dans
un monde où chacun triche, c’est l’homme vrai qui fait figure de
charlatan.
(André
Gide, Les faux
monnayeurs,
Gallimard, 2007)
J’ai
donc retrouvé la Guadeloupe, après 9 h d’avion (Bordeaux-Orly +
Orly-Pointe-à-Pitre), et ma première surprise fut, au réveil, le
lendemain matin, de découvrir un paysage incroyablement vert :
les mornes voisins, dévastés par la sécheresse en 2010,
exubéraient de végétation. d’ailleurs,
des averses nombreuses ont ponctué cette première journée sur
l’île, et sur les vingt jours que j’y ai passés, il n’y en
eut que six exempts de pluie. Ici aussi, le dérèglement climatique,
n’en déplaise à M. Trump, fait son œuvre : autre fait
significatif, les brumes de sable venant du Sahara ont été
nombreuses et empêchaient de voir l’horizon pendant plusieurs jours, tout en donnant une
qualité de l’air médiocre.
ma chambre, au fond, la porte menant vers la cuisine, en l'air, la moustiquaire
Mon
ami et ex-collègue Yvon, presque de mon âge, est en assez bonne
forme. Dès que le temps s’y prêtait, il passait deux ou trois
heures chaque matin à débroussailler ses parcelles de terre sous
les manguiers, cacaoyers, goyaviers et autres arbres fruitiers, suivi
par une troupe dé hérons garde-bœufs, qui picoraient insectes,
petits batraciens, escargots et autres animalcules que l’herbe
fauchée révélait au grand jour. Il continue à conduire avec
maestria sur les routes hyper-pentues de sa région : les
pourcentages atteignent parfois 20 % et le vélo y est
impraticable (je le sais pour avoir essayé en 2010 lors de mon
précédent passage). Sa femme Michelle est toujours égale à
elle-même, et son accueil est digne d’éloges.
Yvon, suivi des hérons, approche du manguier
les pentes sont impressionnantes
Leur
fils Frédéric habite un peu plus bas ; il est agriculteur et
son exploitation a beaucoup souffert de
la maladie du citrus
greening,
il a dû arracher ses milliers d’arbres, tous touchés. Encore une
catastrophe due à notre civilisation, et aux effets de la
mondialisation et de son productivisme à outrance : les
pesticides employés par ailleurs (sur d’autres cultures) auraient
provoqué la mort des guêpes indispensables à la protection des arbres à agrumes contre l’envahisseur venu d’Asie. Par ailleurs le
chlordécone, insecticide
très utilisé dans la culture bananière (interdit aux USA dès
1976, puis en France en 1990, mais prorogé aux Antilles jusqu’en
1993 – encore une preuve que nos DOM ne sont pas tout à la fait la
France (?), malgré sa toxicité élevée), a entraîné une
pollution très grave des sols, puisqu’on ne peut plus rien y
cultiver (et ce pendant plusieurs centaines d’années), et même la Mer Caraïbe voisine, où certaine zones de pêche sont
interdites, est elle-même gravement contaminée. Ah, ils sont forts,
nos scientifiques, d’avoir inventé tout ça !
banane rose et caillemite
Pour
survivre, Frédéric a donc été obligé de prendre un emploi de
bureau à temps partiel dans une association agricole. Il va
cependant avec sa femme Mathilde au marché de Baillif tous les
vendredis vendre les produits de leurs terres, heureusement
non contaminées par la chlordécone :
fruits
(bananes de toute obédience,
goyaves, tamarins,
papayes, caillemites, etc), racines (madères,
ignames,
etc),
légumes
(christophines, gombos, tomates, etc), cucurbitacées (giraumon) ou
épices (curcuma par exemple)... Mais bien sûr, leur revenu issu de
cette vente a largement chuté depuis l’absence des agrumes. Leurs
deux filles, Naam (20 ans) et Louna (16 ans), poursuivent leurs
études, le fils aîné, Gallim est en métropole.
le curcuma, avant qu'il soir réduit en poudre
J’ai
donc revu tout ce petit monde, bien changé (surtout les enfants)
depuis sept ans, et fait la connaissance des cousins de Corrèze,
venus les voir depuis un mois, et qui sont repartis quelques jours
après mon arrivée. J’ai vu aussi de nombreux membres de la
nombreuse famille d’Yvon, frères, cousins, avec qui il cause
joyeusement en créole, langue qu’il me semblait mieux comprendre que
pendant mon séjour ancien de 1981 à 1984.
au premier plan, Michelle et Yvon, derrière eux, Thérèse et Claude, les Corréziens
J’ai
trouvé la Guadeloupe encore changée, elle a rattrapé une bonne
part de son retard sur le métropole (au contraire de la Guyane).
Dans l’ensemble, l’île est propre (plus de papiers gras, de
plastiques au bord des routes, presque plus de carcasses de voitures
pour défigurer les abords des habitations), les maisons et la
population plus avenants ; pas
vu de cases délabrées, démunies d’eau courante ou d’électricité
(comme en 1984 et comme en Guyane aujourd’hui, d’après les
reportages vus à la télé pendant mon séjour), ni de bidonvilles
aux abords des agglomérations.
Le niveau de vie semble avoir augmenté. En témoigne l’obésité
d’une part plus importante de la population : il faut dire
qu’on ne lésine pas ici sur la publicité pour les boissons
énergisantes ou hyper sucrées. En
témoigne aussi le développement important du tourisme, qui apporte
un peu d’argent frais par les locations chez l’habitant.
notre gîte à la Désirade
Enfin,
les bibliothèques se sont multipliées (ça reste pour moi un
indicateur du niveau de vie) et proposent des espaces numériques,
avec ordinateurs à la disposition des habitants pour accéder à
internet : la cyberbase de la Médiathèque communale de
Basse-Terre est impeccable et très utilisée. On ne lit sans doute
pas plus qu’il y a trente-cinq ans, mais au moins les conditions
existent : locaux bien adaptés et personnel formé (là, je me
donne un satisfecit, car je n’oublie pas que j’ai lancé en 1982
la préparation au certificat d’aptitude aux fonctions de
bibliothécaire - CAFB, et ai vu les deux premières fournées de jeunes
diplômés professionnels guadeloupéens, qui ont trouvé l’occasion
de se faire recruter et de faire bouger les choses). Ce fut pour moi
un plaisir de faire ce constat, et de voir que je n’avais pas été
tout à fait inutile.
autre visiteur habituel à la fenêtre de ma chambre : l'oiseau siffleur (merle ?)
À
suivre...
1 commentaire:
Merci à toi pour ces premières impressions de tes excursions en Guadeloupe, on attend les suivantes avec impatience !
L'oiseau siffleur à la fenêtre de ta chambre est précisément un Quiscale merle (Quiscalus lugubris - Carib Grackle) probablement commun sur l'île...
Amitiés
Bernard
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