans les techniques de torture qui ne laissent aucune trace. »

Les assassinats et enlèvements des pêcheurs viennent s’ajouter à la longue liste de leurs souffrances. Israël interdit aux Palestiniens de pêcher dans leurs eaux territoriales et ils ne doivent pas s’éloigner à plus de 6 miles marins (10 km), parfois seulement 3 miles (là où l’on ne trouve plus de poisson depuis des années), malgré les accords d’Oslo qui prévoyaient une distance de 20 miles.

En fait, la zone de pêche autorisée par Israël n’a cessé de diminuer au fil des ans. De 20 miles en 1995, lors des accords d’Oslo, ce chiffre est descendu à 3 miles en 2011, avant de remonter à 6 miles, après l’attaque israélienne de novembre 2012.

« C’est une victoire de la résistance, mais elle est loin d’être respectée par Israël qui nous attaque fréquemment, même quand nous ne dépassons pas cette limite. Il faut savoir que les poissons ne sont présents qu’au-delà des 8 miles, là où commencent les roches sous-marines », indique Nizar Ayyash, président du syndicat des pêcheurs.

La pêche subit de ce fait une perte annuelle estimée à 40 millions de dollars US. Et la destruction des tunnels prive les pêcheurs de la fibre de verre nécessaire à la réparation des impacts de balles dans les coques de leurs bateaux et de pièces de rechange pour leurs bateaux.

« Nous sommes passés d’une production de 4000 tonnes à un millier de tonnes seulement. A Gaza, on ne trouve presque plus de poisson « bleu » (sardines, maquereaux), et encore moins les poissons de qualité supérieure tel que le mérou.

En outre, l’univers marin est fortement mis sous pression, car à force de pêcher aux mêmes endroits, les ressources de la mer n’ont pas le temps de se renouveler. Le prix du poisson est par conséquent phénoménal : les classes les plus défavorisées – donc une majorité de la population – ne peuvent consommer du poisson que 3 fois par an, et la malnutrition devient chronique », précise Nizar Ayyash. Ceci alors que 80% de la population souffre d’insécurité alimentaire, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Et tout cela pour quelle raison ?

« Parce qu’Israël veut nous transformer en mendiants », répond Nizar Ayyash. Parce qu’Israël, en l’absence de sanctions, pratique un génocide à petit feu de la population palestinienne. Nos gouvernements de droite comme de « gauche » y contribuent, sans parler de la collaboration sans faille de la dictature militaire égyptienne du maréchal Al-Sissi, dont les soldats ne sont pas les derniers à ouvrir le feu sur les embarcations gazaouies, à blesser et capturer des pêcheurs palestiniens. Des actes de torture ont également été constatés de leur part, des pêcheurs revenant avec des brûlures de cigarettes sur le corps, les yeux noirs, des plaies et des contusions.

Le syndicat des pêcheurs de Gaza demande que la communauté internationale intervienne et fasse respecter les Conventions de Genève, leur permettant de circuler librement dans leurs eaux. Il réclame également qu’Israël restitue aux pêcheurs les centaines de bateaux confisqués et les dédommage pour les bateaux, filets de pêche et l’ensemble du matériel endommagés.

Le film Yallah Gaza de Roland Nurier (auteur de Le char l’olivier, une autre histoire de la Palestine) en préparation en parlera !

Voir le teaser long :

https://vimeo.com/manage/videos/666782014 (Mot de passe : HRP69210)


J’ai envie de crier : Gaza, Gaza, Gaza, et je sens que je vais encore me faire des ennemis avec cette nouvelle page de blog, qui vient de l’Association France-Palestine-Solidarité (AFPS)

Sans commentaires ! Vous comprenez pourquoi j'apporte un soutien sans faille aux Palestiniens !


samedi 25 juin 2022

25 juin 2022 : un roman actuel


Nous sommes la succession de personnes étrangères les unes aux autres qui, probablement, n’auraient pas grand-chose à se dire si elles se croisaient.

(Fabrice Caro, Broadway, Gallimard, 2020)


Voici un roman qui aurait plu à Claire : suffisamment réaliste pour lui permettre de se comprendre elle-même, suffisamment idéaliste pour l’empêcher de déprimer, et plein d’un humour jaune (ou noir selon notre état d’esprit au moment de la lecture) pour aller jusqu’au bout. Très contemporain, riche d’enseignement pour les couples actuels, nous laissant nus devant la réalité et les épreuves à affronter (ou pas), car on peut aussi fermer les yeux devant les vicissitudes de la vie.


Dans Broadway, Fabrice Caro nous conte les soliloques d’Axel, marié à Anna, nanti de deux ados, Jade (18 ans) et Tristan (14 ans) ; ils habitent dans un lotissement, ils ont un travail, organisent tous les trois mois un apéro avec les voisins. Une vie normale, quoi, jusqu’au jour où Axel reçoit un courrier de la CPAM lui proposant un dépistage du cancer colo-rectal comme à tous ceux qui atteignent 50 ans. Mais voilà, il n’en a que 46, et cette lettre va déclencher un séisme dans sa vie. Voici que parallèlement, sa femme lui propose pour les prochaines vacances du paddle à Arcachon (il n’en a aucune envie : "Pourquoi ce besoin de partir en vacances ensemble? Dans quel but ? Qu’avons-nous à y gagner ?"), que sa fille a un énième chagrin d’amour (comment gérer ça?) et que son fils est accusé au collège d’avoir caricaturé deux professeurs dans une posture pornographique !

Il se rend compte qu’il est à la croisée des chemins Les enfants grandissent et prendront leur envol et il voit très bien "ce que nous pouvons très bien devenir, Anna et moi, une fois que Tristan et Jade seront partis de la maison. […] nous allons passer de quatre à trois, puis de trois à deux, et quel deux deviendrons-nous alors ? À nouveau un couple ? […] Des colocataires ?" Il ne leur restera plus qu’à montrer "des photos de nos enfants aux gens qui viendront prendre l’apéritif", et à les prendre "en otages parce que ce sera pour nous la seule occasion d’oraliser une profonde blessure".

Axel a "toujours détesté la plage, je n’ai que des souvenirs traumatisants liés à la plage, des sensations de bruit, d’odeurs, d’impudeur, de sable jusque dans les pores, de complexes physiques exacerbés par la quasi nudité, cette sensation étouffante que toute la plage ne regardait que moi". Donc pas envie d’aller à Arcachon ! Et, lors d’une rencontre avec la prof de son fils (qu’il tente d’excuser), il apprend qu’elle "parcourt le pays sac au dos, elle fait ça un mois tous les étés, chaque fois dans un pays différent, seule, pour se retrouver, se ressourcer, pousser chaque fois plus loin la recherche de son moi profond, s’éprouver face à la solitude". Et Axel retrouve son fameux "fantasme de la disparition. S’évaporer, sans préavis, sans laisser la moindre nouvelle, partir, prendre congé, démissionner de la vie, démissionner de la réalité".

Perdu entre le réalisme de la vie quotidienne ("C’est donc ça la réalité") et l’idéal de ce fantasme, que peut-il décider, que va-t-il décider ? Tout est-il "foireux par essence" ou y a-t-il une possibilité d’avoir une prise sur notre vie ? Ce court roman (que j’ai pourtant mis une semaine à lire, étant donné mon hyper-activité) m’a vivement intéressé sur la conduite d’une vie en général et sur la façon de vivre en famille dans le monde d'aujourd'hui, de moins en moins simple, me semble-t-il ? 

À noter aussi que Fabrice Caro écrit aussi sous le pseudo de Fabcaro des romans graphiques (ex-BD) à l’humour déjanté. Je remercie mes cousins de Paris de me l’avoir fait découvrir il y a deux semaines. 

 

 

vendredi 24 juin 2022

24 juin 2022 : Claire treize ans après

 

Andromaque : Les grands malheurs ont l’avantage / De vous libérer de la crainte (scène 7)

(Sénèque, Les Troyennes, trad. Florence Dupont, Actes sud, 2018)


Claire est morte ce jour, il y a treize ans ; pourtant elle est bien vivante dans mon esprit, au même titre que Mamie, ma grand-mère maternelle qui fut l’autre grande femme de ma vie. Peu de jours où je ne pense pas à elles. Je peux dire que Mamie m’a appris à vivre, et que Claire m’a appris à faire face à la maladie, à ne plus en avoir peur et surtout à ne pas craindre la mort. Toutes deux m’ont appris à ne pas redouter le vieillissement, c’est énorme, tant je vois autour de moi des personnes qui en ont peur, qui vivent dans l’inquiétude, voire la terreur du grand âge.

Me voici en marche vers cet âge-là, et je continue à voyager, le plus souvent pour voir ma famille et les nombreux amis que je me suis faits dans ma longue carrière professionnelle et aussi pendant certains de mes loisirs associatifs. J’ai l’impression qu’ils sont plutôt contents de me revoir, et je n’ai pas l’intention des les abandonner ! J’ai la chance aussi d’être libre de me déplacer, bien que n’ayant plus de voiture, la chance aussi d’avoir une santé relativement bonne, que ma longue pratique de l’exercice physique (randonnées à pied ou à vélo) a contribué à maintenir.

Et je peux faire comme Léone, la vieille dame de Montmorillon, qui parlait à son défunt mari. Moi aussi, je peux dire à Claire : "Tu vois, tu m’avais conseillé d’aller vivre en appartement, je l’ai fait, tu m’avais supplié d’aider les autres dans la mesure de mes moyens comme on le faisait ensemble, je l’ai fait, tu m’avais dit de ne pas abandonner mes vieux amis et de les choyer, je continue à le faire également, bref, tu continues à partager ma vie et à veiller sur moi et je t’en remercie !"


Voici donc ce petit poème où je fais le bilan de ma vie : enfance (strophe n°1), adolescence (strophe n°2), âge adulte (strophe n°3), vieillesse (strophe n°4), deuil (strophe n°5), survivance (strophe n°6).

 

                J’ai rencontré


un jour j’ai rencontré la tristesse qui se promenait le long du chemin

et m’a accompagné loin, très loin

j’ai cru qu’elle ne voudrait jamais me lâcher


le lendemain j’ai rencontré la joie le long du même chemin

elle m’a inondé le cœur et l’âme

et je me suis mis à chanter à tue-tête


un autre jour j’ai rencontré le bonheur qui m’a pris par la main

je n’en croyais ni mes yeux ni mes oreilles

pourtant je me suis mis à aimer


plus tard j’ai rencontré la maladie qui m’a enserré dans ses bras

j’ai dû me battre et me débattre

pour tenter d’adoucir mes larmes


et puis j’ai rencontré la mort qui m’a dérobé mon amour

elle a fauché fauché fauché

et sa moisson m’a laissé seul


mais pas si seul que ça, car ton amour m’a appris à lutter

à ne plus avoir peur de vivre

et j'ai appris à rencontrer les autres

 



 

mardi 21 juin 2022

21 juin 2022 : la guerre 3, les poèmes du mois

 

La barbarie contemporaine détruisait ce que des siècles d’histoire humaine avaient soigneusement préservé.

(Yasmine Chami, Dans sa chair, Actes sud, 2021)


À vrai dire, la guerre aura toujours été une grande inspiratrice de poésie, notamment de la poésie épique : L’Iliade, Le Mahâbhârata, La Chanson de Roland, pour ne citer que quelques titres… Quelques poètes ont aussi dans de courts poèmes exprimé l’horreur de la guerre, ainsi Rimbaud, ou l’honneur du soldat, ainsi Victor Hugo. Je vous propose donc ce mois-ci deux poèmes très connus, au moment où le capitalisme international nous annonce que la nouvelle guerre – pour l’instant encore localisée – pourrait se propager et durer.

Allez, poètes, écrivez-nous votre émotion, avec simplicité, sans forfanterie, sur ce que la télé nous montre à outrance !


Arthur Rimbaud, Le dormeur du val

                                                                                Vu par GregM

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

                    (Poésies)


Victor Hugo, Mon père, ce héros


Mon père, ce héros au sourire si doux,

Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous

Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,

Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,

Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.

Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.

C’était un Espagnol de l’armée en déroute

Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,

Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.

Et qui disait:  » À boire ! à boire par pitié !  »

Mon père, ému, tendit à son housard fidèle

Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,

Et dit: « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé.  »

Tout à coup, au moment où le housard baissé

Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,

Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,

Et vise au front mon père en criant: « Caramba !  »

Le coup passa si près que le chapeau tomba

Et que le cheval fit un écart en arrière.

« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père. 

                 (La légende des siècles



 

lundi 20 juin 2022

20 juin 2022 : dedans ma chaumière (la chanson du mois)

 

Ne rien posséder, mais demeurer fidèle à sa jeunesse, ce feu sacré qui ne dure pas.

(Sophie Avon, Une femme remarquable, Mercure de France, 2021)


Pour digérer, après les élections, rien de tel qu’une petite chanson, que j’ai chantée à Sasha plusieurs fois pendant mon séjour londonien. Elle marchait très bien quand j’étais moniteur de colo, aussi bien pendant les randonnées en montagne qu’au cours des veillées du soir : Dedans ma chaumière, dont j’ai trouvé plusieurs interprétations sur youtube, je vous propose celle-ci :

                                                        Pour toi, Sasha

 


https://www.youtube.com/watch?v=e8CZ8AHwz_E


Dedans ma chaumière


Dedans ma chaumière,

Pour y vivre heureux,

Combien faut-il être,

Il faut être deux

Refrain :

Oui ma chaumière

Je la préfère

Avec toi, oui avec toi  (bis)

Au palais d’un roi



Elle est égayée

Par des chants d’oiseaux

Elle est ombragée

Par de frais ormeaux

Refrain



Quand l’hiver arrive

On est bien chez soi

On a pour convive

Un bon feu de bois

Refrain



Quand l’étranger passe

Je lui tends la main

Je lui fais la grâce

D’un morceau de pain

Refrain

 

Et n'oublions pas, à la suite de cette dernière strophe, que c'est aujourd'hui la Journée mondiale des réfugiés.

 

dimanche 19 juin 2022

19 juin 2022 : vagabondages 3, Paris et Londres, "un conte de deux villes"

 

Stupidité de ces voyages en avion – moyen de locomotion barbare et rétrograde.

(Albert Camus, Journaux de voyage : Amérique du sud, juin à août 1949, Gallimard, 1978)



J’ai repris mes vagabondages, et je ne crois pas être le seul, à en juger par les voitures et autres véhicules à moteur innombrables que je vois à Bordeaux, que j’ai vus à Paris et à Londres la semaine dernière, à croire que l’essence ne coûte pas si cher que ça !


                                                                    les nouvelles voies cyclables de Paris

Donc j’ai passé quelques jours à Paris d’abord. J’ai assisté à l’AG d’Europalestine dimanche dernier ; décidément, les Palestiniens ne sont pas au bout de leurs peines ! La newsletter de l’Association m’informe au jour le jour de toutes les exactions commises par les Israéliens : assassinats et brutalités diverses, vols de terre, maisons détruites, arrachages d’oliviers, arrestations arbitraires… À croire qu’ils font tout pour obliger les gens qui vivent là depuis des siècles à partir. Mais le peuple palestinien, ombrageux et têtu, malgré l’horreur de la situation coloniale, résiste, y compris dans les geôles israéliennes (et le territoire de Gaza n’est-il pas une immense prison à ciel ouvert ?), où ils sont des milliers à croupir, jeunes et vieux, hommes et femmes, parfois en détention administrative (c’est-à-dire sans procès ni jugement) au mépris du droit international. Ey on voudrait nous faire admirer cette soi-disant démocratie ? Qui peut encore gober ça ?

                                                                    Grand Parade, la rue de Lucile

Et puis je suis allé à Londres, en train, sous la Manche, où j’ai commencé à découvrir les joies d’être grand-père. La petite Sasha, (c’est le diminutif féminin d’Alexandra, comme Sacha en est le masculin), dix-sept jours, m’a conquis en un tournemain, et j’ai pu la tenir dans mes bras et lui donner le biberon ! Nous l’avons emmenée au restaurant, dans les deux parcs proches de chez Lucile et Pierryl, dans le quartier de Harringay warehouse district, au Nord-est de Londres. Ils sont bien installés sur Grand parade, une artère commerciale de petites maisons de deux étages avec bow-windows.

                                                                                Le "papet" biberonne

Je ne me souvenais plus que les bébés étaient si petits, j’avais oublié les premiers jours de Mathieu et de Lucile. Je lui ai chanté des chansons, et j’avais un peu peur de casser cette poupée vivante. Lucile et Pierryl ont pris les choses en main et s’en occupent avec l’enthousiasme des néophytes. J’irai les revoir en septembre pour une quinzaine, ce qui me donnera de nouvelles pistes de vagabondages, puisque j’ai repris contact avec Pat, mon ami écossais des années 70 et lui ai promis d’aller le revoir à cette occasion. Parallèlement, j’ai appris que mon jeune (c’est son père qui était mon collègue) ami de Guadeloupe Frédéric est devenu grand-père lui aussi : ferai-je un dernier voyage là-bas cet hiver ? Car je n’oublie pas que mon temps est compté désormais et que si je veux voyager encore, il ne faut pas trop que je tarde à le faire.

                                                                                mère et fille

J’ai d’ailleurs repris mes vagabondages à vélo et suis allé revoir 2001, l’Odyssée de l’espace au cinéma de Pessac (à 10 km de chez moi, et avec le bonheur de rentrer à vélo à plus de onze heures du soir !) le jour de mon retour à Bordeaux. Encore un film que je revois avec un plaisir fou chaque fois qu’il passe au cinéma pas trop loin de chez moi ! Ça me rappelle ma jeunesse et ce jour de mai 1969 où j'étais resté scotché sur mon fauteuil dans le cinéma de Marmande où je le vis pour la première fois. L'employé chargé de vider la salle a cru que je faisais un malaise et il est allé chercher le directeur pour me tirer de là. Non, pas de malaise, mais j'étais encore sous le choc du film...


 


vendredi 10 juin 2022

10 juin 2022 : des lamas et des yaks, sans oublier les demoiselles

 

Elle se reprit, soudain gênée :

Vieux.. Enfin, je veux dire, d’un certain âge… Et jeune d’esprit !

Elle cherchait à se rattraper, mais Giuseppe l’interrompit :

Je vous en prie, pas ce genre de cliché ! Je suis bel et bien vieux de corps et d’esprit ! L’idée que tout le monde est jeune est une connerie !

(Benoît Duteurtre, Dénoncez-vous les uns les autres, Fayard, 2022)


Que ça fait plaisir de lire ça au pays du jeunisme envahissant, au moment où l’adjectif "vieux" est devenu un gros mot, et de voir que dans certains pays, les traditions sont encore honorées. Ainsi, dans les deux films que j’ai vu récemment, l’un venant du Bhoutan (L’école du bout du monde), l’autre de Bolivie (Utama, la terre oubliée). 

Dans ce dernier, on voit un couple d’éleveurs de lamas octogénaires victimes de la sécheresse et de l’isolement dus au grand âge. Sisa, la vieille femme s’active pour aller chercher de l’eau de plus en plus loin, et son mari Virginio emmène les lamas brouter dans les montagnes le peu d’herbe qui y reste. Tous deux refusent obstinément de quitter ce milieu rude et de partir dans la sécurité relative des villes. Quand leur petit-fils Clever débarque, le contact va se faire difficilement, mais sous la rudesse taiseuse des anciens, la tendresse va se manifester. Ce film bolivien est un magnifique hymne à l’humanité et à l’amour humain.

Dans le film du Bhoutan, un jeune instituteur, vaguement musicien et qui ne croit pas à sa vocation de pédagogue, est envoyé dans un village perdu à plus de 3000 m d’altitude sans confort moderne, accessible seulement par des sentiers et le franchissement d’un col à 5000 m. Pas d’électricité ou si peu, et Ugyen ne pourra guère faire usage de son smartphone. Par contre, il va découvrir des enfants avides d’apprendre et une communauté villageoise accueillante, pleine d’écoute et de de reconnaissance. C’est là aussi un hymne à l’humanité et à l’amour entre tous les humains et même les animaux dans ce pays d’éleveurs de yaks. Un film tonique et qui fait du bien !

Et j’ai revu aussi à Pessac sur grand écran, cinquante-cinq ans après ma première vision, Les demoiselles de Rochefort, le film enchanté de Jacques Demy avec la musique de Michel Legrand. Je sais que beaucoup de gens n’aiment pas ce film, même parmi ceux qui aiment la comédie musicale américaine. Mais j’ai gardé le souvenir ébloui de ma première vision, en mai 1967, dans un cinéma permanent (dans ces cinémas, le même film pouvait être présenté aux spectateurs de 10 h du matin ou midi jusqu’à minuit. On pouvait reste dans la salle pour revoir le film sans payer en plus, et j’étais resté le voir deux fois de suite. Et, en sortant, sous un soleil agréable, j’avais envie de chanter et de danser comme les protagonistes du film). Depuis, dès qu’il est programmé dans une salle proche de chez moi, je fonce le voir ; seuls quelques films ont ce privilège (La strada - 2001, l’odyssée de l’espace - Les enfants du paradis - Chantons sous la pluie Les raisins de la colère, par exemple), et j’ai parfois fait 60 km pour aller les voir, notamment d’Auch à Lectoure en 1974 pour La strada, d’Auch à Toulouse en 1976 pour 2001, l’odyssée de l’espace, de Poitiers à Montmorillon en 2011 pour Les demoiselles de Rochefort.

Vive le cinéma et les joies qu’il procure !

samedi 4 juin 2022

4 juin 2022 : ah ! le smartphone 4 ! je suis un anormal...

 

C’est pour ça que la mer me fait du bien et que j’adore partir naviguer, environ deux mois et demi tous les étés, généralement dans le nord de la planète. Tous les ans, vers le 25 juin, je change le message sur le répondeur de mon téléphone portable et je dis : soyez patients, je reviens le 10 septembre. Puis je laisse le téléphone dans un tiroir chez moi et je m’en vais.

(Isabelle Autissier, Télérama, n° 3777, 4 au 10 juin 2022)


Ça me fait du bien de lire les phrases ci-dessus ! Enfin quelqu’un qui n’a pas envie d’être embêtée, parasitée par son téléphone pendant les vacances ! Je croyais être seul à apprécier ça (mes voyages en cargo ont été enchanteurs grâce à l’absence de téléphone : imaginez qu’en 2015 j’ai été coupé du monde pendant 91 jours, quel bonheur !), ouf je ne suis pas le seul au monde à pouvoir me passer de cet engin redoutable. En lisant ces quelques lignes dans le Télérama de cette semaine, j’ai ressenti le même soulagement qu’en 1964, quand j’étais moniteur en colonie de vacances : pour la première fois de ma vie, à 18 ans, j’ai rencontré quelqu'un qui, comme moi, n’aimait pas le beurre ; c'était un des petits colons de mon groupe d'enfants. Ouf, je n’étais pas anormal, ou, plutôt d’autres étaient aussi anormaux que moi ! Depuis, j’exècre la norme : nous sommes tous différents, sur un point ou sur un autre, et c’est tant mieux ! Allez, qualifiez-moi de bizarre, mais chacun ne l’est-il pas, peu ou prou ?

Revenons au téléphone portable, et plus précisément à sa variété actuelle, le smartphone. Le n° de mai de L’âge de faire (un de mes abonnements, avec La décroissance, Siné mensuel, Fakir et CQFD, périodiques tous critiques de la société contemporaine) titrait en couverture BALANCE TON SMARTPHONE et y consacre plusieurs articles : entre autres Une civilisation de toxicos, Une civilisation de cyborgs ?, Tester son addiction, Un désastre écologique et humain, Le prix humain de nos folies, Le smartphone : laisse rétractable et 10 bonnes raisons d’abandonner le smartphone


Ces dernières rausons sont les suivantes :

* la fabrication de nos joujoux divins nécessite de nombreux éléments, dont des métaux rares.

* c’est terriblement addictif : toujours à portée de mains, on dit que leurs propriétaires les "touchent en moyenne 221 fois par jour".

* c’est extrêmement coûteux d’autant plus qu’on les "renouvelle en moyenne tous les 23 mois".

* ça facilite le contrôle social : il paraît même que l’Europe (et après, on s’étonne que de plus en plus de gens deviennent anti-européens !) veut nous imposer une "identité numérique".

* la production en masse de ces engins se fait de manière inhumaine : au Congo, les ouvriers des mines de métaux rares (et parmi eux des enfants) sont de véritables esclaves ; en Chine, les assembleurs travaillent 12 h par jour sans relâche (les usines ont dû installer sous leurs fenêtres des filets "pour faire face à une épidémie de suicides", tant la tâche est esclavagiste et dure).

* Le smartphone est un véritable Big brother (cf 1984, le roman d’Orwell) qui connaît tout de nous : c’est l’instauration d’une société de surveillance sans précédent, et que pourtant chacun accepte. De plus, le regard est sans cesse entrecoupé de coups d’œil à l’ordiphone suscités par les notifications incessantes.

* L’enfant, soumis à ces machines dès le plus jeune âge (parfois bébé), ne sait plus fixer son attention, observer les visages, a du mal à apprendre à parler, d’autant plus si les parents (mère et/ou père) sont absorbés par cet outil-doudou.

* La fabrication du smartphone est coûteuse en énergie et son utilisation aussi : on recharge la batterie au moins une fois par jour.

* Les antennes-relais entraînent une pollution aux ondes électro-magnétiques. Nos yeux pâtissent aussi de l’exposition à ces petits écrans rétro-éclairés. On fait moins d’exercice physique.

* Il devient impossible "de se concentrer durablement sur une tâche". Et les enfants et les jeunes sont les premières victimes de cette faible durée d’attention.

Osons une question : "cet ustensile connecté de très haute technologie nous rend-il plus heureux ?" Je constate que les gens penchés sur leur machine (dans les trains, transports en commun, rues) sont dans une bulle, ne communiquent avec personne, car avec le smartphone ont débarqué les écouteurs, et que ce n’est pas la peine de leur poser une question. Il faut qu’on leur tape sur l’épaule pour qu’ils s’aperçoivent qu’on veut leur parler !

Là encore, je fais partie des irréductibles moutons noirs qui n’aiment pas cet engin, et tant pis pour moi : le jour où ce sera obligatoire d’en avoir un, je refuserai et je serai définitivement catalogué conne "anormal", ce qui me va bien, finalement.