il
lui semblait juste de ne pas s'embarrasser de la tristesse d'autrui
alors qu'il ne pouvait rien faire pour l'alléger.
(Juan
Gabriel Vásquez, La vie sur l'île de Grimsey, in
Les amants de la Toussaint,
trad. Isabelle Gugnon, Seuil, 2011)
Ô
le bon moment que j'ai passé cet après-midi ! Ce n'est pas tous les
jours qu'on voit fleurir la solidarité dans la vie ou dans les
reflets de la vie que sont les œuvres d'art.
Bien
sûr les critiques ne peuvent pas s'empêcher de dire : « C'est
trop beau pour être vrai ! » Laissons ces oiseaux de
mauvais augure disserter sur le vrai et le beau, et donnons-nous du
plaisir – c'est si rare par ces temps moroses où les gens se
battent pour arriver (ou revenir) au pouvoir et écraser un peu plus
les masses populaires.
Dieu, que ça fait du bien, que ça donne la pêche, même, de voir Pride.
Metteur en scène inconnu au bataillon, acteurs et actrices itou. Y a
que les Anglais pour réussir ça. Des
films concrets, gais, toniques, sociaux, qui parlent de nous et de
nos luttes pour acquérir ou conserver la dignité que les puissants
cherchent à nous enlever.
Dans
les pires moments de l'Angleterre thatchérienne, au moment de la
fameuse grève des mineurs de 1984, un groupe de jeunes gays et
lesbiennes londoniens (ils s'intitulent LGSM
= Lesbians and Gays Support the Minors) se
forme et prend la décision de soutenir les
mineurs, de faire la quête dans les rues (malgré les agressions dont ils sont victimes), alors que la Thatcher
s'efforçait d'affamer (par
le manque d'argent) et de
matraquer (par la police)
cette plèbe insolente qui
lui résistait. Qui aurait
imaginé que des gens qui, à priori, sont peu faits pour s'entendre,
les mineurs machos d'un côté, les gays de l'autre, vont réussir à
mettre en place une magnifique solidarité. Et le film
dégage une superbe leçon de tolérance. Oh, pas une leçon de
professeur, mais une leçon apprise dans le combat commun et concret.
Les
uns (mineurs) ont leurs traditions de combat social prolo (la main dans la
main, unis, ce que précisément la Thatcher cherchait à détruire),
les autres (gays et lesbiennes) ont mis au point dans la décennie précédente leur
stratégie libertaire de conquête des droits. Les gays connaissent
la loi sur le bout des doigts, ce qui n'est pas le cas des mineurs
qui sont placés en garde à vue bien au-delà du temps
réglementaire, voire emprisonnés sans aucune preuve. Car gays et
lesbiennes ont compris pendant les luttes précédentes que
l'exclusion dont ils étaient victimes est d'une nature voisine de
celle des mineurs gallois. Mêmes ennemis, l'intolérance, la police qui charge, et
la prison au bout.
Le
film ne cherche pas à masquer les préjugés des uns (homophobie des
mineurs, qui prétendent n'avoir jamais rencontré un gay de leur
vie !) et des autres (qui redoutent le côté prolo et catholique étriqué du village de mineurs). Mais
tout cela ne tient pas quand les femmes s'y mettent, et ce sont les
femmes de mineurs qui, les premières, vont tendre la main aux gays
et lesbiennes venus à leur rencontre. Elles-mêmes sont victimes du
machisme ouvrier ; elles découvrent avec ces jeunes gens dessalés
une liberté qui les émeut. Elles réapprennent à danser et à
s'amuser.
Le
fin mot de l'histoire (par ailleurs vraie), c'est qu'à l'issue de la
fin de la grève, lors de la Gay Pride de 1985, plusieurs cars de
mineurs ont débarqué à Londres, menés par les femmes, et tous ont
défilé en tête de la Gay Pride avec leur fanfare. Car la
solidarité ne saurait être à sens unique. On rit beaucoup devant
ce film, on pleure aussi. Car tout est loin d'être rose, ni chez les
familles de mineurs, ni chez les gays. Ainsi le jeune Joe, issu d'un
quartier huppé (Bromley), se voit séquestré par ses parents quand ils
apprennent ce qu'il est. Tous les personnages sont d'ailleurs très bien typés,
comme souvent dans le cinéma anglais. Résultat, on y croit, on
passe un bon moment. Je n'avais pas entendu
d'applaudissements au cinéma à la fin du film depuis Land and freedom
de Ken
Loach, autre film anglais
hyper tonique.
Combattons
les préjugés par la solidarité... et par le chant. Car entendre Solidarity for ever une nouvelle fois (c'est si rare au cinéma) m'a ému jusqu'aux larmes. Voilà ce qu'on devrait apprendre à nos enfants au lieu de les traîner à des manifs qui prêchent et prônent l'intolérance et la haine... Et faisons mentir ce que dit le personnage imaginé par l'écrivain dans la citation que j'ai mise en exergue : oui, la solidarité peut alléger la souffrance.