ne
pas comprendre tout c'est déjà commencer à savoir.
(Cécile
Ladjali, Ma
bibliothèque : lire, écrire, transmettre,
Seuil, 2014)
Mon
interlude du 10 mars 2016 “je ne devrais plus” a suscité des
réactions et polémiques sur le fait que je ne mets pas de casque quand je suis sur mon vélo,
du moins en ville. Et chacun (chacune surtout) de me citer le cas
d'une connaissance à vélo renversée par une voiture qui a grillé
un stop et qui ne serait peut-être pas mort si... C'est-à-dire qu'ils généralisent à partir de cas particuliers. Comme par hasard, la plupart de mes détracteurs ne font pas de vélo. Et ont une certaine tendance à essayer de me culpabiliser. J'ai remarqué que
ces personnes ne semblent pas critiquer en priorité les conducteurs
de voiture incriminés. Non, le coupable, c'est forcément le cycliste qui a eu
le malheur de sortir sans casque.
De
la même manière, dans un viol (quasi anagramme de vélo), la coupable, c'est la jeune fille
sortie en mini-jupe, c'est bien connu ! J'en ai longuement parlé, du viol, sujet qui me touche beaucoup,
dans mes pages du 31 juillet 2008 (avis général) du 29 octobre 2009
(à propos du film Katalin
Varga),
du 28 août 2011 (livre de Joyce Carol Oates), du 28 février 2012
(livre de Danièle Sallenave), du 7 octobre 2013 (livre de Isabelle
Pandazopoulos).
Mais revenons au vélo ! Parlons
maintenant du cycliste coupable ! “Si
on voulait être logique, il faudrait porter une armure et pas
seulement un casque”,
remarquait Geneviève Laferrière, présidente de la Fédération
française des usagers de la bicyclette (Fubicy). Car, bien entendu,
en cas de rencontre avec une voiture, le cycliste n'a aucune chance !
Alors, port du
casque obligatoire ou pas ? Comment trancher le dilemme ? Si l'on voulait rire, on dirait qu'on pourrait le trancher par
l’expérimentation : demandons à des volontaires de
"griller" à toute allure les feux rouges sans regarder à
droite ou à gauche. D’abord sans casque, et pour les survivants,
avec casque une seconde fois. Pareil pour les stops, les changements
de direction. Et comparons les résultats avec ou sans casque. Mais trouverait-on des cobayes ? Cessons de plaisanter. Certes, il y a de
nombreux cyclistes qui grillent les feux rouges ; hier encore, les deux qui
l'ont fait devant moi portaient un casque, signe que, casqué, ils se
sentaient invincibles ! Mauvais point pour le casque. Car moi, je ne les ai point grillés !
un vélo (pas le mien)
La
Fubicy remarque que les obstacles à l'usage usuel de la bicyclette
“restent nombreux, comme en particulier l’image de dangerosité
associée à tort au vélo. Cette perception du vélo comme un mode
dangereux est démentie par toutes les statistiques, à commencer par
les bilans annuels de l’Observatoire National Interministériel de
la Sécurité Routière, mais elle reste solidement ancrée dans
l’opinion publique et nous nous réjouissons que les initiatives
récentes de mise à disposition de vélos en libre-service,
permettent petit à petit de démontrer qu’il n’est pas si risqué
de se déplacer à vélo”. La Fubicy remarque aussi que “partout dans le monde, le
risque d’accident rapporté au nombre d’usagers diminue lorsque
la pratique du vélo augmente”.
De
plus, les données de la Sécurité Routière montrent que le taux de
lésions au crâne dans les accidents de la circulation n’est pas
plus élevé chez les cyclistes que chez les piétons :
imagine-t-on l’obligation du casque pour les piétons ? Bien évidemment non. Enfin,
“contrairement aux idées reçues, le vélo est moins dangereux en
ville qu’en rase campagne [je confirme, il y a davantage de fous du volant sur les petites routes]. Le nombre de cyclistes tués est en
baisse continue depuis 2006, alors que la pratique explose dans la
plupart des agglomérations. En matière de pratique cyclable, c’est
le nombre qui fait la sécurité”.
Par
ailleurs, faire du vélo régulièrement c'est améliorer son état
de santé : “si vous prenez la voiture plutôt que le vélo pour
éviter de vous balader avec un casque à la main toute la journée,
votre santé en prendra un coup à long terme”. Or, l'obligation du
casque, quand elle a été mise en place, par exemple en Australie,
pour les 14-18 ans, a eu un double effet : chute de la pratique du
vélo chez les adolescents, augmentation de la pratique des deux-roues motorisés (mobylettes, scooters, motos), tant qu'à être obligé de
porter un casque. Et l'on sait que ce sont ceux-là qui ont bien plus
de risques d'accident que les cyclistes (25 % des tués chez les motorisés en 2011 alors
qu’ils représentent à peine 2 % de la part des personnes qui circulent) !
vélo dans une installation artistique (Biennale de Venise 2015)
Enfin,
comme un vélo ne peut pas écraser une automobile, ce sont les
conducteurs de ces dernières qui devraient en priorité faire attention, comme avec les piétons. Or, mon
expérience me montre que beaucoup trop d’automobilistes ne
vérifient pas la présence de cyclistes quand ils tournent à droite. Ce
qui n'empêche pas que les cyclistes doivent être respectueux du
code la route, et faire acte de prudence, comme je le fais. Avoir un vélo en bon état, être bien éclairé la nuit, mettre un gilet fluo au besoin, tenir le guidon des deux mains, avoir l'œil et l'oreille aux aguets, etc.
Des
enquêtes montrent d'ailleurs que la protection du casque est loin d'être
totalement efficace : l’une, menée en Australie en 2011 –
où le casque est obligatoire – révèle que 80% des cyclistes
blessés ou décédés portaient un casque ! Une autre, menée
en Angleterre en 2005, montre que les automobilistes frôlent plus
volontiers les cyclistes équipés de casques que ceux qui n’en ont
pas. Ce qui pourrait rendre les collisions ou chutes plus fréquentes quand on
porte une protection sur la tête !
Conclusion :
l'avantage potentiel est loin de compenser les inconvénients : baisse
de la pratique du vélo et donc de l'état sanitaire général, risques accrus car
avec un casque, on roule plus vite et on se croit invincible, et les
automobilistes sont encore plus dangereux...
Alors,
"Oui,
quoi de plus effrayant que la liberté ?" s'interroge
Laurence
Tardieu, dans L'écriture et la
vie
(Éd. des Busclats, 2013). Et écoutons Michel Tournier qui disait le
4 décembre 1968 : "Il y a mes plaisirs, mes découvertes, il y
a toutes les grandes promenades à pied ou à bicyclette qui ne sont
pas du temps perdu" (Lettres
parlées à son ami allemand Helmut Waller : 1967-1998,
Gallimard, 2015).
mon vélo : randonnée de juillet 2014 le long du Canal latéral à la Garonne
Et cessons de vouloir être sans cesse surprotégés ! À force d'excès de protection, on va finir par se calfeutrer chez soi, de peur des terroristes, de peur des voleurs, de peur des accidents, voire des épidémies : triste époque ! Vivre est risqué, un point c'est tout.
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