dimanche 21 octobre 2012

21 octobre 2012 : platitude et vanité


À quel degré de vanité nous conduit cette bonne opinion que nous avons de nous ?
(Montaigne, Les Essais, II, 2, 26, trad. Guy de Pernon)



De retour de Poitiers, où j'ai pu voir un grand nombre d'amis, mais où j'ai pourtant manqué de temps pour les voir tous ! En effet, l'excellente manifestation littéraire Passeurs de monde(s) m'a pleinement occupé, et les déplacements en bus, très aléatoires (avec les travaux, les lignes ne passent plus par les endroits habituels), m'ont fait perdre beaucoup de temps. 
Détails sur le produit
 
J'y ai découvert une romancière belge qui m'a beaucoup plu, Marie-Ève Sténuit, dont j'ai particulièrement apprécié la phrase suivante : "Je n'ai jamais su m'ennuyer, hormis dans les soirées mondaines" (dans son roman Un éclat de vie). « Ouf, » me suis-je dit, « tu n'es pas seul dans ce cas ! » Et de me rappeler les nombreuses réceptions mondaines, pots d'inaugurations, auxquels j'ai été contraint d'assister de par mes fonctions professionnelles, à diverses reprises : c'était d'un sinistre, les gens ne venaient là que pour se faire voir, faire admirer leur tenue vestimentaire, leurs décolletés plongeants, prendre des rendez-vous d'affaires, boire, manger les petits fours et raconter les derniers potins de la haute ; je n'y ai jamais entendu un mot intéressant ! Rien à voir avec les rencontres littéraires ou artistiques !
Passeurs de monde(s) mettait à l'honneur les littératures du nord, de la Flandre à la Scandinavie : écrivains, éditeurs, traducteurs. Les rencontres avec les traducteurs du suédois Philippe Bouquet (toujours fringant, j'ai déjeuné avec lui jeudi midi et il m'a conté quelques anecdotes savoureuses) et Jean-Baptiste Coursaud (le crâne rasé, tatoué de partout, cet original traduit, lui, et fort bien, du norvégien) ont été aussi très stimulantes. Ils nous ont bien fait comprendre tous les deux la difficulté de transposer un livre dans une autre langue, et aussi la nécessité de bien connaître l'édition française pour faire les propositions d'achats de droits de traduction à l'éditeur qui saura le mieux accompagner le livre traduit. J'ai acheté quelques-unes de leurs traductions.
Comme j'ai beaucoup marché, que je suis monté plusieurs fois à l'assaut du « plateau » (où est le centre de la ville, juché sur une butte), j'ai pu constater la fatigue qui s'en suivait. Autrefois, je circulais à vélo à Poitiers. Eh bien, je peux confirmer que c'est nettement plus fatigant à pied, les côtes sont raides, et je soufflais comme un bœuf une fois arrivé à Notre-Dame. Peut-être aussi mon opération m'a-t-elle affaibli physiquement ? Quand je pense qu'on me traitait de « courageux » parce que je montais au moins deux ou trois fois par jour sur le « plateau », je sais maintenant qu'il faut être nettement plus courageux pour le faire à pied. Et, samedi matin, j'ai vu des hommes et des femmes âgés qui traînaient, à petits pas, leur caddie dans la Grand-Rue pour monter au marché Notre-Dame, je les plaignais, moi qui n'avais que mon petit (et léger) sac à dos. Tout compte fait, j'apprécie la platitude de Bordeaux !
Je suis allé feuilleter à la FNAC et lire quelques pages de l'ouvrage dont on parle partout (sur Arte jeudi soir ou à La grande librairie le même soir sur France 5) : Cinquante nuances de grey, quarante millions d'exemplaires vendus aux USA, paraît-il. Une ineptie d'une niaiserie inouïe, un ramassis de clichés et de poncifs, qui ne mériteraient pas que je m'y attarde, mais dont je ne résiste pas à livrer un passage que j'ai noté pour donner une idée de la platitude de l'écriture (ah ! ce présent de l'indicatif !) : "Il me pousse contre le mur de la cabine, m’agrippe les deux mains et les cloue au-dessus de ma tête tout en m’immobilisant avec ses hanches. De sa main libre, il m’attrape par les cheveux et tire dessus pour me renverser la tête en arrière ; il écrase ses lèvres sur les miennes. C’est presque douloureux. Je gémis, livrant passage à sa langue qui en profite pour explorer ma bouche." N'en jetez plus ! Quand je pense que ce « livre » (!) va se vendre, que ce sera peut-être le seul livre lu cette année par des centaines de milliers de personnes, qu'il va alimenter le bovarysme féminin (voire masculin) et la morosité ambiante, j'en reviens à ce que je disais tout dernièrement : on pompe à nos amis américains toutes leurs conneries, on n'en rate pas une, que dis-je, on les recherche, on s'en délecte. Ou du moins, les commerçants veulent nous les fourguer, et nous, bonnes poires, on se laisse faire. Inutile de dire que je ne l'ai pas acheté !
À propos de pomper, je suis même étonné que nos coureurs cyclistes ne copient pas davantage Lance Armstrong !
*                   *                    *                     * 
Nouvelles du front des nouvelles technologies (suite)
Téléphone portable (vu sur internet) :
Un individu, se prétendant cadre chez Orange, prend ses billets à un guichet RER. Jusque-là, rien à remarquer. Mais voilà. Son portable sonne, et il commence à s'engager dans une longue conversation qui n'a pas l'air de bien se passer. Il en oublie qu'il a devant lui une employée qui attend et, derrière lui, une longue file de clients. Comme la guichetière lui fait observer qu'il gêne, là, que d'autres usagers attendent, il se fout en rogne, prétendant qu'il n'a pas à respecter les « fonctionnaires français » (!), que lui, il « travaille » (le coup de téléphone doit faire partie de son travail !) et que c'est grâce à ses impôts qu'elle (qui ne fout rien ?) peut toucher son « salaire de merde ». Tout cela a été enregistré et filmé par un des clients placé dans la file et, bien sûr, posté sur internet.
Commentaires de lecteurs du Figaro : « Il n'a pas tout à fait tort. » « L’égalitarisme et la redistribution par l’impôt sont insupportables et la pire des solutions. »
Décidément, après la fronde des patrons (les fameux « pigeons »), voilà que les cadres en rajoutent une couche. Au lieu de se plaindre de leur téléphone portable qui les dérange sans cesse (ne peuvent-ils pas user de leur liberté en les éteignant quand ils sont au guichet d'une gare ? Est-ce qu'ils le laissent sonner aussi la nuit ou quand ils sont en train de faire l'amour ou pendant leurs loisirs et leurs vacances ? Qu'est-ce que c'est que cet esclavage d'un nouveau type ?), ils agressent les travailleurs qui sont en face d'eux et qui ne font que leur boulot en les rappelant à l'ordre, en l'occurrence à respecter les autres usagers qui font la queue.
Ce cadre n'a sûrement pas lu Montaigne, il est vrai que pendu à son téléphone à longueur de journée et peut-être de nuit, il n'a pas le temps de lire. Mais il a le temps de soigner sa vanité !

Aucun commentaire: