Ou
le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ;
il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la
possession, l’autre par la convoitise.
(Jean-Jacques
Rousseau, Du
Contrat social)
Tananarive : sur une colline
Et
voici que, pour clôturer notre séjour, nous revenons à Antsirabé
puis à Tananarive, j’allais dire vers la civilisation, en fait
vers sa caricature. En effet, du fait de leur éloignement des
villes, de l’argent et de la richesse, les campagnes, la brousse,
les villages de paysans ou de pêcheurs me semblent ici, de par leur
mode d’existence à l’écart des grandes voies de communication,
du bruit et de la rumeur du monde moderne, nettement plus agréables,
en dépit de l’économie de survie qui les caractérise, des
problèmes de manque d’eau courante et d’électricité. Au moins
chacun semble être logé, même si très modestement.
mendiante avec enfants sous le tunnel à Tana
(tunnel irrespirable de pollution de gaz d'échappements)
Les
villes, proliférantes sans plan d’ensemble, sont le cancer du
pays : elles souffrent des méfaits du colonialisme ou du
néo-colonialisme
(on
cherche à copier l’Occident)
et du tourisme (on
est à l’affût de l’argent à soutirer),
les campagnes continuant leur petite vie traditionnelle de presque
autarcie agricole ; en ville, la misère s’étale, grouille,
la mendicité pullule, le logement est souvent insalubre et les
problèmes d’eau et d’électricité ne manquent pas non
plus,
à quoi s’ajoutent les embouteillages monstres et permanents, la
pollution de l’air, la mauvaise qualité de vie.
le lac Tritriva, niché dans un cratère
À
Antsirabé, nous avons visité les lacs (dont un dans un
cratère
de
volcan)
atteints après une heure de trajet pour quelques km sur des pistes
calamiteuses, mais aussi les artisans : fabrique de bonbons, de
modèles réduits (bicyclettes, pousse-pousse, camions), de tissage
pour sacs, écharpes, vêtements, de papier artisanal, d’objets en
corne de zébu, de travail des pierres plus ou moins précieuses, de
bijoux. Nous sommes allés nous baigner dans les baignoires des
thermes d’Antsirabé.
L’eau
chaude d’origine volcanique
jaillit,
entre 45 et 48°, d’un
gros tuyau directement dans la baignoire, et on l’arrête en
plaçant un gros bouchon style bouchon de Champagne. Un
petit robinet permet d’ajouter de l’eau froide pour ceux qui le désirent, je m'en suis passé, trop content de baigner dans l'eau très chaude.
démonstration de fabrication d'un vélo miniature
brodeuses de nappes
aperçu d'objets en corne de zébu dans le magasin d'atelier
les Thermes d'Antsirabé
la fameuse baignoire
Et
nous avons passé deux soirées dans un restaurant-cabaret. La
première fois, j’ai demandé au trio de femmes de chanter des
chansons de Piaf : nous avons eu droit à une belle
interprétation de La
vie en rose
et de Je
ne regrette rien.
La deuxième fois, j’ai osé demander au
couple de chanteurs pourquoi
ils déposaient
leurs smartphone sur le pupitre : c’est pour vérifier qu’ils
ne se trompent pas dans les
paroles. Encore un inconvénient de cet ustensile maudit : on handicape sa mémoire, plus
besoin d’apprendre par cœur !
au cabaret : Marinette et Patricia
au restaurant-cabaret : ma crêpe brûlée (hélas sans sucre)
Dans la journée, pour
me débarrasser de la horde de gamins hurlant "vazaha" (=
étranger)
et de femmes avec bébés réclamant "du
riz pour manger", j’ai profité d’un petit arrêt dans un
des rares supermarchés pour acheter 3 paquet d’un kg de riz, que
j’ai distribués à la sortie, provoquant quasiment une émeute.
Mais que faire pour ces gamins faméliques et en haillons ? Quant aux vendeurs
de rue, le plus émouvant, ce fut le jeune Lanto (dont Marinette
avait fait la connaissance deux ans avant et qu’elle avait surnommé
"Pintade", car il vendait entre autres des pintades en
pignes de pin), âgé de 25 ans (à ses dires, je lui en donnais 16,
vu son apparence et sa petite taille) qu’on retrouvait tous les
matins en sortant de l’hôtel, en
compagnie des dames vendant des tee-shirt, des cartes brodées, des
nappes, etc.
et
des vélos-taxis.
"Pintade" (1m60 maximum)
Le
retour vers Tananarive nous prit 4 heures dans un beau paysage
montagneux, avec des rizières d'un vert étincelant, et on sent que le pays est plus
riche. À l’arrivée, nous mangeons au 1er
étage, en terrasse au-dessus d’un carrefour où un policier
s’efforce de faire avancer la circulation pléthorique à grands
coups de siffler. Nous étions aux premières loges pour ressentir la
pollution de l’air. Après avoir déposé nos bagages à l’hôtel,
nous partons en ville. Objectif : acheter une guitare pour
Jocelyn à qui Bernard l’avait promis lors de la soirée de chant
sur le bateau. Les cousines de Jocelyn nous rejoignent et nous allons
au magasin de musique ensemble, négocions le prix. Les cousines
repartent avec et nous déambulons sur l’Avenue de l’Indépendance,
admirons la gare et la
mairie, au milieu d’une foule affolante, d’un regroupement auprès
d’un montreur de serpents, passons
devant l’Institut français, puis montons les escaliers vers la
colline qui surplombe notre hôtel.
la gare de Tananarive
la mairie
Le
soir, repas à la Muraille de Chine, où je déguste un délicieux
ravitoto (prononcé ravitoute) de porc cuisiné avec des feuilles de
manioc pilé et accompagné de riz. La sauce au manioc est
enchanteresse. Certains ont préféré le bol renversé, excellent aussi. En revenant à l'hôtel, nous repérons le bar karaoké où Jean-Michel veut
nous emmener le lendemain soir.
parmi les merveilles culinaires, le "bol renversé"
Le
dimanche, c’est le grand jour, nous allons partir à la découverte
du père Pedro, ce prêtre argentin qui a aidé les miséreux à se
construire des maisons en dur en créant des petites cités, trois
à Tananarive et plusieurs dans le reste du pays. Il nous faut une
heure pour faire les 8 km qui nous amènent au lieu de la fameuse
messe : une sorte de grand hangar-stade couvert (il dira à notre
intention dans sa superbe homélie : « Non, ici, on n’est
pas aux normes européennes, mais aux normes de la fraternité, aux
normes du partage et de l’amour... ») entouré de gradins
contenant 10000 personnes. Il anime la messe en compagnie d’un
groupe important de missionnaires français de passage (dont un est
originaire de l’Aveyron et un autre du Gers, comme ils nous diront
à la sortie) : ça se passe en malgache et en français
(homélie dans les deux langues : j’ai noté aussi « Vous
avez choisi d’être frères, de vivre pour le bien commun »,
et à l’intention des nombreux Français venant de diverses
associations humanitaires : « Quand vous demandez et
obtenez une augmentation de salaire, pensez à la partager avec les
plus pauvres », sans oublier son adresse au gouvernement et aux
sociétés d’adduction d’eau : « Nous avons besoin
d’eau ici, il est admissible de voir les gens aller chercher l’eau
à la fontaine publique parfois à un km de chez eux sur ces collines
pentues et devoir porter des bidons de 20 litres ; on peut se
passer d’électricité, il y a d’autres moyens d’avoir de la
lumière, mais l’eau, c’est une nécessité, c’est la vie »),
avec chants collectifs, et danse. L'évangile en action. Durée : plus de deux heures
et demi, et personne ne s’ennuie ! Je
suis même allé communier !!!
le père Pedro
l'homélie (adresse aux Français sur les salaires)
Le
bar karaoké ponctua notre dernière soirée. J’avais annoncé aux
autres que je chanterai La
Dacquoise,
chanson landaise que je connais depuis l’enfance. J’ai donc
demandé l’autorisation de la chanter, a capella, évidemment, car
elle n’existe pas en version karaoké. On a coupé la musique, un
grand silence se fit, on m’a donné le micro et je me suis lancé.
Les Malgaches, presque tous jeunes, très bon public et qui ont dû
me trouver courageux, ont applaudi. Il pleuvait quand on est sorti
et, revenus à l’hôtel, j’ai refilé mon parapluie à
Jean-Michel qui voulait trouver un café avec téléviseur pour
regarder un match de rugby ; Bernard l’a accompagné. Nous
apprîmes le lendemain matin, jour du départ, qu’en rentrant, le
parapluie à la main et chaussé de simples tongs, J.-M. avait glissé
dans les escaliers qui descendent de la colline, était tombé,
heureusement sans grosses conséquences, déclenchant l’hilarité
de deux prostituées au bas des marches !
des crocos à perte de vue
un toucan dans le même zoo
Il
ne nous restait plus qu’à reprendre l’avion le
soir du lendemain. Nous profitâmes de la journée pour visiter le
parc zoologique des crocodile ; adieu, Mada...
le jacaranda aux fleurs bleues