Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne pas désirer. Car il consiste à être libre.
(Épictète, Entretiens)
Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne pas désirer. Car il consiste à être libre.
(Épictète, Entretiens)
La tristesse est un état d’esprit subversif.
(Paolo Milone, L’art de lier les êtres, tard. Emanuela Schiano de Pepe, Calmann-Lévy, 2023)
Je lis de temps en temps des médias qui n'existent que sur internet et qui me consolent des médias radio, télévisuel et papier ordinaires, toujours prêts à se plier à l'air du temps, à ne dire que ce que les gens veulent entendre et répétant ad nauseam le prêt-à-penser ordinaire. J'ai donc découvert dans Lundi matin du 3 mars l'article suivant, témoignage accablant sur l'absurdité de la technologie moderne.
Autant dire qu'il va falloir jeter à la poubelle tous les vieux dans mon genre, si on ne peut plus avoir de rapports humains en présenciel (quel terme affreux, même si on a échappé pour une fois à l'horrible franglais) pour résoudre les innombrables problèmes que la société actuelle génère. Où est passée l'humanité, le lien entre les êtres humains est en train de disparaître, je n'ai plus qu'à m'effacer moi aussi !
"Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil", Ivan Illich, La convivialité [1]
Voici le récit d’une expérience peu plaisante : comment l’outil smartphone et le projet qui l’impose, annihile la véracité d’une signature manuelle, acte même d’une singularité jusqu’au bout des doigts.
Le statut d’auto-entrepreneur ne me faisait pas rêver, mais c’était la seule façon pour pratiquer mon activité dans la légalité. Bref retour en arrière : pour l’inscription au statut d’auto-entrepreneur, un formulaire en ligne de l’INPI [Institut national de la propriété industrielle], le guichet unique. Une erreur de ma part dans une case qui pourtant n’aurait pas dû faire valider l’inscription – erreur de procédure apparemment rencontrée par nombre de candidats. Conséquence : je ne suis pas auto-entrepreneur mais gérante d’une société. Quelques jours à peine et voilà qu’arrive au courrier un appel à cotisation pour l’URSSAF de plus de 1300 euros. Commence alors un parcours infernal de deux mois entre les impôts, la sécurité sociale et l’URSSAF pour la rectification de mon statut.
Un rendez-vous, enfin au siège de l’URSSAF. J’arrive. Porte fermée, caméra. Incompréhension. Attendre qu’une personne passe par hasard dans un couloir et faire un geste désespéré à travers une porte vitrée. Ce rendez-vous par messagerie informatique est en fait un message fantôme, « Ah, ça arrive des fois. Nous sommes désolés, votre rendez-vous ne s’est pas affiché sur notre planning. Mais bon, comme vous êtes là... » - je viens de faire 2 heures de route. Entrer. Couloir vide. Ils sont où les gens ? Un bureau blanc et froid, autre caméra dans un recoin. Les traditionnels dessins des enfants au mur ont disparu, aucun objet personnel si ce n’est un gobelet pour le café. Glaçant. Trou dans le ventre. « Nous n’avons plus accès aux dossiers. Ce sont des personnes à l’étage qui gèrent tout maintenant. Nous avons juste le droit de les appeler ou de leur envoyer des mails. Je peux au moins transmettre votre dossier. Je suis désolée » - encore un « désolé ». Nous échangeons quelques mots informels sur la situation des agents et l’évolution de leur « métier ».
Je repars, un peu détendue et confiante en leur bonne foi, mais la résignation ou l’acceptation, c’est selon, se généralise dans nombre de services publics. Pour mon affaire, cela s’arrange en quelques semaines. J’envoie une « jolie » carte postale réellement postée ; ce n’est qu’un mot de remerciement sur une carte, mais symboliquement j’espère qu’elle est arrivée sur le bureau.
"L’expert ne pourra jamais dire où se situe le seuil de la tolérance humaine. C’est la personne qui le détermine, en communauté ; nul ne peut abdiquer ce droit." [2]
Je demande un jour la cessation définitive de mon activité d’auto-entrepreneur auprès de l’INPI. Pour ce faire, j’effectue les démarches en ligne et obtiens le formulaire qu’il me faut valider par une signature numérique. Première tentative, et échec ; c’est en fait une signature « hautement identifiée » qui est exigée. J’imprime alors le document, le signe et me rends à la mairie pour l’authentification de ma signature manuscrite – la mairie ne peut me proposer de signature numérique. J’envoie le document en recommandé avec accusé de réception à l’INPI, doublé d’un scan et d’un envoi numérique sur le site officiel - je me dis, à tort, qu’avec toute cette matière « ils » trouveront un moyen pour entériner l’affaire en cochant la case - je croyais encore en une main heureuse devant un écran, mais c’était oublier momentanément la dimension absolue du numérique.
Courrier de l’INPI, une réponse informelle : « Depuis le 1er janvier 2023, les formalités de création, de modification et de cessation d’entreprises s’effectuent exclusivement en ligne, en application de l’article 1er de la loi PACTE n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ». Un numéro de téléphone disponible puisque « les experts de notre centre national d’information sont à votre disposition pour répondre à vos questions sur l’utilisation de ce service » ; j’appelle, la réponse est sans retour : « Madame, il faut bien vivre avec son temps ! Mais ne vous inquiétez pas, c’est facile et rapide si vous suivez la procédure ».
Je demande conseil et aide à FRANCE SERVICE de ma commune pour tenter de trouver une solution afin que ma cessation d’activité soit validée : nous optons, malgré ma réticence, pour le service en ligne LIVECONSENT, site officiel, pour la création de ladite signature numérique hautement identifiée. Le formulaire est ainsi complété. Mais voilà que la signature n’est pas reconnue par l’INPI. Encore une mauvaise surprise. Nous réalisons alors la démarche via FRANCE CONNECT +, or il est imposé à l’utilisateur d’avoir un smartphone. Ne disposant pas de ce type d’appareil, il est possible d’obtenir une signature numérique via LA POSTE, en présentiel. Mais à La Poste la réponse est similaire : un smartphone est indispensable. Je fais donc appel à un mandataire pour qu’il puisse accomplir la démarche via son smartphone, sous le regard d’un agent de LA POSTE : cela ne fonctionne pas davantage. « Bug ». Entre ces rendez-vous, je multiplie les courriers auprès de l’URSSAF pour leur expliquer mes difficultés, en vain.
Pour obtenir la fameuse signature, il me faut donc posséder personnellement un smartphone ou technologie équivalente. Or, étant diagnostiquée « hypersensible aux champs électromagnétiques » depuis plusieurs années (Médecine de pathologie professionnelle et environnementale), je ne dispose que d’un simple portable à touches – d’autres raisons me font opter pour cet outil ; en tant que citoyenne, je ne suis pas dans l’obligation d’avoir un smartphone. Me voici donc dans une réelle impasse, je vis la situation avec une certaine « violence » institutionnelle.
Je fais appel auprès d’un Défenseur des Droits ; plusieurs semaines de procédures, et n’avoir au final pour réponse que ce fameux article 1er de la loi PACTE déjà brandi par l’INPI.
Contre mon gré une fois encore, mais acculée, je réalise une identité numérique avec LA POSTE via un numéro de téléphone provisoire - achat d’une carte chez un opérateur et insertion de la puce dans un smartphone prêté pour l’occasion. L’opération nécessite : photos de face et de profil, création d’un QR Code, etc. sueurs froides, et « Les données personnelles seront conservées pendant 7 ans conformément à la Charte Informatique et Libertés ». Mais nouveau « bug » ; à quel endroit du processus ? Je contacte l’INPI qui me renvoie à une erreur du service de LA POSTE, et LA POSTE de me faire la réciproque, évidemment. Aucun aboutissement.
Entre temps, le Centre des Impôts m’informe avoir entériné ma demande de fin de statut d’auto-entrepreneur, et ce, sans l’aval de l’URSSAF qui ne peut valider quoi que ce soit sans un document de l’INPI. Quelque chose a donc « fonctionné » à l’envers, contre toute attente, enfin un rendez-vous avec l’humanité. Mais pour l’URSSAF et l’INPI, je suis toujours auto-entrepreneur.
Alors maintenant ? Et bien j’écris à la Présidence de la République... Peu de temps après j’obtiens une réponse du directeur du cabinet : mon courrier est transmis à qui de droit. J’acte cette réponse sans savoir quoi en penser. Quelques semaines passent, je reçois un courrier officiel de l’URSSAF attestant de la fin de mon statut depuis ma première demande des mois auparavant. Je ne saurai le « qui » et le comment. Profond soulagement. J’ai décoché une case parmi ces innombrables données interconnectées mais non sans avoir participé au nourrissage de l’IA ; et le logiciel de l’INPI de continuer à envoyer régulièrement des messages de rappel pour le suivi de l’avancement de mes formalités. Je pourrais presque sourire de tout cela si ne me venaient en tête les drones et leurs « cibles de haute valeur ».
Parenthèse : il n’y a jamais eu de raison écologique ou de simplification administrative à la numérisation des formes du monde.
Fin des années 80 début 90, arrivée des premiers ordinateurs dans les maisons, après le minitel. 1993 : pour valider un parcours universitaire, les cours d’informatique sont obligatoires ; aujourd’hui, formation incontournable à l’IA dans le parcours scolaire. Nombreux diront que « tout dépend de l’utilisation de l’outil »… Cet état de fait, s’il a seulement existé un jour, semble pourtant bien révolu - de même que la question éthique en science disparaît puisque rien ne doit entraver le « progrès » [3].
Jacques Ellul expliquait au milieu du siècle dernier comment la technique était devenue autonome et l’humain un appliquant résigné, ou un résistant voué à l’usure. Certes, le choix de refuser certains outils est d’évidence de plus en plus difficile à assumer, mais résister apporte cette sorte de joie d’espérer encore ; nous avons des mains fabuleuses et des corps pour éprouver. Non, demain n’est pas codé dans les circuits informatiques. Et je rêve : machines sauvages [4].
« L’installation du fascisme techno-bureaucratique n’est pas inscrite dans les astres. Il y a une autre possibilité : un processus politique qui permette à la population de déterminer le maximum que chacun peut exiger, dans un monde aux ressources manifestement limitées ; un processus d’agrément portant sur la fixation et le maintien de limites à la croissance de l’outillage » [5].
« Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du manque à la spontanéité du don. » [6]
Stéphanie Chanvallon
[1] Ivan Illich, « La convivialité », Editions du Seuil, 2021, p. 13
[2] Ivan Illich, ibid., p. 127
[3] La science est « par nature transgressive » et ne doit pas être freinée dans un monde en compétition internationale. Voir Pierre Savatier, « Les Chimères homme-animal sont une alternative à l’expérimentation humaine », Le Monde, 9 mars 2021.
[4] Voir « Rêver : Machines sauvages », Lundi matin, n° 321, 2022
[5] Ivan Illich, ibid., p. 145
[6] Ivan Illich, ibid., p. 13
et ce chant ô ce chant doux-amer des humains
(Élisabeth Pelloquin, Tout amour est douleur de n'être pas plus grand, Ex Æquo, 2024)
Élisabeth Pelloquin fait partie de la Maison des poètes de Poitiers, association dont j'ai fait partie aussi de sa création à mon départ de Poitiers. Je savais qu'elle écrivait mais, pour l'instant, elle n'avait jamais rien publié, du moins à ma connaissance. Son premier recueil est très beau et je vous en livre ce mois-ci un poème, mais tout m'a plu dans son livre, d'une qualité étonnamment égale.
Peut-être qu'une nuit de détresse
une main amie a défait tes tresses
Peut-être qu'une nuit de louve
l'ombre t'a bercée
jusqu'au soyeux des larmes
Peut-être
as-tu voyagé ainsi
jusqu'aux cils d'une aurore
qui ouvrait le regard
Peut-être
pourrais-tu maintenant
faire de ce regard
un poème
pour réchauffer ceux qui ont froid
le bonheur que j’avais vécu sur la route, félicité acquise au fil des rencontres mais aussi au cours de moments passés seul.
(Julien Leblay, Le tao du vélo, petites méditations cyclopédiques, Transboréal, 2016)
Comme d'habitude, je trouve des perles dans les boîtes à livres, autant qu'en bibliothèque, et plus facilement, car il n'y a que très peu de livres, et le choix est vite fait : ou bien aucun ne m'intéresse, ou j'en trouve un, parfois deux. J'ai donc récemment découvert Le tao du vélo, que je me suis empressé de lire. L'auteur, qui se définit comme un cyclo-voyageur ou un cyclo-nomade nous livre dans ce petit bouquin les réflexions tirées de ses nombreux voyages à vélo dans le monde entier.
Je suis loin d'en avoir effectué autant que lui. Et je suis peu sorti de France. Je n'ai d'ailleurs fait que quelques grandes randonnées, de 500 km (en général une semaine) à près de 1600 (trois semaines)... Je suis donc loin d'être un voyageur au long cours, comme certains fans du vélo que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans ma longue vie, et notamment lors de mes balades à vélo ou de l’hébergement gratuit auquel j'ai eu recours dans les années 2010 grâce au site warmshowers et qui m'a valu des rencontres mémorables, principalement avec des randonneurs étrangers venant de Pologne, des Pays-Bas, d’Écosse, de Catalogne, d'Espagne ou du Portugal.
Je dois avouer que voyager à vélo est une manière de voyager plus agréable que d'aller en voiture. Seule peut lui être comparée la marche à pied, comme le dit Jean-Jacques Rousseau dans son fameux panégyrique de cette façon de voyager : "On part à son moment, on s'arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d'exercices qu'on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche ; on examine tout ce qui nous flatte; on s'arrête à tous les points de vue" (Les confessions). J'ai fait de longues randonnées seul, en couple (nos deux premières vacances d'été, à Claire et moi, en 1980 et 1981, furent de rallier la Provence à partir d'Auch et jusqu'en Provence, en passant par le sud du Massif central, avec des trajets différents d'une année à l'autre), et même en groupe (ma seule incursion à l'étranger, en Suisse, pour accomplir le Tour du lac Léman, avec un groupe de cyclo-bibliothécaires).
A chaque fois, ce fut un enchantement. Là, une rivière plus ou moins vive, ici une forêt dont l'ombre nous rafraichissait; ailleurs la montagne et un col à gravir, le ciel bleu ou les nuages menaçants, la pluie et le vent, et les rencontres. C'est "n’avoir aucune
contrainte, faire ce que bon vous semble, en parfaite harmonie avec
son âme et son corps", comme dit Julien Leblay dans son Tao du vélo..On est gai, léger, primesautier, content de tout, de l'effort accompli, comme des pauses bienfaitrices et du repos bien gagné, des rencontres faites ici et là. Une des plus belle fut à Lourmarin, en frappant à une porte pour demander de l'eau destinées à nos gourdes vides, d'une vieille dame l Elle nous reçoit dans son intérieur ombreux et frais, nous offre le café. Nous papotons, nous discutons livres aussi, et elle nous révèle être la sœur de lait d'Henri Bosco, le fameux auteur provençal, dont le roman L'enfant et la rivière est un de mes livres préférés. Nous étions ravis et Claire pensait, comme Julien, que "la meilleure rencontre que l’on puisse faire dans un [tel] voyage en couple, c’est celui ou celle qui nous accompagne". Effectivement, notre couple en a été consolidé, grâce aussi à la rencontre des autres.
En outre, au contraire des voyages en voiture et, pire, en avion, le voyage à vélo coûte peu, car comme le souligne encore Julien Leblay : "Avoir un budget serré est finalement un plaisir sain. Détaché de la société de consommation, le cyclo-voyageur n’en est plus que le spectateur, libre de vivre seulement avec ce dont il a besoin. N’est-ce pas là une des plus grandes libertés, le fait d’avoir assez pour subsister et trop peu pour gaspiller ?" Les repas, même grossiers, paraissent délicieux, le gîte, même sommaire aussi : nous avons même dormi, Claire et moi, à la belle étoile, sous une simple couverture survie, près du lac du Salagou, car, comme c'était la fête votive de Clermont-L'Hérault, tous les hôtels affichaient complet. Et nous y avons magnifiquement dormi. Notre auteur ne nous dit-il pas également que "La réduction du confort est le premier pas vers la liberté" ?
Bref, presque octogénaire, j'aimerais bien encore faire une longue randonnée cycliste, avec des étapes bien moins longues, évidemment, que dans ma jeunesse. Mon âme de nomade se réjouit à cette seule pensée. Ce serait, comme mes nombreux voyages à Venise, une sorte de pèlerinage-souvenir sur les moments denses que notre couple a vécus ensemble.
Découvrir un livre, cela signifie s’affranchir des nécessités du quotidien, arracher sa propre vie à l’ici et maintenant et la replanter ailleurs le temps de la lecture.
(Thomas Montasser, Une année particulière, trad. Leila Pellissier, Presses de la Cité, 2016)
C'est toujours un grand plaisir de découvrir des auteurs nouveaux, anciens ou récents. Les bibliothèques publiques peuvent jouer un grand rôle dans cette découverte, comme le passage en librairie, les boîtes à livres, la famille et les amis, la radio ou les médias, la famille ou les amis. Je viens de découvrir Fabienne Radi, artiste suisse et aussi écrivain, dont le livre Notre besoin de culotte est impossible à rassasier, emprunté à la médiathèque de Bordeaux, m'a touché. Le titre est un pastiche amusant du petit livre de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, que mon ami Philippe avait traduit et dont il m'avait conseillé la lecture.
Ici, on navigue en plaine fantaisie : on trouve de brefs récits, quelques poèmes, des essais légers, avec en arrière-plan le souci de trouver des formes nouvelles. Fabienne Radi est artiste et ça se voit.
Je vous propose un extrait des 9 pensées immobilières, texte qui m'a particulièrement étonné :
1
Je pleure dans les chaumières
Tu sanglotes dans les manoirs
Elle renifle dans les chalets
Nous soupirons dans les grands ensembles
Vous geignez dans les palaces
Ils se lamentent dans les bungalows
2
Comme on fait son nid on se mouche
4
HLM : hachez-les menu
6
Dans le mot niche il y a chien
7
FAISONS DU FEU DANS LA CHEMINÉE !
HABITONS CHEZ NOS PARENTS !
CONSTRUISONS DES CHÂTEAUX EN ESPAGNE !
CASSONS LA BARAQUE !
BALAYONS DEVANT NOS PORTES !
POSONS NOS CULS SUR LA COMMODE !
SORTONS DU PLACARD !
AYONS DU MONDE AU BALCON !
8
Avant-toit mais après vous
...
il faut vraiment lire pour connaître vraiment le monde parce que les gens qui écrivent partent toujours d’un détail qui cloche.
(Alba Donati, La librairie sur la colline, trad. Nathalie Bauer, Globe, 2022)
Toute la journée, une ritournelle tournait dans ma tête. Quand j'étais moniteur de colo dans les années 60 dans la vallée d'Aspe, on la chantait beaucoup avec les enfants. Ils adoraient, aussi bien pendant les veillées du soir quotidiennes que pendant les balades en montagne et en forêt.
J'ai retrouvée cette ritournelle circulaire (on revient au début et on recommence) sur internet. Chantons, que diable, au lieu d'avoir les oreilles bouchées par des écouteurs ! Et peut-être que, comme en lisant, le monde clochera un peu moins.
Je suis la Seine jusqu'à la morgue
Mais ne trouvant pas mon chemin
Je demande à un joueur d'orgue
S'il connaît la Chaussée d'Antin.
Arrêtant sa manivelle
Il me dit je connais l'endroit
Tu suis la Seine jusqu'à la morgue
Et après c'est toujours tout droit.
et on reprend ad libitum les deux strophes
Je suis la Seine jusqu'à la morgue
Mais ne trouvant pas mon chemin
Je demande à un joueur d'orgue
S'il connaît la Chaussée d'Antin.
Arrêtant sa manivelle
Il me dit je connais l'endroit
Tu suis la Seine jusqu'à la morgue
Et après c'est toujours tout droit.
......................................................................
A écouter, chanté par Pierre Imbert
(paroles un peu différentes)
https://www.google.com/search?client=firefox-b-e&q=youtube+arretant+sa+manivelle#fpstate=ive&vld=cid:30ed8dc9,vid:ZSoU_-iJ5NQ,st:0
Tu secours mais tu aides les autres. Être un bon chrétien, c’est ça mon fils. Ce n’est pas aller à l’église. C’est donner de sa personne, c’est donner de son temps, car Dieu nous a faits égaux. Il faut que tout le monde le sache. Il faut amener sa parole et sa bonté à tous.
(Jérôme Peyrat, Poing noir, Salto, 2018)
Comme poème du mois, j'ai choisi un texte du poète du Moyen âge persan Saadi, auteur du Gulistân (Jardin des roses) et du Bustân (Jardin des fruits). Saadi a beaucoup influencé les écrivains français du XIXème et du début du XXème siècles. Ce texte représente le meilleur des petits apologues moraux du Bustân. Il m'inspire beaucoup dans la vie de tous les jours.
La médisance et la délation
Un jour à Safa, quelqu'un vint dire à un soufi :
" Ne sais-tu pas ce qu'un tel dit de toi en ton absence ?
— Frère, répondit le soufi, garde le silence, il est plus sage d'ignorer ce qu'un ennemi a pu dire. Colporter des propos hostiles, c'est se montrer soi-même plus malveillant que celui qui les a tenus, et celui-là seul peut faire à un ami de telles confidences, qui s'est ligué secrètement avec son ennemi. Jamais les outrages qu'un adversaire m'adressait n'ont pu jeter le trouble dans mon cœur, mais toi qui vient me révéler les secrètes perfidies de mes détracteurs, tu es cent fois plus acharné contre moi. Le délateur ranime les iniquités assoupies, il fomente la haine au cœur des hommes de paix. Fuis aussi loin que possible d'un compagnon qui dit à la discorde : "réveille-toi". Mieux vaut languir au fond d'un cachot, les fers aux pieds, que de porter partout le trouble et la discorde. L'inimitié entre deux hommes est comme le foyer auquel le délateur apporte sans cesse un nouvel aliment. "
Se taire ! Rester inerte lorsque, sous nos yeux, des infamies se commettent, lorsque les maîtres supplicient les esclaves, lorsque des magistrats frappent des innocents ; désarmer, en un mot, tant que cette Société sévit – jamais ! Nous ne serions plus nous-mêmes. /
(Zo d’Axa, De Mazas à Jérusalem ou Le grand trimard, Plein chant, 2007)
Alors que, malgré le cessez-le-feu, la situation à Gaza n'est guère reluisante, alors que les drones continuent à sillonner le ciel, alors que les snipers israéliens continuent de tuer des enfants (ce que nos merdias ordinaires ne signalent pas), alors que le projet du Grand Israël se concrétise peu à peu en Cisjordanie (assassinats, pillages, arrestations, interventions continues de la police et de l'armée visant à écœurer définitivement la population locale), on voit malgré tout que les femmes palestiniennes sont le moteur du courage et de la résilience. On peut les honorer !
Je vous propose le texte de Ziad Medoukh, professeur de français, écrivain et poète palestinien (lire Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, L'Harmattan, 2012), communiqué par l'Association Palestine 33 :
Gaza, après la trêve, rien ne semble changer pour les Palestiniens horrifiés, et un rôle plus important pour les femmes.
Ziad Medoukh
Gaza, 10 jours après l’entrée en vigueur du cessez-le feu, quelles différences dans la vie de tous les jours pour les habitants, quelles modifications sociétales peut-on aujourd’hui observer chez les Palestiniennes et Palestiniens de Gaza ?
Le Cessez-le feu est entré en vigueur le 19 janvier 2025 et rien n’a changé pour les Palestiniens de Gaza. Les drones sillonnent le ciel de Gaza nuit et jour, on ne sort pas dans la rue après 19h, il fait froid la nuit dans les maisons éventrées.
La situation humanitaire et sanitaire reste dramatique. Il
n’y a rien. Ni hôpitaux, ni centres médicaux, ni médecins,
ni médicaments. Si les citoyens ne meurent plus sous les
bombardements, ils continuent de mourir de manque de soin
et d’eau potable. L’aide humanitaire internationale ne
peut faire face à la demande.
Le retour massif des 500 000 Palestiniens déplacés jusqu’à
présent pose de graves problèmes logistiques. Les camions
d’aide n’entrent toujours qu’au compte-gouttes dans le
nord de la bande de Gaza. C’est toujours la pénurie pour
beaucoup de produits alimentaires comme la viande, les
légumes et les fruits.
Les personnes déplacées qui reviennent et cherchent leurs
maisons n’ont souvent plus rien et sont sous le choc de ce
qu’elles voient, choc qui sera très long à guérir.
Les services municipaux essaient de réparer les routes
mais c’est très difficile parce que les réseaux d’eau,
d’électricité, les canalisations, tout est détruit, sans
oublier le manque de moyens. Les voitures ne peuvent pas
rouler sur les routes défoncées, il y a des tonnes de
gravats à déblayer.
Si la vie quotidienne des Palestiniens de l’enclave
détruite n’a pas beaucoup changé depuis l’entrée en
vigueur du cessez-le-feu, on note cependant un important
bouleversement sociétal.
Le rôle des femmes n’est plus le même.
J’ai interrogé quelques femmes palestiniennes de Gaza à
propos de leur ressenti après 15 mois d’horreur absolue.
Randa, avocate. Elle travaille avec moi dans la
société civile et n’a jamais vécu une agression pareille.
Elle a insisté sur la place des femmes palestiniennes qui,
malheureusement, n’est pas encore vraiment reconnue ni
rendue visible, notamment dans les médias internationaux.
Aujourd’hui, souligne Randa, les femmes jouent un rôle
beaucoup plus important dans la société.
Chaque femme ici est la mère de quelqu’un qui a été
assassiné, arrêté, blessé ou qui a disparu. Elle supporte
l’insupportable et force l’admiration par son courage et
sa volonté.
En l’absence de mari ou d’homme à la maison, mort, arrêté,
blessé ou déplacé , les femmes ont dû prendre de nouvelles
responsabilités.
Aujourd’hui, elles jouent un rôle social, psychologique et
également économique dans la société palestinienne.
Si, avant la guerre, les femmes restaient généralement à
la maison à s’occuper des enfants et du ménage, elles sont
maintenant nombreuses dans les rues. Elles vont au marché,
remplaçant leur mari décédé, elles travaillent pour
certaines comme vendeuses, d’autres vont chercher de l’eau
potable, du bois, du pain, elles vont charger les
portables dans des magasins qui sont pourvus de panneaux
solaires, etc.
Si elles prennent des responsabilités nouvelles dans le
sein de la famille, les femmes sont également très actives
à l’extérieur, dans les centres éducatifs réouverts au
mois d’octobre 2024 (90% des enseignants sont des femmes).
De même, elles s’organisent et font par exemple le tour
des maisons pour apporter leur soutien aux familles au
travers de réunions, de conférences, etc.
Lina, 23 ans, ingénieure diplômée.
Lina relève que de nombreuses femmes travaillent comme
elle, en tant que bénévoles dans les hôpitaux, les centres
médicaux, les cliniques, les organisations internationales
et les associations locales. Leur rôle est très important.
Aujourd’hui, les femmes ont le respect et l’admiration des
hommes, notamment des jeunes. Pendant les déplacements,
les hommes prennent soin d’elles et de la famille, portent
les bagages et les meubles. On assiste à un partage des
responsabilités différent et ça, c’est nouveau.
Le courage et la détermination dont font preuve les femmes
est extraordinaire.
Shadia, 67 ans, maman et grand-maman.
Shadia m’a parlé de ses petits-enfants qui viennent chez
elle chercher tendresse et réconfort après chaque attaque
sanglante, chaque bombardement.Elle aussi observe une nouvelle reconnaissance du rôle de
la femme par les jeunes.
Auparavant, les jeunes filles sortaient de chez elles pour
aller au lycée ou à l’université puis rentraient à la
maison s’occuper du ménage et aider leur mère.
Ce n’est plus possible maintenant, les bâtiments scolaires
ayant été en grande partie détruits. Ainsi, pour ne pas
rester coincées à la maison toute la journée, elles
sortent et prennent des rôles qui n’étaient pas les leurs
auparavant.
Aujourd’hui, les pères font confiance à leurs filles.
Elles peuvent aller au marché, à la boulangerie, dans les
associations pour obtenir des colis alimentaires, au puits
pour chercher de l’eau ou encore pour charger les
portables dans les magasins où on trouve des panneaux
solaires. On leur témoigne du respect en les laissant
passer devant, dans une queue séparée, devant la
boulangerie par exemple.
Shadia elle-même encourage ses petites-filles à sortir. Ainsi, on voit beaucoup de jeunes filles dans les rues. On
reconnait leur implication et c’est un élément nouveau et
très important.
Shadia relève un autre changement important dans la vie
quotidienne palestinienne : aujourd’hui, l’homme aide
beaucoup plus sa femme dans le ménage. Malgré la trêve, il
est très dangereux de sortir des maisons après une
certaine heure. L’homme passe donc plus de temps dans la
maison avec sa famille. Il s’acquitte, même spontanément,
de tâches ménagères autrefois dévolues aux femmes
uniquement : allumer le feu pour la cuisine, faire le
ménage, préparer le café, le thé ou les repas pour toute
la maison (la famille, les déplacés, etc.).
Les femmes ont montré, une fois de plus, leur courage et
leur détermination.
Au cours de cette agression horrible, on peut dire que les
hommes ont appris des femmes la patience et la
détermination. Ils ont également réalisé que les femmes
peuvent vivre sous pression sans se plaindre.
J’espère que cette reconnaissance nouvelle du rôle de la
femme dans la société palestinienne persistera dans le
futur.
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Mon
amour du cinéma vient de loin. C’est sans doute, avec la lecture,
l’art qui est venu me chercher en premier.
(Jocelyne François, Car vous ne savez ni le jour, ni l’heure, Journal 2008-2018, Les Moments littéraires, 2022)
Mon amour pour Jeanne Moreau vient de loin également. D'abord comme actrice, dans le rôle de La reine Margot (film de Jean Dréville, vu en 1956), où elle joue le rôle principal, puis comme chanteuse, dans le film de Truffaut, Jules et Jim, où elle chante Le tourbillon. chanson de Rezvani.
Je vous propose ici une autre chanson de Rezvani, Cet écrivain d'origine persane a écrit et chanté lui-même une ribambelle de chansons, traitant surtout de l'amour, avec souvent une pointe d'humour ou d'émotion. Voici Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours.
Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours
pour l'écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=8nCVyXQsUNg