dimanche 31 octobre 2021

31 octobre 2021 : l'hôpital public

 

Tous les partis qui se trouvent exclus du gouvernement réclament la liberté parce qu’elle fortifie l’opposition et affaiblit le pouvoir. Pour cette même raison, le parti qui gouverne retranche autant qu’il peut sur la liberté. Et il fait, au nom du peuple souverain, les lois les plus tyranniques.

(Anatole France, Le mannequin d’osier, Cercle du bibliophile, 1971)


En attendant de faire un rapide survol de mon périple dans le sud-est, je propose un texte trouvé sur internet sur la déshérence de l’hôpital public, texte écrit par un médecin :


« J’écris ces lignes juste avant de prendre ma garde à la régulation du SAMU. C’est un poste privilégié d’observation de notre système de santé, un peu comme la tour de contrôle d’un aéroport. Notre rôle est d’assurer le lien entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, évaluer la gravité des situations et transférer à l’hôpital toutes celles et ceux qui le nécessitent. En travaillant à la régulation, on voit à quel point notre système de santé est abimé, on voit tous les manquements et les limites du système en ville comme à l’hôpital.

« Je vais prendre ma garde et j’ai la boule au ventre parce que je vois notre système de santé s’effondrer de plus en plus vite. J’ai la boule au ventre car je sais que je vais être dans l’impasse pour bon nombre de patients, que je vais devoir transférer aux urgences faute de recours en ville alors même que l’hôpital est en train de couler. C’est le Pr Delfraissy, président du conseil scientifique, qui vient de lâcher une véritable bombe en révélant qu’une étude flash montrait que 20% des lits d’hôpitaux sont fermés faute de personnel soignant.

« L’hémorragie de soignants commencée depuis des années s’est largement accélérée au cours de l’année dernière. Il faut bien dire que la gestion de ce gouvernement a été calamiteuse. Après des années d’alertes, les soignants hospitaliers ont lancé des mouvements sociaux complètement inédits. Plusieurs centaines de services d’urgences s’étaient mis en grève en 2019 à travers le pays, mais lorsqu’ils font grève les soignants continuent de travailler pour assurer la continuité des soins, pour qu’il n’y ait aucune perte de chance pour les patients. Ce dévouement a permis au gouvernement Macron d’ignorer totalement le mouvement social et ses revendications.

« Ce dernier a donc grossi, s’est étendu au-delà des urgences et a conduit à de grandes manifestations des hospitaliers, concomitantes des manifestations contre la réforme des retraites. Le bras de fer engagé a été interrompu par la première vague du COVID. Après des semaines d’applaudissements aux fenêtres durant la première vague, les soignants enorgueillis sont retournés dans la rue en espérant un soutien populaire massif mais n’ont reçu que des lacrymogènes et des grenades de désencerclement.

« Comble du cynisme et de l’hypocrisie, le gouvernement annonce qu’il va faire une enquête pour comprendre les raisons de tous ces départs alors que le ministre de la Santé Olivier Veran s’autosatisfaisait encore récemment des résultats de son Ségur qui n’a rien réglé. A l’issue de ce plan de communication, rien sur les ouvertures de postes ou de lits, rien sur l’approvisionnement en matériel, rien sur la réforme de la gouvernance de l’hôpital. Les augmentations de salaires décidés ne concernent pas tout le monde et nos soignants ont encore des rémunérations 10% inférieurs à la moyenne européenne. Beaucoup de soignants ont vécu la conclusion de ce Ségur comme une insulte.

« Soit ce gouvernement ne sait vraiment pas pourquoi les soignants ne veulent plus travailler à l’hôpital, ce qui en fait des incompétents notoires. Soit ils essaient de gagner du temps avec une enquête qui ne serait que de l’enfumage à l’image de tous les audits qui sont fait dans les hôpitaux (coûtant chacun des millions d’euros au contribuable en faveur de sociétés privées) "pour comprendre les dysfonctionnements". 

« Ça fait maintenant de nombreuses années que les soignants alertent sur tous les tons de la destruction de l’hôpital public méticuleusement organisée par les gouvernements successifs. Je me souviens des premières manifestations auxquels j’ai participé en tant que soignant pour l’hôpital. C’était en 2009, j’étais alors en 3ème année de médecine et nous luttions contre la réforme Bachelot qui était en train de généraliser la logique de l’hôpital entreprise. En installant les directeurs dans le rôle de grands patrons, la réforme leur conférait un pouvoir quasi absolu, y compris sur le projet médical de l’établissement, sans avoir pourtant aucune compétence en la matière. S’en est suivie l’apparition d’un management toujours plus autoritaire, toujours plus omniprésent. Au nom d’une prétendue modernisation de l’offre de soin, on a plié l’hôpital à des objectifs de rentabilité. Diminution des effectifs soignants, gestion des lits en flux tendus, fermeture des lits pour amorcer le virage ambulatoire sont devenus les nouveaux mantras d’un corps administratif déconnecté des réalités du soin, encouragé par les gouvernements Sarkozy / Hollande / Macron. 5...° […]

Par ailleurs, pour faire des économies, les lits sont gérés en flux tendu : c’est-à-dire qu’aucun lit de l’hôpital ne doit être vide. Cette logique conduit à fermer temporairement des lits (donc des postes de travail de soignants) en fonction de l’activité avec une difficulté majeure : il est plus rapide de fermer que de rouvrir les lits. Dès qu’un pic d’activité non prévue par l’appareil administratif hypertrophié s’abat sur un hôpital, les patients s’accumulent dans les couloirs des urgences. Cette scène vous est familière ? C’est normal, on la voit chaque année au journal télévisé lors des épisodes de grippes. Ce qu’on ne vous montre pas, c’est que c’est une scène fréquente en dehors des épidémies à cause de cette gestion en flux tendu, il faut attendre une sortie avant de pouvoir transférer un malade en service. Chaque soir le même cirque "du point des lits" a lieu aux urgences : la cadre de santé vient annoncer la poignée de lits disponibles sur l’hôpital, qui sont souvent rapidement remplis, puis il faut attendre les sorties du lendemain midi pour transférer les autres patients qui attendent dans les couloirs. Souvent les hôpitaux se mettent "en tension", c’est-à-dire qu’ils déclarent ne plus avoir de lit disponible au SAMU et aux autorités sanitaires.

« Si un hôpital à proximité a encore de la place, il peut se déclarer « solidaire » de l’hôpital en tension et le SAMU dérive alors le flux de patients transportés par les pompiers ou en ambulance vers ce deuxième hôpital. Mais dans la grande majorité des cas, personne ne peut être solidaire et les patients continuent alors d’affluer vers un hôpital où aucune place n’est disponible. Lorsque j’étais interne aux urgences, j’ai vu des scènes totalement incroyables où des dizaines de camions de pompiers font la queue devant les urgences pour déposer leurs malades, avec des temps d’attentes de plusieurs heures car les couloirs des urgences sont aussi pleins que lits de l’hôpital. […]

« Ce n’est pas le COVID qui a saturé l’hôpital public mais des politiques néolibérales criminelles qui ont programmé sa saturation permanente pour le rendre rentable. La seule nouveauté du COVID est que cette saturation a atteint un tel point qu’il a été impossible au gouvernement de la cacher aux français puisqu’il a fallu déprogrammer tous les soins non urgents. Tous ces soins qui n’ont pas été fait n’ont ensuite jamais pu être rattraper malgré le dévouement du personnel soignant car le gouvernement Macron n’a pas ouvert de postes de soignants supplémentaires, ils ont même continué leur méticuleuse entreprise de destruction de l’hôpital en fermant près de 6000 lits supplémentaires en pleine pandémie… [...]

« Je suis fatigué de voir nos hôpitaux comme tous nos services publics détruits.




Tout ça ne date pas d’aujourd’hui, puisque je me souviens que Claire et moi avions dû attendre dans un couloir des urgences de 8 h du matin à 18 h le soir, un jour de septembre 2008. Et, de plus, on a mis à pied un nombre important de soignants le 15 septembre dernier : ah, Tartuffe n’est pas mort !

Et relisons les quatre volumes de l’Histoire contemporaine d’Anatole France : L’orme du mail, Le mannequin d’osier, L’anneau d’améthyste et Monsieur Bergeret à Paris. La IIIème République qu’il dépeignait aux alentours de 1900 ressemble furieusement à notre Vème République !

 

vendredi 8 octobre 2021

8.10.2021 : le poème du mois, sans commentaire

 

La vie sociale ? Ou « l’ activité économique » ? Pour moi, « l’ activité économique » n’a aucun droit en soi, aucun. Elle est un moyen, non négligeable, appréciable, mais un moyen, au service de la société, d’une finalité humaine.

(François Ruffin, Leur folie, nos vies :La bataille de l’après, Les liens qui libérent, 2021)


Un poème (ça fait du bien)

Euryale, dramaturge, Paris


(Cité par François Ruffin, dans Leur folie, nos vies : la bataille de l’après, Les liens qui libèrent, 2021)


Ces bas salaires

Ces mi-temps sous-payés

Ces femmes qui voulaient l’égalité

Ces régimes spéciaux privilégiés

Ces fonctionnaires fainéants et trop nombreux

Ces soignants trop gâtés

Ces agriculteurs pauvres

Ces enseignants qui avaient trop de vacances

Ces grévistes qui prenaient en otages

Ces Français assistés


Ceux qui n’avaient pas traversé la rue

Ceux qui n’étaient pas réformables

Ceux qui refusaient la fermeture des usines

Ceux qui, au fil de l’histoire, et parfois en même temps, sont rouges, jaunes ou noirs


Ceux qui n’ont pas de villas

Ceux qui ne sont pas actionnaires


Ceux qui abîment leur corps et leur santé

Ceux qui se battent sans espoir de médaille


Ceux qui sont aujourd’hui sur le front.


Notre France.

Merci.



 

 

lundi 4 octobre 2021

4.10.2021 : un malheur peut cacher un bonheur

 

Le sage pense toujours à ce que vaut la vie et non à ce qu’elle dure.

(Sénèque)


Je suis à l’âge où l’on fait des bilans, où l’on se demande ce qu’on a fait de sa vie, si elle a été bien ou mal vécue : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit", nous dit la vieille servante à la fin du roman de Maupassant Une vie. Des philosophes moralistes comme le Latin Sénèque ou le Chinois Lie Tseu nous le rappellent aussi.

Cet apologue de Lie Tseu rapporté par un conteur de notre temps est significatif ; on peut en tirer de quoi se réjouir de ce qui nous arrive, car un malheur peut avoir sa face cachée. Je vous le soumets et vous en souhaite bonne lecture :

"Lie Tseu ne raconte-t-il pas cette fable : un homme n’a qu’un cheval. Or, un matin, le cheval se sauve, et c’est un grand malheur pour l’homme. Or, le soir, le cheval revient avec vingt autres chevaux sauvages, et c’est un grand bonheur pour l’homme. Le lendemain, le fils de l’homme monte le cheval le plus sauvage, tombe et se casse la jambe, et c’est un grand malheur pour l’homme. Or, le jour même, la guerre est déclarée, mais du fait de son infirmité le fils de l’homme n’est pas recruté, et c’est un grand bonheur pour l’homme" (Jean-Benoît Thirion, Contes de l’échiquier, Plein chant, 1988).

J’ai eu mes malheurs comme tout le monde mais, sans les oublier, je mets en lumière tous les petits bonheurs qui me sont arrivés aussi, et je ne m’en porte que mieux. Mon amie Odile, dont les funérailles ont été célébrées jeudi dernier, souhaitait qu’on pense à elle d’une manière joyeuse, qu’on oublie sa mort pour ne penser qu’à sa belle vie, pour se souvenir de son regard resté lumineux et malicieux et des Fables de La Fontaine qu’elle relisait sans cesse. Elle m’a fait connaître Le curé et le mort qui déclenchait en elle un rire cristallin irrésistible, et qu’elle avait rebaptisé Le curé et son mort.


                                                            gravure de Grandville        

 

Le curé et le mort


Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s’en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j’aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
 

Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie 
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.

 


dimanche 3 octobre 2021

3.10.2021 : Migrants 12, la justice française à l'œuvre

 

Ce n’est pas l’amour de mon voisin — que souvent je ne connais pas du tout — qui me pousse à saisir un seau d’eau et à m’élancer vers sa demeure en flammes ; c’est un sentiment bien plus large, quoique plus vague : un instinct de solidarité humaine.

(Pierre Kropotkine, L’entraide, 1902)



Ce monde est devenu fou, voire dingue… Voici ce que nous dit le comité Madama (du prénom de ce jeune homme qui, à l’issue de ses deux ans de présence en Haute-Loire, a reçu, comme tant d’autres, une OQTF = Obligation de Quitter le Territoire Français), en dépit d’une vraie entraide qui lui avait permis d’obtenir un contrat d’apprentissage chez un éleveur. La pétition qui le soutenait avait recueilli 37 500 signatures dont la mienne. Je suis écœuré. La machine judiciaire est froide, inhumaine.

Voici le dernier rapport du comité de soutien :


SUSPICION, INTIMIDATION, PROVOCATIONS, ACCUSATIONS, ARRESTATIONS , PERQUISITION, RÉPRESSION, CRIMINALISATION


Accueillir dans sa maison un mineur étranger isolé, orphelin, sans attaches en France, suite à la décision de la Juge pour Enfants du Tribunal de Grande Instance, est-ce un délit ?

Le guider dans son apprentissage du français, dans sa scolarité, dans ses démarches administratives ; veiller à sa santé, son bien-être, sa bonne intégration dans le tissu social et dans le monde du travail, est-ce un crime ?

Madama est victime d'un acharnement des autorités : tous les moyens ont été mis en œuvre pour détruire son modeste projet de vie, pour le contraindre à la clandestinité. Il est parti, il a disparu pour ne pas être expulsé de force vers le Mali.

Et maintenant c'est nous, sa famille de cœur, qui sommes la cible des autorités. Convocations policières, gardes à vue, perquisitions, interrogatoires... Nous voilà à notre tour menacé-es de poursuites judiciaires sur la base d'obscurs soupçons liés à de prétendus faux papiers.

Des soupçons qui ne reposent sur rien. Des accusations invraisemblables, injustifiées, et tout simplement infondées.

Des accusations tout aussi peu crédibles que celles qui pèsent sur le jeune Madama, accusé d'avoir fait usage de faux papiers d'identité, accusé, même, d'avoir falsifié des documents d'identité alors qu'il ne savait ni lire, ni écrire... Son procès aura lieu le 5 octobre 2021 au Tribunal de Police du Puy-en-Velay (Haute-Loire).

Devant le rouleau compresseur des autorités préfectorales, quelles seront l'attitude et la décision de la Justice ? Nous le saurons dans quelques jours, sans doute.

 


D'ici là, c'est l'angoisse... Mais il y a aussi le réconfort apporté par de nombreux soutiens, notamment celui du Réseau Éducation Sans Frontières 43 qui, avec une vingtaine d'associations, de syndicats et d'organisations politiques, a exprimé son indignation dans un récent

Pour nous joindre : soutienmadama@gmail.com

Ah oui, on a bien des raisons de croire que nos "droits de l’homme", prétendument universels, sont bien à géométrie variable, hélas...